COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 61

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 14 septembre 2004
(Séance de 16 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères


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Audition de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères

Le Président Edouard Balladur a souhaité entendre M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères sur le programme nucléaire de l'Iran, la question du Darfour et la situation en Tchétchénie.

M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, a fait part des préoccupations de la France et de ses partenaires européens concernant le développement du programme nucléaire iranien. Rappelant que toute course à l'armement nucléaire était lourde de conséquences, il a expliqué que l'action conjointe de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne à l'égard de l'Iran avait pour but de rassurer les États de la région en particulier et du monde entier en général sur ce programme. Il a indiqué qu'après l'engagement qu'ils avaient obtenu en octobre 2003 de l'Iran de suspendre son programme relatif au cycle de l'enrichissement, sous condition de vérification par l'agence internationale de l'énergie atomique et en échange d'une collaboration industrielle, y compris dans le nucléaire civil, les discussions avec ce pays restaient très difficiles. Il a expliqué que le comportement iranien avait conduit l'avant-garde que forment les trois pays européens à l'élaboration d'un nouveau projet de résolution demandant au gouverneur de l'AIEA un examen précis, d'ici au mois de novembre, de l'ensemble du programme iranien. Selon le résultat de cette enquête, le choix sera fait soit de porter le dossier iranien devant le Conseil de sécurité des Nations unies s'il apparaît que l'Iran n'a pas respecté l'accord de 2003, soit de mettre en œuvre l'ensemble des dispositions de cet accord si l'Iran s'est conformé à ses engagements.

M. Jean-Michel Boucheron a évoqué avec inquiétude l'argumentaire qui commençait à se développer dans certains milieux américains à propos de l'Iran, très proche de celui qui avait cours concernant l'Irak il y a deux ans. S'interrogeant sur l'éventualité de nouveaux projets de l'administration américaine dans la foulée d'une réélection du Président George Bush, il a exprimé la crainte que l'Union européenne voit sa politique iranienne manipulée et se retrouve piégée face aux Etats-Unis.

M. Michel Barnier a estimé que la valeur ajoutée européenne résidait dans la volonté de l'Union européenne de trouver une voie moyenne entre un laisser-faire qui conduirait à la détention de l'arme nucléaire par un nombre croissant de pays d'une part et une approche trop brutale de la lutte contre la prolifération d'autre part. Il a souligné que la saisine du conseil de sécurité représentait une réelle menace, à laquelle l'Iran était attentif, et que l'attitude pragmatique qui consistait à maintenir le dialogue avec l'Iran pouvait ouvrir la voie à un changement d'attitude de sa part. Il a répété que l'Iran n'avait nul besoin d'un programme d'enrichissement et que l'Union européenne était pleinement disposée à coopérer avec ce pays en matière civile. Il a conclu en soulignant la nécessité absolue pour l'Union européenne de parler d'une seule et même voix dans ce monde dangereux, condition indispensable si elle voulait être entendue par les autres pays, y compris par les Etats-Unis.

M. Michel Barnier s'est ensuite exprimé sur la crise au Darfour, où il s'est rendu au mois de juillet dernier. Il a rappelé la gravité de la situation humanitaire, caractérisée par le déplacement de 1,2 million de personnes au Soudan et au Tchad, fuyant les exactions des milices Janjawid.

Il a ensuite souligné l'importance du Soudan, et son rôle névralgique dans la région, à la charnière des mondes musulman et chrétien d'une part, arabe et africain d'autre part. Aucune sortie de crise n'est donc envisageable sans, ou contre, le Gouvernement soudanais mais avec lui seulement : c'est d'ailleurs parce que ce dernier s'est engagé dans un processus de négociations avec la rébellion du Sud qu'un règlement définitif du conflit dans cette région semble aujourd'hui proche. Pour autant, la pression internationale est utile, surtout lorsqu'elle vient des Africains, qui cherchent de plus en plus à prendre en charge eux-mêmes les premières réponses à apporter en cas de crise sur le continent, ce qui est une évolution très positive. Ainsi l'action menée par la communauté internationale, à commencer par l'Union africaine, notamment par le vote de la résolution 1556 du Conseil de sécurité, a conduit le gouvernement soudanais et les rebelles à prendre des engagements. Une mission d'observation du cessez-le-feu, pilotée par l'Union africaine, a ensuite été mise en place.

Le Ministre a également fait part du rôle de la France dans cette crise. Notre pays apporte une importante aide humanitaire, ainsi qu'une assistance logistique aux pourparlers politiques. Par ailleurs, elle a intensifié son dispositif militaire au Tchad afin de participer au transport de l'aide humanitaire et afin de déployer 200 hommes le long de la frontière entre le Soudan et le Tchad.

Lors du Conseil Affaires générales du 13 septembre l'Union européenne a par ailleurs décidé d'envoyer une mission d'évaluation et elle s'est dit prête, si l'Union africaine en fait la demande et que le gouvernement soudanais l'accepte, à mettre en place une mission de police. En effet, le principal frein au retour des réfugiés chez eux est la situation d'insécurité qui règne dans la région.

Enfin, sur la question de savoir si cette crise constitue un génocide, comme cela a été affirmé aux Etats-Unis, il est effectivement indispensable de pouvoir qualifier correctement les exactions qui sont actuellement commises au Darfour. La France a donc demandé au Secrétaire général des Nations Unies de lui donner son appréciation sur la réalité de la situation.

M. François Rochebloine a interrogé le ministre au sujet de la résolution présentée par la France et les Etats-Unis avec le soutien de l'Allemagne et du Royaume Uni, et qui a été adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 2 septembre dernier. Que peut-on attendre de cette résolution qui demande, comme les précédentes, le retrait des forces étrangères présentes au Liban et qui rejette la demande syrienne de révision de la Constitution tendant à permettre le renouvellement de l'actuel Président libanais ? Que se passera-t-il après l'écoulement du délai de 30 jours fixé par la résolution pour que les parties la mettent en œuvre ?

Le Ministre des Affaires étrangères a répondu que la position française récemment exprimée au Conseil de sécurité sur cette question était constante et qu'elle était fondée sur le principe de l'égale dignité des peuples et du respect de leur souveraineté. La France avait donc voulu, avec cette résolution, défendre l'indépendance et la souveraineté du Liban. Elle attend maintenant de voir si les autorités syriennes entendent respecter la résolution des Nations unies. Elle définira sa position en fonction du rapport que le Secrétaire général des Nations Unies doit remettre au Conseil de sécurité dans le délai de trente jours imparti par la résolution 1559.

Le Président Edouard Balladur a fait état du reproche adressé par certains aux pays européens d'une trop grande mansuétude à l'égard des autorités russes dans leur action à l'encontre des indépendantistes Tchétchènes. Le reproche d'une indulgence excessive des pays européens et de la France en la matière est-il fondé ?

M. François Loncle a indiqué que de nombreux Français s'interrogeaient sur l'attitude des autorités russes lors de la prise d'otages à Beslan dont le bilan s'est révélé catastrophique et a estimé que la France avait fait montre d'une certaine complaisance vis-à-vis de l'Etat russe, alors même que celui-ci se trouve en pleine dérive autoritariste.

Le Ministre des Affaires étrangères a déclaré que l'Union européenne ne faisait pas preuve d'indulgence à l'égard de la Russie. En ce qui concerne la question de la Tchétchénie, les relations entre l'Union et la Fédération de Russie sont fondées sur cinq principes : le respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de la Fédération ; la condamnation claire du terrorisme sous toutes ses formes ; la recherche d'une solution politique, et non pas militaire, pour sortir de la crise tchétchène ; la possibilité pour les ONG et les médias de travailler en toute sécurité en Tchétchénie ; l'absence d'opposition au retour volontaire des réfugiés tchétchènes, notamment ceux d'Ingouchie. La France refuse toute faiblesse dans le combat contre le terrorisme et la tragédie de Beslan illustre à quel point les actes terroristes peuvent être ignobles. Dans le même temps, elle estime qu'il faut combattre le terrorisme dans le respect du droit international et en agissant sur ses causes mêmes. S'agissant de la prise d'otages de Beslan, il convient de faire preuve de prudence, faute d'éléments d'appréciation suffisants. En tout état de cause la question tchétchène continuera d'être évoquée dans le cadre du dialogue entre l'Union européenne et la Russie.

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● Darfour

● Iran

● Liban

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