COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 10 mai 2005
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Miguel Angel Moratinos, Ministre des Affaires étrangères du Royaume d'Espagne

- Limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes (n° 2154) - M. Guy Lengagne, rapporteur

- Nomination des rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2006

  
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Audition de M. Miguel Angel Moratinos, Ministre des Affaires étrangères du Royaume d'Espagne

Après avoir remercié M. Miguel Angel Moratinos, Ministre des Affaires étrangères du Royaume d'Espagne, d'avoir accepté l'invitation de la Commission des Affaires étrangères, le Président Edouard Balladur a souhaité savoir quel jugement celui-ci portait sur le rôle que l'Union européenne pouvait jouer dans la recherche d'une solution au conflit du Proche-Orient. Il a rappelé, à cet égard, que la mission d'information présidée par M. Hervé de Charette et dont le rapporteur était M. Christian Philip, avait formulé des propositions concrètes pour renforcer le poids de l'Union dans le processus de paix. Il a également demandé à M. Miguel Angel Moratinos quel regard il portait sur l'avenir du processus de Barcelone alors que la question des frontières de l'Union n'est pas résolue.

M. Miguel Angel Moratinos a estimé que les questions du conflit au Proche-Orient et de nos relations avec la rive sud de la Méditerranée étaient vitales pour l'Union européenne. Après avoir rappelé son expérience en qualité d'émissaire de l'Union au Proche-Orient, il a considéré que celle-ci avait des intérêts essentiels dans cette région en matière économique et financière, culturelle ou au plan de la sécurité.

On a pu constater dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix une succession de moments d'espoir et de déception. L'année 2000 était ensuite apparue comme s'ouvrant sous les meilleurs auspices avec l'élection de M. Ehud Barak comme Premier ministre d'Israël avec une large majorité, le soutien de l'Union européenne, l'accueil favorable des pays arabes et une relation personnelle avec le Président Bill Clinton. Malheureusement les attentes ont été alors déçues, les projets d'accord avec la Syrie et l'Autorité palestinienne ayant échoué. Se sont ouvertes alors les années noires du processus de paix.

Dans ce contexte difficile, l'Union européenne a néanmoins réussi à dégager une vision commune : pour elle, la résolution du conflit passe par la création de deux Etats et par une paix globale avec la Syrie et le Liban. Nous ne sommes plus dans la situation qui prévalait lors des deux dernières décennies au cours desquelles chaque Etat membre déployait sa propre politique. L'idée qui s'imposait en Europe alors était que seuls les Etats-Unis pouvaient conduire le mouvement, l'Union se contentant de mener une politique d'accompagnement. Aujourd'hui cet état d'esprit a disparu, mais au-delà de cette approche européenne commune, il reste à définir des actions concrètes sur le terrain. L'Union a déjà pu jouer un rôle actif au sein du Quartette. Elle doit désormais compter avec les perspectives qui se sont ouvertes récemment. Les dirigeants de l'Autorité palestinienne ont été renouvelés, son Président ayant su mener une transition difficile après la disparition de M. Yasser Arafat. L'Autorité palestinienne devra toutefois consolider son autorité et sa légitimité lors des prochaines élections législatives. En outre, la décision prise par le Premier ministre israélien d'organiser le retrait de Gaza amorce une dynamique qui, si elle est soutenue par tous les acteurs, peut aboutir à une paix définitive. La situation politique au Liban et en Syrie ne permet pas cependant aujourd'hui d'avoir une certitude bien établie sur l'issue de ce processus. Dans ce contexte, l'Union européenne doit jouer un rôle très actif.

L'Union est en mesure aujourd'hui de gagner en crédibilité, vis-à-vis des deux acteurs en présence. Sa capacité diplomatique est renforcée ; elle le sera plus encore avec la création d'un Ministre des Affaires étrangères de l'Union. Cette crédibilité se manifeste notamment par la participation de l'Union au Quartette. En outre, le vote unanime des vingt-cinq Etats membres, de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies avalisant l'avis rendu par la Cour internationale de justice à propos du Mur édifié par Israël, a marqué les esprits dans ce pays qui a compris le rôle potentiel qui pouvait être celui de l'Union. Pour asseoir sa position dans ce conflit, l'Europe doit aussi montrer sa capacité à garantir la survie de l'Autorité palestinienne et à soutenir la réforme des institutions palestiniennes, notamment par l'apport de moyens financiers. L'Union européenne dispose d'atouts pour s'affirmer. Elle est désormais, et ce pour la première fois, associée au règlement de la question de la sécurité dans les Territoires par le représentant des Etats-Unis dans la région, le général William Ward. L'Union européenne a également joué un rôle actif lors des élections présidentielles palestiniennes. Elle peut être tout aussi active à l'occasion du prochain scrutin législatif. Il appartiendra également à l'Union d'agir pour la reconstruction économique de Gaza, que ce soit en participant à la mise en place d'une voie de transit entre Gaza et la Cisjordanie ou de structures portuaires ou aéroportuaires. L'Union a, enfin, conçu une méthode - celle de la feuille de route - qui est désormais éprouvée et qui doit demeurer le seul vade-mecum pour apporter une solution définitive au conflit du Proche-Orient.

Des obstacles demeurent cependant à l'établissement du processus de paix : la question des réfugiés, le statut de Jérusalem, la sécurité, les implantations. Pour permettre de les surmonter à terme, tout l'effort de l'Union doit porter aujourd'hui sur le soutien au retrait de Gaza. En cas de succès, on aura démontré que le retrait israélien des Territoires peut être un élément de stabilité et de sécurité pour la société palestinienne. En outre, l'Union européenne aura prouvé qu'elle peut jouer un rôle pivot dans le processus de paix, sous tous ses aspects, économiques, sécuritaires ou institutionnels. L'Europe ne sera pas exclue de ce processus si elle s'investit avec efficacité en ayant une vision claire de l'objectif poursuivi : la création d'un Etat palestinien viable, stable et démocratique aux côtés d'Israël. Pour réussir, les Européens doivent avoir, avant tout, confiance en eux.

Après avoir remercié M. Miguel Angel Moratinos pour son exposé qui témoignait de la richesse de son expérience comme de son engagement personnel sur ce dossier, M. Hervé de Charette s'est inquiété d'un certain nombre de faits survenus depuis deux à trois mois dans le conflit israélo-palestinien qui viennent contrarier les espoirs qui se sont exprimés à la fin de 2004 et au début de 2005. Il a cité à cet égard, du côté israélien, la poursuite de la construction du Mur, la non-libération prévue de 400 prisonniers palestiniens, la décision de report mi-août du retrait de la bande de Gaza et l'impression d'impréparation qui prévalait sur ce dossier en Israël et, enfin, l'annonce de la construction de nouvelles implantations à la périphérie de Jérusalem ainsi que de l'établissement d'une université à Ariel ressenti comme une provocation ; du côté palestinien, il a évoqué la faiblesse de l'autorité palestinienne, mise en lumière par les élections municipales récentes, soulignant que la faiblesse des uns alimentait le scepticisme des autres. Au vu de ces constats, il a demandé au Ministre si la dynamique précédemment évoquée, qui ne pouvait reposer que sur la sincérité des deux parties, était toujours à l'œuvre aujourd'hui.

Abordant ensuite la question du retrait israélien de Gaza, dont il estimé qu'il s'agissait, à l'instar de ce qu'avait fait valoir M. Miguel Angel Moratinos, d'une question déterminante, il s'est demandé jusqu'où l'Union pourrait être intégrée au processus, que ce soit dans son volet de sécurité ou dans sa dimension économique et sociale. Il a notamment souhaité savoir comment serait assurée la sécurité de la frontière israélo-palestinienne et qui serait chargé de la garantir. Il s'est étonné enfin de la procédure de désignation unilatérale, par les Etats-Unis, de M. James Wolfensohn comme émissaire spécial du Quartette pour le retrait de Gaza et a jugé peu amicale cette démarche qui a mis les autorités des pays européens devant le fait accompli.

M. Richard Cazenave a interrogé M. Miguel Angel Moratinos sur l'organisation effective du retrait de Gaza et sur le rôle de l'Union européenne dans cette opération, se demandant notamment comment seraient traités, au-delà des questions de moyen terme relatives à l'aéroport ou au port, les problèmes de très court terme - sociaux, de sécurité - qui ne manqueraient pas de se poser dès le retrait israélien.

Soulignant que la volonté de voir l'Union européenne jouer un rôle actif dans le règlement du conflit isrélo-palestinien, aussi bien en terme de sécurité qu'en matière économique, diplomatique ou sociale, était, semble-t-il, partagée par tous les Etats membres, le Président Edouard Balladur s'est posé la question de la sincérité des autorités israéliennes. Il a évoqué à cet égard la décision, annoncée par le gouvernement israélien, de construire 3 500 logements en Cisjordanie - à l'égard de laquelle M. Shimon Pérès, Premier vice-Premier ministre d'Israël, qu'il avait rencontré récemment, lui avait marqué sa désapprobation - estimant que compenser l'évacuation de 8 000 colons de Gaza par la création de 3 500 logements en Cisjordanie revenait à empêcher de facto la création d'un Etat palestinien. Il a également fait valoir que, tant qu'Israël ne concevait pas sa sécurité comme subordonnée à la création d'un Etat palestinien viable, aux frontières claires, tous les efforts de la communauté internationale en vue de parvenir à un règlement du conflit israélo-palestinien étaient voués à l'échec.

Evoquant ensuite les propositions du rapport établi, pour la Commission, par la Mission d'information présidée par M. Hervé de Charrette, suggérant un rôle actif de l'Union européenne dans ce règlement, et notamment la tenue d'un Conseil européen consacré à ces questions d'ici à l'été, il a interrogé le Ministre des affaires étrangères sur la faisabilité de cette proposition. Soulignant enfin la nécessité de lier l'aide de l'Union européenne à Israël et à l'autorité palestinienne au respect par ces deux Parties des engagements qu'elles avaient contractés, il a demandé à M. Miguel Angel Moratinos s'il jugeait acceptable la concomitance entre le maintien de cette aide et la violation de leurs engagements par les deux parties au conflit qui en sont bénéficiaires. Il a fait observer que l'établissement d'une conditionnalité en la matière traduirait la volonté de l'Union d'être volontaire et efficace sur ce dossier.

Le Ministre des affaires étrangères du Royaume d'Espagne a apporté les éléments de réponse suivants :

- chacun souhaite que, dans le sillage de la rencontre de Sharm-el-Sheikh, les avancées soient rapides, tant la soif de paix est grande dans la communauté internationale. Le constat qui demeure reste celui d'une évolution de la situation, marquée par des avancées dans la bonne direction : il ne fait pas de doute que M. Ariel Sharon est décidé à mener à bien le retrait israélien de Gaza. Il faut donc apprécier les signaux qui troublent la mise en place du processus de paix au regard de la complexité de la vie politique israélienne et des stratégies de négociation à l'œuvre.

- l'Union européenne, comme les Etats-Unis, doivent être extrêmement vigilants et déployer toutes leurs capacités diplomatiques et politiques pour éviter que la poursuite du processus d'implantation de colonies israéliennes en Cisjordanie ne rendent, en pratique, impossible la conclusion d'un accord de paix définitif ; à cet égard, le précédent Ministre des affaires étrangères israélien, M. Shlomo Ben Ami, considérait également que la clé de l'avenir de la région résidait dans la cessation de cette politique d'implantation ; d'ores et déjà, durant le sommet de Tabah, les négociateurs avaient éprouvé des difficultés à tracer les limites territoriales du futur Etat palestinien sur la carte ; à l'évidence, si, en dépit d'une volonté réelle de faire la paix, la situation sur le terrain est inextricable, le règlement du conflit israélo-palestinien sera impossible ; par conséquent, les implantations israéliennes supplémentaires doivent être dénoncées par la communauté internationale, au contraire du laxisme qui a prévalu jusqu'alors, dès l'époque où M. Istzak Rabin était Premier Ministre ;

- afin de garantir l'arrêt du processus d'implantation de 3 500 logements en Cisjordanie, il faut établir un mécanisme de vigilance, à l'instar de celui qui existait dans la feuille de route en vue d'obliger les Parties à respecter leurs engagements ;

- conditionner l'aide de l'Union au respect de leurs obligations par les Parties est effectivement une mesure qui pourrait être mise en œuvre, même s'il faut garder à l'esprit le fait qu'il n'est pas toujours aisé de définir le stade à partir duquel la conditionnalité doit jouer, notamment pour des raisons humanitaires ;

- s'agissant du retrait de Gaza, un groupe de cinq experts travaillent, au comité politique et de sécurité de l'Union européenne, sur un plan examinant les actions à mettre en oeuvre dès le retrait israélien, en lien avec les services et les autorités égyptiens ; sont notamment examinées les mesures que l'Union européenne pourrait être appelée à mettre en œuvre en matière de déploiement d'observateurs, de conseillers, de forces de police ou encore, conformément à une proposition de la France et de l'Espagne, concernant l'implication de la politique européenne de sécurité et de défense ; l'objectif est de parvenir à l'établissement d'une présence européenne raisonnable, permettant de garantir la sécurité de Gaza ;

- en dehors des questions de sécurité, les enjeux principaux à Gaza concernent la mise en place de conditions de vie économiques et sociales radicalement différentes, qui mettent fin à la situation impossible dans laquelle vivent aujourd'hui les populations sur ce territoire qui, par sa densité, est un véritable étouffoir ; au-delà de sa dimension financière, la politique qui devra être mise en œuvre à Gaza doit donc permettre de développer les connexions entre Gaza et le monde extérieur ainsi qu'une économie ouverte ; c'est pourquoi les questions liées à l'ouverture du port et de l'aéroport sont essentielles ; il serait également souhaitable de créer un fonds social d'emploi, qui permettrait à la population palestinienne de bénéficier d'un système de sécurité sociale ;

- si la méthode qui a présidé à la désignation de M. James Wolfensohn n'était certainement pas la meilleure, les responsables européens ayant été informés une fois la décision entérinée, le point important reste que la personnalité et la grande expérience de l'intéressé en font un choix pertinent ; l'Union européenne s'emploie actuellement à ce qu'un Européen fasse partie de l'équipe mise en place autour de M. James Wolfensohn, l'essentiel en la matière étant de s'appuyer sur un expert ayant l'expérience irremplaçable du terrain.

- en écho aux propositions de la Commission, le prochain Conseil européen qui se tiendra au mois de juin va être l'occasion d'une déclaration sur le processus de paix israélo-palestinien ; il sera largement affirmé que, durant la période transitoire, les Palestiniens doivent s'engager à maintenir la trêve et faire cesser la violence, ainsi qu'à poursuivre le processus de réformes interne et que les Israéliens doivent s'engager à geler les implantations de colonies et la construction du Mur.

Le Président Edouard Balladur a rappelé toute l'estime dans laquelle il tenait M. Wolfensohn, dont la nomination comme représentant du Quartette pour le retrait de Gaza est une bonne chose. Il convient toutefois de respecter les procédures habituelles d'information et de consultation préalable à une telle désignation. Il a ensuite invité M. Miguel Angel Moratinos à aborder le deuxième thème de la réunion, le processus de Barcelone. Celui-ci conduira à poser la question de la forme que doivent prendre les accords entre l'Union européenne et ses voisins.

Après avoir reconnu que le processus euro-méditerranéen avait rencontré des aléas et engendré une certaine frustration, M. Miguel Angel Moratinos a indiqué que ce processus avait cependant su résister aux crises, sa pérennité démontrant la pertinence de l'initiative lancée il y a dix ans par la France et l'Espagne. Celles-ci souhaitaient engager un processus diplomatique multilatéral en faveur de la modernisation, de la réforme et de la sécurité de l'ensemble des Etats de la Méditerranée. L'Europe mène ainsi depuis une décennie un dialogue dont les Etats-Unis viennent seulement de mesurer la nécessité.

Ce processus, effectivement, n'a pas atteint tous les objectifs qu'il s'était fixés ; notamment, en ce qui concerne le domaine politique et celui de la sécurité, les partenaires ne sont pas parvenus à conclure la Charte euro-méditerranéenne de paix et de stabilité qui était prévue, essentiellement à cause de la persistance du conflit au Proche-Orient. Les perspectives de résolution de ce conflit devraient donner un nouvel élan à cette négociation. Malgré des avancées dans certains pays comme le Maroc, la Tunisie et le Liban, la consolidation de l'Etat de droit dans les pays méditerranéens est loin d'être achevée.

De même, la situation économique demeure très préoccupante, les disparités de croissance entre le Nord et le Sud s'étant encore accrues. Mais des progrès ont été réalisés grâce à la négociation d'accords d'association, à la conclusion de l'accord d'Agadir qui constitue un premier pas vers la mise en place d'une vaste zone de libre-échange, à l'aboutissement de réformes structurelles. Le programme MEDA s'est mis en place lentement et on peut regretter qu'il n'ait pas reposé sur un véritable partenariat à cause du comportement par trop bureaucratique de la Commission européenne. Les 4,5 milliards d'euros consacrés à ce fonds étaient adaptés aux besoins, mais les actions gagneraient à être mieux ciblées. La Banque européenne d'investissement (BEI) a joué un rôle important grâce à l'accroissement de ses ressources. Il convient maintenant dans une prochaine étape d'établir un pacte financier visant à définir plus précisément les besoins, les actions et projets et un financement.

Concernant le volet culturel, social et humain, l'immigration reste la principale préoccupation. Sans résoudre tous les problèmes, le processus de Barcelone a permis de lever certains tabous liés à ces questions et de faire accepter aux Etats du Sud des mécanismes de responsabilité conjointe. Pour l'avenir, la création à Alexandrie de la fondation Anna Lindh pour le dialogue des cultures permettra de mener des actions dans ce domaine.

Le dixième anniversaire du processus euro-méditerranéen sera célébré en novembre prochain à Barcelone. Il est nécessaire que ce sommet soit l'occasion de prendre une décision politique d'importance visant à reconnaître que tous les pays de la Méditerranée appartiennent à un espace géopolitique commun, qu'ils soient ou non membres de l'Union européenne. Des actions concrètes et spécifiques en matière politique et de sécurité devraient y contribuer. Elles supposent que l'Union européenne consacre une enveloppe financière suffisante au processus de Barcelone : dans le cadre de la négociation des perspectives financières, une enveloppe de 15 milliards d'euros est prévue pour l'ensemble de la politique de voisinage de l'Union ; il est important qu'une partie de cette somme soit consacrée aux pays du Sud de la Méditerranée. Au-delà des initiatives diplomatiques et de coopération, le processus doit devenir une réalité aux yeux de la société civile, ce qui passe par des initiatives dans le domaine culturel, et notamment dans celui de l'audiovisuel. Le processus de Barcelone doit parvenir à concilier réformes et sécurité dans le cadre d'un dialogue culturel.

M. Hervé de Charette a observé que les pays du sud de la Méditerranée, sans moins sensibles que nous ne le sommes au symbole que constitue l'appartenance à cette « mer commune », cherchent essentiellement à développer des accords bilatéraux, économiques, avec les pays voisins de l'autre rive en Europe. Par ailleurs, la société civile souhaiterait pouvoir s'exprimer dans un lieu qui lui soit propre comme, par exemple, un forum indépendant de toute organisation internationale existante. Le Ministre serait-il d'accord pour que le processus de Barcelone permette d'aboutir à la création d'un secrétariat politique ou d'un conseil des ministres ? Au-delà de la fondation Anna Lindh qui n'a pas encore donné de résultats concrets, le processus de Barcelone permettra-t-il de mettre en œuvre des projets multilatéraux qui donneraient de l'espoir aux peuples, par exemple dans les domaines universitaire ou de l'environnement s'agissant notamment de la question de l'eau ?

M. Henri Sicre a évoqué la célébration du dixième anniversaire du processus de Barcelone à la fin de l'année 2005 avant de regretter le ralentissement de sa mise en œuvre dû au conflit du Proche Orient et, aujourd'hui, à l'élargissement de l'Union européenne. Chaque élargissement de la Communauté européenne a donné lieu à l'expression d'inquiétudes, souvent infondées, comme par exemple à l'occasion de l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans l'Union. Il semblerait que la politique de nouveau voisinage, suivant l'expression de M. Romano Prodi, soit davantage destinée aux nouveaux voisins de l'Est de l'Europe qu'aux pays de la rive sud de la Méditerranée. Il serait souhaitable que la France et l'Espagne renforcent leur coopération en direction de ces pays et, en particulier dans les pays du Maghreb, jusqu'à la Libye et l'Egypte, si le conflit du Proche Orient empêche un processus vraiment commun à l'ensemble de la zone. L'union du monde arabe n'étant pas réalisée et des conflits persistant entre le Maroc et l'Algérie, le « dialogue  5+5 » entre les pays de l'Europe du sud et ceux de la Méditerranée occidentale devrait être relancé sous une forme nouvelle pour faire de la Méditerranée un « pont de mer bleue ».

M. Miguel Angel Moratinos a regretté que, au cours de la conférence qui s'est tenue à Tunis, les Etats du Sud aient encore privilégié le dialogue bilatéral entre chacun d'entre eux et l'Union, au détriment d'une réflexion plus globale sur les relations entre l'ensemble des Etats du Sud de la Méditerranée et l'Europe. Ces pays ont tendance à se plaindre un peu égoïstement du traitement qui leur est réservé sans dépasser leur intérêt immédiat. Il revient à la France et à l'Espagne de faire un pari stratégique en faveur du Sud de la Méditerranée, sans quoi les actions de coopération seront dépourvues de réelle efficacité.

La mise en place par l'Union européenne de sa nouvelle politique de voisinage pose la question de son articulation avec le processus de Barcelone, dont la logique est différente. La nouvelle politique de voisinage repose sur la négociation d'un plan d'action pour chaque Etat partenaire alors que le processus euro-méditerranéen se veut global. La négociation entre chaque Etat et l'Union européenne permettra à certains d'entre eux, comme le Maroc et Israël, d'obtenir le véritable partenariat privilégié qu'ils appellent de leurs vœux. Mais le cadre multilatéral du processus de Barcelone doit être maintenu et viser la reconnaissance de principes communs dont la mise en œuvre pourra être adaptée dans chaque plan d'action.

Si le renforcement institutionnel du processus euro-méditerranéen est perçu comme indispensable par la France, l'Espagne et la Grèce, la Commission européenne y est réticente. Pourtant, le fait que toutes les initiatives soient traitées à Bruxelles est une source de blocage et nuit à la responsabilisation des Etats partenaires. La création d'institutions propres à Euromed serait propice à l'accélération des procédures.

La fondation Anna Lindh n'existant que depuis le mois d'avril dernier, il est encore trop tôt pour porter une appréciation sur les actions qu'elle entend développer. Mais il est vrai que des projets bien identifiés et bien définis doivent être favorisés. Le premier pourrait viser la mise en place d'une version méditerranéenne du programme d'échange universitaire Erasmus ; d'autres pourraient consister en des actions dans le domaine de l'environnement, qu'il s'agisse de la question fondamentale de l'eau ou de l'établissement d'un mécanisme de prévention des tsunamis en Méditerranée, comme l'a proposé M. Michel Barnier.

Par ailleurs, M. Miguel Angel Moratinos, alors qu'on annonçait que la France allait être noyée sous les produits agricoles espagnols, s'est félicité de ce que les échanges entre la France et l'Espagne atteignent désormais 59 milliards d'euros par an et a précisé que la France exportait plus de produits agricoles vers l'Espagne que cette dernière n'en exporte vers la France. Les craintes formulées lors de l'entrée de l'Espagne dans l'Union n'étaient pas plus pertinentes que certaines de celles qui s'expriment aujourd'hui dans le cadre du débat sur la constitution européenne.

Après avoir traversé une phase de sommeil, le « dialogue 5 + 5 » est redevenu dynamique et devrait prochainement aboutir à la réalisation de deux projets importants : le premier vise à améliorer le contrôle des frontières Sud du Maghreb afin de limiter les flux migratoires qui transitent par cette région, le second devrait permettre de transposer aux réseaux de communication internes au Maghreb les méthodes de suivi et de responsabilisation des Etats appliquées dans le cadre de la politique régionale européenne.

Chaque Parlement national peut contribuer au renforcement de la coopération euro-méditerranéenne. Il pourrait être intéressant, par exemple, que les commissions des affaires étrangères des assemblées nationales française et espagnole effectuent une mission conjointe au Maghreb afin de déterminer dans quels domaines prioritaires des actions devraient être menées.

Le Président Edouard Balladur a jugé cette idée excellente et s'est dit prêt à la soumettre au Bureau de la Commission. En ce qui concerne la formalisation des relations entre l'Union européenne et ses voisins, le Traité constitutionnel ouvre la possibilité de relations privilégiées. Reste à savoir si l'Union doit proposer à ses voisins un statut unique ou si la diversité des situations des Etats partenaires se reflétera dans l'adoption de différents statuts adaptés à condition cependant que cette diversité ne soit pas synonyme de désordre.

Limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Guy Lengagne, le projet de loi n° 2154 autorisant l'adhésion au protocole modifiant la convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes.

M. Guy Lengagne, Rapporteur, a indiqué que la Commission était saisie d'un projet de loi autorisant l'adhésion de la France au protocole modifiant la convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes. Ce protocole a été adopté dans le cadre de l'Organisation maritime internationale (OMI), afin de modifier le barème fixant les plafonds d'indemnisation en cas de sinistre d'un navire.

Créée à l'initiative des Nations Unies, l'OMI est la première institution internationale qui ait été chargée d'élaborer des règles visant à améliorer la sécurité en mer. Signée en 1948, la convention créant cette organisation internationale est entrée en vigueur en 1959. Entre temps, la question de la pollution marine est devenue un sujet de préoccupation de premier plan pour la communauté internationale. Aussi, l'OMI s'est également saisie de cette question en élaborant plusieurs instruments internationaux dont elle est aujourd'hui dépositaire.

L'OMI est la seule institution spécialisée des Nations Unies dont le siège se trouve au Royaume Uni. L'Organisation comporte actuellement 164 Etats membres et deux Etats associés. Tous les Gouvernements des Etats membres participent aux travaux de l'Organisation sur un pied d'égalité selon le principe onusien : « un pays, une voix ». On doit observer que des Etats disposant d'une flotte importante comme la Grèce, Chypre ou Malte sont particulièrement actifs dans cette instance, ce qui explique que certains textes soient difficiles à faire adopter par l'OMI.

L'OMI est organisée en comités et sous comités spécialisés. Le plus ancien de ces comités est celui en charge de la sécurité maritime. A la suite du naufrage du Torey Canyon en 1967, un comité juridique a été constitué afin de traiter les problèmes de droit soulevés par les sinistres majeurs. L'Assemblée de l'Organisation a également créé en novembre 1973 un comité de la protection du milieu marin, plus spécifiquement chargé de la prévention des pollutions marines. Enfin, l'Organisation comporte deux autres comités : l'un chargé de la coopération technique au profit des pays en voie de développement ; l'autre chargé de la simplification des formalités.

A ce jour, l'OMI, qui dispose d'un Secrétariat composé d'environ trois cents fonctionnaires internationaux, a adopté une quarantaine de conventions et de protocoles et plus de huit cents recueils de règles. Parmi celles-ci on peut citer les conventions instituant le FIPOL et la convention dite MARPOL sur la lutte contre les pollutions du milieu marin. L'OMI a également adopté des conventions sur les navires de pêche et sur la formation des gens de mer. Elle n'est, en revanche, pas compétente pour les questions de droit du travail en mer, qui relèvent de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Le protocole dont l'Assemblée nationale est saisie modifie la convention du 19 novembre 1976, dont l'objet est de faciliter le règlement des litiges en matière de commerce maritime. Pour ce faire, la convention a apporté une définition internationale du patrimoine sur lequel les créanciers du propriétaire d'un navire impliqué dans un sinistre sont susceptibles de se faire payer.

Auparavant, la loi maritime reconnaissait au propriétaire d'un navire le droit de l'abandonner purement et simplement à ses créanciers. Les nouveaux instruments juridiques internationaux ont institué une limitation de la responsabilité à l'égard des créanciers en mettant en place des fonds constitués de dépôts de contreparties monétaires.

La convention de 1976 fixe les modalités de calcul du fonds de limitation de responsabilité en distinguant trois types de créances : celles pour mort ou lésions corporelles des personnes dont l'activité est liée à celle du navire ;  celles pour les dommages aux biens ou tout préjudice relatif à l'exploitation du navire ; les créances pour mort ou lésions corporelles des passagers. Le texte définit pour chaque type de créance un barème de calcul variant en fonction de la jauge du navire ou du nombre de passagers. La convention exclut du régime de la limitation de responsabilité les cas de faute inexcusable ou intentionnelle du propriétaire du navire.

La convention de 1976 exclut aussi certaines créances de son champ d'application. Il s'agit de celles relevant de régimes particuliers, comme en matière de pollution due aux hydrocarbures (régime FIPOL) ou de dommages nucléaires. Les créances de ceux qui portent assistance aux navires ou qui sont créanciers au titre d'un contrat de travail à bord relèvent également de régimes particuliers.

En 1996, l'OMI a proposé le présent protocole qui procède à un réaménagement des tranches du barème de calcul en relevant substantiellement les limites existantes et aligne les montants relatifs aux créances pour mort ou pour lésions corporelles sur ceux définis par la convention d'Athènes de 1974 sur le transport par mer des passagers et de leurs bagages. Toutefois, ce protocole n'est entré en vigueur qu'en 2004. Entre temps, le naufrage du chimiquier italien Ievoli Sun, survenu en octobre 2000, a montré par les faits que le système instauré par la convention de 1976 était à bout de souffle : les plafonds en vigueur n'ont, en effet, pas permis en 2000 au fonds de limitation de responsabilité d'assurer son rôle d'équivalent monétaire.

En incise, pour illustrer les effets néfastes des lenteurs observées dans l'adoption de dispositions internationales protectrices de l'espace maritime, on peut citer les propositions que la Commission européenne avait faites après le naufrage de l'Erika en 1999. Elles n'ont pas abouti en temps voulu ce qui aurait permis pourtant d'éviter de nouvelles catastrophes comme celle du Prestige en 2002.

Le protocole qui nous est soumis introduit, en outre, parmi les créances non soumises à limitation, les indemnités dues au titre de la convention internationale du 28 avril 1989 sur l'assistance. Celle-ci prévoit, en effet, en son article 14, une exception au principe du droit maritime « no cure, no pay » qui veut qu'un assistant ayant échoué dans son opération de sauvetage ne peut réclamer d'indemnisation. Cette exception joue lorsque l'intervention de l'assistant a permis d'éviter ou de diminuer un dommage à l'environnement. L'assistant peut alors obtenir du propriétaire une rémunération couvrant au moins les frais qu'il a engagés dans l'opération de sauvetage ; cette somme peut être majorée de 100 % sur décision de l'autorité judiciaire compétente.

Enfin, le protocole instaure une procédure de révision simplifiée, afin d'éviter la convocation périodique de conférences internationales pour réviser le montant des plafonds.

Le protocole de 1996 est en vigueur depuis le 13 mai 2004 et il est souhaitable que la France, qui compte parmi les grands pays maritimes du monde et joue un rôle pivot au sein de l'Organisation maritime internationale, puisse approuver rapidement cet instrument international de nature à améliorer le régime de la responsabilité des propriétaires de navires.

On peut regretter le délai que notre pays a mis avant d'engager le processus de ratification de ce protocole. A cet égard, le Rapporteur a indiqué qu'à l'occasion de la dernière session de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, il avait proposé un amendement enjoignant aux Etats qui n'avaient pas ratifié plusieurs conventions internationales destinées à protéger l'espace maritime, notamment celles adoptées par l'OMI en mai 1996, de le faire ; parmi ces pays figure malheureusement la France. Il serait par conséquent souhaitable que la Commission des Affaires étrangères demande au Gouvernement de dresser la liste des conventions internationales relatives à la protection de l'espace maritime qui demeurent en attente de ratification aujourd'hui.

En conclusion, le Rapporteur a proposé d'adopter le projet de loi, sous réserve que soient votés deux amendements de coordination permettant d'adapter la législation française en vigueur au nouvel instrument adopté par l'OMI.

Après que M. Hervé de Charette eut souhaité que soit demandé au Gouvernement d'établir la liste de toutes les conventions internationales en attente de ratification, le Président Edouard Balladur s'est déclaré favorable à cette proposition.

La Commission est passée ensuite à l'examen des articles.

Article unique : Autorisation de l'adhésion de la France au protocole modifiant la convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article additionnel : Modification de la législation relative à la responsabilité du transporteur maritime et du propriétaire du navire

La Commission a adopté l'amendement du Rapporteur portant article additionnel visant à introduire la référence au protocole de 1996 dans deux dispositions législatives - l'article 40 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966 sur les contrats d'affrètement et de transport maritimes et l'article 61 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer - qui mentionnent actuellement le barème contenu dans la convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, barème que le protocole de 1996 modifie.

Titre du projet de loi

La Commission a adopté un amendement de coordination du Rapporteur modifiant le titre du projet de loi.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2154) ainsi modifié.

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Rapporteurs pour avis pour le projet de loi de finances pour 2006

Ont été nommés, mardi 10 mai 2005, les rapporteurs pour avis pour le projet de loi de finances pour 2006 :

· Première partie du projet de loi de finances

(article relatif à l'évaluation du prélèvement communautaire)

- Affaires européennes M. Roland Blum

· Deuxième partie du projet de loi de finances

A. Dépenses civiles

- Action extérieure de l'Etat M. Richard Cazenave

- Rayonnement culturel

et scientifique M. François Rochebloine

- Aide publique au développement M. Jacques Godfrain

- Développement des entreprises M. Jean-Paul Bacquet

- Ecologie et développement durable M. Jean-Jacques Guillet

B. Dépenses militaires

- Défense - environnement et prospective
de la politique de la défense M. Paul Quilès

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● Espagne

● Union européenne

● Proche-Orient

● Créances maritimes

● PLF 2006


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