COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 35

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 30 mars 2005
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Roland Blum, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-David Levitte, ambassadeur de France aux Etats-Unis, sur l'image de la France aux Etats-Unis et l'état de la relation franco-américaine

- Informations relatives à la Commission

  

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Audition de M. Jean-David Levitte, ambassadeur de France aux Etats-Unis

Saluant l'honneur qui lui était fait de s'exprimer devant la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, M. Jean-David Levitte a d'emblée souligné que, pour fortes qu'avaient été les tensions entre la France et les Etats-Unis pendant deux ans, du fait de l'affrontement entre les deux pays lors de la crise irakienne, celles-ci ne sauraient masquer pour autant la multiplicité des champs de coopération. Ainsi, en dépit de la période très délicate qu'ont traversée les relations entre les deux pays, la coopération dans la lutte contre le terrorisme n'a jamais fléchi, les Français restant considérés comme le meilleur allié des Etats-Unis dans ce domaine. De même, en Afghanistan, la France se situe au premier rang des pays qui se sont rangés aux côtés des Américains, ayant mis sur le sol afghan jusqu'à 5 000 hommes au sein de la force multinationale (FIAS) commandée, jusqu'au 13 février dernier, par un général français ; en outre, la France est, au côté des Etats-Unis, le seul pays à participer à la formation de l'armée afghane et à consacrer des forces spéciales à la capture des responsables des attentats du 11 septembre 2001 à la frontière afghano-pakistanaise. Dans les Balkans également, cette coopération est exemplaire, un général français assurant là encore le commandement des forces de l'OTAN au Kosovo. Enfin, en Haïti ou en Afrique, Français et Américains sont également intervenus en parfaite intelligence.

M. Jean-David Levitte a néanmoins convenu qu'en dépit de ces coopérations, l'image de la France aux Etats-Unis s'était réellement dégradée, alors même que, comme notre pays l'avançait, il n'existait pas de stocks d'armes de destruction massive en Irak. Reste que, dans l'esprit d'une majorité d'Américains en 2002 et 2003 et encore aujourd'hui - d'une forte minorité -, il y avait un lien entre Saddam Hussein et les attentats du 11 septembre 2001, d'où une incompréhension totale à l'égard de ce qui a été vécu comme un abandon par l'allié de toujours. Telle est la raison qui explique la chute de la popularité de la France dans les sondages, notre pays, traditionnellement placé juste en dessous du Royaume-Uni dans l'échelle des sympathies américaines (78 à 79 % d'opinions favorables), étant tombé au niveau de l'Arabie saoudite et de la Libye (34 %), pour remonter aujourd'hui à 53 %.

Constatant l'éclaircie que connaissaient les relations franco-américaines depuis la réélection du Président George W. Bush, l'ambassadeur de France à Washington a estimé que ce changement ne résultait nullement d'une évolution de la politique étrangère américaine, le Président Bush, confirmé par les résultats de l'élection de novembre, appliquant tout au contraire sa politique étrangère avec une énergie renouvelée. Il a donc attribué l'amélioration des relations transatlantiques au changement de style à Washington, qui s'était traduit par une main tendue aux Européens. M. Jean-David Levitte a expliqué que ce geste résultait d'un constat qui s'imposait comme une évidence : si, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis avaient été tentés de négliger leur traditionnel allié européen de la guerre froide, au profit d'alliances avec des Etats, eux aussi menacés par le terrorisme islamiste (Russie, Chine, Inde, Israël), ils redécouvraient aujourd'hui la vieille Europe, alors que l'étoile de la Russie ne cessait de décliner, que la Chine inquiétait, que l'Inde restait lointaine et qu'Israël, certes allié très proche, ne pouvait cependant être le seul.

M. Jean-David Levitte a ajouté que les circonstances avaient, elles aussi, favorisé le renouveau de la relation transatlantique :

- les élections en Irak se sont déroulées dans des conditions meilleures que ne l'espéraient même les plus optimistes aux Etats-Unis, ce qui a éteint la querelle franco-américaine sur les torts et les responsabilités dans la crise irakienne au profit d'un débat tourné vers l'avenir sur la meilleure manière d'aider l'Irak en vue d'éviter le chaos dans ce pays ;

- la mort de Yasser Arafat et l'élection d'Abou Mazen ont permis aux Européens et aux Américains de se retrouver pour appuyer la mise en œuvre de la feuille de route, après quatre années durant lesquelles les Européens ont fait reproche aux Etats-Unis de se désengager du conflit du Proche-Orient après l'activisme de l'ère Clinton ;

- la réélection du Président Emile Lahoud en violation de la Constitution libanaise a conduit la France et les Etats-Unis à promouvoir et faire voter la résolution 1559 au Conseil de sécurité, l'assassinat de Rafic Hariri ayant conforté et démultiplié les efforts de nos deux pays en faveur de la tenue d'élections libres et sans pression extérieure au Liban.

C'est dans ce contexte, après la visite réussie de Condoleezza Rice en Europe, que le Président George W. Bush est, à son tour, venu rendre visite aux Européens : l'ambassadeur de France à Washington a considéré que cette visite avait été la meilleure que le Président américain ait faite sur notre continent, le dîner avec le Président Jacques Chirac ayant notamment tracé les voies d'une coopération intense au Liban, au Proche-Orient et fait évoluer la position américaine sur l'Iran.

M. Jean-David Levitte a estimé que les relations franco-américaines n'étaient pas pour autant à l'abri de nouveaux différends, notamment en raison de la totale continuité de la politique étrangère américaine. A cet égard, il a fait valoir que la nomination de M. John Bolton comme ambassadeur des Etats-Unis aux Nations unies et la proposition américaine de placer M. Paul Wolfowitz à la tête de la Banque mondiale étaient emblématiques de la volonté des Etats-Unis de placer deux néo-conservateurs en croisade contre le système multilatéral au sein même de ce système, afin de faire progresser la vision américaine des relations internationales. Or, cette vision n'était pas celle de la France, seul pays qui osait, aujourd'hui, s'exprimer lorsqu'il était en désaccord avec les Etats-Unis. Ainsi, sur le Darfour et la Cour pénale internationale, M. Jean-David Levitte a expliqué que la France se préparait à faire valoir ses vues contre celles des Etats-Unis qui, sur la cour pénale, ne voulaient pas se contenter d'être exemptés du club des pays favorables à la CPI, mais voulaient encore détruire ce club, soit en prévoyant un tribunal ad hoc pour les crimes commis au Darfour soit en exemptant de la compétence de cette cour tous les pays non signataires du traité créant la CPI, dont le Soudan. M. Jean-David Levitte a donc estimé que les cas de confrontation seraient encore nombreux à l'avenir, même si les crises ne seraient pas aussi graves que celle de l'Irak, survenue dans le contexte d'une Amérique crispée et qui se sentait agressée.

Il a néanmoins considéré qu'en tout état de cause subsistaient toujours trois facteurs de stabilisation de la relation franco-américaine, à commencer par le facteur culturel. Comme le montrent le succès de l'exposition sur Toulouse Lautrec qui se tient actuellement à Washington, qui bat tous les records d'affluence depuis l'exposition de la Joconde, il y a quarante ans, ainsi que la mise à disposition du musée Guggenheim de New York au profit de l'artiste Daniel Buren, la France est, aux Etats-Unis, la superpuissance culturelle. Au-delà des cinquante expositions qui se tiennent actuellement aux Etats-Unis, ce sont plus de cinq cents événements culturels qui sont organisés chaque année par des Français outre-atlantique, dans le cadre d'un dialogue dont l'intensité n'a jamais faibli. Le deuxième facteur de stabilisation réside dans l'importance des investissements directs des entreprises françaises aux Etats-Unis, qui se situent au troisième ou quatrième rang en stock et parfois même au premier rang en flux : ce sont ainsi 650 000 emplois américains qui en dépendent. Que la France soit un partenaire économique majeur des Etats-Unis est toujours un élément qu'il faut rappeler aux membres du Congrès des Etats-Unis. Enfin, M. Jean-David Levitte, citant la boutade entendue ici et là selon laquelle la France et les Etats-Unis seraient deux pays séparés par des valeurs partagées, a jugé qu'elle ne devait pas faire oublier que les deux pays appartenaient à la même famille : celle des démocraties.

En conclusion de son propos, l'ambassadeur de France aux Etats-Unis a constaté que la leçon la plus claire qui émergeait du premier mandat de George Bush résidait dans la solidité de l'alliance entre les Etats-Unis et l'Europe : c'est en Europe que sont les véritables alliés des Etats-Unis, dont ils ont besoin, certes pas pour gagner des guerres, mais à l'évidence pour construire la paix.

Le Président Roland Blum s'est inquiété des conséquences économiques réelles de l'opposition française à l'intervention américaine en Irak, et a demandé des précisions sur la position des Etats-Unis vis-à-vis de l'Iran.

M. Jean-David Levitte a estimé que la question irakienne n'avait eu d'effets ni sur les investissements français aux Etats-Unis, ni sur les investissements américains en France. Les deux secteurs économiques qui en ont subi les contrecoups sont le tourisme et le marché des vins tranquilles, mais le désaccord sur la guerre en Irak n'a été qu'un élément parmi d'autres.

Ainsi, la chute du tourisme américain en France est la conséquence de la crainte du terrorisme, qui s'est traduite par une réticence à voyager en avion et par la peur de séjourner en Europe après les attentats de Madrid, et de l'appréciation de 30 % de l'euro par rapport au dollar. La France a été relativement plus touchée par le recul du nombre de touristes américains que l'Espagne ou l'Italie. Depuis 2004, ce nombre s'est redressé, mais l'impact défavorable du niveau de l'euro demeure.

La diminution des ventes de vins tranquilles - celles des vins de Champagne restant à un niveau élevé - aux Etats-Unis n'est pas non plus exclusivement liée à la guerre en Irak. C'est un processus continu depuis trente ans : la part des vins tranquilles français sur le marché américain est passée de 28 % à 14 %. Ce recul est la conséquence du refus des producteurs français de s'adapter aux attentes des consommateurs américains, qui, n'ayant pas de caves, n'attachent guère d'importance au millésime des vins et restent hermétiques au prestige des châteaux de production, sauf pour le très haut de gamme. Sur la moyenne gamme, les consommateurs américains ne se préoccupent que du cépage des vins, et se tournent de plus en plus vers les vins du Nouveau Monde, provenant d'Australie, d'Afrique du Sud, du Chili ou d'Argentine, et d'ailleurs souvent produits et exportés par des entreprises françaises, à l'exemple du groupe Pernod-Ricard qui est le premier exportateur de vins australiens. Comme les viticulteurs ne sont pas disposés à répondre aux attentes du marché américain, des producteurs américains commencent à s'installer en France : l'un d'entre eux produit dans le Languedoc un vin baptisé « Red Bicyclette », tandis qu'un vin appelé « Pont d'Avignon » devrait prochainement être proposé aux consommateurs américains !

Finalement, les problèmes de ces deux secteurs ont été approfondis par le désaccord franco-américain sur l'Irak, mais sont liés à bien d'autres facteurs.

En ce qui concerne l'Iran, les Etats-Unis n'ont pris aucune initiative pendant quatre ans car ils étaient profondément divisés entre les néo-conservateurs, soucieux de ne rien faire qui puisse contribuer à légitimer le régime des ayatollahs, qu'ils souhaitent abattre, et les réalistes, inquiets des progrès iraniens dans le domaine du nucléaire militaire.

Il y a dix-huit mois, France, Royaume-Uni et Allemagne ont entrepris de négocier avec l'Iran. Cela a permis d'obtenir de cet Etat son maintien parmi les signataires du traité de non-prolifération (TNP), l'adoption du protocole additionnel au TNP, et l'accueil des inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). La suspension de l'enrichissement de l'uranium iranien sans limitation de durée et le contrôle de cet engagement par l'AIEA doivent permettre de trouver des solutions de long terme. Cette situation est bien meilleure que celle de la Corée du Nord, qui a dénoncé le TNP, renvoyé les inspecteurs de l'AIEA, repris le retraitement du combustible et s'est vraisemblablement dotée d'armes nucléaires.

Les Etats-Unis ont longtemps affiché leur scepticisme vis-à-vis de la négociation menée par les trois pays européens, avec le soutien de l'Union européenne. Le Président Chirac a récemment fait valoir au Président Bush que l'entrée de l'Iran dans l'Organisation mondiale du commerce, comme ce pays le demande, ne manquerait pas d'entraîner une ouverture de son économie et une évolution de la société, lesquelles finiraient certainement par faire évoluer le régime. En outre, accepter de livrer des pièces détachées d'avions à l'Iran était un impératif de sécurité pour les compagnies iraniennes et leurs passagers, les avions utilisés étant âgés de plus de vingt ans.

Après un débat aux Etats-Unis, Mme Condoleezza Rice a récemment annoncé le soutien américain aux efforts européens en direction de l'Iran et l'accord de Washington sur l'OMC comme sur les pièces détachées d'avion en cas de succès de la négociation. Reste à savoir si cet appui est sincère : il est clair qu'il n'existe guère d'alternative à la négociation dans la mesure où les sites nucléaires iraniens sont nombreux, bien protégés et situés dans des zones peuplées et que toute attaque contre eux pourrait entraîner des réactions en Irak voire contre Israël. Les Etats-Unis veulent aussi éviter qu'un échec des négociations, qu'ils jugent probable, ne leur soit imputé. Quoi qu'il en soit, l'Europe a obtenu le soutien américain et celui de la Russie, tandis que la Chine est tenue informée. Cette situation est appréciable car, en cas d'échec des négociations, elle permettrait sans doute une pression forte du Conseil de sécurité sur l'Iran.

La baisse de la cote de popularité des Français aux Etats-Unis ayant peu affecté les milieux intellectuels, culturels et même économiques, M. Michel Destot a souhaité savoir si l'on pouvait imaginer, à terme, une remontée assez forte de celle-ci. S'agissant des rapports entre l'Union européenne et les Etats-Unis, l'opinion publique américaine souhaite-t-elle la ratification du projet de traité constitutionnel européen ou y est-elle totalement indifférente ? En matière économique, il semblerait au total que les entreprises françaises aient peu ou pas souffert des tensions qui ont caractérisé la relation franco-américaine lors de l'intervention américaine en Irak. Peut-on dire que la compétition s'est déplacée aujourd'hui sur le plan de la recherche et du développement, où le jeu ne semble pas aussi ouvert qu'il y paraît, notamment s'agissant du projet ITER et de la course de vitesse qui s'engage avec la Chine et l'Inde ?

M. Jean-David Levitte a apporté les réponses suivantes :

-  Les sondages montrent des différences frappantes dans la perception des positions françaises par les Démocrates, pour lesquels la cote de notre pays est restée intacte, et par les Républicains, pour lesquels elle s'est considérablement dégradée ; il y a à cet égard une opposition très nette entre les Etats de la côte Est, de la côte Ouest et de la région des grands lacs d'un côté et les Etats républicains de l'autre.

-  La prise de position commune de la France et des Etats-Unis sur la nécessité d'un départ des troupes syriennes du Liban et sur l'organisation d'élections libres est très importante ; elle permet de faire passer le message auprès de la population américaine selon lequel la France et les Etats-Unis travaillent ensemble pour la paix ; les médias ont accordé une grande place à cette question et les nombreux chrétiens du Liban qui ont émigré aux Etats-Unis ont relayé ce message avec force.

-  Le traité constitutionnel européen n'est pas un véritable sujet d'intérêt aux Etats-Unis ; l'opinion est actuellement monopolisée par l'affaire Terri Schiavo et par le projet de privatisation partielle des retraites, qui suscite l'opposition d'une majorité de la population ; si la campagne référendaire ne suscite pas d'intérêt, le résultat du référendum sera en revanche suivi de près ; l'administration Bush regarde avec méfiance une Europe unie derrière le moteur franco-allemand et préfère une Europe divisée ; une victoire du non aurait toutes les chances d'être bien reçue par l'administration américaine actuelle ;

-  Les Etats-Unis étaient favorables à l'implantation d'ITER à Barcelone plutôt qu'à Cadarache, jusqu'à la décision des autorités espagnoles de retirer leurs troupes d'Irak ; mais surtout, ils préfèrent le Japon à l'Europe, car celle-ci est perçue comme leur principal rival économique et ils ne souhaitent pas qu'elle se dote d'un outil susceptible de permettre des avancées technologiques majeures dans la production d'énergie ;

-  Les relations des Etats-Unis avec la Chine et l'Inde sont marquées par le débat sur les délocalisations ; si elles concernent un nombre relativement faible d'emplois, quelques centaines de milliers, elles atteignent désormais le secteur des services et elles préoccupent l'opinion ; la Chine, où les entreprises américaines très implantées dégagent des marges importantes, suscite des réactions épidermiques et une forte inquiétude quant à l'émergence d'un nouveau géant ; il serait souhaitable qu'un dialogue stratégique entre l'Union européenne et les Etats-Unis sur l'extrême Orient se développe, afin de réfléchir aux conditions d'intégration de la Chine dans le monde de demain.

Réagissant à l'historique du passé des relations franco-américaines, M. François Loncle a demandé, évoquant la crise irakienne, si le départ de M. de Villepin du ministère des Affaires étrangères n'avait pas également contribué à modifier l'image de la France et ses rapports avec les Etats-Unis.

D'autre part il a demandé quelle était l'évolution du contentieux sur la levée de l'embargo des armes en Chine, la position américaine lui semblant être une position pleine de sagesse.

L'ambassadeur a apporté les éléments de réponse suivants :

- Au-delà du style propre à l'ancien ministre, la France fait partie des rares pays dans le monde qui osent s'opposer, sereinement et sans provocation, aux Etats-Unis.

- L'Union européenne constate, quinze années après Tiananmen, que l'amélioration de la situation des droits de l'homme permet de lever l'embargo sur les armes létales en Chine. La réaction des Etats-Unis illustre en réalité leur souhait de garder le monopole du dialogue stratégique avec la Chine. En effet, après les événements de Tiananmen, de nombreux pays, en plus de l'Europe, ont imposé un embargo à la Chine. Or, la décision de mettre fin à ces mesures, par exemple en Australie dès 1992, n'a entraîné aucune réaction des Américains. Ces derniers n'ont pas davantage réagi quand le Canada s'est abstenu d'adopter des mesures de sanction à l'encontre de la Chine après 1989. La semaine dernière Mme Condoleezza Rice a annoncé que les Etats-Unis ne déposeraient pas de résolution à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies sur la question des droits de l'homme en Chine, mais en même temps les Américains estiment que la situation n'est pas suffisamment satisfaisant pour que, de leur côté, les Européens lèvent l'embargo. Pourtant les conclusions du Conseil européen adoptées le 17 décembre 2004 sont très claires : la levée de l'embargo n'entraînera aucune augmentation des ventes d'armes ni qualitativement ni quantitativement. De plus, si l'embargo européen ne vise que les armes létales, la France au travers de la commission interministérielle pour l'études des exportations de matériel de guerre (CIEEMG), interdit toute exportation y compris d'armes non létales ou encore de technologies duales de pointe qui pourraient être dommageables tant pour la France que pour ses alliés.

Ainsi la mobilisation tant du Congrès américain que de la Maison blanche et le procès d'intention fait à l'Union européenne et, particulièrement, à la France et à l'Allemagne répondent à l'objectif des Etats-Unis de conserver le monopole du dialogue stratégique avec la Chine et, au-delà avec l'Inde.

M. Hervé de Charette a souligné que l'embargo sur les ventes d'armes à destination de la Chine était une affaire vieille de dix ans. Le refus de l'Europe de lever celui-ci était déraisonnable dans la mesure où les Mirage pakistanais n'ont ainsi pas été remis en état mais qu'en revanche les Etats-Unis ont décidé de livrer des F16. La politique européenne est ainsi conditionnée au bon vouloir des Etats-Unis, malheureusement l'inverse n'est pas vérifié.

S'agissant de la relation euro-transatlantique, il a estimé que la visite du Président George Bush n'avait pas suffisamment éclairé les choses. Si cette relation est réorganisée, un dialogue devra s'instaurer sur différents sujets comme la politique mondiale de l'environnement, le Proche-Orient, la Chine, les rapports avec la Russie. Peut-on dire que la diplomatie américaine est en mouvement ?

M. Jean-David Levitte a confirmé que la diplomatie américaine faisait mouvement. Pour la première fois, à la suite de la visite du Président américain, il a été dit et écrit dans le communiqué final du Sommet de l'OTAN qui a réuni les Chefs d'Etat et de gouvernement des pays membres à Bruxelles le 22 février 2005 qu'une Union européenne forte était un atout pour l'Alliance atlantique. C'est la première fois en quatre ans que l'administration Bush accepte de saluer les progrès européens. Même si ce commentaire est à moitié sincère, il revient aux Européens d'affirmer toute la place qui doit revenir à l'Europe sur la scène internationale. Par ailleurs, l'Union européenne n'a pas encore réussi à mettre en place un bon dialogue avec les Etats-Unis. Si la négociation est bonne avec ces derniers sur l'Iran, elle est conduite par trois pays européens. Sur le Liban, il s'agit d'un duo franco-américain. S'agissant du processus de paix au Proche-Orient, il faut être plus nuancé. Des échanges existent à travers le Haut représentant pour la PESC, M. Javier Solana, dans le cadre du Quartette, mais cette enceinte ne constitue pas le principal moteur de la relance du dialogue. Selon les sujets, un dialogue se noue entre les diplomates de la Maison Blanche, d'une part, les représentants du pays qui préside l'Union européenne et la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne mais aussi l'Italie lorsqu'il s'agit du Proche-Orient ou encore la Pologne lorsqu'il s'agit de l'Ukraine, d'autre part. Concernant les événements qui se sont produits ces derniers temps dans ce pays, les Etats-Unis ont compris qu'ils ne devaient pas se mettre en avant s'ils voulaient éviter une confrontation avec Moscou. En définitive, dans l'attente de l'émergence d'une politique étrangère européenne, un dialogue modulé a été inventé. Même si cela n'est pas très satisfaisant, cela est relativement efficace dossier par dossier.

M. Jacques Myard a estimé que les Etats-Unis avaient intérêt à la victoire du oui au référendum, car le traité constitutionnel aboutira à la paralysie totale du fonctionnement des institutions de l'Union et permettra de faire rentrer la France dans le rang. L'article I-41.7 place d'ailleurs la politique de défense européenne sous les auspices de l'OTAN. Il a critiqué la vision sélective des Etats-Unis concernant le programme « pétrole contre nourriture » qui jette en pâture des noms de sociétés et de personnes européennes, sans citer d'entreprises américaines, alors que certaines d'entre-elles comme Halliburton, étaient très présentes en Irak. A la suite de leurs déconvenues en Irak, les Etats-Unis opèrent-ils désormais un retour vers l'ONU ?

M. Jean-David Levitte a répondu que le programme pétrole contre nourriture avait été mis en place par Madeleine Albright, qu'il avait permis de nourrir et de soigner la population irakienne en évitant que l'Irak n'utilise ses revenus pétroliers pour reconstituer un stock d'armes de destruction massive et de ce point de vue cette initiative avait été un remarquable succès. L'argent reçu par Saddam Hussein ne provenait pas de ce programme, mais de l'autorisation qu'il a reçue de vendre à bas prix du pétrole à la Turquie et à la Jordanie, qui s'estimaient lésées par les sanctions à l'encontre de l'Irak qui avaient entraîné l'arrêt de leurs échanges commerciaux avec ce pays. Le programme pétrole contre nourriture est devenu avec le temps emblématique de la croisade menée par les néo-conservateurs contre le multilatéralisme. Six commissions d'enquête sur ce sujet ont été créées au Congrès, alors même que les Nations Unies ont mis en place leur propre commission d'enquête, conduite par l'ancien président de la FED, M. Paul Volcker. En raison de la Privacy law, les compagnies et les citoyens américains échappent à toute mention publique à raison de leurs activités commerciales à l'étranger. La moitié des exportations de pétrole à l'époque de Saddam Hussein partait vers les Etats-Unis, tandis que la France n'en recevait que 8 %. Il y a eu sans doute des versements de commissions occultes en dépit de l'intervention des responsables du programme qui se sont opposés lorsqu'ils l'ont pu aux contrats comportant de telles commissions. Certains contrats intéressant les sociétés américaines ont ainsi été bloqués. Ces faits ont été rappelés aux membres du Congrès, mais ils sont restés très discrets sur cette question.

S'agissant du multilatéralisme, les Américains sont partagés entre une majorité qui soutient mollement les institutions internationales et une minorité très active qui veut à tout prix tuer le système multilatéral, notamment en s'appuyant sur le Congrès. L'expression de « multilatéralisme effectif » employée par le Président américain signifie, pour cette minorité, « multilatéralisme à la botte ». Le sommet de septembre prochain consacré à la réforme des Nations unies risque d'être marqué par la crispation des Etats-Unis qui sont réservés au sujet de l'entrée de nouveaux membres permanents au Conseil de sécurité, au motif que cela risque d'accroître dans cette instance le nombre de pays réservés à l'égard des positions américaines.

M. Louis Giscard d'Estaing a interrogé l'ambassadeur de France aux Etats-Unis sur les positions respectives des Américains et des Européens sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Par ailleurs, il s'est demandé si le soutien des Etats-Unis à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ne représentait pas pour eux un moyen de diluer l'Europe et d'affaiblir durablement son influence, notamment dans le cadre de l'Alliance atlantique.

M. Jean-David Levitte a apporté les éléments de réponse suivants :

- les OGM ont été un sujet de contentieux majeur. Le débat apaisé prend désormais un tour plus technique, sur la base des souhaits de l'Union européenne en matière de traçabilité et d'étiquetage ;

- les Etats-Unis voient l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne comme un moyen de montrer que, lorsque le monde musulman se rapproche des valeurs démocratiques, le rapprochement avec l'Occident ne pose aucune difficulté. Dans le cadre de l'objectif stratégique de la politique étrangère américaine d'instaurer la démocratie dans le monde musulman, la Turquie est considérée comme un pays emblématique. Il n'est, dès lors, pas exact de voir dans le soutien américain à l'adhésion de ce pays un calcul d'affaiblissement de l'Union, d'autant moins que la Turquie n'est pas vue, des Etats-Unis, comme l'allié indéfectible qui minerait l'Union et la mettrait à la botte des Etats-Unis. Notamment, le refus des Turcs d'ouvrir leur territoire aux troupes américaines lors de l'invasion de l'Irak et de fermer leur espace aérien - contrairement à la France - à laissé une trace solidement ancrée dans la mémoire des responsables américains, à commencer par Donald Rumsfeld, et continue de susciter une forte amertume, sans doute durable.

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Informations relatives à la Commission

M. Jean-Jacques Guillet a été nommé rapporteur pour le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'annexe V au protocole au traité sur l'Antarctique, relatif à la protection de l'environnement, protection et gestion des zones (n° 2173).

En raison de sa participation au Rassemblement des parlementaires pour la libération de Florence Aubenas et Hussein Hanoun, l'audition de M. René Van der Linden, Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, prévue le 30 mars à 10 h 30 a été annulée.

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● Antarctique


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