COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 15

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 24 novembre 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-Pierre Landau, Conseiller financier à la Banque européenne pour la reconstruction et     le développement (BERD), sur le rapport du groupe de travail sur « les nouvelles contributions     internationales »




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Audition de M. Jean-Pierre Landau, Conseiller financier à la BERD

Le Président Edouard Balladur a dit tout l'intérêt que la Commission des Affaires étrangères portait à la présentation, par son auteur, du rapport sur les diverses possibilités de financement de l'aide au développement. Cette étude qui vient d'être remise au Président de la République constitue d'ores et déjà une référence dans les enceintes internationales aux Nations unies, comme en Europe. Elle a mis en évidence la nécessité de dégager des ressources supplémentaires stables et durables pour financer le développement et permettre ainsi de traduire en actes les intentions généreuses exprimées par les responsables politiques en matière de développement et de réaliser les objectifs du Millénaire.

Le Président a demandé à M. Jean-Pierre Landau quelles avaient été les réactions suscitées par les réflexions du groupe de travail qu'il avait dirigé et si ce dernier avait désormais l'espoir d'être entendu.

M. Jean-Pierre Landau a remercié le Président Edouard Balladur de lui donner la possibilité d'intervenir devant la Commission des Affaires étrangères. Il a indiqué que le groupe de travail, souhaité en novembre 2003 par le Président de la République, était composé de membres venant d'horizons multiples - dirigeants d'entreprises, fonctionnaires, économistes, représentants syndicaux ou d'associations proches des altermondialistes... - et que ces derniers avaient mené leurs réflexions parallèlement aux travaux entrepris sur le même sujet par un groupe international quadripartite (Brésil, Chili, France puis Espagne), créé en janvier 2004 à l'initiative des présidents du Brésil et du Chili. Le 20 septembre dernier le rapport de ce groupe international a été présenté à New York lors d'une réunion de chefs d'Etat et de Gouvernement qui se déroulait en marge de l'Assemblée générale des Nations unies. Sur le fond, les analyses des deux groupes de travail sont convergentes et il convient désormais de faire progresser les choses.

M. Jean-Pierre Landau a toutefois reconnu que la question du financement du développement demeurait une affaire difficile et une source de tensions entre les différents acteurs. Mais, alors que le risque étant grand de voir cette préoccupation faire à nouveau l'objet d'une indifférence générale, on observait désormais une volonté d'évoluer. Or une telle dynamique aurait été totalement inespérée il y a de cela tout juste un an.

Après avoir souligné qu'un consensus général avait été obtenu sur ce rapport, à une exception notable près sur laquelle on reviendra, M. Jean-Pierre Landau a considéré que ce résultat remarquable, obtenu par un groupe de personnalités très diverses, venait de la démarche et des principes adoptés dès le départ.

Estimant qu'il convenait de partir du monde tel qu'il est, fait de l'existence d'Etats souverains démocratiques pour la plupart, qui seuls ont le pouvoir de lever des ressources, le groupe de travail a d'emblée écarté toute idée de création d'institutions internationales ou tout recours à un mécanisme de redistribution internationale du revenu à l'échelle de la planète. En effet il n'existe aujourd'hui ni structures de décisions adaptées à un tel schéma ni de volonté politique au niveau mondial pour consentir à un tel mécanisme.

M. Jean-Pierre Landau a indiqué que par conséquent les réflexions s'étaient concentrées sur les besoins en matière de développement et plus spécifiquement les besoins de financement des objectifs du Millénaire. Définis à l'unanimité en l'an 2000 par l'Assemblée générale des Nations unies, ces objectifs quantitatifs, peu connus en France visent principalement à réduire de moitié la pauvreté absolue dans le monde, à donner accès à l'eau potable, à réduire la mortalité infantile et à faire bénéficier tous les enfants d'une éducation. A ce sujet M. Jean-Pierre Landau a précisé qu'au regard des critères de l'extrême pauvreté - moins de un dollar par jour et par personne - 1,2 milliard de personnes sur une population mondiale de 6 milliards d'habitants se trouvaient actuellement dans cet état et 2,5 milliards vivent avec 2 dollars par jour soit 730 dollars annuels à comparer avec la situation de la France où les revenus moyens annuels se situent entre 22 000 et 24 000 dollars.

Ces objectifs du Millénaire (ODM) exprimant une volonté politique internationale, le groupe de travail a considéré qu'il était donc légitime de réfléchir aux moyens de les atteindre. En effet, même si certains notamment aux Etats-Unis ne partagent pas ce constat, beaucoup pensent que l'on ne parviendra pas à réaliser les ODM avec le niveau actuel de l'aide au développement. Une augmentation de l'ordre de 50 milliards de dollars par an serait donc nécessaire qui viendrait compléter les 58 à 63 milliards de dollars annuels que représente, tout compris actuellement, l'aide internationale au développement. Sur ce total, les versements en « cash », aux pays en développement ne représentent que 30 milliards de dollars, le solde étant constitué par des annulations de dettes, de l'assistance technique et des frais administratifs (3 à 4 milliards de dollars par an).

M. Jean-Pierre Landau a ensuite insisté sur le fait que l'analyse, selon laquelle les objectifs du développement ne seraient pas atteints au travers des moyens classiques de financement n'était pas universellement acceptée, non plus que la nécessité de mécanismes innovants.

En effet, si la France s'est fixé pour objectif d'augmenter son aide au développement (APD) à 0,5 % du PNB en 2007 et à 0,70 % du PNB en 2012, il faut se souvenir que certains pays, du Nord de l'Europe en particulier, sont déjà parvenus à ce niveau et que les acteurs engagés dans les actions pour le développement estiment que si cette aide atteignait pour tous les donateurs 0,70 % de leur PNB, la question du financement du développement serait résolue. L'idée d'un financement complémentaire est donc accueillie avec suspicion par ceux qui voient dans cette proposition un moyen pour les Etats de se soustraire à leur engagement concernant le niveau de l'APD.

Cette critique est sérieuse et le rapport y répond.

A cet égard, M. Jean-Pierre Landau a cité certains chiffres : pour donner à tous les enfants dans le monde une éducation primaire, il faudrait 3 milliards de dollars par an pendant dix ans, et un peu moins de 2 milliards de dollars par an suffiraient à l'éducation primaire des enfants de l'Afrique subsaharienne. Or, on ne trouve pas ces sommes. Le programme de la Banque mondiale « Education pour tous » ne dispose que d'environ 60 à 80 millions de dollars par an.

De la même façon, il serait possible, avec un milliard de dollars par an, d'assurer les trente opérations chirurgicales de base qui permettent de faire face aux principaux besoins de la population mondiale. On ne trouve pas non plus les financements pour réaliser cet objectif, pas plus qu'on ne trouve les fonds nécessaires pour alimenter le Fonds global pour la santé. On pourrait multiplier ces exemples.

Ainsi, un article de presse récent traite-t-il des effets prometteurs d'une plante médicinale pour lutter contre le paludisme, qui affecte 30 millions de personnes dans le monde. Environ 250 à 300 millions de dollars par an seraient nécessaires pour en développer les dérivés. On ne les trouve pas davantage.

C'est donc bien de ressources garanties, stables et affectées à des actions ciblées dont le système d'aide au développement a besoin et qu'il n'est pas en mesure de produire.

En effet, l'aide publique au développement est soumise dans chaque Etat aux contraintes budgétaires, en même temps qu'elle est, en tant qu'instrument de la politique d'intervention extérieure d'un pays, affectée à certaines priorités définies par lui. De ce fait, les grandes actions communes et reconnues comme prioritaires par la communauté internationale ne sont pas financées. C'est là, selon M. Jean-Pierre Landau, l'argument essentiel qui doit permettre de plaider en faveur de la mise en place de mécanismes nouveaux de financement de l'aide au développement, pour réaliser les objectifs du millénaire qui, de surcroît, ne sont guère coûteux, puisque 50 milliards de dollars supplémentaires par an sont l'équivalent de quinze jours de croissance mondiale.

Il faut ainsi pouvoir garantir aux Etats qui s'engagent dans des programmes spécifiques (éducation, formation de médecins, infirmières...) une stabilité des ressources sur une période longue pour procéder aux investissements et aux recrutement nécessaires.

Sur ce point M. Jean-Pierre Landau a souligné le déséquilibre entre le secteur public et la philanthropie privée dans la sphère de l'aide au développement notamment quand on considère les très grandes fondations anglo-saxonnes. Ainsi, la première d'entre elles, la fondation Bill and Melinda Gates, dotée de 27 milliards de dollars, se consacre exclusivement au développement en redistribuant chaque année, 1,35 milliard de dollars - et ces nouveaux acteurs disposent, eux, de financements stables et assurés. Ils peuvent garantir aux bénéficiaires la stabilité et la pérennité de la ressource puisque cet engagement n'est soumis à aucune contrainte d'ordre politique ou budgétaire. La philanthropie privée représente actuellement aux Etats-Unis quelque 220 milliards de dollars par an, dont aujourd'hui 3 % seulement vont à l'aide au développement.

C'est donc une question essentielle de principe qui est posée au système public : comment peut-il être présent et s'engager en offrant une ressource publique pour le développement présentant les mêmes qualités que les financements privés ?

En partant de cet impératif - la nécessité de trouver une ressource stable- le rapport a inventorié de très nombreuses possibilités assorties d'une évaluation en termes d'avantages et d'inconvénients, mais aucun choix n'a été opéré par le groupe de travail.

M. Jean-Pierre Landau a ensuite présenté les principales solutions envisagées.

La solution la moins contraignante serait une contribution volontaire, à l'instar de l'impôt d'église allemand, qui, quoique facultatif, rapporte 9 milliards d'euros par an.

La deuxième solution serait un système sophistiqué d'ingénierie financière. Le gouvernement britannique, vigoureusement soutenu par le gouvernement français, propose ainsi l'instauration d'une « facilité financière internationale », qui permettrait de financer de nombreuses interventions, à hauteur de plusieurs dizaines de milliards de dollars, en bénéficiant d'une garantie d'emprunt particulière des États.

Troisième solution, les taxes internationales, que l'on peut classer en trois catégories : les taxes de solidarité internationale - le prélèvement systématique, par exemple, d'un centième de point de TVA -, une taxation des armements, ou une taxation des transactions financières. Sur ce dernier point, le groupe de travail a volontairement laissé de côté la question de la stabilisation des taux de change et de la lutte contre la spéculation. Il préconise une taxe minuscule, pratiquement sans effets perturbateurs sur les marchés financiers, mais qui permettrait tout de même de lever des ressources significatives - de l'ordre de 10 milliards de dollars par an.

Les taxes environnementales, enfin, paraissent une solution d'avenir. La planète dispose en effet de ressources limitées qui sont exploitées gratuitement, ce qui n'est pas économiquement rationnel. Le Protocole de Kyoto ne suit certes pas cette logique de la tarification pour préférer celle des quotas, mais on pourrait fort bien faire payer un prix pour l'utilisation de certains de ces biens communs et en affecter la recette aux actions en faveur du développement. Ainsi, par exemple, en droit international, les États doivent assurer la liberté de passage des détroits. Ceux-ci, d'une certaine façon, sont des biens communs puisqu'ils sont à la fois rares et gratuits et sont exposés à un risque de surutilisation. Si les navires passant le détroit du Pas-de-Calais ou celui de Malacca payaient ne serait-ce que l'équivalent du tiers du coût que représenterait le détournement sur un autre itinéraire, on en tirerait des recettes de l'ordre de 1,5 milliard de dollars par an pour chacun d'entre eux.

Au terme de son exposé, M. Jean-Pierre Landau est revenu sur le point de divergence qui est apparu au sein du groupe de travail. Il s'agit de la question d'un prélèvement au niveau régional, et notamment européen. Plusieurs membres du groupe se sont déclarés partisans d'une taxe européenne, l'Europe pouvant exercer un effet d'entraînement, tandis que d'autres estiment que l'Europe, zone à haute pression fiscale, ne doit pas l'être encore davantage au risque de dissuader un peu plus les investisseurs. Il faut par conséquent étudier si une taxe régionale est possible dans des conditions non pénalisantes pour la compétitivité européenne de manière à renforcer l'influence de l'Europe en matière de politique étrangère et de développement.

Le Président Édouard Balladur a insisté sur la qualité exceptionnelle du rapport. Il s'est réjoui que l'idée d'une taxation des transactions financières ait été retenue et que la question de ses effets sur la spéculation ait été évacuée. Il a rappelé que sa propre absence d'hostilité envers la taxe Tobin, parfois mal perçue par certains, se justifiait essentiellement par l'objectif de financement de l'aide au développement.

Il y a quinze jours, à New York, les représentants de la Commission des Affaires étrangères ont interrogé M. James Wolfensohn, directeur général de la Banque mondiale, à propos du rapport : il l'a jugé intéressant, mais a estimé que rien ne pourrait se passer si les Américains n'en voulaient pas. La seule voie réaliste serait donc l'augmentation de la contribution des États. Comment organiser l'affaire en Europe et, pour commencer, à l'échelle de l'Union européenne ? Comment répondre à l'objection relative au risque d'aggravation de la fiscalité européenne ?

M. Jean-Pierre Landau a constaté qu'en effet les Américains avaient une attitude en retrait vis-à-vis de l'aide publique au développement, dont ils contestent aussi bien l'utilité que le montant de 50 milliards de dollars complémentaires qu'exigerait la réalisation des objectifs du Millénaire. En outre, on observe depuis quelques années une opposition extrêmement forte à l'idée même de taxation, à tel point qu'un sénateur a défendu un amendement interdisant de contribuer à tout organisme qui proposerait de taxer une entreprise ou un citoyen américain.

Cette position n'est pas totalement incompréhensible, notamment au regard du principe « no taxation without representation », que l'on ne peut contester. C'est bien pourquoi le rapport insiste sur le fait que tout dispositif doit être fondé sur un traité international librement négocié, signé et ratifié par les Etats. Il ne s'agirait alors que de la conjonction de différents dispositifs nationaux au service d'objectifs communs et les parlements nationaux ne seraient donc pas privés de leur pouvoir de contrôle

S'agissant des perspectives d'une taxation européenne, il faut avoir conscience que toutes les taxes ne se prêtent pas à une application régionale. Ainsi, appliquer une taxation sur les transactions financières en Europe seulement serait suicidaire. En revanche, même si cela poserait des problèmes en droit international, on pourrait plus facilement envisager de percevoir un droit de passage dans le détroit du Pas-de-Calais, ou encore une taxe sur le carburant consommé par les avions, sujet largement laissé de côté jusqu'ici par les dispositifs de protection de l'environnement.

M. Jacques Myard a souhaité savoir si le groupe de travail avait réfléchi aux questions démographiques, et en particulier à l'indispensable maîtrise de la natalité. En effet, le sous-développement est actuellement dû, pour l'essentiel, à une croissance démographique trop forte, ce qui ne signifie pas pour autant que le déclin démographique soit une perspective souhaitable pour ces pays. La prospérité de l'Europe s'est construite, au sortir du Moyen Age, au lendemain d'une catastrophe qui a vu la France perdre la moitié de sa population et l'Allemagne les deux tiers. Pour autant, ainsi que l'a écrit Claude Bernard, « tout est poison, rien n'est poison, tout est affaire de mesure »...

Par ailleurs, le rapport suggère un mécanisme géré au niveau planétaire par une instance neutre, alors que l'aide publique au développement est, à part entière, un élément très important de la politique étrangère des Etats. Il est donc légitime de se demander si les fonds ainsi collectés, plutôt que d'alimenter un organisme multinational, ne devraient pas plutôt abonder les budgets des Etats à des fins - tout à fait louables - de politique étrangère.

Enfin, un mécanisme de taxe sur les billets d'avion paraît intéressant, dans la mesure où cette taxe, ayant un taux très bas, serait quasi indolore, comme le sont les variations du taux de la TVA.

M. Jacques Godfrain a jugé très intéressant l'apport du groupe de travail présidé par M. Jean-Pierre Landau à la réflexion menée sur ces sujets, mais il a déploré qu'aucune place n'ait été réservée, au sein dudit groupe, à des spécialistes venus du Sud, alors qu'il en est de nombreux qui sont de grande qualité et auraient eu beaucoup à dire. Il a par ailleurs regretté que le rapport ne se soit pas plus longuement interrogé sur l'organisation administrative de l'aide publique au développement. Il a pris l'exemple de la France, où le système administratif en la matière est pour le moins flou : qui est responsable du ministère des Affaires étrangères ou du MINEFI ? Le Royaume-Uni a un tout autre système, remarquablement efficace, de même que les Etats-Unis, qui misent beaucoup sur le privé.

Enfin, alors que l'Assemblée travaille beaucoup, depuis trois ans, sur les flux d'épargne des migrants, cette question est absente du rapport. Il faudrait pourtant que les deux propositions de loi qui ont été déposées aboutissent à quelque chose de satisfaisant pour les migrants, d'autant que les organismes financiers pratiquent des prélèvements sur ces sommes sans qu'aucune règle ait été fixée.

M. Axel Poniatowski a observé que, dans sa lettre de mission, le Président de la République avait demandé à M. Jean-Pierre Landau de « formuler des recommandations sur les procédures d'affectation et de gestion de ces ressources pour en assurer un usage efficace, démocratique et transparent ». Cela renvoie à la problématique de la corruption, hélas courante dans les pays en développement. L'aide au développement est ainsi freinée parce que l'opinion publique craint que les subsides accordés soient mal utilisés, voire détournés. Le groupe de travail a-t-il réfléchi à des procédures de contrôle, d'autant plus indispensables que le cash représente 30 des quelque 60 milliards de l'APD ?

Par ailleurs, pour apprécier la capacité de l'Europe à se lancer seule sur la voie de la taxation, il conviendrait de comparer ce que cela lui coûterait avec ce qu'il lui coûterait de ne pas le faire.

M. Michel Delebarre a été très intéressé par le travail fourni et par les conclusions du rapport, mais a craint que l'on ne parvienne néanmoins pas à le traduire en actes. Faisant écho aux propos de M. Jean-Pierre Landau, selon lesquels le dispositif Tobin n'était pas opportun, il a néanmoins rappelé qu'il avait eu les faveurs de la presse ainsi que le mérite de permettre une certaine prise de conscience dans l'opinion. Compte tenu des réticences américaines, peut-on imaginer que les grandes institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale ou les Nations unies se saisissent de ce rapport ? Pourquoi, par ailleurs, son auteur semble-t-il ne pas croire à une démarche dans laquelle l'Europe serait un relais pour faire avancer les choses ? Il a jugé qu'en tout état de cause, l'objectif était d'éviter la construction d'une « usine à gaz » dans laquelle on consacrerait plus d'argent à faire avancer les choses qu'à aider les pays qui en ont besoin.

Enfin, il a déclaré qu'un élu de Dunkerque ne pouvait qu'être sensible à l'idée séduisante et facile à mettre en oeuvre d'une taxe sur les détroits.

Le Président Edouard Balladur s'est dit persuadé que la seule façon efficace de progresser était de traiter la question du financement du développement au niveau européen sans quoi existait, sur le plan international, un risque d'enlisement. Une proposition sur laquelle les vingt-cinq Etats membres se déclareraient d'accord aurait en outre valeur d'exemple pour le reste du monde.

M. Jean-Pierre Landau a souligné à la suite de M. Jacques Myard, que c'est bien le croisement entre la croissance démographique et le taux d'épargne qui fait la performance économique d'un pays. Dans la plupart des pays africains, la pauvreté interdit l'épargne, tandis que le sida est en train de commencer à provoquer un choc démographique négatif.

Par ailleurs, les auteurs du rapport n'ont pas eu à l'esprit de « multilatéraliser » toute l'APD. Ils reconnaissent qu'elle est un instrument de politique étrangère, que les Etats veulent légitimement conserver comme tel. Pour autant, sur une certain nombre d'actions prioritaires, comme l'éducation primaire pour tous ou l'accès à une eau potable saine, il y a de bonnes raisons de mettre en commun, sur plusieurs années, des moyens qui pourraient représenter 10 à 15 % du total. L'IFF, telle que proposée, couvre 50 milliards de dollars, mais le gouvernement britannique a bien compris que les Etats n'accepteraient jamais de déléguer à des organisations internationales l'utilisation d'une telle somme, et il a donc prévu que chaque Etat garderait le contrôle sur les fonds qu'il garantit.

Il est vrai aussi que le rapport ne traite pas des flux financiers des migrants qui posent principalement le problème du fonctionnement des circuits bancaires. On a vu au moment de la création de l'euro combien il était difficile de transférer à l'étranger de petites sommes à faible coût ; il en est de même, a fortiori, lorsqu'il s'agit de très petites sommes et de destinations plus lointaines. Il faut également éviter que l'argent n'échappe à ses destinataires en raison de l'évasion fiscale et de la corruption. Quant au financement des investissements publics, on peut se demander comment il est possible de l'assurer avec l'argent des migrants.

Le rapport dit des choses fortes sur l'évasion fiscale et le secret bancaire. Certains des membres du groupe de travail étaient même partisans d'aller plus loin et de proposer de taxer les flux à destination des pays qui pratiquent le secret bancaire. Les sorties de capitaux privent chaque année les pays en développement de 50 milliards, soit à peu près la somme nécessaire pour financer leurs objectifs de développement. Mettre un terme à ces flux illicites résoudrait donc nombre de leurs difficultés. En outre, les réticences de l'opinion publique vis-à-vis d'un accroissement de l'aide publique au développement, et qui tiennent surtout au manque de confiance dans la façon dont cette aide sera dépensée, pourraient être en partie levées.

A titre personnel, M. Jean Pierre Landau a estimé qu'il serait bon d'en destiner une partie à des fonds spécialisés - par exemple dans les vaccins, l'éducation ou la lutte contre le sida -, ce qui permettrait de contrôler assez facilement les actions menées. Le public comprendrait mieux ainsi à quoi servirait ce nouvel impôt.

Le groupe de travail ne s'est pas montré sceptique vis-à-vis de l'idée d'une taxation européenne. Il recherche au contraire un consensus à l'échelle du continent, notamment par des contacts avec les Allemands et les Italiens. Aussi n'est-il pas irréaliste d'envisager que l'on parvienne à quelque chose dans les mois qui viennent.

Le Président Edouard Balladur a demandé quelles étaient les chances de voir progresser les idées britanniques.

M. Jean-Pierre Landau a répondu que la proposition de « facilité financière internationale » était accueillie avec beaucoup d'intérêt, parfois même avec enthousiasme, le recours à l'emprunt permettant de financer sans attendre des actions d'envergure dont l'efficacité ne fait aucun doute, telles que, par exemple, des campagnes de vaccination. Cela dit, ce mécanisme pose à certains pays des problèmes de comptabilité budgétaire : ainsi, le système en vigueur en Allemagne est une comptabilité en engagements et non en versements, c'est-à-dire que tout engagement de dépense future est comptabilisée comme si elle était une dépense immédiate ; pour ces pays, le mécanisme IFF ne présente donc guère d'avantages visibles.

Le Président Edouard Balladur a demandé si, au-delà de ce problème de pure technique comptable, le dispositif proposé par les Britanniques avait soulevé des objections de principe.

M. Jean-Pierre Landau a rappelé que, dans l'esprit des concepteurs de l'IFF, les emprunts seraient remboursés au bout de cinq, six ou sept ans par les contributions d'aide publique au développement, contributions dont on suppose qu'elles auront augmenté à cette date. Toute la question est de savoir si cette hypothèse sera réalisée ou non... Si elle ne l'est pas, en effet, il ne restera plus d'argent dans dix ans pour financer l'aide au développement. Or, si l'on peut considérer que la pauvreté aura alors très largement disparu en Inde, ce ne sera pas le cas de l'Afrique, qui aura toujours besoin d'être aidée.

Le Président Edouard Balladur a souligné que le mérite de l'éradication de la pauvreté en Inde revenait à l'Inde elle-même, au dynamisme dont sait faire preuve ce grand pays, davantage qu'à l'aide de la communauté internationale.

M. Jean-Pierre Landau a observé que l'Inde pourrait même dépenser plus qu'elle ne le fait pour le développement de ses secteurs les plus déshérités, car elle dispose d'infrastructures importantes et ne souffre pas de handicaps géographiques graves.

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Jean-Pierre Landau pour son exposé très enrichissant, qui lui a paru, tout comme son rapport, d'un intérêt tout à fait exceptionnel. Parmi les nombreuses questions soulevées, la principale est, lui semble-t-il, de savoir si l'on veut confier la gestion et le contrôle de l'aide au développement à une organisation internationale - qu'elle soit européenne ou mondiale - ou si l'on entend que les Etats conservent un rôle prépondérant en la matière.

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