COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 19

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 14 décembre 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de S. Exc. M. Mouafak Mehdi Abboud AL HMOUD, Ambassadeur de la République d'Irak

- Présentation du rapport d'information de MM. René André et Jean-Louis Bianco sur les relations entre     l'Union européenne et la Russie

- Information relative à la Commission


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Audition de S. Exc. M. Mouafak Mehdi Abboud AL HMOUD, Ambassadeur de la République d'Irak

Le Président Edouard Balladur a rappelé que la Commission des Affaires étrangères avait reçu une délégation du gouvernement provisoire il y a un an, avant de remercier S. Exc. M. Mouafak Abboud, Ambassadeur de la République d'Irak, de sa présence devant la Commission à quelques semaines de la tenue des élections dans son pays.

Après avoir remercié le Président de la Commission des Affaires étrangères pour son invitation, M. Mouafak Abboud, Ambassadeur d'Irak, a rappelé que la France était un exemple pour les autres nations, et en particulier pour l'Irak qui espère à son tour reconstruire un Etat libre, démocratique et qui respecte les droits de l'Homme.

Trente-cinq ans d'une dictature sanguinaire et trois guerres destructrices ont conduit à un bilan effroyable : plus de un million et demi d'Irakiens sont morts, ont été mutilés ou ont disparu ; quatre millions d'Irakiens ont pris le chemin de l'exil.

Le gouvernement actuel, mis en place en juin dernier, représente la diversité ethnique, religieuse et politique du pays et s'est vu investi de la légitimité et de la souveraineté totale sur l'Irak conformément à la résolution 1546 des Nations unies. Il doit redresser un pays dans lequel les institutions comme l'économie sont à reconstruire. Dans cette tâche, il se heurte à l'activité de terroristes qui cherchent à empêcher la reconstruction de l'Etat et détruisent les infrastructures.

Les auteurs de ces actes terroristes proviennent de groupes isolés, dont certains soutenaient le régime de Saddam Hussein, et qui sont appuyés par des terroristes intégristes venus de l'étranger. Sous couvert de résistance contre l'occupant, ils sèment la panique dans la population et ne font que prolonger la présence des forces étrangères en leur donnant des raisons de rester dans le pays. Ils empêchent les Irakiens d'assurer eux-mêmes la sécurité de leur pays et imposent leur volonté à la grande majorité de la population qui rejette ces actes de violence et qui souhaite une vie meilleure.

L'Ambassadeur a indiqué que l'expression était désormais libre en Irak, comme en témoignent l'existence de 200 mouvements politiques, de 150 journaux libres et des dizaines de radios et de télévisions indépendantes. La population pourra exprimer ses choix politiques à l'occasion des élections législatives du 30 janvier prochain.

Le Gouvernement déploie tous les efforts possibles pour consolider les institutions militaires et de sécurité et ouvrir le dialogue entre tous les partis ethniques et politiques et donner à chacun la possibilité de participer au processus politique en Irak. Il tient à appliquer la résolution 1546 de l'ONU et à respecter le calendrier relatif au processus politique. En janvier 2005, les Irakiens voteront pour élire les 275 membres de l'Assemblée législative chargée d'élaborer une Constitution définitive qui sera elle-même soumise à un référendum à la mi-août 2005. Après adoption de cette Constitution, de nouvelles élections auront lieu, cette fois avant la fin de l'année 2005, pour élire un Parlement conformément à la nouvelle Constitution.

Le Comité indépendant chargé de superviser ces élections a accepté à ce jour 218 candidatures de divers partis politiques, dont 40 partis et mouvements sunnites pour les législatives du 30 janvier 2005. Reporter les élections constituerait une victoire pour le terrorisme et un immense échec pour la démocratie.

Alors que l'Irak faisait jadis partie des pays les plus riches du Moyen-Orient, il est devenu l'un des plus pauvres. Le gouvernement a fait de gros efforts pour améliorer la situation économique : le salaire des fonctionnaires a été augmenté, des mesures sont prises pour libérer l'économie et l'insérer dans l'économie internationale, notamment en encourageant les investissements étrangers. Le niveau de vie de la population et celui des services publics s'est amélioré mais les terroristes continuent à saboter les infrastructures et à freiner la reconstruction.

L'Ambassadeur a alors abordé les relations franco-irakiennes, qui ont des racines historiques très profondes puisqu'il existait déjà des liens étroits entre le calife Harun Al-Rachid et Charlemagne. Outre son admiration pour l'histoire et la culture française, le peuple irakien considère comme équilibrées les positions françaises dans le monde arabe, en particulier en ce qui concerne la cause palestinienne.

Une nouvelle période de stabilité et de prospérité doit s'ouvrir dans les relations franco-irakiennes. La France a joué un rôle positif dans l'adoption de la résolution 1546 et l'Irak lui est très reconnaissant pour l'annulation de 80 % de sa dette dans le cadre du Club de Paris. Le gouvernement irakien comprend les positions françaises exprimées avant et pendant la crise et espère qu'elles ne représenteront pas un obstacle au renforcement du rôle de la France dans la reconstruction de l'Irak et le retour à la stabilité. Ceux-ci ne seront pas seulement bénéfiques à l'Irak, mais à toute la région du Proche-Orient ainsi qu'au monde entier. En effet, si la hausse des prix du pétrole entraîne des surcoûts considérables, c'est en premier lieu à cause de la situation en Irak.

Il est donc temps de rassembler les efforts de la communauté internationale pour faire de l'Irak un pays libre et prospère qui pourrait participer au développement de la région et du monde.

Le Président Edouard Balladur a demandé quelles étaient les organisations sunnites se présentant aux élections et si les consignes de boycott avaient eu un impact sur les inscriptions sur les listes électorales et sur la participation des formations politiques de l'opposition. Le communiqué final de la conférence de Charm-el-Cheik encourageant le gouvernement intérimaire irakien à réunir l'ensemble des tendances politiques du pays et de la société civile avant les élections législatives, il a souhaité savoir si des initiatives avaient été prises en ce sens.

M. l'Ambassadeur d'Irak a apporté les éléments de réponse suivants :

-  plus de 218 partis et mouvements politiques ont demandé à participer aux élections législatives ; la commission électorale a recensé plus de 40 mouvements et partis politiques sunnites, en tête desquels figure le Parti islamique irakien dirigé par le Docteur Mohsen Abdul Hamid ;

-  l'appel au boycott des élections lancé par certaines personnalités ne reçoit qu'un écho limité ; leur tenue constitue une occasion de construire un nouvel Irak, doté d'institutions démocratiques ; ceux qui appellent au boycott des élections craignent sans doute que le résultat leur soit défavorable ;

-  aucune décision d'organiser une conférence regroupant l'ensemble des formations politiques irakiennes n'a été prise ; les élections devant se tenir dans un délai proche, il n'y a pas suffisamment de temps pour organiser une telle conférence ; le Premier ministre a, pour sa part, pris des contacts à Amman et en Irak pour encourager toutes les tendances à participer aux élections ; celles-ci sont placées sous le contrôle d'une commission indépendante, financée et contrôlée par l'ONU ; leur déroulement sera supervisé par la communauté internationale, on saura donc si leur résultat est sincère ou s'il y a eu des manipulations.

M. Hervé de Charette a formulé le souhait que le processus politique, militaire et économique en cours réussisse en estimant qu'il en allait de l'intérêt de tous. Les relations entre la France et l'Irak doivent désormais progresser. Lors de son audition par la Commission des Affaires étrangères, le représentant du Secrétaire général de l'ONU en Irak, M. Lakhdar Brahimi a fait part de ses réserves sur le fait que les élections puissent se tenir au début de l'année 2005 dans des conditions satisfaisantes. Il a demandé des précisions sur les conditions d'élaboration des listes électorales, sur les conditions d'organisation et de sécurité des opérations de vote.

Il a d'autre part voulu savoir quel concours le Gouvernement irakien apportait pour rechercher les otages français.

Enfin, la France ayant abandonné 80 % de sa créance à l'égard de l'Irak, l'Irak est-il prêt à faire participer un plus grand nombre d'entreprises françaises à la reconstruction ? Aujourd'hui force est de constater que si de nombreuses entreprises françaises sont candidates, il y a peu d'élues. Quelles garanties peut-il leur être donné en la matière ?

M. Axel Poniatowski s'est interrogé sur le caractère véritablement libre des élections. Quels sont les critères de sélection des candidats proposés par les partis ?

Il a également demandé à l'Ambassadeur quelle forme l'implication de la France en Irak devrait revêtir, et si, par ailleurs, le Gouvernement irakien parvenait à trouver les origines du terrorisme qui affecte l'Irak : s'agit-il de soutiens du régime de Saddam Hussein, d'éléments étrangers ?

M. François Loncle a déclaré que la libération des otages français constituait une préoccupation unanime de l'Assemblée. Le Gouvernement irakien peut-il y contribuer ? La proposition formulée par les autorités françaises de former les forces de police irakiennes correspond-elle à une demande du Gouvernement irakien ? Est-elle aujourd'hui en œuvre ?

M. Jacques Myard a demandé quel rôle jouait l'Iran en Irak. Estimant que les mouvements terroristes ne pouvaient durer sans soutien populaire, il a demandé s'il y avait une solution politique en vue.

M. Pierre Lellouche s'est réjoui de l'amélioration des relations entre la France et l'Irak et a estimé que la réussite du processus démocratique en cours allait dans le sens de l'intérêt de tous. Il a demandé si l'identité et les effectifs des opposants armés étaient connus du gouvernement irakien et si les forces de sécurité étaient en nombre suffisant pour permettre le bon déroulement des élections, ou s'il fallait s'attendre à une intensification des attaques à l'approche du scrutin. Estimant que l'organisation d'un référendum sur la future Constitution était une bonne nouvelle et une excellente initiative d'un point de vue démocratique, il a demandé si la Constitution future de l'Etat irakien serait unitaire ou fédérale ?.

M. Jean-Jacques Guillet a indiqué que les parlementaires formaient tous le souhait que l'Irak soit stable et uni. Il a fait part de son inquiétude au sujet de la communauté chrétienne d'Irak. L'Irak est-il en mesure de défendre ses minorités et de préserver la laïcité ?

M. Mouafak Abboud s'est dit très heureux de devoir répondre à tant de questions émanant des représentants élus par le peuple français, ce qui démontre leur intérêt pour l'Irak. Cet intérêt va de pair avec les espoirs et les attentes de l'Irak que la France continue de s'intéresser aux affaires de ce pays.

S'agissant de savoir si les circonstances permettront de tenir les élections au mois de janvier 2005 comme prévu, il a souligné que tout le monde reconnaissait qu'elles ne seront pas parfaites, car il faudra faire face à des problèmes importants. Tous les Irakiens ne pourront pas y participer. Il n'en demeure pas moins que ces élections constituent un pas que l'Irak doit faire. Par ailleurs, elles ne seront que l'un des trois scrutins de l'année 2005, avec le référendum prévu avant le mois d'août et les élections générales pour la fin de l'année. Le gouvernement irakien va faire tout ce qui est en son pouvoir pour garantir la sécurité et la stabilité de ce scrutin et espère un déroulement normal des opérations, à l'exception de trois ou quatre gouvernorats. Afin de contourner ces problèmes, le gouvernement organisera le scrutin par étapes dans les provinces susceptibles de poser des problèmes pour permettre aux forces de sécurité de garantir au maximum la stabilité et la sécurité.

Concernant l'établissement des listes électorales, tous les mouvements, partis et groupes politiques disposent d'une totale liberté pour présenter des candidats et toute personne est libre d'être candidate. Aucune condition n'est posée. Le seul problème qui pourrait surgir serait le cas de listes constituées par des candidats ayant appartenu à l'ancien régime. Il s'agira d'un scrutin de liste à la représentation proportionnelle. L'ensemble de l'Irak constituera une seule circonscription électorale. Pour toutes ces raisons, il n'y aura aucun problème dans l'établissement et la présentation des listes électorales.

S'agissant des délais, le gouvernement doit respecter un calendrier. Il est évident que s'il disposait de plus de temps, ces élections seraient mieux organisées.

En outre, il y a une quasi unanimité des forces politiques pour établir un Etat de type fédéral.

Bien entendu, le gouvernement irakien regrette l'enlèvement des otages français et espère leur libération le plus rapidement possible, avant tout pour des motifs humanitaires, surtout à l'approche des fêtes, mais aussi parce que cette affaire a des répercussions sur les relations franco-irakiennes. Ainsi, la visite du Président irakien en France initialement prévue en septembre a été remise à plus tard. Le gouvernement irakien a non seulement laissé le champ libre au Ministre des Affaires étrangères et à l'Ambassadeur de France en Irak pour établir tous les contacts qu'ils souhaitaient en vue de parvenir à la libération des otages, mais il utilise également tous les moyens disponibles pour parvenir à cet objectif. Malheureusement, si de tels événements sont possibles aujourd'hui c'est en partie à cause du vide existant en matière de sécurité. Tous les organes de sécurité doivent être reconstruits.

En matière de relations économiques, des possibilités sont ouvertes aujourd'hui pour toutes les sociétés de tous les pays, y compris la France. Le gouvernement irakien souhaite le retour des sociétés françaises en Irak et la reprise de leur travail. Un certain nombre de sociétés françaises y travaillent déjà, malgré les difficultés sur le terrain. La France étant un pays qui occupe une position avancée dans le secteur des technologies, l'Irak souhaite profiter de ce savoir-faire. Par le passé, il a pu tirer profit de cette compétence française et entend poursuivre sur cette voie à l'avenir. Il n'y a aucun obstacle, si ce n'est la sécurité, pour que les entreprises françaises reviennent en Irak.

Les attentes de l'Irak vis-à-vis de la France portent avant tout sur les questions de sécurité. L'Irak a besoin que la France soutienne et appuie ses efforts pour rétablir la sécurité dans le pays. Précédemment, la France avait proposé de créer une école destinée à former des officiers de police irakiens mais cette idée n'a pas été mise en œuvre. Il faut la remettre à l'ordre du jour. La France peut également contribuer à appuyer le processus politique actuellement en cours et les efforts déployés par le gouvernement irakien pour que les élections de janvier soient un succès. Elle peut œuvrer dans le cadre de l'Union européenne pour inciter les pays voisins de l'Irak à mieux contrôler leurs frontières en vue d'empêcher toute infiltration en Irak. Enfin, en matière économique, de grandes possibilités lui sont ouvertes pour participer à la reconstruction du pays. L'Ambassadeur de France est d'ailleurs extrêmement actif et a établi des contacts continus avec les ministères et les institutions irakiens. Il sait les besoins immédiats de ce pays pour relancer l'économie et reconstruire les infrastructures.

Les terroristes sont en majorité issus de l'ancien régime. Ce sont essentiellement des personnes qui ont travaillé dans les organes de sécurité de ce régime et qui étaient habituées à tuer et à commettre des actes criminels. Or les actes d'aujourd'hui sont des actes de sauvagerie. Ces personnes pensent pouvoir imposer leurs volontés politiques aux Irakiens par le terrorisme et veulent empêcher l'établissement d'un nouveau régime démocratique basé sur une Constitution et le respect des libertés individuelles, ce qui irait totalement à l'encontre de leurs idées. Ces personnes ne savent pas utiliser la liberté, les moyens du dialogue et l'expression pacifique d'une opinion, alors qu'aujourd'hui en Irak toute personne peut exprimer librement son opinion, créer un parti politique ou un journal, manifester. Certains terroristes proviennent également de l'extérieur. Ce sont des islamistes extrémistes qui pensent trouver ainsi l'occasion de combattre les Etats-Unis en Irak et de transformer ce pays en un autre Afghanistan. Ces deux groupes, tout aussi sauvages, se rencontrent autour d'un même objectif. Il y a également des influences extérieures. Les interventions sont très claires de certains pays comme l'Iran et la Syrie, ce sont les plus flagrantes. Il y a en Syrie des éléments de l'ancien régime qui fournissent des hommes, des armes et de l'argent aux terroristes. Ces terroristes entrent en Irak via la Syrie. Le gouvernement syrien ne peut l'ignorer dans la mesure où le régime syrien est basé sur les services de renseignement, même s'il promet de tout faire pour empêcher ces infiltrations. Il y a également une intervention iranienne dans les affaires irakiennes, mais elle est en grande partie plus politique que terroriste. Les services de renseignement iraniens sont très actifs en Irak et essaient d'agir autant que possible à l'intérieur du pays. Il conviendra de mettre un terme à cela dès que sera opérée la structuration des services de sécurité. Enfin, le nombre des terroristes est estimé à environ 10 000. On ne peut les considérer comme des résistants dans la mesure où leur action revient à ce que les forces d'occupation restent en Irak le plus longtemps possible, à les fixer. Sans ces actes, la présence des forces étrangères ne serait pas nécessaire. En attaquant les forces de sécurité, de police et l'armée, ils empêchent leur construction. Ils disent agir sous couvert de la résistance, alors qu'ils tuent plus d'Irakiens que de forces étrangères. Comment admettre dans ces conditions cette résistance qui tue ses citoyens ?

Le Président Edouard Balladur a remercié l'Ambassadeur pour la qualité de cet échange. Tout en rappelant que la période d'un mois qui s'ouvre sera décisive pour l'avenir de ce pays, il a formulé des vœux pour que les meilleures conditions soient réunies en vue d'un succès et qu'à l'issue des prochaines élections gouvernement irakien soit doté de toute la force légale et morale pour faire face à sa mission.

Rapport d'information sur l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Russie

MM. René André et Jean-Louis Bianco, rapporteurs de la Mission d'information sur l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Russie ont présenté les conclusions de leurs travaux.

Après avoir remercié l'ensemble des interlocuteurs de la mission, ainsi que les ambassadeurs de France en Russie, en Lettonie, en Finlande et auprès de l'Union européenne pour leur active collaboration, M. René André, Rapporteur, a estimé que les relations entre l'Union européenne et la Russie ressortaient des relations entre une puissance qui ne l'est pas encore et une puissance qui ne l'est plus mais aspire à le redevenir. Il a jugé ces relations complexes, diverses et laborieuses.

Si les relations entre l'Union et la Russie sont difficiles, c'est d'abord parce qu'elles mettent en jeu des sujets cruciaux, aussi divers que la sécurité sanitaire, les questions de sûreté nucléaire, de tarifs douaniers, de visas de long terme, de lanceurs spatiaux, les problèmes d'interdépendance énergétique, de criminalité organisée mais aussi des questions touchant à la construction d'une architecture de sécurité européenne efficace, à la Tchétchénie ou à l'Ukraine. Les difficultés de la relation Union européenne-Russie sont également à chercher dans le caractère a priori très différent des deux entités : sans doute n'est-il pas négligeable de partager 2 200 kilomètres de frontières communes ; mais qu'y a-t-il de véritablement commun entre, d'un côté, un État millénaire, qui s'est toujours conçu comme un Empire et n'a jamais connu la démocratie avant la fin du XXème siècle, et, de l'autre, une entité qui s'est construite en réaction même aux notions qui ont fait l'Europe pendant des siècles - zone d'influence, diplomatie secrète, impérialisme, guerre - et se définit aujourd'hui avant tout par des valeurs qui s'appellent démocratie et droits de l'homme ? La difficulté supplémentaire vient de ce que ces deux entités sont à la recherche de leur point d'équilibre et que, comme telles, elles ont des difficultés à savoir et à formuler clairement ce qu'elles attendent l'une de l'autre. Cette difficulté, qui n'a d'ailleurs fait que s'accroître avec l'élargissement, est réciproque :

- Qu'est-ce que la Russie aujourd'hui pour l'Europe ? Tout à la fois un voisin (approche géographique), un partenaire (approche commerciale), un concurrent (approche géopolitique), une source de préoccupations (approche politico-éthique), une menace (approche dans certains nouveaux Etats membres), une source d'incertitudes (approche prospective), un contrepoids à la puissance américaine dans la perspective multipolaire (approche politique).

- A l'inverse, qu'attend la Russie de sa relation avec l'Union européenne ? Il n'est pas certain qu'elle l'ait clairement décidé. A dire vrai, il n'y a rien de bien nouveau dans ce constat : la Russie reste tiraillée entre, d'un côté, une forte attirance géopolitique pour l'Europe occidentale, un réel intérêt pour son savoir-faire et sa créativité techniques et, de l'autre, une méfiance vis-à-vis de la culture politique de l'Europe. Ce complexe russe traditionnel se double aujourd'hui de la complexité objective que représente, pour les Etats tiers, le travail avec l'Union européenne. Sans doute la Russie instrumentalise-t-elle l'extraordinaire technicité des mécanismes européens mais il nous faut, sur ce point, faire preuve de réalisme : l'Union européenne n'est pas un partenaire facile pour les Etats tiers, tout au contraire ; c'est une entité peu transparente, à la culture institutionnelle très particulière, et un acteur parfois ambigu, sans même le vouloir d'ailleurs.

M. René André a néanmoins rappelé que la complexité de la relation UE-Russie ne saurait toutefois faire oublier ce constat très simple : l'Union européenne et la Russie ont mutuellement besoin l'une de l'autre. Il existe en effet entre les deux entités une indéniable communauté d'intérêts, renforcée par l'élargissement de l'Union le 1er mai dernier : intérêts économiques, diplomatiques, géopolitiques... Les capacités potentielles de coopération sont énormes. Alors que la crise en Ukraine révèle au grand jour les tensions latentes d'une relation qui ne cesse de voir se succéder négociations crispées et grandes déclarations quasi-lyriques, il convient de se pencher sur le contenu et la forme que l'Union européenne entend donner à sa relation avec la Russie. Une relation qui n'a d'autre choix que d'être un partenariat, un partenariat qui n'a d'autre choix que d'être stratégique, c'est-à-dire envisageant les relations UE-Russie dans le long terme, en vue d'objectifs précis conjointement agréés.

M. René André a fait valoir qu'il ne s'agissait pas là de la vision irénique de parlementaires français qui développeraient une conception romantique de la Russie, selon la perception de la politique russe de la France communément partagée à l'étranger, mais qu'il s'agissait de la conviction de deux hommes politiques européens, persuadés que l'affermissement de l'intégration européenne et la construction d'une véritable Europe politique passaient, notamment, par Moscou. Il a expliqué que l'Union européenne se devait de développer avec la Russie une relation sans complaisance ni peur, ni provocation : les mots « Tchétchénie », « démocratie », « justice sociale » et « partenariat privilégié, y compris dans les pays qui appartenaient à l'ex-URSS » doivent devenir l'ordinaire de la relation UE-Russie, ainsi que la base d'actions concrètes.

Abordant la question de la construction d'une politique russe de l'Union, M. René André a expliqué que, partenaire spécifique, la Russie était aussi un partenaire obligatoire pour l'Union. Il a rappelé à cet égard que l'Union européenne comptait désormais pour plus de 50 % des exportations commerciales russes et que la Russie représentait, pour l'Union européenne, un fournisseur important de produits énergétiques : 16 % de la consommation européenne de pétrole dépend des exportations russes, de même que 20 % de sa consommation de gaz naturel, chiffres qui devraient très fortement progresser dans les vingt années à venir. Il a jugé que tel était le fondement sur lequel devait être construite la relation de long terme entre l'Union européenne et la Russie, en rupture avec le dialogue de sourds qui consiste à dire d'un côté : « soyez démocratiques, ouverts et libéraux » et à répondre de l'autre côté : « respectez notre puissance et cessez de vous ingérer dans nos affaires intérieures », auquel on assiste encore trop souvent. Il a expliqué que, au-delà des attentes différentes qu'elles avaient l'une à l'égard de l'autre - stabilité et fiabilité d'un côté, développement et prospérité de l'autre -, il importait de travailler désormais sur cette obligation que représentait la construction d'un véritable partenariat entre la Russie et l'Union européenne.

M. René André a jugé qu'à cette fin, l'Union européenne devait s'atteler à la construction d'une véritable politique russe, une Union qui inclut l'enclave russe de Kaliningrad en son sein n'ayant tout simplement pas les moyens de rester la « myope géopolitique » qu'elle a été jusqu'alors. A cet égard, la crise ukrainienne est non seulement un test pour la Russie, en ce qu'elle pose la question de savoir si la Russie est encore dans un schéma impérial ou dans une logique de stratégie d'influence, mais également un test pour l'Union. Celle-ci va pouvoir évaluer la capacité de fonctionnement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) à 25 membres. Force est de reconnaître qu'à la mi-décembre 2004, l'Union européenne a brillamment réussi le test. Il a fait valoir que la relation avec la Russie pourrait jouer le rôle de politique pilote de la PESC, de même que les 25 gagneraient à partir de la crise ukrainienne pour consolider la PESC, en faisant de ce pays un « laboratoire » de la politique étrangère de l'Union.

Il a reconnu que la politique étrangère à 25 n'était pas sans susciter de nombreux problèmes et admis que certains pays, tels que la France, l'Allemagne, l'Italie ou le Royaume-Uni, étaient attachés à conserver une relation forte avec la Russie et étaient tout à fait en mesure de faire abstraction de l'Union européenne, tout au contraire des anciens « pays frères » de l'URSS, ainsi que de la Finlande, qui souhaitaient passer par l'Union pour dialoguer avec Moscou. Il a cependant estimé que la crise ukrainienne avait permis de montrer qu'un équilibre était possible entre la PESC et les politiques étrangères des Etats membres. Il a ajouté qu'à l'instar des diplomates des Etats membres, qui profitaient des multiples contacts qui se nouent lors de ce genre de crises pour renforcer l'expertise de l'Union européenne sur la Russie, les parlementaires auraient également intérêt à intensifier leurs contacts avec leurs collègues de l'Union sur ce sujet. Il a mentionné l'importance du dialogue avec les nouveaux Etats membres de l'Union, notamment les pays Baltes et la Finlande, excellent connaisseur de la Russie.

Il a estimé que la construction d'une politique commune européenne de la Russie supposait également de s'entendre, au sein de l'Union, sur un langage commun, notamment sur les sujets difficiles, appelés à intervenir de manière récurrente dans la relation UE-Russie. Il a, à cet égard, cité le cas de Kaliningrad ainsi que la question des minorités russophones de Lettonie et d'Estonie. Il a jugé que l'amalgame fait par la Russie entre la situation des droits de l'homme en Lettonie et celle qui prévalait en Tchétchénie n'était pas acceptable et que l'Union européenne ne saurait se laisser entraîner sur ce terrain. Il a cependant fait remarquer que les Lettons gagneraient à ne plus recourir à la notion de « non-citoyens », selon la terminologie officielle lettone, et devaient faire plus pour intégrer les personnes d'origine russe, pour certaines présentes de longue date en Lettonie.

Il a estimé que la construction d'un langage commun de l'Union impliquait également d'identifier en amont les sujets difficiles de la relation UE-Russie : Tchétchénie mais également, comme nous le voyions en ce moment, « étranger proche ». Evoquant la crise actuelle en Ukraine, il a jugé qu'elle révélait au grand jour les ambiguïtés de la relation UE-Russie, l'une développant des stratégies communautaires ambitieuses à l'égard de ses nouveaux voisins de l'Est, en se refusant à en envisager même les conséquences politiques, voire symboliques, tout en allant jusqu'à évoquer une possible intégration dans l'Union ; l'autre jouant à fond la carte économique avec cette entité de 450 millions de consommateurs qu'était l'Union, tout en fronçant les sourcils devant la politique communautaire de nouveau voisinage. Il a fait valoir que l'Union européenne aurait tort de ne voir dans l'attitude russe à l'égard de l'Ukraine que le spectre de l'Union soviétique et qu'il n'était pas anormal que la Russie se sente très concernée par l'évolution d'un pays dans lequel se situait la « mère de toutes les villes russes », depuis la création au IXème siècle de l'État kiévien. A l'inverse, il a affirmé que la Russie devait accepter toutes les conséquences de l'élargissement, ce qui signifiait notamment accepter que l'Union européenne ait à cœur de consolider l'espace qui l'entoure, ce qui ne passait pas nécessairement par une politique de pré-adhésion ou par l'intégration future de l'Ukraine. Il a résumé son propos en expliquant que, dans cet espace potentiellement concurrent que l'Union appelle son « nouveau voisinage » et que la Russie voit toujours comme son étranger proche, deux principes devaient guider la politique russe de l'Union : fermeté et respect.

S'agissant des structures de négociation entre la Russie et l'Union, il a estimé que, pour faire vivre les quatre espaces de négociation avec la Russie dont la création avait été décidée au sommet de Saint-Pétersbourg, en 2003 - économique, justice et affaires intérieures, sécurité et gestion des crises, éducation et recherche -, l'Union devait être représentée par un diplomate de haut rang, qui rendrait compte au Président de la Commission pour les sujets communautaires et au Conseil s'agissant des sujets de compétence intergouvernementale.

En conclusion, il a jugé que la crise ukrainienne révélait les limites de la relation UE-Russie, telle qu'elle était actuellement conçue, ainsi que le vrai visage de chacun :

- D'un côté, une Russie qui, d'un côté, ne veut pas faire le deuil de sa domination dans son étranger proche et a des difficultés à comprendre que la démocratie soit une aspiration populaire spontanée, mais qui, de l'autre, a besoin de l'Europe pour assurer son indispensable développement économique.

- De l'autre, une Union européenne qui doit apprendre à assumer son identité politique, à développer des relations de partenariat qui soient autre chose que des relations de coopération économique ou de pré-adhésion de l'autre. Une Europe qui doit apprendre à parler d'égal à égal, avec fermeté mais sans provocation, avec un grand voisin qu'elle regarde de haut quand elle se conçoit comme zone de prospérité économique et devant lequel elle se fait toute petite dès lors que sont abordés les sujets de sécurité et de politique intérieure.

Après avoir fait part de son accord sur l'ensemble des analyses présentées par M. René André, M. Jean-Louis Bianco, Rapporteur, a souhaité insister sur les points qui avaient particulièrement frappé la Mission au cours de ses travaux.

En premier lieu, il a fait le constat, certes banal, mais néanmoins profondément vrai, du poids de l'histoire dans la relation entre l'Union européenne et la Russie. Il a mentionné sur ce point le cas de la Lettonie, dont il faut avoir conscience qu'elle avait vécue la fin de la deuxième guerre mondiale, non comme la libération du nazisme, mais comme le début de l'occupation soviétique. Il a également souligné le poids du passé qu'exerçait sur la Russie d'aujourd'hui aussi bien la Russie tsariste que l'Union soviétique ; il avait pour conséquence pratique les conflits d'influence politiques et stratégiques entre la Russie et l'Union européenne, aussi bien dans les Etats ayant récemment intégré l'Union européenne, notamment les pays baltes, que la Russie cherchait à instrumentaliser, que dans l'étranger aujourd'hui proche et de la Russie et de l'Union européenne. Il a fait part sur ce point des réflexions qu'avait faites à la Mission M. Dimitri Rogozine, ancien président de la commission des affaires étrangères de la Douma d'État et aujourd'hui dirigeant du parti Rodina, selon lesquelles le champ prioritaire de la Russie était la « Russie + 11 » ou « l'URSS - 3 » (les trois pays baltes).

En second lieu, il a également souligné la spécificité de la Russie, expliquant que les difficultés du partenariat UE-Russie résidaient également dans ce caractère de partenaire « à part » qu'a la Russie. L'Union européenne peine à s'y adapter, ne connaissant d'autre mode de relations extérieures que les négociations d'adhésion et le partenariat à dominante économique. Le cas de la Russie est illustratif de cette difficulté de l'Union européenne, du fait du poids, historique et géographique, de ce pays, dont les seules données économiques ne permettent pas de prendre la mesure, le PIB de la Russie se situant entre celui de la Belgique et des Pays-Bas. M. Jean-Louis Bianco a jugé qu'il justifiait un traitement spécifique qui, au-delà des formules (partenariat stratégique, espaces de coopération), devait s'incarner dans des modalités concrètes qui soient différentes de celles qui sont appliquées au Maghreb ou à l'Ukraine. Citant les propos de M. Javier Solana, qui avait déclaré, lors de son entrée en fonction, le 13 octobre 1999, que la partenariat UE-Russie était « le plus important, le plus urgent et le plus lourd de défis » pour l'Union européenne, il a estimé nécessaire que l'Union clarifie ses positions.

A cette fin, il a présenté les quatre scénarios de relations possibles entre l'Union européenne et la Russie.

Le premier est celui de l'adhésion de la Russie à l'Union. Expliquant que la Mission n'envisageait nullement un tel scénario au début de ses travaux et qu'elle ne la recommandait toujours pas à leur issue, ni à moyen ni à long terme, il a fait observer que ce scénario avait été évoqué par certains interlocuteurs de la Mission à Moscou. Même si ces derniers avaient rejeté cette hypothèse, il l'a jugé intéressant par le « désir d'Europe » qu'il révélait en Russie, désir d'ailleurs conforté par les résultats d'un sondage présenté aux rapporteurs lors de leur déplacement à Moscou, en juin dernier. Ainsi, à la question « Faut-il que la Russie adhère ou se rapproche de l'Union européenne ?», 33 % des Russes se prononcent en faveur de l'adhésion à l'Union européenne, 33 % sont favorables à un rapprochement sans adhésion, 10 % sont contre le rapprochement et 20 % sont indécis. A la question « Si demain, un référendum d'adhésion à l'Union européenne était organisé, voteriez-vous en faveur de cette adhésion ? », une majorité, soit 45 %, répond favorablement.

Le deuxième scénario est celui qui conduirait à un partenariat très intégré, excluant seulement la participation russe au processus de décision de l'Union : ce scénario du « Tout sauf les institutions », pour reprendre la formule employée dans un autre cadre par M. Romano Prodi, ancien Président de la Commission européenne, n'est guère crédible dans la mesure où, du côté russe, il ne correspond pas à son souhait d'être un partenaire politique de l'Union.

Le troisième scénario est celui du partenariat stratégique, tout la question consistant à donner du contenu à ce terme très flou. M. Jean-Louis Bianco a considéré que les questions énergétiques représentaient l'un des domaines dans lequel les relations UE-Russie devaient absolument dépasser la dimension rhétorique, dans l'intérêt mutuel de la Russie et de l'Union. Ajoutant que certains des interlocuteurs de la Mission avaient évoqué le modèle de la Communauté européenne du charbon et de l'acier pour construire ce partenariat, il a fait observer que la Russie mentionnait l'arme énergétique en des termes ambigus, évoquant les alternatives américaine ou chinoise au partenariat avec l'Europe. Au nombre des domaines susceptibles de mener à un partenariat stratégique, M. Jean-Louis Bianco a également évoqué les domaines de la recherche, de l'éducation et de la culture, soulignant le potentiel russe considérable à cet égard et insistant sur la nécessité de développer les contacts en la matière.

Le dernier scénario est celui du statu quo. Il verrait se poursuivre le traitement pratique et modeste des questions pendantes.

En conclusion, il a estimé que c'est dans le cadre du triptyque « Intégration impossible, confrontation improbable, coopération nécessaire » que s'inscriraient les relations UE-Russie dans l'avenir.

Evoquant la « nostalgie impériale » de la Russie, le Président Edouard Balladur a dit sa conviction que la Biélorussie ne suscitait pas, de ce point de vue, l'inquiétude de la Russie. Il a estimé qu'il n'en allait pas de même de l'Ukraine et interrogé les rapporteurs sur le niveau d'inquiétude relative de la Russie quant au devenir de ses relations avec l'Ukraine et les pays d'Asie centrale.

M. Jean-Louis Bianco a expliqué que, face à des parlementaires membres d'un pays de l'Union européenne, les interlocuteurs de la Mission à Moscou avaient surtout évoqué la question de l'Ukraine. Il a ajouté, s'agissant de la Biélorussie, que ce pays n'était pas absent des préoccupations russes, au regard notamment d'un risque d'évolution politique « à l'ukrainienne ».

M. René André a estimé que les Russes étaient inquiets de la présence américaine en Asie centrale et qu'ils essayaient par tous les moyens de la contourner, notamment via des contrats pétroliers et gaziers de long terme. Il a insisté sur le caractère déterminant des pipelines pour comprendre la politique étrangère russe. Il a jugé pour sa part qu'il n'existait pas d'inquiétude de la Russie de voir sortir la Biélorussie de son orbite. Evoquant les réactions initialement très vives du Président Vladimir Poutine au début de la crise ukrainienne, il s'est demandé si ce dernier, ne pouvant, constitutionnellement, se présenter en vue d'un troisième mandat à la tête de la Fédération de Russie, ne visait pas à prendre la Présidence d'une structure qui rassemblerait la Russie, la Biélorussie, l'Ukraine et le Kazakhstan.

Le Président Edouard Balladur a fait part de sa surprise concernant le fait que le scénario de l'adhésion de la Russie à l'Union européenne ait été évoqué à Moscou, dont il avait pourtant compris que la Russie le considérait comme incompatible avec l'idée qu'elle se faisait de sa puissance. Il a souhaité savoir si la Russie avait évolué sur ce point ou s'il ne s'agissait que d'un jeu intellectuel. Il a également interrogé les rapporteurs sur le fait de savoir s'il pouvait être considéré que la Russie contrôlait la Communauté des Etats indépendants.

M. Jean-Louis Bianco a confirmé qu'effectivement, les interlocuteurs russes de la Mission avaient évoqué le scénario de l'adhésion, pour l'écarter ensuite, et a fait observer que ce jeu n'avait rien d'innocent : il s'agissait d'évoquer le schéma d'une Russie dont l'adhésion pourrait être envisagée dès lors qu'elle serait à nouveau à la tête des pays de son étranger proche et qu'elle formerait un duopole avec l'Union, à égalité de forces. Quant à son pouvoir de contrôle sur l'espace de la CEI, elle le considère comme acquis.

M. François Loncle a demandé comment la vision de M. Dimitri Rogozine concernant le rôle de la Russie à l'égard de ses « étrangers proches » pouvait être compatible avec les trois premiers scénarios.

M. Jean-Louis Bianco a répondu qu'elle n'était pas incompatible avec le troisième scénario : même chez un responsable politique tel que M. Dimitri Rogozine, l'idée de partenariat énergétique est présente.

Tout en se félicitant des propositions faites par les rapporteurs, M. Jacques Myard a toutefois regretté que ceux-ci soient restés prisonniers du schéma institutionnel prévalant actuellement dans les relations entre l'Union européenne et la Russie. Il a estimé que le poids de l'histoire évoqué par l'un des rapporteurs n'était autre que le poids des réalités humaines, sociologiques, culturelles et géographiques, dont il fallait absolument tenir compte. Rappelant que la Russie était notre allié en 1914, à nouveau en 1941, il a considéré que l'entente avec la Russie allait dans le sens de la marche du monde et que l'organisation du continent européen se devait de prendre cet élément en compte, d'autant que la Russie évoluait vers la démocratie. Il s'est élevé contre la subordination de la relation entre l'Europe et la Russie à ce qu'il a considéré comme des broutilles, à savoir les questions des minorités russophones des pays baltes et de l'Ukraine. Faisant valoir que l'Union européenne comme la PESC n'existaient pas, que la politique étrangère à 25 n'était qu'illusion et que jamais l'Union européenne ne serait une puissance, il a estimé que l'échec annoncé du traité constitutionnel impliquerait de définir une autre organisation du continent européen, dont la Russie ferait partie, comme nation. Il a plaidé en faveur de la création d'un conseil de sécurité européen, qui inclurait le libre échange des biens et des services, mais non des personnes et jugé que, dans une organisation qui ne serait pas une chimère européenne, mais prendrait en compte le poids des réalités héritées de l'histoire, la Russie entrerait certainement.

M. René André a objecté que la question des russophones de Lettonie et d'Estonie n'était certes pas une broutille, même s'il fallait éviter d'en faire l'alpha et l'oméga des relations UE-Russie. Il a plaidé pour une approche mesurée de la question, soulignant les exagérations russes et appelant les Lettons à des efforts d'intégration accrus. S'agissant de l'Union européenne, il a estimé qu'il fallait se réjouir que la Pologne soit entrée dans l'Union, sans quoi sa réaction lors de la crise ukrainienne eût probablement été très forte et très intempestive.

Le Président Edouard Balladur a fait remarquer que la question du rôle et du fonctionnement de l'Union européenne était posée à l'occasion de nombre de débats, parce qu'elle n'était autre que celle du sens que conservait l'indépendance de l'action de la France.

La Commission a ensuite autorisé la publication du rapport d'information présenté par MM. René André et Jean-Louis Bianco.

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Information relative à la Commission

M. Eric Raoult a été nommé rapporteur sur la proposition de résolution n° 1968 de M. Paul Quilès et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement est intervenu dans la crise de Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002.

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