COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 37

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 12 avril 2005
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, sur le rôle de l'Union européenne dans la solution du conflit au Proche-Orient et sur l'actualité internationale.

  
 
 3

Audition de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères

Le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre des Affaires étrangères de sa présence devant la Commission des Affaires étrangères.

M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, a indiqué qu'il avait étudié avec beaucoup d'attention le rapport de la mission d'information sur le rôle de l'Union européenne dans la solution du conflit du Proche Orient. Comme le souligne ce rapport, l'apport de l'Union européenne dans la région est incontestable. Il y a une continuité de son action et une cohérence de ses prises de décision depuis les déclarations de Venise (1980) et de Berlin (1999), jusqu'à l'institution du Quartette et de la feuille de route, dont l'Europe a eu l'initiative en 2002. Cette cohérence n'a pas été remise en cause par l'élargissement puisque les Européens se sont rapprochés sur ce sujet avant même que ne soit créé un Ministre des Affaires étrangères de l'Union.

L'implication de l'Union dans la région se manifeste notamment par le processus euro méditerranéen et par l'importance des investissements européens dans les territoires palestiniens. Il est toutefois nécessaire que l'Europe fasse mieux entendre sa voix et donne une plus grande visibilité à son action. Il ne faudrait pas que les Etats-Unis qui mènent leur propre politique fassent oublier l'engagement financier de l'Europe dans la région.

L'apport de l'Union européenne ne doit pas non plus être sous-estimé. C'est en effet aux Européens que l'on doit l'idée du Quartette et de la feuille de route. L'Union a par ailleurs joué un rôle important dans la promotion des réformes palestiniennes, qui ont été l'objet de la récente conférence de Londres. Le rôle de l'Europe dans le bon déroulement des dernières élections palestiniennes a été essentiel. Enfin, l'Union a assisté politiquement et financièrement l'Autorité palestinienne et permis ainsi d'éviter une grave crise humanitaire.

Les propositions du rapport parlementaire appellent plusieurs commentaires. S'agissant de la définition d'un cadre de référence de l'action de l'Union, il s'appuie sur les principes défendus par la France : une position équilibrée entre Israéliens et Palestiniens, un soutien au peuple palestinien qui vit dans des conditions économiques, humanitaires et sociales inacceptables, la reconnaissance pour Israël d'un droit à la sécurité et le refus sans concession du terrorisme. L'idée d'une initiative européenne pour la paix au Proche-Orient est tout à fait pertinente : elle devra s'inscrire dans la feuille de route, qu'il convient, comme le propose la Mission, d'actualiser. L'accompagnement par les Européens du retrait israélien de la bande de Gaza doit s'intensifier. Le Ministre a indiqué qu'il accueillait sur ce point très favorablement les propositions de la Mission tendant à la mise en place d'un mécanisme de surveillance internationale et à la relance de la construction du port et de l'aéroport de Gaza pour lesquels il faudra obtenir des garanties israéliennes, afin d'éviter qu'ils ne soient détruits comme par le passé.

Il faut offrir rapidement aux Palestiniens un horizon politique : il ne faut pas se limiter au désengagement de Gaza mais au contraire poursuivre ce mouvement en Cisjordanie. La France, comme les Etats-Unis d'ailleurs, ont condamné les nouvelles colonisations programmées en Cisjordanie et à Jérusalem-Est dont la réalisation empêcherait la création d'un Etat palestinien viable. La France a proposé à la conférence de Londres la tenue au deuxième semestre 2005 d'une conférence internationale consacrée à la question israélo-palestinienne. Cette conférence devrait permettre de faire le point sur le retrait de Gaza et de tirer les conséquences du résultat des élections palestiniennes.

Le Ministre a ensuite fait part de son sentiment sur la situation dans la région estimant que le Président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, se trouvait dans une situation très fragile. Sa tentative de rajeunissement du Fatah se heurte à de vives résistances de la vieille garde allant jusqu'à des incidents armés et la montée du Hamas dans la compétition électorale municipale et législative risque de radicaliser les instances politiques palestiniennes. Les Israéliens de leur côté, n'ont pas fait les gestes attendus d'eux après le sommet de Charm el-Cheikh : 500 prisonniers sur les 900 prévus ont été libérés, le désengagement des villes de Cisjordanie demeure partiel et Israël a annoncé la construction de 3 500 logements à Maale Adoumim dans la banlieue de Jérusalem. Faute d'amélioration des conditions de vie de la population palestinienne, la situation sécuritaire se dégrade et les organisations armées palestiniennes ont annoncé la fin de la trêve conclue le 17 mars dernier au Caire.

Dans ce contexte, la communauté internationale apparaît insuffisamment mobilisée et semble privilégier les solutions sécuritaires au détriment des solutions politiques. L'Union européenne, pour sa part, est engagée dans un processus de coopération policière avec l'Autorité palestinienne. Cette coopération est utile, mais elle ne saurait se substituer au règlement politique du différend israélo-palestinien.

Le ministre palestinien des Affaires étrangères, M. Nizar Al Qidwa, a réservé à la France sa première visite bilatérale en dehors de la région. A cette occasion, il a fait part de son inquiétude sur la suite des évènements et demandé que la France insiste auprès de l'Union européenne afin qu'elle rappelle que la ligne de 1967 reste la référence pour la délimitation des frontières et le règlement du conflit.

Le Président Bush a rappelé à M. Sharon son opposition aux implantations illégales sans que ce dernier renonce pour autant à son intention de développer des blocs de colonies. Il importe donc de placer en tête du dialogue transatlantique la question de la paix au Proche-Orient. Les membres du Quartette doivent aller dans le même sens. Le Ministre a conclu son propos en indiquant qu'il s'entretiendrait avec les Ministres des Affaires étrangères de l'Union, afin que celle-ci se mobilise de nouveau sur la question israélo-palestinienne.

M. Edouard Balladur, Président, a considéré que l'Union européenne devait avoir une position équilibrée dans le conflit du Proche-Orient et qu'il lui fallait faire entendre sa voix. L'Europe doit manifester plus fortement son engagement dans la solution de ce conflit où ses intérêts majeurs sont en jeu. La question posée aujourd'hui est de savoir si l'Union européenne est décidée ou non à utiliser tous les moyens dont elle dispose, qui sont, à l'évidence, moins militaires que diplomatiques et surtout économiques et financiers. L'Union entretient des relations économiques fortes avec l'Autorité palestinienne, mais aussi - il faut en être conscient - avec Israël dont elle est le premier client et le premier fournisseur. L'essentiel est de savoir si l'Union européenne est prête ou non à mettre en oeuvre la conditionnalité des aides économiques et financières comme levier de sa politique dans la région.

M. Hervé de Charette a remercié le Ministre des encouragements précieux qu'il a formulés à l'attention des membres de la mission d'information sur le rôle de l'Union européenne dans la solution du conflit au Proche-Orient. Il a observé qu'au début des travaux de cette mission, à la fin du printemps 2004, aucune perspective favorable ne semblait se dégager dans ce conflit. Puis au début de 2005, certains ont eu l'impression que la paix redevenait accessible avec les initiatives prises par le Premier ministre israélien et le changement de gouvernement palestinien. Il est temps aujourd'hui de revenir à une réalité malheureusement plus âpre. Les évènements n'incitent pas à l'optimisme en raison, notamment, de l'extrême faiblesse du pouvoir palestinien face à ses opposants internes et à ses partenaires israéliens. A quelques nuances près, les Etats-Unis soutiennent, de leur côté, les positions des autorités israéliennes dont les finalités et même la sincérité laissent sceptiques. Le rapport remis par la mission d'information est publié sans doute au moment le plus propice, car les circonstances exigent que l'Union européenne intervienne désormais rapidement dans ce conflit sous peine de devoir assister à un enchaînement dramatique des évènements. Certes l'Union a déjà engagé des actions efficaces sous l'autorité de M. Javier Solana, Haut représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune. Mais il faut aujourd'hui aller plus loin pour changer la donne dans cette région du monde. Les conditions sont réunies au sein de l'Europe pour ce faire, un certain consensus étant apparu sur cette question. Pour sa part, la France peut, grâce à son rôle particulier sur la scène internationale, contribuer activement à une telle initiative européenne.

M. Edouard Balladur, Président, a estimé que le moment était d'autant mieux choisi pour agir que le gouvernement israélien venait de décider de procéder à de nouvelles implantations. Il s'est montré sceptique sur la distinction entre implantations illégales à détruire et implantations légales, ce qui permet au gouvernement israélien d'autoriser 3 500 implantations nouvelles décidées dernièrement entre Jérusalem Est et le Jourdain.

M. Jean-Louis Bianco a déclaré partager l'appréciation élogieuse portée sur le rapport de la mission d'information par le Ministre des affaires étrangères. Il a également considéré que la distinction entre colonies légales ou non était ambiguë, les Etats-Unis n'ayant d'ailleurs pas clairement condamné les implantations qualifiées d'illégales. La position de l'Union européenne réprouvant l'installation de nouvelles colonies et la construction du mur de séparation doit être soutenue même si l'on pourrait mieux tirer parti, par exemple, de l'avis de la Cour internationale de justice condamnant le tracé du mur. Deux éléments concrets méritent de retenir l'attention de l'Union européenne. Il convient tout d'abord de s'intéresser au sort des quatre cents prisonniers palestiniens qui n'ont toujours pas été libérés par Israël sur les neuf cents prévus initialement. Il faut observer d'ailleurs que le maintien de ces Palestiniens en détention en fait souvent des héros pour la population des Territoires. Il convient aussi de constater que la vie quotidienne des Palestiniens demeure des plus difficiles, notamment lors des passages aux points de contrôle. On a, par exemple, relevé le cas d'une femme qui avait dû accoucher à un check point, après y avoir attendu des heures durant. Il est clair, comme l'a souligné fort justement le Président Balladur, que l'Union européenne doit conditionner l'octroi de ses aides et ses échanges commerciaux et financiers à des engagements concrets pour améliorer la situation. Si une telle conditionnalité doit s'imposer aux deux parties, il appartiendra à la plus puissante d'entre elles de démontrer particulièrement son engagement en faveur d'un règlement du conflit. Enfin, il ne faut pas négliger le risque de voir le Hamas remporter un grand succès électoral lors du prochain scrutin dans les Territoires. On pourrait assister alors à un enchaînement dramatique, le gouvernement israélien tirant prétexte de cette victoire pour rompre tout dialogue.

Après un séjour récent dans les territoires palestiniens et en Israël, M. Jean-Paul Bacquet a eu l'impression d'une situation politique contrastée et ambiguë. La situation semble apaisée du fait de la disparition de M. Yasser Arafat qui a favorisé la relance du processus de paix. M. Ariel Sharon, très optimiste, paraît être investi d'une mission historique, persuadé lui-même que le processus engagé conduira à la paix. Le Ministre des affaires étrangères palestinien est également apparu très optimiste quant à la suite du processus de paix, mais en même temps il a émis de fortes réserves en ce qui concerne l'implantation des colonies en Cisjordanie, le mur et la barrière de sécurité. Depuis 1999 où s'était tenu à Gaza un congrès des maires, les interrogations relatives à l'aéroport et au port ou encore à la répartition de l'eau, n'ont pas évolué. La situation politique est donc aujourd'hui contrastée même si tant les Israéliens que les Palestiniens montrent leur volonté de paix.

Par ailleurs, M. Jean-Paul Bacquet s'est déclaré « scandalisé » par les propos tenus par l'ambassadeur de France en Israël qui, saluant la présence de parlementaires français, a déclaré devant la presse israélienne et devant la presse française en Israël que l'image de la France en Israël était détestable, alors même que 30 % de la population du pays est francophone.

M. Michel Destot a demandé quelle était la portée du plan de décolonisation qui mettra fin aux « implantations illégales » en Cisjordanie que dénonce notamment le Président Bush ? La stratégie d'Ariel Sharon à Gaza constitue-t-elle une réelle avancée alors qu'en réalité le risque est que la colonisation se maintienne à Gaza, ce qui conduirait à la radicalisation de la position palestienne, liée à l'échec de M. Mahmoud Abbas ? Il a demandé si la coopération décentralisée devait être encouragée entre les collectivités françaises et les villes israéliennes et palestiniennes.

Par ailleurs il a souligné la récente visite, à Grenoble, de Mme Leila Shahid demandant une initiative européenne, avant l'été 2005, qui porterait sur la situation politique et économique au Proche Orient afin de rendre irréversible le processus de paix.

Rappelant l'importance de respecter les engagements de Charm el-Cheikh, M. Richard Cazenave a constaté que les efforts devaient essentiellement être accomplis par M. Ariel Sharon. Réussir le retrait de Gaza est un défi majeur, à la fois politique, social et humanitaire, posé au pouvoir israélien et à l'Autorité palestinienne. Des moyens spécifiques d'intervention de très court terme sont-ils mis en œuvre pour aider au retrait de Gaza et au devenir des colonies ?

En réponse aux différents intervenants, M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, a apporté les précisions suivantes :

- Le discours du Premier Ministre israélien a évolué entre le mois d'octobre 2004 et février 2005, avec le décès de Yasser Arafat en novembre. En octobre, l'objectif unique de M. Sharon était le retrait unilatéral de Gaza. Il excluait la présence d'une force internationale de sécurité, estimant qu'il revenait exclusivement à l'armée israélienne de surveiller les frontières de la bande de Gaza. Il n'était alors plus question de l'application de la feuille de route. Ce n'est d'ailleurs que sous la pression des Européens, que le Président Bush a présenté le retrait de Gaza comme constituant la première étape d'un processus respectant la feuille de route. Au mois de février 2005, Ariel Sharon souhaitait la réussite du retrait de Gaza et Shimon Perez en étudiait les modalités pratiques, réfléchissait à la mise en place d'une force de sécurité chargée des frontières de la bande de Gaza et s'inquiétait des investissements étrangers nécessaires à la reconstruction de son économie. On assiste donc à une évolution positive qui demeure néanmoins fragile.

- L'application du principe de conditionnalité apparaît nécessaire au succès de la reconstruction de la bande de Gaza et à la poursuite du processus de paix. Pour ce qui concerne Israël, il pourrait s'appliquer à certaines dispositions de l'accord d'association. La conditionnalité ne fonctionnera que si tous les Etats membres de l'Union soutiennent le mécanisme. Il faut que l'Union européenne dise clairement aux Israéliens que la colonisation est inacceptable et qu'elle refuse de parler d'implantations illégales, comme le fait le Président des Etats-Unis. La distinction entre implantations légales et implantations illégales a été élaborée par le gouvernement israélien qui considère que seules les constructions dispersées et légères sont illégales, tandis que les implantations organisées en bloc seraient légales. Pour l'Europe, toute implantation doit être inacceptable, de la même manière que l'est le tracé de la construction de la barrière de sécurité, lequel a été contesté par la Cour suprême israélienne elle-même.

- Le mécanisme de conditionnalité doit aussi permettre de faire pression sur l'Autorité palestinienne afin qu'elle se réforme et organise les prochaines élections dans de bonnes conditions.

- La France, ainsi qu'un certain nombre de pays arabes, défendent l'idée de la tenue d'une conférence internationale sur le Proche-Orient à l'automne prochain. Cette perspective permettrait de maintenir la pression sur les différents acteurs et de tirer le meilleur profit possible de l'amélioration du climat entre Palestiniens et Israéliens.

- La poursuite de la coopération décentralisée au profit des collectivités territoriales israéliennes et palestiniennes est une excellente chose. L'idéal serait qu'elle associe dans un programme entre trois parties des collectivités françaises à des collectivités palestiniennes et israéliennes. Par le passé, le programme communautaire « Peace » mis en œuvre en Irlande a permis de stimuler la coopération entre les deux parties à ce conflit. Ce modèle pourrait être mis en œuvre au Proche-Orient.

Le Président Edouard Balladur a demandé au Ministre des Affaires étrangères quelles étaient les positions des autres pays européens sur la mise en œuvre du principe de conditionnalité.

M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, a indiqué qu'il en avait déjà discuté avec certains de ses homologues et que tous les pays ne partageaient pas exactement la même position. Par exemple, l'Allemagne est particulièrement sensible au fait que l'accord d'association avec Israël ne soit pas remis en cause. Arriver à une position commune permet de dépasser les subjectivités nationales et de donner à l'Union européenne une plus grande crédibilité dans les relations internationales. L'Europe doit faire du règlement du conflit israélo-palestinien un élément essentiel de la relation transatlantique. Il est important que le processus de paix s'accélère au cours des prochains mois, alors que ceux-ci seront particulièrement difficiles pour les dirigeants actuels : si Ariel Sharon estime avoir une mission historique à remplir, il n'en court pas moins des risques politiques considérables, tandis que la position de Mahmoud Abbas est fragilisée par la perspective des prochaines élections.

Abordant la question de la Côte d'Ivoire, le Ministre des Affaires étrangères a fait part de l'espoir de la France que l'accord sur le processus de paix en Côte d'Ivoire signé à Pretoria le 6 avril dernier fournisse le fondement d'une solution définitive au conflit dans ce pays, tout en en soulignant le caractère fragile, alors que perduraient les menaces d'une détérioration de la situation sur le terrain.

Il a noté que, dans son contenu, cet accord reprenait l'essentiel des engagements déjà pris lors des réunions d'Accra et de Marcoussis : engagement explicite de démantèlement des milices et cantonnement des forces rebelles, déclaration de fin des hostilités et acceptation du renforcement du rôle de l'ONU en vue de l'organisation des élections. Après avoir précisé que la question névralgique de la réforme constitutionnelle et de l'éligibilité de M. Alassane Ouattara devait etre abordée par le Président MBeki très prochainement, il a estimé qu'en africanisant le règlement du conflit, cet accord était de nature à relancer la dynamique qui s'était enlisée. Sur la forme, en effet, cet accord de Pretoria a été conclu en tout petit comité, exclusivement composé d'Africains. A cet égard, le Ministre a souligné que la France, souvent accusée de néo-colonialisme, avait toujours souhaité cette médiation africaine, qui avait d'ailleurs existé dès 2002, à Lomé, puis à Dakar, dans le cadre de la CEDEAO, et qu'elle la soutenait toujours pleinement.

M. Michel Barnier a indiqué qu'il convenait d'être prudent s'agissant des suites qui seraient données à cet accord, des dérapages étant toujours possibles et l'accroissement de l'engagement de la communauté internationale sur lequel reposait l'accord demandant à être précisé. Il a expliqué que, si le renforcement du mandat et de l'effectif de la force de l'ONU, l'ONUCI, à hauteur de 1 200 à 1 500 hommes supplémentaires, était nécessaire, il n'était pas garanti pour autant, notamment du fait que les Etats-Unis n'avaient jusqu'alors pas fait connaître leur position. La France, pour sa part, s'est dite prête à appuyer la mise en œuvre de cette décision politique.

Evoquant ensuite la question de la levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine, le Ministre des affaires étrangères a expliqué que la position commune des Européens, telle qu'elle ressortait de la décision du Conseil du 17 décembre dernier, prévoyait la levée de cet embargo avant la fin du mois de juin prochain. Il a ajouté que ce sujet avait été largement évoqué lors de la rencontre entre les Présidents Jacques Chirac et George W. Bush en février dernier, ce dernier ayant souligné la difficulté que représentait la virulente opposition du Congrès américain au projet européen. Faisant observer que la France, certes consciente du durcissement actuel de la position américaine, ne souhaitait pas pour autant différer la levée de l'embargo, il a jugé cet embargo anachronique et inadapté. Il a en outre fait valoir que lever l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine ne signifiait nullement exporter sans contrôle, rappelant qu'existait en la matière notamment un code de conduite européen, qui devait d'ailleurs être renforcé. Il a souligné qu'il s'agissait d'une décision motivée pour des raisons, non pas commerciales, mais politiques. Il a rappelé que les Etats-Unis ne s'étaient jamais émus des ventes d'armes canadiennes ou australiennes à la Chine et venaient d'ailleurs de mettre en place un groupe de travail de très haut niveau destiné à renforcer le dialogue stratégique sino-américain.

Concluant son propos, M. Michel Barnier a estimé que la preuve avait été faite que l'amitié avec les Etats-Unis n'empêchait pas la fermeté : le vote de la résolution du Conseil de sécurité sur le Darfour en constitue l'illustration. Après d'âpres négociations avec les Etats-Unis, les Européens ont obtenu la saisine de la Cour pénale internationale pour connaître des crimes commis dans cette région, en préservant leur unité, sans pour autant susciter de veto américain.

Après avoir fait part de son pessimisme sur la réussite de la médiation africaine en Côte d'Ivoire tant que la révision constitutionnelle relative à l'éligibilité ne sera pas entrée en vigueur, M. Roland Blum a souhaité obtenir des information sur la mission des troupes françaises au-delà du 4 mai 2005, date de l'expiration du mandat de l'ONUCI.

M. François Loncle a fait observer qu'il était difficile de parler d'une position commune européenne sur l'embargo sur les armes à destination de la Chine dans la mesure où les Britanniques, les Danois, les Polonais ou encore les Tchèques affichent une position différente de celle de la France. Par ailleurs, si la décision de cet embargo a été prise en raison du non respect des droits de l'homme dans ce pays, la situation en la matière n'a pas évolué.

S'agissant des élections qui vont avoir lieu prochainement au Togo, peut-on espérer qu'elles se déroulent normalement ? La date n'est-elle pas prématurée ?

Tout en se déclarant préoccupé par la situation en Côte d'Ivoire dans la mesure où il sera difficile à ce pays de trouver la paix tant qu'existeront des conditions restrictives en matière d'éligibilité à la présidence de la République, M. Henri Sicre a souligné que, si le Président Laurent Gbagbo n'était pas à l'abri de toute critique, ce n'était pas lui qui avait la paternité du concept d'ivoirité.

Par ailleurs, la réelle difficulté à laquelle est confrontée ce pays pour réaliser son unité territoriale provient avant tout de l'intangibilité des frontières issues de la colonisation. Dans ces conditions, il serait sans doute préférable de mettre en place une confédération plutôt que de tenter de maintenir à tout prix l'unité du territoire.

S'agissant des victimes françaises de ce conflit, 8 000 Français ont été rapatriés en novembre 2004. Ils ont été mal accueillis, mal logés, se retrouvent sans emploi et sont toujours dans l'attente d'un maigre viatique d'environ 700 euros, si bien qu'ils se trouvent dans une situation de détresse. Le ministère des Affaires étrangères envisage-t-il des mesures en la matière ?

Enfin, l'Institut français d'archéologie orientale (IFAO) du Caire, toujours en attente de la nomination de son directeur, traverse actuellement une crise. Les autorités égyptiennes ont fait part de leur malaise devant cette situation. Une solution est-elle envisagée ?

M. Richard Cazenave a estimé que la France avait raison de privilégier la médiation africaine en Côte d'Ivoire comme au Togo plutôt que de prendre des positions avancées. Il n'empêche qu'il faut faire savoir à celle-ci qu'elle a un rôle à jouer dans la solution de la question de l'ivoirité en faisant preuve de plus de fermeté pour qu'aboutisse la procédure de révision constitutionnelle.

M. Hervé de Charette a tout d'abord tenu à saluer la qualité de l'Ambassadeur de France en Israël avec lequel il avait eu l'occasion de traiter récemment dans le cadre de la mission d'information sur le rôle de l'Union européenne dans la solution du conflit au Proche-Orient.

Concernant les ventes d'armes à la Chine, il a demandé s'il était envisageable que la France lève l'embargo de façon unilatérale dans le cas où l'Union européenne le refuserait.

Il a ensuite souhaité obtenir des informations, d'une part, sur la visite à Paris du Prince héritier Abdallah Ben Abdel Aziz d'Arabie Saoudite et, d'autre part, sur la constitution du nouveau gouvernement libanais.

M. Michel Barnier a apporté les éléments de réponse suivants :

- le Président de la République a rappelé que les troupes françaises de l'opération Licorne étaient déployées en Côte d'Ivoire parce que l'ONU et l'Union africaine l'avaient demandé. Ces troupes ne resteront là que dans le cadre d'un mandat de l'ONU qui sera sans doute renouvelé le 4 mai prochain. Toutefois, l'appui français à ce processus est non seulement militaire, mais également politique et civil. Au-delà de l'aspect militaire, ce pays doit entrer dans une nouvelle étape de reconstruction civile et économique et il faut pour ce faire mobiliser l'Union européenne ;

- 8 332 Français sont revenus de Côte d'Ivoire dont 5 435, soit les deux tiers, par des vols affrétés et financés par le ministère des Affaires étrangères. Le total de l'opération de rapatriement s'est monté pour le ministère des Affaires étrangères à 5 millions d'euros, auxquels il faut ajouter la prise en charge interministérielle lors de l'accueil à Roissy, par les ministères des Finances, de l'Intérieur, de l'Action sociale et de l'Education nationale. Un fonds d'aides de 5 millions d'euros a été débloqué le 9 décembre 2004. A la suite des remarques précédemment formulées par M. Henri Sicre, le Ministre des Affaires étrangères a demandé que soit organisée une réunion interministérielle pour faire le point sur la situation ;

- l'image de la France n'est effectivement pas bonne en Israël et la France est mal comprise par l'opinion publique isréalienne. Même si l'image des autorités françaises s'est nettement améliorée, l'opinion retient les actes d'antisémitisme, de racisme et de xénophobie. La France lutte par la répression et l'éducation et, désormais, acte nous est donné de cette détermination ;

- cinq grandes écoles d'archéologie françaises existent, dont l'IFAO, qui relèvent de la tutelle du Ministère de l'Education nationale. Il est vrai que le précédent directeur de l'IFAO n'a pas été reconduit dans ses fonctions et qu'une polémique est née. Parmi les quatre candidatures enregistrées, le Ministre de l'Education doit proposer au Président de la République la nomination d'un nouveau directeur ;

- Il ne serait pas possible à la France de lever unilatéralement l'embargo sur les armes à destination de la Chine dans la mesure où nous sommes liés par une décision européenne en la matière ;

- il est prévu des élections au Togo le 24 avril prochain dans le cadre de la médiation de la CEDEAO, chargée d'en surveiller la régularité. Certains candidats ont demandé le report de la date du scrutin. A cet égard, il faut insister sur le fait que l'attitude de la France a consisté à soutenir l'africanisation des réponses apportées aux crises plutôt que d'être toujours présente en première ligne ;

- la France attache une grande importance aux relations avec l'Arabie Saoudite. Le dialogue avec ce pays est particulièrement fourni sur des sujets comme la Syrie, l'Irak, le Liban. Les relations économiques sont fortes dans la mesure où ce pays est notre deuxième fournisseur de pétrole après la Norvège. C'est un pays en transition, dont la société évolue, s'adapte lentement ;

- si les consultations pour la constitution d'un nouveau gouvernement libanais viennent d'être suspendues, la formation d'un gouvernement demeure néanmoins indispensable pour la tenue des élections législatives en temps voulu, en mai 2005, ou en tout cas avant l'été.

Après avoir remercié le Ministre des Affaires étrangères, le Président Edouard Balladur a souligné combien il était essentiel que la France et l'Europe manifestent leur volonté d'exister et d'être crédibles au Proche-Orient.

Il a ensuite informé que la Commission serait probablement prochainement saisie d'un texte relatif au soutien institutionnel à la paix au Proche-Orient déposé par le groupe socialiste en vue de son examen par l'Assemblée au cours de la séance d'initiative parlementaire du 10 mai 2005.

M. Jean Glavany a indiqué que cette initiative faisait suite à l'appel parlementaire lancé après la visite à l'Assemblée nationale de MM. Beilin et Rabbo, venus présenter l'initiative de Genève. Ce texte pourrait prendre la forme d'une proposition de loi ou d'une proposition de résolution.

_________

● Proche-Orient

● Côte d'Ivoire

● Chine

● Togo


© Assemblée nationale