COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 6

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 21 octobre 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Lakhdar Brahimi, conseiller spécial auprès du Secrétaire général des Nations unies
- Informations relatives à la Commission


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Audition de M. Lakhdhar Brahimi, conseiller spécial auprès du secrétaire général des Nations unies

Remerciant M. Lakhdar Brahimi de sa présence, le Président Edouard Balladur a souhaité qu'il fasse part à la Commission des Affaires étrangères de son jugement sur la situation en Irak et en Afghanistan, ainsi que sur les perspectives de voir la communauté internationale rétablir la paix dans ces deux Etats.

Après avoir salué l'honneur qui lui était fait de s'exprimer devant la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, M. Lakhdar Brahimi a fait part de sa crainte de voir ces deux Etats occuper encore longtemps l'actualité internationale.

Afin de mettre les questions irakiennes et afghanes en perspective, il a, dans un premier temps, souhaité rappeler le cadre dans lequel l'Organisation des Nations unies (ONU) exerçait son action depuis la fin de la guerre froide. L'unanimité de la communauté internationale pour considérer, au sortir de la guerre froide, qu'elle devait se montrer plus active en faveur du maintien de la paix a conduit, dans les années 1990, à une multiplication des interventions des Nations unies dans des situations de crises internes à des Etats. En effet, à l'inverse de ce qui avait été imaginé, l'ONU intervient le plus souvent, non pas à l'issue d'un conflit opposant deux Etats, qu'elle aide à mettre en œuvre un cessez-le-feu, mais, au sein d'un même Etat, entre des parties, y compris non étatiques, soit sur la base d'accords, généralement approximatifs, qu'elle met en œuvre, soit sans qu'existe quelque accord que ce soit.

Dès le début de la décennie 1990, elle effectua ce type d'intervention en Afghanistan, après le retrait des troupes soviétiques, puis dans de nombreux pays, en majorité africains, sans oublier le cas de l'ex-Yougoslavie. C'est d'ailleurs dans cette zone, ainsi qu'au Rwanda et, aujourd'hui, au Congo, que l'Organisation assume ses missions les plus complexes. Les deux interventions en Bosnie et au Rwanda conduisirent cependant la communauté internationale, dans les années 1995-1996, à s'interroger sur le bien-fondé de ce mode d'action : elle prit alors conscience que la fin de la guerre froide n'avait pas créé les conditions d'intervention escomptées et que le grand discours prononcé, en mai 1991, à la tribune de l'ONU, par le Président George Bush père, sur le « nouvel ordre mondial », était au mieux prématuré. Il devint alors acquis que le monde était entré dans une phase de transition vers ce nouvel ordre - phase dans laquelle il se trouve d'ailleurs encore - et qui se caractérise essentiellement par un certain désordre international. Les événements intervenus en Irak en 2003 ont illustré de manière éclatante les problèmes auxquels était aujourd'hui confrontée la communauté internationale : la fragilité de la situation internationale et l'incapacité de l'Organisation, comme de ses membres, à traiter les problèmes de paix et de sécurité y sont apparues au grand jour, ce qui a d'ailleurs conduit le Secrétaire général des Nations unies à créer un groupe de travail chargé de réfléchir à une réforme du système, dont les recommandations seront transmises à l'Assemblée générale des Nations unies de 2005, année du soixantième anniversaire de l'Organisation.

A la lumière de ce rappel de la situation de l'ONU aujourd'hui, M. Lakhdar Brahimi a abordé l'analyse du cas afghan. Si la présence de l'ONU dans ce pays est consécutive à l'intervention américaine dans ce pays, certes non autorisée par le Conseil de sécurité, mais néanmoins approuvée par la communauté internationale dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, c'est cependant sous les auspices des Nations unies que se sont déroulées les négociations faisant suite à la chute du règne taliban, de même que c'est l'ONU qui a mis en place le dispositif politique ayant permis l'accès d'un gouvernement afghan à la tête du pays. Sans doute ce pays souffre-t-il du péché originel que représenta l'absence des Talibans à la conférence de Bonn sur l'avenir de l'Afghanistan, absence liée à leur rôle dans les événements du 11 septembre 2001 : leur présence aurait, en effet, permis à la situation d'évoluer différemment. Toutefois, celle-ci s'améliore et l'Etat s'organise petit à petit dans un pays dont il faut rappeler que, même à l'époque de ce qui est considéré comme un âge d'or (années cinquante et soixante), le gouvernement central ne contrôlait pas l'ensemble du territoire. L'élection présidentielle récente s'y est déroulée correctement, ce qui laisse augurer favorablement de la tenue prochaine d'élections législatives, après le printemps 2005.

M. Lakhdar Brahimi a constaté que l'Afghanistan représentait un cas d'école du principe observé ailleurs, selon lequel il n'était plus possible, dans le contexte international actuel, de laisser se dégrader la situation interne d'un Etat, sans que cette dégradation ne s'étende hors des frontières de ce pays, au-delà même des pays limitrophes. L'interaction entre l'évolution interne d'un pays et son environnement, direct ou non, est patente : à cet égard, les attentats du 11 septembre 2001 sont largement une conséquence directe de l'abandon de l'Afghanistan, devenu le repaire et le terreau du terrorisme international. De même, le problème du trafic de drogue trouve largement sa source dans ce pays qui, au-delà du fait que la culture du pavot y était traditionnelle, n'était plus gouverné. C'est ainsi que l'Afghanistan produit aujourd'hui 75 % de l'opium produit dans le monde et que l'économie de la drogue y représente plus de 50 % du produit intérieur brut. M. Lakhdar Brahimi a fait part de sa crainte de voir l'Afghanistan devenir un narco-Etat si des mesures plus actives de lutte contre l'économie de la drogue n'étaient pas prises dans le cadre international. Enfin, la situation afghane a un impact direct sur son environnement immédiat, à savoir l'Iran et le Pakistan. Si ces Etats exercent sans nul doute une influence sur l'évolution des événements en Afghanistan, ils souffrent également, à l'inverse, du désordre afghan : la drogue touche trois millions de jeunes gens et un million d'armes illégales circulent à Karachi, en provenance directe d'Afghanistan.

En conclusion de son analyse de la situation en Afghanistan, M. Lakhdar Brahimi a souhaité que l'ONU continue à travailler en lien étroit avec la communauté internationale, y compris la France. C'est du Pakistan, dont la situation intérieure est source de nombreuses préoccupations, que dépend toutefois le contrôle des Talibans.

Abordant la situation en Irak, M. Lakhdar Brahimi a estimé en préalable que le régime de Saddam Hussein avait été extrêmement dur, au-delà même de ce que l'on pouvait imaginer. Il n'en demeure pas moins vrai que la décision prise par les Etats-Unis de renverser ce régime par la guerre est une décision illégale, aux lourdes conséquences, tant sur le plan humain qu'au niveau politique. Cette guerre a même donné un second souffle au fondamentalisme qui progresse de nouveau dans certains pays. La question irakienne vient désormais se surajouter au problème palestinien et déstabilise toute la région.

Après la chute du gouvernement irakien, le Secrétaire général des Nations unies a accepté d'envoyer une mission de l'ONU sur place. L'attentat du 19 août 2003 a suscité une vive émotion au sein du personnel des Nations unies et soulevé de nombreuses questions sur la présence de l'Organisation en Irak et en Afghanistan. A la demande des autorités américaines, qui souhaitaient transférer la souveraineté aux nouvelles autorités irakiennes en juin 2004, le Secrétaire général a cependant accepté d'envoyer des représentants de l'ONU à Bagdad pour accompagner ce processus devant aboutir à la fin de l'occupation militaire. L'ONU a suggéré la création d'un gouvernement provisoire devant remplacer l'administrateur américain et préparer la tenue des élections en 2005.

Contrairement aux prévisions, ce processus de retour à la souveraineté ne s'est pas traduit par une amélioration de la sécurité sur place. Il y a au contraire une détérioration de cette situation : l'argument selon lequel l'insurrection serait le fait d'éléments étrangers à l'Irak est clairement infirmé et la thèse selon laquelle les Etats-Unis auraient libéré l'Irak avec le soutien de son peuple est largement battue en brèche. Les autorités américaines n'ont toutefois à ce jour pas tiré les conséquences de l'existence d'éléments patriotes dans l'insurrection, même si le Président Bush a reconnu que celle-ci n'était pas le fait des seuls mouvements terroristes. Le Premier ministre Iyad Allaoui a pour sa part pris des contacts avec les insurgés, mais ils sont restés vains. En poursuivant les combats contre les insurgés, comme à Falloujah, les forces en présence touchent de nombreux civils, ce qui risque de renforcer les rangs de l'insurrection plutôt que de l'affaiblir.

La conférence internationale sur l'Irak, prévue en Egypte les 22 et 23 novembre prochain, devrait constituer l'occasion de créer un groupe informel composé notamment des pays voisins de l'Irak. Ce groupe pourrait utilement accompagner le processus de pacification de l'Irak et il serait souhaitable que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité y soient présents.

Le Président Edouard Balladur a souhaité savoir si le gouvernement actuellement en fonction en Afghanistan prenait des initiatives pour tenter de réduire la place de la drogue dans le PNB. Dans l'affirmative, quelle appréciation M. Lakhdar Brahimi porte-t-il sur ces initiatives ? Par ailleurs, dans quel délai peut-on estimer que l'autorité de M. Hamid Karzai sera suffisamment confortée pour permettre le retrait des forces étrangères ?

Relevant que le coût de la guerre en Irak était de 200 milliards de dollars contre 8 à 9 milliards pour la paix en Afghanistan, M. Richard Cazenave s'est demandé s'il ne fallait pas redoubler d'efforts pour renforcer la situation en Afghanistan et dans la région et donc réaffirmer la nécessité d'une présence militaire. A cet égard, il a fait valoir que l'idéologie véhiculée dans les madrasas pakistanaises démontrait que l'action devait également porter sur ce pays.

M. François Rochebloine a souhaité savoir quand les résultats de l'élection présidentielle, qui s'est déroulée le 9 octobre 2004 dans d'assez bonnes conditions, pourraient être officialisés ?

M. Lakhdar Brahimi a apporté les éléments de réponse suivants :

- on peut se montrer confiant sur le déroulement du processus électoral en Afghanistan, le principal opposant à M. Karzaï, M. Qanooni ne contestant pas le résultat du scrutin ;

- pour lutter contre la drogue, une politique cohérente et un plan à long terme sont nécessaires en Afghanistan, en aidant notamment les agriculteurs à cesser de cultiver le pavot pour se consacrer à des cultures autorisées. On ne les convaincra pas cependant avec des arguments financiers, les moyens des trafiquants de drogue sont trop importants, mais par la menace de lourdes sanctions pénales. Un espoir réside, en la matière, dans l'attitude nouvelle des forces américaines qui, jusqu'à il y a peu, refusaient de s'en prendre aux producteurs ou aux trafiquants de drogue et acceptaient de soutenir financièrement des seigneurs de la guerre qui collaboraient à la lutte contre le terrorisme, même s'ils étaient notoirement impliqués dans la production et le commerce de l'opium ;

- depuis les années quatre-vingt dix, par ses interventions, l'ONU a pu parfois faire naître des espoirs excessifs dans les populations, en termes de développement, de démocratie, de santé, d'éducation... Or de tels besoins ne peuvent être satisfaits immédiatement tant ils sont grands dans les pays les plus pauvres. L'ONU a également donné parfois le sentiment erroné, par exemple à Haïti, que l'organisation d'élections suffisait à régler toutes les questions. En Afghanistan, nous devons réduire nos ambitions et, pour reprendre les termes de l'ex-Président haïtien Aristide, si nous permettons à ce pays de passer de la misère à la pauvreté avec dignité, nous aurons réussi une première étape importante. L'essentiel consistera dans un premier temps à instaurer un parlement, une armée, une police - la France et l'Allemagne y contribuent aux côtés des Etats-Unis - et à débarrasser ce pays du fléau de la drogue ;

- en 2001, l'ONU a souhaité installer la force de maintien de la paix uniquement à Kaboul craignant un rejet de ces troupes étrangères par la population afghane en cas de présence trop massive. Or ces troupes ont finalement été bien accueillies. Pourtant, faute d'accord des Etats membres, l'ONU n'a pu installer de troupes supplémentaires dans d'autres endroits stratégiques. Si l'on avait répondu à cette demande de l'ONU, la situation en Afghanistan se serait certainement améliorée ;

- au Pakistan, le développement des écoles islamiques - les madrasas - qui existent, d'ailleurs, dans d'autres régions du monde comme en Afrique du Nord, est intervenu lors de l'occupation de l'Afghanistan par l'Union soviétique. Il a fallu créer des écoles pour les enfants des réfugiés afghans au Pakistan, ce qui a été rendu possible grâce à des financements saoudiens. Mais le nombre de ces madrasas - 20 000 aujourd'hui - a vite dépassé les besoins des enfants de réfugiés pour constituer, bien souvent, des foyers de diffusion d'une idéologie extrémiste.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que certaines positions précédemment énoncées pouvaient apparaître contradictoires dans la mesure où M. Richard Cazenave s'était prononcé pour un renforcement de la présence militaire en Afghanistan alors que lui-même s'était interrogé sur le moment où pourrait être envisagé le retrait des forces militaires. Quelle position convient-il d'adopter ?

Estimant qu'il serait fort surprenant que les élections irakiennes prévues pour le début de l'année 2005 se déroulent dans des conditions de calme et de régularité totales, le Président Edouard Balladur a demandé à M. Lakhdar Brahimi s'il jugeait qu'elles pourraient être crédibles. Puis il l'a interrogé sur la durée prévisible, légitime et souhaitable de la présence des forces militaires étrangères en Irak. Enfin, dans quels délais une force irakienne de sécurité serait-elle à même de se passer de toute aide étrangère ?

Mme Martine Aurillac a souhaité savoir de quel crédit disposait le gouvernement provisoire actuel dans la reconstruction politique de l'Irak. S'agit-il d'un gouvernement d'apparence ou dispose-t-il d'une vraie assise politique ? Par ailleurs, quelles sont les chances d'arriver à une entente entre Chiites et Sunnites et quelle pourra être la place des communautés chrétiennes ?

M. Jacques Myard a posé la question de savoir si, dans les motivations de l'intervention américaine en Irak, il n'y avait pas, parmi elles, une volonté, inspirée d'une vision messianique et liée à la défense d'Israël, de se retrouver dans une guerre totale. La question qui en découle est la suivante : les Américains « rationnels » seront-ils capables de s'inspirer du processus mis en œuvre par la France en Algérie qui avait consisté à traiter avec la rébellion nationaliste ?

M. Didier Julia a demandé à M. Lakhdar Brahimi s'il partageait son sentiment selon lequel toute solution américaine, dans le contexte actuel, était vouée à l'échec. Les moyens déployés par les Etats-Unis sont de deux ordres : d'une part la force, les bombardements, d'autre part les affaires, les pétrodollars. Ces deux formes d'approche ne contribuent-elles pas à les éloigner de toute possibilité d'arriver à une solution dans ce pays ? Par ailleurs, si l'ONU joue un rôle en théorie dans ce pays, pratiquement quels sont ses moyens ? L'on peut alors se demander si la solution ne consisterait pas à laisser les Irakiens s'organiser eux-mêmes et à ne les aider que lorsqu'ils nous sollicitent. Enfin, la conférence internationale sur l'Irak qui devrait se tenir en Egypte fin novembre n'aboutira pas si les combattants de la résistance irakienne n'y sont pas associés. Bien que disparates et de natures différentes, ces forces de la résistance sont unies autour d'un certain sentiment patriotique irakien.

M. François Loncle a souhaité savoir pourquoi il n'avait pas été possible, au sortir de l'intervention américaine en Irak, de convoquer pour ce pays une conférence sur le modèle de la conférence de Bonn sur l'avenir de l'Afghanistan. Une fois l'élection présidentielle américaine tenue et quel que soit le candidat élu, est-il envisageable que l'administration américaine décide de prendre de nouvelles initiatives lors de la conférence internationale d'Egypte pour « sortir du guêpier » où elle se trouve. Enfin, concernant la réforme de l'ONU, peut-on entrevoir quelque espoir dans les années qui viennent de franchir l'obstacle de certaines résistances politiques, notamment américaines ?

M. Loïc Bouvard a souhaité obtenir des informations sur l'ingérence de l'Iran dans la situation en Irak.

Soulignant qu'à l'égard des Etats-Unis la critique était aisée mais demeurait un art difficile, M. Hervé de Charette a estimé qu'il y avait tout lieu de penser qu'après l'élection présidentielle de novembre, les Etats-Unis définiraient la ligne à suivre pour leur action en Irak et que l'on pouvait s'attendre à des inflexions. Il s'est dit par ailleurs frappé du silence de ceux qui sont en face, qui se contentent de critiquer et d'analyser, mais émettent peu de propositions utiles. Y a-t-il aujourd'hui à l'ONU des réflexions propres à aider les Etats-Unis et existe-t-il une disponibilité européenne susceptible de favoriser dans la communauté internationale l'émergence de solutions opportunes à la crise irakienne ?

Après avoir constaté que le Premier ministre libanais, M. Rafic Hariri, avait démissionné et refusé de former un nouveau gouvernement, M. François Rochebloine a souhaité connaître le sentiment de M. Lakhdar Brahimi sur la situation actuelle au Liban.

M. Lakhdar Brahimi a répondu aux intervenants :

- concernant la perspective de l'organisation d'élections en Irak en janvier 2005, elle est envisageable du strict point de vue technique. Les préparatifs sont à jour pour l'instant. Les Nations unies apportent un soutien à la Commission Nationale Irakienne qui a, elle, la responsabilité d'organiser ces élections et de prendre toutes les décisions y afférentes. A cet égard, les problèmes de sécurité ne peuvent pas être ignorés. Il faudra être en mesure e protéger des milliers de personnes qui constitueront à terme le personnel électoral ainsi que quelque 3000 candidats que leurs familles, dans un contexte marqué par la recrudescence de la violence et des enlèvements. Le problème va donc bien au-delà des réticences, d'ailleurs parfaitement légitimes, des personnels des Nations unies à participer à un processus électoral dont la sécurisation n'est aujourd'hui pas démontrée. De manière générale, en Irak ou dans n'importe quel autre pays en crise, l'organisation d'élections ne devrait pas être perçue comme un objectif en soi, il s'agit d'un élément parmi d'autres d'un processus politique : il faut donc se concentrer sur le succès de ce processus politique. En Afghanistan, par exemple, le report des élections de quelques mois n'a pas posé le moindre problème. L'essentiel, c'est que les parties concernées, la population en général et l'opinion internationale voient qu'il y a bien un processus politique en cours et que les élections auront bien lieu au moment approprié ;

- sur le retrait des forces américaines d'Irak, il est certain que le problème irakien n'a pas de solution militaire. Tout d'abord, il est nécessaire que le gouvernement Allawi et les forces américaines commencent à amorcer des discussions avec les insurgés. Ensuite, le Etats-Unis doivent donner des indications qu'ils ne comptent pas s'installer durablement en Irak, en publiant par exemple un échéancier, même conditionnel, du retrait progressif de leurs troupes ;

- s'agissant des forces militaires irakiennes, il est certain que la dissolution de l'armée après le changement de régime a fortement compliqué la situation, alors qu'une telle dissolution n'avait jamais eu lieu lors des précédents changements de régime qu'a déjà connus l'Irak, notamment en 1958. Or, former une armée en partant de zéro est une entreprise particulièrement hasardeuse dans les conditions actuelles. Dans la meilleure des hypothèses, elle demandera beaucoup de temps ; il est donc nécessaire de s'appuyer sur une partie de l'ancienne armée, ce qui aurait d'ailleurs pour conséquence de réduire les effectifs de la Résistance irakienne qui en sont généralement issus. En outre, le renvoi de tous les fonctionnaires baasistes, dans un pays à parti unique, a eu pour conséquence de dissoudre l'ensemble de l'appareil étatique, ce qui explique une grande partie des désordres actuels et du manque d'enseignants, d'ingénieurs ou de médecins ;

- sur le risque de déclenchement d'une guerre civile, il faut admettre que la situation est inquiétante, les fondamentalistes de tout bord cherchant à exacerber les tensions, comme l'ont montré par exemple les attentats qui ont fait 250 morts le jour de la fête de l'Achoura, qui est l'une des principales fêtes chiites. Quant aux chrétiens, beaucoup ont déjà émigré et il est à craindre que ce phénomène ne se développe si la situation continue de s'aggraver ;

- l'idée d'une représentation de la résistance irakienne lors de la conférence de Charm el-Cheikh a été évoquée par M. Michel Barnier. Elle sera difficile à concrétiser car comment choisir les interlocuteurs ? Pour autant, il est indispensable, à cette occasion, de faire en sorte que le processus politique en Irak soit beaucoup plus ouvert ;

- l'Iran cherche certainement à accroître son influence en Irak, aussi la stabilisation de la région doit-elle passer par une concertation plus approfondie entre pays voisins de l'Irak et membres du Conseil de sécurité.

- c'est à la fin de l'année que la commission chargée de réfléchir à la réforme de l'ONU rendra ses recommandations au Secrétaire général, et la réforme du Conseil de sécurité restant le point le plus sensible. Cette commission doit encore se réunir - probablement pour la dernière fois - début novembre. La question de la réforme des Nations unies regroupe en fait deux aspects : s'agissant du niveau opérationnel, la question est de savoir comment l'ONU, lorsqu'elle intervient, peut accomplir la tâche que les Etats membres lui ont confiée. Tel était l'aspect de la réforme de cette institution sur lequel M. Lakhdar Brahimi avait, en 2000, rendu un rapport au Secrétaire général, rapport dont la plupart des recommandations ont fait l'objet de mesures d'application.

- le second aspect de cette réforme est plus radical en ce qu'il concerne la création d'un nouvel ordre international. Tel est le sens du discours prononcé par le Secrétaire général des Nations unies, au cours de la présente session de l'Assemblée générale, dans lequel il a posé la question de l'Etat de droit international. Cette question se heurte à la situation géopolitique actuelle, sans précédent, caractérisée par la présence d'une hyperpuissance qui doit coexister avec le reste du monde. Le déséquilibre actuel de l'ordre international vient de ce que cette hyperpuissance doit apprendre à vivre avec le reste du monde, et vice versa, les deux ensembles devant trouver un modus vivendi permettant un travail en commun. Cet objectif sera difficile à atteindre tant que les Etats-Unis refuseront de se considérer comme un sujet de droit international, susceptible à ce titre de se voir appliquer les règles afférentes, et qu'ils estimeront en revanche que la loi américaine est applicable au reste du monde. Il est à cet égard très révélateur que le Conseil de sécurité ait accepté que toute résolution ayant une incidence financière ne puisse être adoptée qu'après que le Congrès des Etats-Unis en a examiné les implications sur le budget des Etats-Unis ;

- le Liban doit profiter de l'attention internationale portée sur lui aujourd'hui pour assainir ses relations avec la Syrie, en surmontant cependant ses propres divisions. La Syrie elle-même ne devrait trouver que des avantages dans une telle évolution de ses rapports avec le Liban.

Informations relatives à la Commission

● M. Hervé de Charette a été nommé rapporteur pour la proposition de résolution n° 1862 de MM. Hervé Morin et François Bayrou sur la proposition de règlement du Conseil portant création d'un instrument de soutien financier visant à encourager le développement économique de la communauté chypriote turque (E 2643).

● Le Bureau de la Commission a décidé la création d'une mission d'information de la Commission des Affaires étrangères sur les relations entre l'Europe et les Etats-Unis. Elle est composée de MM. Edouard Balladur, Philippe Cochet, Jacques Godfrain, Jean-Jacques Guillet, François Loncle, Axel Poniatowski, Paul Quilès et Rudy Salles.

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● Afghanistan

● Irak

● Liban


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