COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 9

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 3 novembre 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, sur la situation au Proche-Orient


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Audition de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères

Le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre des Affaires étrangères de sa présence devant la Commission des Affaires étrangères.

M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, a fait le compte rendu de sa visite en Israël du 17 au 19 octobre 2004 en insistant sur le fait qu'il s'agissait de la première visite à caractère strictement bilatéral effectuée par un Ministre des Affaires étrangères français. Les deux objectifs de cette visite étaient les suivants : l'amélioration des relations bilatérales, affectées par les diverses positions sur le conflit israélo-palestinien et par tout ce qui touche les Français juifs d'une part ; le rappel de la position française sur le processus de paix d'autre part.

Cette visite a permis de nouer des contacts diversifiés avec des responsables politiques israéliens, des personnalités de la société civile, des représentants de sociétés françaises en Israël, mais aussi des Français binationaux victimes ou endeuillés par des actes terroristes. Les visites au mémorial de la déportation des Juifs de France et au sanctuaire de Yad Vashem consacré aux victimes de la Shoah ont marqué la nécessité de réaffirmer le devoir de mémoire.

Un important travail de dialogue bilatéral est effectué depuis deux ans sous l'impulsion d'un groupe de haut niveau franco-israélien. Dans ce cadre, des programmes de recherche scientifique, des invitations de journalistes, des actions de coopération décentralisée, des échanges de jeunes ont été organisés. Il faut poursuivre sur cette voie, d'autant que cet effort est reconnu et apprécié par nos interlocuteurs israéliens, et qu'il donne une dimension quotidienne et plus ouverte à la relation bilatérale en lui permettant d'aller au-delà d'un dialogue restreint avec les seuls juifs de France.

S'agissant de l'antisémitisme supposé de la France, le ton des autorités israéliennes et des interlocuteurs non officiels a clairement changé. S'ils continuent de s'inquiéter de l'accroissement incontestable des actes antisémites sur notre territoire, ils reconnaissent et saluent la détermination des autorités françaises et donnent en exemple l'engagement personnel du Président de la République.

Abordant la question du conflit israélo-palestinien, le Ministre a indiqué qu'il existait désormais en Israël - ce qui est nouveau - un consensus sur le principe de la création d'un Etat palestinien, mais que la difficulté persistait sur la manière d'y parvenir. Le Président Moshe Katzav, le Premier ministre Ariel Sharon et le Ministre des Affaires étrangères Sylvan Shalom, ont estimé qu'ils n'avaient pas de partenaires du côté palestinien et expliqué qu'ils n'avaient en conséquence pas d'autre choix que d'agir unilatéralement et que telle était la logique du retrait de la bande de Gaza. Le Ministre a indiqué avoir souligné que ce retrait représentait un pas positif puisqu'il restitue aux Palestiniens une partie des territoires occupés, mais que pour constituer un succès, il convenait de l'inscrire dans le cadre de la feuille de route et de négocier avec les Palestiniens les conditions de transfert d'autorité. « Gaza d'abord » ne peut signifier « Gaza seulement » et le retrait doit se poursuivre en Cisjordanie mettant ainsi fin « à l'occupation qui a commencé en 1967 » selon les termes mêmes de la feuille de route. Les négociations avec les Palestiniens ne peuvent avoir lieu qu'avec leurs responsables légitimes, élus et reconnus par la population palestinienne, au premier rang desquels figure le Président Yasser Arafat.

La communauté internationale doit être associée au retrait de la bande de Gaza. La France et l'Union européenne y sont prêtes et cette dernière, qui devient un véritable acteur politique, entend de plus en plus jouer un rôle dans un conflit qui touche directement ses intérêts, alors même que l'engagement américain, bien qu'essentiel, ne suffit pas. Le message selon lequel l'Union européenne n'entendait pas se borner à verser une aide financière ou à apporter un soutien technique a été clairement formulé. Par ailleurs, l'importance du rôle de l'Egypte, qui a entrepris une médiation intelligente, a été rappelée.

Les Palestiniens ont également des obligations à remplir, conformément au contenu de la feuille de route. Ce point a été rappelé sans ambiguïté en évoquant la nécessaire réforme de leurs services de sécurité en liaison avec l'Egypte, ainsi que l'ouverture du système politique palestinien dont les élections prévues pour la fin de l'année doivent permettre de mesurer la réalité.

Le Ministre a conclu son propos en faisant part de l'importance que les Israéliens attachent aux relations bilatérales et en insistant sur leur focalisation sur les questions de sécurité. Cette visite lui a permis de réaffirmer le rejet total du terrorisme par la France tout en lui donnant l'occasion de rappeler l'illégalité du tracé de la barrière de séparation. Cette visite approfondie en Israël était nécessaire et elle a été positivement commentée par la presse israélienne ainsi que par les institutions juives de France. Nos partenaires européens et américains ont bien noté la volonté de dialogue de la France avec Israël et la constance de la position de notre pays sur le conflit et les moyens d'y mettre fin, la véritable garantie de sécurité pour Israël étant de parvenir à la paix avec ses voisins.

M. François Rochebloine s'est interrogé sur les conséquences de la réélection de M. Bush sur la situation en Israël et en Palestine. Les problèmes de santé de M. Yasser Arafat ne risquent-ils pas, quant à eux, d'interférer dans l'exécution du plan de retrait de Gaza présenté par M. Ariel Sharon ? Quel crédit peut-on d'ailleurs apporter à ce plan ? Comment le Premier ministre israélien justifie-t-il le tracé du mur construit par son pays pour assurer la sécurité de son territoire ? De même, comment peut-on légitimer la destruction par les autorités israéliennes de maisons palestiniennes alors que ces actions touchent souvent des innocents ?

Constatant qu'il serait difficile de faire de Gaza une partie d'Etat viable sans coopération étroite entre Israël et l'Autorité palestinienne, M. Jean-Jacques Guillet a souhaité connaître le rôle que pourrait jouer l'Egypte pour assurer la stabilité de Gaza.

Après avoir exprimé son désaccord avec l'emploi par le ministre d'expressions comme « Français juifs » ou « Français musulmans » qui laissent entendre que la France serait constituée de communautés, M. Jacques Myard s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles il serait possible de faire évoluer la position israélienne, qui semble aboutir aujourd'hui à une impasse. Une solution ne consisterait-elle pas en une reconnaissance par la France de l'Autorité palestinienne comme un véritable Etat ?

Notre pays, enfin, ne devrait-il pas mettre à profit sa position dans la région et sa force d'entraînement plutôt que de s'en remettre à une Union européenne qui paralyse toute initiative ?

M. Rudy Salles a rappelé que les représentants du groupe d'amitié France-Israël de l'Assemblée nationale avaient été reçus par M. Ariel Sharon en 2003. Le Premier ministre israélien avait alors tenu des propos sévères contre les actes antisémites commis en France et la politique de notre pays à cet égard. Il avait également évoqué notre position au Proche-Orient. A l'occasion d'une nouvelle visite d'une délégation parlementaire en Israël en juillet dernier, M. Sharon avait reconnu, en revanche, que la France menait une politique exemplaire contre l'antisémitisme et avait, par ailleurs, fait état de sa ferme volonté d'organiser le retrait de Gaza par Israël. Les relations franco-israéliennes, qui ont toujours été passionnelles, sont marquées par une grande amitié mais ne sont pas encore empreintes de la confiance qui caractérise les liens noués par la France avec les pays arabes de la région. Or le Proche-Orient a besoin de la France et de l'Europe pour sortir de la crise qu'il connaît. C'est pourquoi la visite du Ministre des Affaires étrangères en Israël ne doit pas rester sans lendemain, la France pouvant jouer ici un rôle essentiel notamment en raison de sa qualité de puissance méditerranéenne et parce qu'elle est le pays en Europe au sein duquel vit la plus grande communauté juive.

M. Jean-Paul Bacquet a indiqué que, d'après les contacts qu'il avait pu avoir auprès d'elles, les autorités israéliennes semblaient dans une situation d'attente dans la perspective de la succession de M. Yasser Arafat.

M. Michel Barnier a apporté les éléments de réponse suivants :

- eu égard à la situation sérieuse, voire grave dans laquelle se trouve Yasser Arafat, il est normal qu'il soit accueilli en France pour des raisons humanitaires ou humaines ;

- s'agissant de l'absence d'interlocuteurs dont se plaignent les Israéliens, il faut reconnaître que certains dirigeants de l'Autorité palestinienne sont indispensables et il n'est pas dans l'intérêt d'Israël d'aboutir à une situation où il n'aurait plus d'interlocuteurs. Ainsi, l'intérim est assuré et l'engagement de suivre la feuille de route est maintenu ;

- sur les questions de sécurité, la France a toujours condamné les destructions de maisons tout autant que les attentats suicides ;

- Ariel Sharon justifie le tracé du mur uniquement par des raisons de sécurité ;

- il est important que l'Autorité palestinienne arrive à comprendre qu'il faut un nouveau partage du pouvoir, y compris sur les questions de sécurité. C'est tout l'objectif de la médiation égyptienne et cela démontre un grand courage de la part des Egyptiens. L'Egypte attend également que lui soit reconnu un rôle politique, au-delà du rôle qu'elle joue en matière de sécurité. Le plan de restructuration des services de sécurité qu'elle a proposé doit être mis en œuvre avec la coopération d'Israël ;

- la frontière Sud est actuellement contrôlée par des Israéliens, mais si on leur apporte une garantie, ils pourraient se retirer de cette zone ;

- il vaut mieux parler de Français juifs qu'utiliser le terme de communauté ;

- la reconnaissance unilatérale de l'Etat palestinien est une décision possible selon la feuille de route - elle signifie l'existence d'un Etat dans des frontières provisoires -, mais c'est une décision lourde car elle comporte le risque de figer durablement ces frontières provisoires. S'il importe d'éviter de prendre le risque de figer l'Etat palestinien dans des frontières réduites, c'est aussi aux Palestiniens de dire si c'est une option qu'ils souhaitent ;

- le respect et l'écoute par Israël et les Etats-Unis ne peuvent être obtenus que par une Europe unie à vingt-cinq. Si nous sommes seuls, nous sommes faibles ;

- l'engagement a bien été pris de donner une suite à la visite du Ministre des Affaires étrangères en Israël ;

- enfin, il faut souligner l'importance des travaux du Parlement en la matière et en particulier la mission d'information de la Commission des Affaires étrangères sur le rôle de l'Union européenne dans la solution du conflit au Proche-Orient, présidée par M. Hervé de Charette.

Le Président Edouard Balladur a estimé que la déclaration d'Ariel Sharon selon laquelle le tracé du mur n'aurait aucune incidence sur la frontière du futur Etat palestinien n'était pas crédible.

M. Didier Julia a interrogé le Ministre sur les relations de la France avec la Syrie et le Liban, suite au vote de la résolution 1559 du Conseil de sécurité. Il a demandé des explications sur des déclarations de l'Ambassadeur de France au Liban qui ont pu être interprétées comme une ingérence dans les affaires intérieures du Liban. De plus, alors que les Etats-Unis ont trouvé un accord avec la Syrie sur la frontière entre cette dernière et l'Irak, la France ne se trouve-t-elle pas aujourd'hui isolée dans ses critiques contre Damas, au risque d'en supporter des conséquences au niveau économique ?

En Irak il est clair qu'un accord politique sera impossible tant que les bombardements des populations civiles dureront et alors que les pertes irakiennes ont été chiffrées à 100 000 par la revue médicale The Lancet. Dans ce contexte, la France ne pourrait-elle pas demander officiellement aux Etats-Unis l'arrêt de ces bombardements ?

M. François Loncle a souhaité savoir si la résolution 1559 relative au Liban était d'initiative exclusivement américaine ou avait également été parrainée par la France. Concernant les deux otages français retenus en Irak, il a interrogé le Ministre sur d'éventuels développements récents sur cette question.

M. Michel Barnier a répondu aux intervenants :

- il n'est pas possible d'améliorer la situation actuelle en Irak par les armes. Le Président irakien Ghazi Al-Yaouar lui-même a fait part de son inquiétude quant à une éventuelle offensive sur Falloujah. Il est donc indispensable de poursuivre aujourd'hui le processus politique, dont la prochaine étape sera la conférence de Charm el-Cheikh. Cette dernière pourrait être accompagnée par la suite de l'organisation d'une conférence inter-irakienne de réconciliation qui réunirait tous ceux qui renoncent à la violence. Une étape ultérieure sera constituée par les élections dont il faudra veiller qu'elles soient organisées dans les meilleures conditions possibles. Ensuite, il faudra envisager la perspective d'un retrait des forces étrangères, condition de la crédibilité du processus dans son ensemble ;

- sur le Liban et la Syrie, le Conseil de sécurité a adopté le 19 octobre une déclaration présidentielle qui marque la mobilisation de la communauté internationale pour que les demandes adressées à la Syrie et au Liban par la résolution 1559 soient appliquées. Quant aux déclarations de l'Ambassadeur de France à Beyrouth, elles se contentent de rappeler le contenu de cette résolution, qui ne constitue pas une position isolée de la France mais une application du droit international par le Conseil de sécurité. Il est donc logique d'attendre de la Syrie et du Liban qu'ils agissent en conformité avec cette résolution. A cet égard, la France a pris acte de la constitution du Gouvernement Karamé suite à la démission de celui de M. Hariri. Or ce cabinet ne donne pas le signal attendu par le vote de la résolution 1559. Pour autant, la France est une amie du Liban et de la Syrie et maintiendra les relations bilatérales qu'elle a avec ces deux pays ;

- le projet initial de résolution qui a conduit à l'adoption de la résolution 1559 était américain. Après une négociation dense sur ce projet, la France a accepté de le soutenir. Le Royaume-Uni et l'Allemagne l'ont également co-parrainé ;

- dans le contexte d'un Irak en proie à des enlèvements et des assassinats quotidiens, le Gouvernement français continue à nouer tous les contacts possibles en vue de la libération des deux journalistes français et de leur chauffeur syrien.

Le Président Edouard Balladur a souhaité rendre compte au Ministre des Affaires étrangères de la réunion qu'avait tenue la Commission le 2 novembre, dont l'objet était l'examen d'une proposition de résolution qui reliait l'intervention de l'Union européenne à Chypre à la question, différente, de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Il a informé le Ministre qu'il avait indiqué à la Commission que, passé le Conseil des Ministres de l'Union européenne du 17 décembre prochain, il était souhaitable que le Gouvernement en rende compte devant l'Assemblée nationale et qu'il trouverait légitime qu'ait lieu, à cette occasion, le vote d'un projet de résolution par le Parlement.

Prenant note de cette proposition, le Ministre des Affaires étrangères a précisé qu'il conviendrait d'examiner avec une grande attention les conclusions du Conseil européen, dont le contenu ferait l'objet de négociations jusqu'au dernier moment. Il a donné l'accord du Gouvernement à la tenue d'un débat postérieur à la réunion du Conseil européen, faisant observer que, dans l'hypothèse où le Conseil se prononcerait en faveur de l'ouverture des négociations en vue de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, cette question devrait faire l'objet de nombreux débats au Parlement, pour lesquelles il se tenait à disposition de la représentation nationale.

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