COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 2

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 4 octobre 2005
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hamid Karzaï, Président de la République islamique d'Afghanistan

  
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Audition de M. Hamid Karzaï, Président de la République islamique d'Afghanistan

Le Président Edouard Balladur a souhaité la bienvenue à M. Hamid Karzaï, premier Président élu de l'histoire de d'Afghanistan, et l'a remercié de l'honneur qu'il fait à la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale en acceptant de venir s'exprimer devant elle.

Les liens entre l'Afghanistan et la France sont nombreux et portent sur des domaines variés qui concernent la sécurité, le domaine de la santé, l'archéologie, ou la formation de l'administration. La présence française, qu'il s'agisse de forces militaires ou d'initiatives privées, témoigne de l'intérêt et du soutien que la France souhaite apporter à la reconstruction et au développement du pays.

L'histoire de l'Afghanistan témoigne que celui-ci s'est construit sur des solidarités extrêmement fortes, véritables réseaux de loyauté tissés entre les clans mais aussi les tribus et les familles. Ces liens demeurent très forts au sein de la société afghane et les vingt-cinq dernières années ont par ailleurs favorisé, dans le nord du pays, la constitution d'entités régionales.

Aujourd'hui il revient au pouvoir central de réaffirmer et d'étendre à l'ensemble du territoire son autorité et sa légitimité, afin de construire un Etat de droit. C'est pourquoi la Commission a souhaité entendre l'analyse du Président Hamid Karzaï sur la façon dont il envisage les relations futures entre l'Etat central avec ces entités régionales et avec les représentants des différentes grandes tribus qui composent l'Afghanistan.

Pour connaître le développement et la prospérité, l'Afghanistan a besoin non seulement de cohésion sociale, mais également de stabilité, ce qui pose le problème de sa sécurité. La menace représentée par les talibans est malheureusement loin d'avoir disparu. Rappelant que le Président Hamid Karzaï avait pris la décision courageuse de réintégrer dans les rouages de la société afghane des éléments modérés de cette mouvance, estimant qu'il s'agissait d'« un processus de guérison pour l'Afghanistan », le Président Edouard Balladur a estimé qu'il serait intéressant de connaître l'appréciation du président élu sur la situation présente des talibans, dans son pays comme au Pakistan, et sur le bilan de la lutte engagée pour combattre les réseaux du terrorisme international.

Il a indiqué que la Commission aimerait également savoir sur quelles priorités l'Afghanistan entendait fonder ses relations bilatérales avec le Pakistan, relations que l'on sait difficiles, mais aussi avec l'Iran.

Enfin, le Président Edouard Balladur a rappelé que, pour l'aider dans sa reconstruction, l'Afghanistan bénéficiait actuellement de la présence de forces internationales et de différents mécanismes d'aide au développement. Sans rouvrir le débat relatif à un éventuel commandement unique pour les deux opérations, celle du maintien de la paix - actuellement sous la bannière de l'OTAN - et celle de la lutte antiterroriste menée par les Etats-Unis, on peut observer que les autorités afghanes elles-mêmes considèrent cette présence militaire internationale comme appelée à durer. Cela pose la question, à moyen et plus long terme, de la conciliation de cette présence avec le respect de l'indépendance et de la souveraineté afghanes, auxquelles la population de l'Afghanistan est très fortement attachée.

M. Hamid Karzaï, Président de la République islamique d'Afghanistan, s'est déclaré très heureux et honoré de l'invitation qui lui a été faite, et a remercié, au nom du peuple afghan, tous les pays, en particulier la France, qui ont apporté leur aide à la restauration de la paix et à la reconstruction de son pays.

Le processus de Bonn, entamé il y a trois ans, a débouché voici quelques jours sur l'élection du Parlement afghan, après la tenue de deux Loya Jirga dont le dernier qui a permis l'adoption de la Constitution, la plus avancée de toute la région. En dépit des menaces terroristes, trois Afghans sur quatre ont participé aux élections législatives, auxquelles se sont présentés des candidats de toutes tendances, y compris d'anciens talibans ou d'anciens membres du parti communiste, ainsi que de nombreuses femmes, dont certaines sont d'ailleurs arrivées en tête de tous les candidats de leur circonscription.

Le peuple afghan est, au lendemain des élections, plus confiant dans son avenir, et le travail accompli depuis trois ans grâce à l'aide de nombreux pays étrangers a permis de faire de l'Afghanistan un pays en voie d'apaisement. Les problèmes n'ont pas disparu pour autant : le pouvoir judiciaire reste très faible, la culture du pavot demeure répandue, le terrorisme est encore présent, les revenus de l'économie afghane ne couvrent que la moitié des besoins du pays, et l'Etat ne dispose pas encore d'une force militaire ni d'une police suffisamment puissantes, faute des ressources nécessaires à leur entretien. L'Afghanistan n'est qu'au début de son long voyage vers la démocratie et la liberté, mais l'aide que lui apportent de nombreux pays étrangers, dont la France, devrait lui permettre d'arriver à bon port, d'améliorer le bien-être du peuple afghan.

Depuis la chute de l'ancien régime, des milliers de jeunes talibans se sont réfugiés à l'extérieur du pays. Le nouveau gouvernement afghan a voulu éviter qu'ils rejoignent des armées extérieures, susceptibles de combattre l'armée nationale ; c'est pourquoi il a engagé, voici un an et demi, un processus de paix qui a permis à un certain nombre d'entre eux, ainsi que d'anciens dirigeants talibans modérés, de rentrer en Afghanistan afin de le servir d'une autre façon. Ceux qui, en revanche, continuent de coopérer avec le terrorisme international, seront poursuivis et, si possible, capturés et remis à la justice.

Les relations de l'Afghanistan avec l'Iran n'ont cessé de s'améliorer au cours des trois dernières années, et il y a tout lieu d'espérer qu'elles continueront de le faire. Quant au Pakistan, les autorités afghanes sont reconnaissantes à son peuple d'avoir accueilli, durant la dictature des talibans, des milliers de réfugiés afghans. Les échanges économiques entre les deux pays sont très importants, et bénéfiques aux deux parties, comme c'est aussi le cas avec l'Iran, l'Inde ou la Chine.

L'amélioration de la situation économique est un enjeu crucial pour la stabilité du pays. Il y a trois ans, toutes les écoles étaient fermées ; aujourd'hui, plus de six millions d'enfants, garçons et filles, sont scolarisés. Il y a trois ans, moins de 7 % de la population avait accès aux soins ; aujourd'hui, les besoins sont couverts à plus de 70 %. Le taux de croissance actuel de l'économie est compris entre 11 et 13 %, mais l'aide internationale reste vitale pour l'amélioration du bien-être de la population.

S'agissant de l'aide militaire internationale, la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) est surtout présente à Kaboul et aux environs. L'Afghanistan accueille également des forces de l'OTAN et d'autres pays, telle l'Australie, qui participent, dans les différentes provinces, à la reconstruction du pays et à la lutte contre le terrorisme. Certains préconisent le regroupement de l'ensemble de ces forces sous une autorité unique, qui pourrait être celle de l'OTAN ; d'autres sont d'un avis différent. En vérité, la question n'est pas tant celle-là que celle de l'efficacité de la lutte contre le terrorisme et celle de la stabilité du pays.

M. Roland Blum a remercié le président Hamid Karzaï de son exposé et lui a demandé s'il existait un plan pour l'éradication de la culture du pavot.

M. Hamid Karzaï, Président de la République islamique d'Afghanistan, a répondu que la culture du pavot s'est surtout développée en Afghanistan au cours des trente dernières années, car à cette époque où aucune famille afghane n'était assurée de son avenir, des milliers d'entre elles ont sacrifié les cultures traditionnelles, comme celle de la grenade ou de la vigne, au profit de celle, plus rapidement lucrative, du pavot. La culture de cette plante narcotique est une calamité pour l'Afghanistan et pour son image dans le monde. Aussi doit-on se féliciter que la production ait baissé de 21 % cette année, grâce à l'arrachage de 27 000 hectares ; si la stabilité politique du pays se confirme, il est permis, pour peu que l'on prenne le problème au sérieux, que l'on arrête les trafiquants et que l'on détruise les laboratoires, d'espérer éradiquer la culture du pavot d'ici dix ans.

M. Axel Poniatowski a demandé au Président Hamid Karzaï son appréciation sur l'état des forces armées afghanes et leur capacité à assurer la sécurité du pays, ainsi que sur l'identité de la principale menace qui pèse sur son pays.

Le Président Hamid Karzaï a rappelé que l'Afghanistan a commencé il y a deux ans à reconstruire son armée, laquelle compte actuellement 30 000 hommes, quand il en faudrait plus de 70 000 pour assurer efficacement la sécurité du pays. L'Etat afghan bénéficie d'une aide annuelle d'un milliard de dollars pour mettre sur pied une armée et une police nationales, mais ce qui compte n'est pas tant l'effectif des troupes que leur efficacité ; or cette efficacité repose en grande partie sur celle de l'encadrement, et cet encadrement a un coût, que l'Etat ne peut payer que si l'économie est florissante.

La plus grande menace qui pèse sur l'Afghanistan, comme d'ailleurs sur le monde en général, est le terrorisme, auquel s'ajoute, pour l'Afghanistan, ce fléau spécifique qu'est la culture du pavot.

M. François Loncle a souhaité connaître le sentiment du Président Hamid Karzaï sur le dossier du nucléaire iranien et sur les efforts déployés par la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni pour convaincre l'Iran de renoncer au nucléaire militaire.

Complétant la question de l'orateur, le Président Edouard Balladur a demandé si les trois pays cités avaient une chance, selon le Président Hamid Karzaï, de parvenir à leurs fins.

Le Président Hamid Karzaï a souligné que le peuple iranien est, comme le peuple français, un peuple très ancien, qui aspire à des relations pacifiques avec le reste du monde, et a émis l'hypothèse selon laquelle la maîtrise de la technologie nucléaire constituerait pour l'Iran un motif et un symbole de fierté nationale. S'agissant du dialogue que trois Etats européens, dont la France, se sont efforcés d'engager avec ce pays, il semble qu'il ait donné quelques résultats, bénéfiques pour les deux parties. Le souhait de l'Afghanistan est que les problèmes qui se posent au niveau régional n'entraînent pas de bouleversement des équilibres internationaux.

M. Jean-Louis Bianco a indiqué qu'il avait eu la chance de se rendre en Afghanistan, voici deux ans, avec une délégation d'élus locaux, et de pouvoir ainsi mesurer l'immense chemin accompli en très peu de temps par ce pays, confronté aux pires difficultés. Il a demandé au Président Hamid Karzaï s'il s'attend, pour les deux à trois ans à venir, à ce que la pression terroriste sur l'Afghanistan baisse d'intensité ou, au contraire, se maintienne, voire s'aggrave, et quelles sont ses priorités à court terme pour son pays.

Le Président Hamid Karzaï a souhaité à l'orateur de pouvoir revenir bientôt en Afghanistan, afin d'y constater les progrès encore plus grands accomplis depuis sa dernière visite. Il a souligné que la lutte contre le terrorisme international est loin d'être achevée : le terrorisme est, pour l'Afghanistan comme pour tous les pays du monde, le pire des ennemis, et le devoir des démocraties est de couper ses racines où qu'elles soient, car elles seules sont susceptibles, avec le soutien du peuple lui-même, de lui faire barrage. Le gouvernement afghan ne relâchera pas ses efforts en ce sens, car il entend consolider la paix, l'indépendance du pays, la démocratie, le bien-être de la population, et aspire à la constitution, à terme, d'une union régionale où l'on puisse, comme en Europe, voyager sans visa et vivre en sécurité et en paix avec ses voisins.

Revenant sur les relations afghano-iraniennes, M. Hervé de Charette s'est enquis de la présence éventuelle de réfugiés talibans en Iran, de la sécurité de la frontière entre les deux pays, du niveau des relations diplomatiques, de la fréquence des visites réciproques de chefs d'Etat ou de délégations ministérielles, ainsi que de l'intensité des échanges économiques, commerciaux et culturels.

Le Président Hamid Karzaï a insisté sur l'amélioration, constante depuis trois ans, de son pays avec l'Iran. Le volume des échanges commerciaux est passé de 10 ou 20 millions de dollars à quelque 350 millions, et la participation iranienne à la reconstruction de l'Afghanistan est notable. S'agissant des relations d'Etat à Etat, lui-même s'est rendu trois fois en Iran, a entretenu d'excellentes relations avec l'ancien Président Mohammed Khatami et l'a d'ailleurs reçu en visite officielle. Il a également été le premier chef d'Etat à féliciter son successeur Mahmoud Ahmadinejad pour son élection. Les visites de délégations officielles sont nombreuses dans un sens et dans l'autre, ainsi que les foires-expositions de produits industriels.

Aucun signe ne permet de conclure à la présence de réfugiés talibans en Iran, la frontière entre les deux pays est sous contrôle, et la seule préoccupation a trait au passage clandestin de trafiquants d'opium.

M. Jacques Myard a salué le courage du Président Hamid Karzaï et, après avoir rappelé que l'Afghanistan était, il y a quarante ans, le pays du monde musulman le plus avancé en ce qui concerne le statut de la femme, il lui a demandé quel cheminement intellectuel et spirituel avait conduit à l'arrivée au pouvoir des talibans et comment, inversement, on pouvait espérer reconquérir ceux qui se sont laissé séduire et convaincre par eux.

Le Président Hamid Karzaï a reconnu que la situation des femmes en Afghanistan était incomparablement meilleure il y a trente ans qu'aujourd'hui, et que c'était la guerre, non l'Islam, qui avait été fatale aux droits de l'homme en général et à ceux des femmes en particulier. Les choses s'améliorent cependant, ne serait-ce que parce que les jeunes filles accèdent désormais à l'éducation et à la connaissance de leurs droits.

M. Jean-Yves Hugon a interrogé le Président Hamid Karzaï sur le port de la burqa par les femmes afghanes, qui choque d'autant plus les Français qu'il s'agit bien souvent de la seule image que les médias leur offrent de l'Afghanistan. Il lui a également demandé si, à son avis, Oussama Ben Laden était toujours en vie et, dans l'affirmative, où celui-ci pouvait se trouver.

Le Président Hamid Karzaï a souligné que le port du tchador, qui est une caractéristique culturelle de l'Afghanistan depuis trois ou quatre siècles, n'est pas un héritage de l'Islam, mais de la civilisation indienne. Ce vêtement, qui est devenu la burqa, s'est répandu, par la force de la coutume et non de la loi, dans toutes les familles afghanes et dans toutes les couches sociales. Aujourd'hui, les femmes éduquées commencent à nouveau à le retirer, et le souhait du gouvernement afghan est qu'il disparaisse progressivement, mais le processus prendra du temps.

Quant à Oussama Ben Laden, les autorités afghanes ne savent naturellement pas où il se trouve, et n'ont qu'un seul désir : qu'il soit capturé et jugé.

Le Président Edouard Balladur a demandé au Président Hamid Karzaï si l'aide que son pays reçoit du FMI et de la Banque mondiale lui paraît suffisante pour financer l'éradication de la culture du pavot au profit de cultures traditionnelles permettant d'assurer aux agriculteurs un niveau de vie satisfaisant. Il l'a également interrogé sur les relations culturelles franco-afghanes, qui sont anciennes, notamment dans les domaines de l'enseignement et de l'archéologie : partage-t-il le sentiment que la place de la culture française se réduit en Afghanistan, et si oui, quels moyens souhaite-t-il voir consacrés à son maintien ?

Le Président Hamid Karzaï a répondu que l'aide internationale a permis, au cours des trois dernières années, la reconstruction pacifique de l'Afghanistan : celui-ci ne peut donc qu'en être reconnaissant à la communauté internationale, de même qu'il ne pourrait que se réjouir d'un accroissement de cette aide. Les moyens dévolus à l'éradication du pavot sont loin d'être suffisants ; le FMI et la Banque mondiale y contribuent de façon importante, mais il y faudrait une implication plus forte et plus concertée de l'ensemble des pays donateurs.

Les relations culturelles franco-afghanes sont, c'est vrai, très anciennes, et les élites afghanes étaient autrefois éduquées en français, voire en France. Aujourd'hui encore, les meilleures écoles du pays restent les deux écoles françaises de Kaboul, qui ont rouvert leurs portes en 2002. Le souhait des autorités afghanes est que les relations entre les deux pays se renforcent, et que la place de la langue française soit au même niveau que celle des autres langues étrangères parlées en Afghanistan.

Le Président Edouard Balladur a remercié le Président Hamid Karzaï d'avoir consacré une partie du temps de sa visite en France à rencontrer la représentation nationale et d'avoir apporté aux questions des parlementaires des réponses qui ont suscité un très grand intérêt, à la mesure de celui qu'ils portent à l'Afghanistan.

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