COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 octobre 2005
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères

- Informations relatives à la Commission

  

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Audition de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères

Le Président Edouard Balladur a accueilli le Ministre des Affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères, a souhaité évoquer quatre sujets d'actualité : l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie à l'Union européenne, les résultats du sommet de l'ONU, la Côte d'Ivoire et l'état de nos relations avec le Maghreb.

Conformément aux engagements pris, l'Union européenne a décidé d'ouvrir le 3 octobre 2005 les négociations d'adhésion avec la Turquie qui a respecté de son côté les conditions posées par le Conseil européen des 16 et 17 décembre 2004. Il s'agit là du début d'un processus, qui s'annonce long et sans doute difficile. Le « cadre de négociation » qui définit les principes selon lesquels seront menées les discussions avec la Turquie stipule bien, comme le souhaitait la France, que le résultat de la négociation n'est pas fixé par avance. Cet élément-clé, décidé par le Conseil européen de décembre 2004, a été clairement réaffirmé.

Le Ministre a ainsi rappelé, en premier lieu, que les négociations sont régies par le principe de l'unanimité, ce qui veut dire qu'à tout moment un Etat membre peut décider d'interrompre le processus. D'autre part, l'Union européenne a fixé des conditions précises à la Turquie pour l'ouverture et la clôture des négociations, chapitre par chapitre. La France attend de la Turquie qu'elle remplisse ses engagements et qu'elle se conforme pleinement aux lois et aux valeurs de l'Union. Celle-ci mettra en place une procédure de suivi très attentif et pourra décider de suspendre les négociations en cas de violation grave des droits de l'homme ou des libertés fondamentales. Par ailleurs, la France a insisté, et restera très vigilante, sur la reconnaissance par la Turquie de la République de Chypre. C'est d'ailleurs à la demande de la France que l'Union a adopté le 21 septembre 2005 une déclaration soulignant que cette reconnaissance fait partie intégrante du processus de négociation. La Turquie devra ainsi supprimer toute discrimination à l'égard de Chypre, en particulier dans la mise en œuvre de l'union douanière ; les avions et navires chypriotes devront avoir libre accès aux ports et aéroports turcs. Une clause de rendez-vous spécifique est prévue en 2006 pour évaluer les progrès sur cette question. Enfin, troisième élément très important, il sera tenu compte aussi de la capacité de l'Union à accueillir ou non un nouveau membre. Ce critère fondamental - la capacité d'absorption - a été souhaité par la France et approuvé par les vingt-cinq Etats membres. Il donnera lieu à une évaluation tout au long des négociations et sera déterminant dans les décisions de l'Union européenne.

S'il s'avère à terme que l'adhésion de la Turquie ne peut pas être envisagée, il reviendra à l'Union européenne de définir la manière dont la Turquie pourra être reliée à l'Union par le « lien le plus fort possible ». C'est au sujet de la formulation de cette solution alternative que les discussions ont été les plus longues, le 3 octobre dernier. Le processus reste donc complètement ouvert sur ce point.

Le Président Edouard Balladur a demandé au Ministre de confirmer aux membres de la Commission que la mention de l'établissement d'un « lien le plus fort possible » entre l'Union et la Turquie en cas d'échec du processus d'adhésion à l'Union apparaissait bien dans le « cadre de négociation » établi par le Conseil.

M. Philippe Douste-Blazy a confirmé ce fait en précisant que si la notion de partenariat privilégié n'apparaissait pas de manière explicite, celle d'un « lien le plus fort possible » était inscrite de manière claire. Il a ajouté que si le processus de négociations aboutissait à un projet de traité d'adhésion, la Constitution française prévoyait désormais que les Français seraient appelés à se prononcer par référendum, et auraient donc, en toute hypothèse, le dernier mot sur cette question.

Le Ministre a ensuite évoqué le Sommet des Nations unies, qui a donné lieu à des progrès plus importants que ce que certains commentateurs ont pu indiquer, au regard des priorités qui étaient celles de la France. C'est grâce aux efforts incessants de notre pays, et ceux d'autres partenaires, dont le Royaume-Uni, que nous avons progressé sur les questions prioritaires que sont le financement du développement, avec le projet de contribution sur les billets d'avion, l'environnement, avec l'esquisse d'une organisation des Nations unies pour l'environnement, la création de la Commission de consolidation de la paix, qui doit renforcer la mobilisation et la coordination internationales au bénéfice des pays sortant de conflits, le principe de la création d'un Conseil des droits de l'homme et le renforcement des moyens du Haut-commissaire aux droits de l'homme et, enfin, la modernisation de la gestion des ressources financières et humaines aux Nations unies.

Cependant, le Sommet de septembre dernier ne constitue qu'une étape dans le processus engagé. Il appartient désormais à la France de s'employer à conforter les acquis et à favoriser la mise en œuvre des décisions prises. Il nous faut aussi aller plus loin et promouvoir les initiatives en faveur desquelles la France s'est engagée, comme le projet de création d'une organisation des Nations unies pour l'environnement. Sur ce sujet, la prochaine étape doit être la constitution d'un groupe de pays pour approfondir la réflexion sur le fond et élargir le soutien à cette initiative, le rôle de l'Union européenne étant, dans ce processus, essentiel.

Il faut également faire progresser le projet de création de la Commission de consolidation de la paix dont la contribution pourrait se révéler décisive demain pour assurer une gestion cohérente et efficace des situations de post-crise ou encore parvenir à réformer l'actuelle Commission des droits de l'Homme en prenant une part active aux travaux de l'Assemblée générale qui va aborder cette question. Il conviendra de promouvoir les financements innovants en faveur du développement qui ont rencontré un premier accueil positif parmi plus d'une soixantaine de pays. Toutefois une forte mobilisation est nécessaire pour rendre définitif le principe de la taxe sur les billets d'avion et, au-delà, pour proposer une utilisation de ces ressources additionnelles qui serve réellement la cause du développement.

Il est également nécessaire de donner une nouvelle impulsion aux travaux de l'Organisation dans des domaines où les résultats du sommet des Nations unies sont en deçà de nos attentes. Concernant la lutte contre le terrorisme, en particulier, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont fixés pour objectif d'achever les négociations sur une convention globale durant la 60e session de l'Assemblée générale. Là encore, un rôle actif de l'Union européenne sera indispensable, en particulier pour trouver un accord sur la définition du terrorisme.

Enfin, il ne faut pas oublier la question de l'élargissement du Conseil de sécurité. Sur ce point, la France continue de soutenir les pays dits du G4 - Allemagne, Japon, Inde, Brésil - qui ont proposé que le Conseil de sécurité compte six nouveaux membres permanents et quatre non-permanents supplémentaires. Comme l'a dit le Président de la République lors de la Conférence des ambassadeurs, la France souhaite que cette réforme aboutisse avant la fin de l'année.

Un peu plus de trois ans après le début de la crise, le 19 septembre 2002, et moins d'un mois avant la date initialement prévue pour les présidentielles, le 30 octobre prochain, la Côte d'Ivoire entre dans la phase la plus difficile, celle qui devrait voir la mise en œuvre concrète des engagements pris par les parties ivoiriennes lors des différentes médiations qui se sont succédé depuis trois ans, de Lomé à Pretoria, en passant par Marcoussis et Accra. Ces accords reposent tous sur le développement d'élections libres, transparentes et ouvertes à tous, le désarmement des forces rebelles, le démantèlement des milices et le retour d'une administration nationale sur l'ensemble d'un pays aujourd'hui coupé en deux. La dernière médiation conduite par le Président Thabo Mbeki au nom de l'Union africaine a permis de franchir des étapes essentielles, et en particulier de résoudre la question de la candidature de M. Alassane Ouattara, facteur emblématique de la crise. Mais l'opposition est revenue à sa revendication initiale et réclame le départ du Président Laurent Gbagbo. Le désarmement n'a pas reçu le moindre début d'application et la préparation des opérations électorales a pris beaucoup de retard. Le Secrétaire général des Nations unies a indiqué, le mois dernier, que la date du 30 octobre ne pourrait être tenue, et que son représentant spécial pour les élections devait présenter son analyse au Conseil de sécurité, après la réunion de l'Union africaine le 6 octobre.

Les chefs d'Etat de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) se sont réunis le 30 septembre à Abuja, sous l'égide du Président Olusegun Obasanjo, Président en exercice de l'Union africaine, pour examiner la situation et préparer la réunion, le 6 octobre 2005, du Conseil de Paix et de Sécurité de l'Union Africaine. Cette réunion devrait permettre de préciser le délai et les modalités de la période courant du 30 octobre 2005 aux élections présidentielle et législatives, celles-ci étant prévues en décembre 2005. C'est, en effet, aux chefs d'Etat de l'Union Africaine qu'il revient de valider et de garantir une décision de nature politique. S'agissant de la date, les experts considèrent généralement, en particulier aux Nations unies, qu'un délai d'environ trois à six mois est tenable. Il paraît techniquement difficile de préparer des élections dans un délai plus court, et peu raisonnable, compte tenu des tensions qui risquent de croître, d'attendre plus longtemps.

Dans la phase de mise en œuvre des engagements, il sera certainement nécessaire que les Nations unies s'impliquent davantage dans la préparation des élections, comme dans celle du regroupement des combattants et du retour d'une administration nationale sur l'ensemble du territoire ivoirien. Il s'agit là d'une mission habituelle des Nations unies lorsqu'elles interviennent sur d'autres théâtres de conflits, sur le continent africain en particulier. Le Président de la République l'a explicitement demandé à M. Kofi Annan la semaine dernière et la France y travaille activement avec le Secrétariat général à New York, comme avec ses partenaires du Conseil de sécurité. A l'approche d'une échéance électorale décisive désormais reportée, la lassitude des populations et l'exaspération des parties avivent les tensions sur le terrain, ce qui impose de notre part une vigilance accrue.

La possibilité, pour le plus grand pays francophone d'Afrique de l'Ouest, d'éviter une guerre civile ou un enlisement durable, repose d'abord sur la sincérité réelle des responsables politiques ivoiriens à respecter leurs engagements et ensuite sur la capacité de la communauté internationale, et en particulier des Nations unies, à accompagner la mise en œuvre de ces engagements. C'est dans ce cadre que la France, présente sur le terrain, munie d'un mandat des Nations unies, et membre permanent du Conseil de sécurité, demeure déterminée à jouer tout son rôle.

Le Ministre a enfin évoqué les relations de la France avec les pays du Maghreb. Ses déplacements officiels au Maroc en juillet 2005, et en Tunisie début octobre, et sa rencontre avec son homologue algérien ont renforcé sa conviction que cette zone est au cœur des intérêts stratégiques de la France. Notre pays est engagé avec les Etats du Maghreb dans un partenariat privilégié, héritage de l'histoire mais aussi d'échanges permanents qui s'intensifient dans tous les domaines. Un partenariat de coopération sans équivalent au plan quantitatif et qualitatif a été engagé avec cette région, comme en témoigne notamment l'importante aide publique que la France y consacre, puisque celle-ci atteint plus de 380 millions d'euros, soit 181 millions d'euros pour le Maroc, 110 millions d'euros pour l'Algérie et 95 millions d'euros pour la Tunisie. Cette relation se nourrit des échanges humains favorisés par la présence sur notre sol d'une communauté maghrébine forte de près de trois millions de personnes, et par celle d'importantes communautés françaises dans les Etats du Maghreb.

La France exerce sur les populations du Sud une forte attraction. Nous représentons pour cette zone de 110 millions d'habitants, non seulement le premier partenaire commercial, mais un modèle social original auquel la jeunesse aime s'identifier. Les positions politiques de la France sur des questions importantes, telles que le processus de paix ou la situation en Irak, y sont appréciées. Notre langue y est parlée par une majorité qui ne demande qu'à s'étendre et des milliers d'étudiants viennent se former dans nos universités. Ces liens avec le Maghreb s'inscrivent dans nos relations plus larges avec la Méditerranée, à travers des enceintes euro-méditerranéennes de dialogue, telles que le groupe « 5+5 », qui s'est réuni fin juin 2005 à Malte, le « Forum méditerranéen » ou encore le cadre plus large du « partenariat euro-méditerranéen », que la France a contribué à lancer en 1995, et dont on va célébrer à Barcelone, fin novembre 2005, le dixième anniversaire, par une réunion des chefs d'Etat et de gouvernement. Il paraît important que l'Union européenne porte une attention plus soutenue au pourtour méditerranéen alors même que le centre d'intérêt de l'Europe s'est déplacé vers l'Est avec le dernier élargissement.

Tout cela confirme la nécessité d'une politique intégrée à l'égard du Maghreb, zone prioritaire de notre action. Le Président de la République l'a clairement réaffirmé lors de ses trois visites d'Etat dans les Etats du Maghreb en 2003. Il y a là un enjeu important pour la France, en termes humains, économiques et commerciaux.

Le Ministre a conclu qu'il entendait mobiliser toutes les administrations françaises et nos entreprises pour permettre à la France de tenir toute sa place dans cette région du monde où son influence demeure primordiale ; qu'il s'agisse de la langue française, de notre réseau d'établissements scolaires, de nos échanges universitaires et scientifiques, la France possède des atouts qu'elle doit faire fructifier face à une concurrence de plus en plus présente. Il y a là, pour la France, un terrain d'action privilégié qu'elle doit occuper avec détermination.

Le Président Edouard Balladur a souhaité que la Commission des Affaires étrangères soit régulièrement tenue au courant de l'évolution des négociations entre l'Union européenne et les pays candidats et que l'Assemblée en soit informée deux fois par an. Il a demandé au Ministre de communiquer à la Commission la liste des trente-cinq sujets de discussion et le calendrier précis des négociations.

Faisant référence au fait que la presse rapporte que l'Algérie pose comme préalable à la signature d'un traité d'amitié avec la France la reconnaissance par celle-ci de ses torts passés, le Président Edouard Balladur a estimé qu'une telle exigence n'était concevable que si l'Algérie reconnaissait elle aussi ses torts. Si cette condition n'était pas remplie, il a déclaré qu'il s'opposerait, à titre personnel, à la ratification du traité d'amitié.

M. Roland Blum a exprimé sa déception devant la décision du Conseil européen du 3 octobre 2005 d'ouvrir avec la Turquie et la Croatie les négociations d'adhésion à l'Union européenne. Cette décision est le résultat d'un bras de fer diplomatique entre les dirigeants européens, qui ne tient compte ni du vote négatif de la France et des Pays-Bas sur le traité constitutionnel européen ni des négociations difficiles sur le budget européen. Après avoir souligné le caractère préoccupant des propos contradictoires de Mme Carla del Ponte, Procureure générale du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, sur la réalité de la coopération de la Croatie avec le Tribunal, il a estimé qu'il aurait été plus courageux, en tenant compte de la volonté des peuples, de chercher à affirmer l'identité et la frontière de l'Union. Dans un tel contexte, il s'est demandé si la construction d'une Europe politique était encore possible.

M. Hervé de Charette a estimé que la décision d'ouvrir les négociations avec la Turquie était aussi importante que celle qui a autrefois concerné la Grande-Bretagne. Il a considéré que trois questions se posaient désormais :

- une question institutionnelle : le Gouvernement, et le Président de la République, peuvent-ils agir, à l'encontre de leur majorité, sans en délibérer devant le Parlement ? Les engagements pris par le Président lors du Conseil européen de 2004 répondent-ils à la volonté des Français ? Certes, les Français, conformément à la Constitution, auront à se prononcer par référendum sur toute adhésion nouvelle d'un pays à l'Union, mais en définitive, ces négociations menées aujourd'hui avec la Turquie, rendront, de fait, dans dix ans, la situation irréversible et apparaîtra alors le risque du déni de la démocratie ;

- une question politique : le Ministre a exprimé devant l'Assemblée nationale l'idée d'un « groupe pionnier » constitué d'Etats européens, par ailleurs évoqué par M. Michel Rocard à l'occasion des débats sur le traité constitutionnel. Cette position est-elle une position personnelle du Ministre ou celle du gouvernement ? La diplomatie française aurait-elle renoncé aujourd'hui à un projet politique à vingt-cinq Etats pour privilégier l'action d'un groupe pionnier ?

- une question stratégique : au terme de quarante années de relations avec la Turquie, les chefs d'Etat et de gouvernement européens ne pouvaient en réalité aujourd'hui lui refuser d'ouvrir des négociations d'adhésion. Or, en cas d'échec, la décision de Bruxelles favorisera sans doute l'apparition de crises politiques et stratégiques très graves tant en Europe qu'en Turquie, à la fois sur un plan interne et dans les relations turques et européennes.

Aujourd'hui n'a-t-on pas créé une situation politiquement et stratégiquement dangereuse pour l'avenir ?

M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères, s'est engagé à informer régulièrement la Commission de la progression des négociations et à lui transmettre tous les documents européens les concernant. Tous les Etats membres ont demandé à être régulièrement tenus informés car le résultat de ces négociations constitue un enjeu politique essentiel.

Pour ce qui est des négociations avec la Turquie, le Conseil européen en a autorisé l'ouverture en décembre 2004. Le cadre de ces négociations a été élaboré très rigoureusement et le résultat n'est nullement déterminé par avance. Chaque Etat membre de l'Union a la possibilité d'interrompre ce processus à tout moment et le résultat sera décidé à l'unanimité. C'est l'Union européenne, et pas l'Etat candidat, qui fixe les dates d'ouverture et de clôture des discussions dans chaque domaine. Si le résultat des négociations est positif, le peuple français sera consulté par référendum ; s'il est négatif, l'Union européenne et la Turquie continueront à être associées par « le lien le plus fort possible ».

Le Conseil des ministres du 3 octobre s'est contenté d'ouvrir les négociations avec la Turquie, qui demande à adhérer à l'Union européenne depuis 1963. Mais son adhésion ne sera possible que si elle réalise des progrès importants dans de nombreux domaines et, en particulier, en matière de droits de l'homme, de démocratie et de respect des libertés fondamentales. La Turquie s'est engagée à travailler en ce sens. A l'heure où les intégrismes se développent dans de nombreux pays, l'Union européenne doit tout faire pour promouvoir la démocratie.

Le projet européen présente trois volets : c'est un projet de paix et de stabilité, un projet de démocratie et de respect des droits de l'homme, mais aussi un projet de prospérité économique qui doit notamment faire en sorte que l'Union européenne atteigne le rythme de croissance des Etats-Unis, actuellement supérieur au sien de 1,5 point. La vision géostratégique visant l'instauration de la paix dans la zone la plus large possible et la vision politique, qui consiste à intensifier les liens qui existent déjà, sont complémentaires. La première doit conduire à rassembler tous les Etats qui adhèrent à nos valeurs ; la seconde doit se traduire par la possibilité offerte aux Etats qui le souhaitent d'aller ensemble de l'avant sur des projets précis. En matière d'investissement, par exemple dans le domaine de la recherche et du développement, plusieurs Etats européens doivent pouvoir œuvrer ensemble pour atteindre le volume d'investissements d'un grand pays comme les Etats-Unis. Une telle constitution d'un groupe d'Etats autour d'un projet doit conserver un caractère ouvert afin de permettre à ceux qui le souhaitent de rejoindre ce groupe, le moment venu. C'est ce type de projets communs que visait le Président Jacques Chirac dans son discours devant le Bundestag en 2000 lorsqu'il évoquait les « groupes pionniers ».

Il est légitime que le Parlement souhaite être informé de l'évolution des négociations entre l'Union européenne et les pays candidats, mais il ne faut pas oublier que la Constitution de la Ve République confie la négociation des traités au chef de l'Etat, seule leur ratification étant soumise au Parlement ou au peuple, par le biais d'un référendum. Il faut veiller à ne pas limiter les pouvoirs de l'exécutif en matière de politique étrangère.

Pour ce qui est de l'ouverture des négociations avec la Croatie, il était prévu de les ouvrir dès que ce pays coopérerait pleinement avec le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie. Tout récemment, Mme Carla del Ponte a indiqué à la Task force que la Croatie remplissait désormais cette condition, ce qui a permis l'ouverture des négociations. Mais la France, soutenue par le Danemark et les Pays-Bas, a demandé que la pleine coopération de la Croatie soit vérifiée régulièrement et fasse l'objet d'un calendrier. Au cours de son audition par la Task force, Mme Carla del Ponte a souligné que la pression exercée sur la Croatie par l'Union européenne avait aussi eu une influence très positive sur la Serbie dont la coopération avec le Tribunal s'était nettement améliorée ces derniers temps.

La signature d'un traité d'amitié entre la France et l'Algérie faisait partie des objectifs qui figuraient dans la déclaration commune des présidents Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika de 2003. Cet objectif devrait être atteint avant la fin de l'année 2005. Le traité devra respecter la pluralité des mémoires, fondée sur des travaux d'historiens français et algériens. Il faut parvenir à une reconnaissance assumée et partagée des faits historiques.

Le Président Edouard Balladur a demandé au Ministre des Affaires étrangères de lui confirmer qu'il n'y aurait pas de déclaration préalable et s'est inquiété du délai que les travaux des historiens allaient entraîner.

M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des affaires étrangères, a indiqué qu'il ne fallait pas polémiquer sur les propos que la presse avait prêtés au Président Bouteflika. Une commission d'historiens devrait travailler sur le fondement de travaux déjà réalisés pour établir des faits historiquement incontestables.

M. Henri Sicre a constaté que, depuis les accords de Marcoussis, la situation en Côte d'Ivoire s'était dégradée : l'élection du 30 octobre prochain ne pourra avoir lieu, le pays est toujours divisé en deux, et aujourd'hui, les forces françaises « Licorne » sont les plus menacées alors même que l'accord de coopération entre la Côte d'Ivoire et la France est bien antérieur au conflit et à l'intervention des Nations unies. En réalité, la situation dans ce pays illustre la critique dont fait désormais l'objet la présence française dans tous les pays d'Afrique. Il s'est demandé quelle était aujourd'hui la perception que l'Afrique avait de la France et quelle coopération la France pouvait encore apporter en Afrique. Enfin, il a demandé des précisions sur l'aide que pouvaient espérer les huit à dix mille Français rapatriés de Côte d'Ivoire.

M. François Loncle a dit partager les points de vue de MM. Hervé de Charette et Roland Blum sur la Turquie. En ce qui concerne le dossier nucléaire iranien, il a souhaité connaître la teneur des débats au sein de l'Agence internationale de l'énergie atomique. Il a ensuite interrogé le Ministre sur l'évolution de nos relations diplomatiques avec la Syrie.

Soulignant que la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie n'était pas mentionnée dans le texte marquant l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, M. Richard Cazenave a estimé que cette question se poserait pourtant inéluctablement du fait du vote, par le Parlement français, de la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Il a demandé à quel stade des négociations cette question se poserait et s'il existait en la matière une conditionnalité liant l'adhésion éventuelle de la Turquie à l'Union à sa reconnaissance du génocide arménien. Revenant ensuite sur la notion de capacité d'absorption de l'Union, qu'il a jugée intéressante, notamment du fait de son caractère subjectif, il en a demandé la définition : les critères en seraient-ils financiers, techniques, institutionnels ?

Enfin, concernant la proposition d'une Europe des coopérations spécialisées par grands domaines, dont il a rappelé qu'elle avait été faite depuis longtemps par le Président Edouard Balladur, il a souligné qu'un nombre croissant de membres de la majorité y voyaient la voie d'avenir à explorer. Il l'a rapprochée de l'Europe des projets mentionnée par le Premier Ministre lors de son discours de politique générale. Alors que M. Richard Cazenave se demandait comment pourrait s'organiser le débat sur son contenu, sa méthodologie et son calendrier, le Président Edouard Balladur a indiqué qu'il s'apprêtait à publier un rapport sur ce sujet, qu'il porterait à la connaissance des membres de la Commission.

M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères, a apporté les éléments de réponse suivants :

- la situation en Côte d'Ivoire est préoccupante, d'autant que s'ouvre actuellement la phase la plus délicate dont l'enjeu est, pour les parties ivoiriennes, d'être au rendez-vous de leurs engagements préalables. Il appartient à l'Organisation des Nations unies d'organiser les élections en tenant compte de la situation locale, comme elle le fait actuellement en République démocratique du Congo. Cela implique l'identification préalable des électeurs, la garantie de liberté de circulation pour les électeurs et les candidats et la surveillance du scrutin au Nord et au Sud du pays, tâches certes considérables mais qui ne remettent pas en cause ce constat : les élections devront se tenir. Il faut réaffirmer aux forces en présence la volonté affichée de la communauté internationale, en l'occurrence, la France, l'Union africaine, la CEDEAO, l'ONU, que ces élections aient lieu, de manière transparente ;

- les décrets pris en décembre 2004, en application de la loi du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer (loi sur les rapatriés d'Algérie), permettent aux Français de Côte d'Ivoire réinstallés en France depuis les événements de novembre 2004 de recevoir une aide. Le bénéfice de leurs dispositions vient d'être étendu aux Français de Côte d'Ivoire rentrés dès la fin de l'année 2002 et le début de l'année 2003. S'agissant en revanche des Français qui ne se seraient pas réinstallés sur le territoire français, ils ne peuvent prétendre aux dispositions de la loi de 1961 précitée ; ils doivent donc s'adresser au service social du consulat dont ils relèvent afin qu'il évalue leur situation ;

- concernant les activités nucléaires de l'Iran, la résolution votée par le Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) le 24 septembre dernier, sur proposition de la troïka européenne, établit que l'Iran n'a pas respecté ses engagements en dissimulant des activités nucléaires et que le cas iranien pourrait être soumis, le moment venu, au Conseil de sécurité des Nations unies. Dans cette résolution, il est, en outre, demandé à l'Iran de rétablir et de maintenir la suspension des activités liées à l'enrichissement de l'uranium et au directeur général de l'agence de Vienne, M. Mohammed El Baradei, de faire un rapport sur ce qu'aura fait ou n'aura pas fait l'Iran lors de la prochaine réunion du conseil des gouverneurs, le 24 novembre prochain. Dans l'intervalle, la voie reste ouverte pour que soient explorées toutes les possibilités de dialogue. La troïka européenne qui, au début du mois d'août, avait fait une offre sérieuse dans tous les domaines, nucléaire et politique ou encore économique et commercial, est prête à accueillir toute solution qui permettrait de rétablir la confiance.

Une majorité de pays a soutenu cette résolution, soit vingt-deux sur trente-cinq, dont des Etats non européens, tels que l'Inde, et un seul s'est prononcé contre : le Venezuela. Les enjeux en cause sont l'efficacité du régime multilatéral de non-prolifération et du système multilatéral en général, ainsi que la sécurité régionale.

Il importe de maintenir l'unité de la communauté internationale, comme s'impose le respect dû à ce grand pays, porteur d'une grande civilisation, qu'est l'Iran. Cependant, si l'Iran n'accepte pas de négocier, les conséquences devront en être tirées dans un cadre multilatéral : il reviendra au Conseil des gouverneurs de l'AIEA de décider de la date et de la teneur du rapport à adresser au Conseil de sécurité. Il s'agissait là d'une option qui a toujours existé, même si elle ne représente pas celle que privilégie la France.

-  la France est mobilisée pour rétablir la pleine souveraineté du Liban ; cette démarche n'est pas dictée par une quelconque hostilité à l'égard de la Syrie, mais par le souhait que ce pays entretienne avec le Liban des relations stables et respectueuses de sa souveraineté et de son indépendance ; la Syrie doit respecter les résolutions 1559 et 1595 du Conseil de sécurité ; les parties concernées doivent pleinement coopérer avec la commission internationale d'enquête sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais qui est présidée par M. Detley Mehlis ; l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU au Liban, M. Rod Larsen, doit pour sa part faire un rapport au Conseil de sécurité à l'automne sur l'application de la résolution 1559 ; les autorités françaises seront très attentives quant à l'application de ces deux résolutions du Conseil de sécurité ;

-  il est nécessaire que la Turquie fasse un effort de mémoire sur le génocide arménien ; la France y est d'autant plus sensible qu'elle a accueilli de nombreux réfugiés venant d'Arménie ; cet effort devra être pris en compte, le moment venu, dans l'évaluation de la demande d'adhésion de la Turquie ;

-  la capacité pour l'Union européenne d'intégrer un pays comme la Turquie soulève de nombreuses questions, tant dans le domaine institutionnel, que dans les domaines économiques et sociaux ; en tout état de cause chaque Etat membre aura son mot à dire, puisque l'adhésion d'un nouvel Etat membre nécessite l'unanimité.

Le Président Edouard Balladur a déclaré que, selon certaines sources, l'adhésion de la Turquie coûterait à l'Union environ 25 milliards d'euros par an, ce qui laisse songeur, lorsque l'on sait que les Etats membres éprouvent les plus grandes difficultés à s'accorder sur les perspectives financières pour 2007-2013. S'agissant de l'élargissement de l'Union, il serait souhaitable que la Commission des Affaires étrangères ait connaissance des différents chapitres retenus pour évaluer les candidats à l'adhésion et que le texte du Conseil européen du 3 octobre dernier sur l'adhésion de la Turquie lui soit transmis. Il a souligné que la situation en Côte d'Ivoire restait extrêmement préoccupante : les élections ne pourront pas avoir lieu à la fin du mois d'octobre ; le pays demeure partagé en deux camps antagonistes séparés par des forces d'interposition ; enfin la médiation confiée au Président sud-africain Thabo Mbeki est aujourd'hui contestée.

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Informations relatives à la Commission

Ont été nommés, le mercredi 5 octobre 2005 :

- M. Roland Blum, rapporteur pour la proposition de résolution n° 2382 de M. Jean Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur les circonstances relatives à l'enlèvement, à la détention et aux conditions de libération en Irak de Florence Aubenas et Hussein Hanoun ;

- M. Jacques Godfrain, rapporteur pour la proposition de résolution n° 2405 de M. Georges Hage et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'état de la dette des pays en développement à l'égard de la France, sur les conséquences pour le développement de ces pays, sur les perspectives d'annulation de la dette ;

- M. Jacques Remiller, rapporteur pour le projet de loi n° 2555 autorisant l'approbation de l'accord entre les gouvernements de la République française, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et du Royaume des Pays-Bas, relatif à la coopération dans le domaine de la technologie de la centrifugation.

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Prenant acte de la nomination de M. Roland Blum comme rapporteur de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les circonstances relatives à l'enlèvement, à la détention et aux conditions de libération en Irak de Florence Aubenas et Hussein Hanoun, M. François Loncle a voulu croire que cela ne conduirait pas nécessairement à un rejet de cette proposition par la majorité. Il a souhaité qu'à l'instar de ce qui se passe dans d'autres parlements, des commissions d'enquête puissent être créées à l'initiative de l'opposition.

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● Algérie

● Côte d'Ivoire

● Iran

● Nations unies

● Turquie


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