COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 5

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 18 octobre 2005
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de Mme Catherine Colonna, Ministre déléguée aux Affaires européennes

- Examen pour avis des crédits des Affaires européennes pour 2006 - M. Roland Blum, rapporteur pour avis

- Proposition de résolution n° 2382 tendant à la création d'une commission d'enquête sur les circonstances relatives à l'enlèvement, à la détention et aux conditions de libération en Irak de Florence Aubenas et Hussein Hanoun - M. Roland Blum, rapporteur

  

3
11


13

Audition de Mme Catherine Colonna, Ministre déléguée aux Affaires européennes

Le Président Edouard Balladur a accueilli Mme Catherine Colonna en indiquant qu'elle venait présenter à la Commission le budget de l'Union européenne pour 2006 et le prélèvement sur recettes auquel la France va devoir procéder pour contribuer à ce budget, ainsi que, plus largement, les perspectives européennes pour les mois qui viennent.

Présentant le budget de l'Union européenne pour 2006, Mme Catherine Colonna, Ministre déléguée aux Affaires européennes a constaté que la France devrait demeurer, avec une contribution de 18 milliards d'euros, soit 16,4 % des recettes communautaires, le deuxième contributeur du budget communautaire derrière l'Allemagne qui verse 22,6 milliards d'euros. Notre pays devrait également rester le deuxième bénéficiaire de ce budget à hauteur de 12,9 milliards d'euros en 2004, qui sont les derniers chiffres disponibles, derrière l'Espagne qui a reçu 16,3 milliards d'euros. Nous devons cette situation avant tout à notre excellent taux de retour sur la politique agricole commune (PAC) : en 2004, la France a bénéficié de 21,6 % des dépenses agricoles communautaires et reçu 9,4 milliards d'euros au titre de la PAC de marché.

Au total, la France est contributrice nette au budget européen, comme dix autres Etats membres. Notre solde net - c'est-à-dire la différence entre notre contribution brute et les dépenses réalisées sur notre territoire - s'est élevé, en 2004, à - 2,9 milliards d'euros, soit environ 50 euros par habitant. Ce montant est raisonnable au regard des bénéfices que nous procure la construction européenne, qu'il s'agisse des gains économiques du grand marché européen ou des gains encore plus difficiles à quantifier tels que les apports de la paix et de la stabilité du continent.

L'avenir des moyens budgétaires de l'Union européenne sera déterminé par la négociation sur les perspectives financières pour la période 2007-2013. Lors du Conseil européen des 16 et 17 juin 2005, et malgré la disponibilité d'une très large majorité d'Etats membres, dont la France, la présidence luxembourgeoise a échoué à y obtenir un accord. L'enjeu de ces perspectives financières est le financement de l'Union élargie et de ses politiques ; chacun doit prendre part à ce financement de façon équitable, ce qui suppose notamment la réforme du « rabais britannique ». Rappelons aussi que la proposition de la présidence luxembourgeoise était satisfaisante puisqu'elle permettait tout à la fois de financer les politiques actuelles, de développer des politiques nouvelles - la recherche et développement, la justice et les affaires intérieures, la politique étrangère et de sécurité commune - et de supporter le coût de l'élargissement.

Il revient maintenant à la présidence britannique de trouver un accord d'ici décembre 2005, comme elle dit vouloir le faire. C'est une nécessité. Elle n'a pour le moment mené que des consultations bilatérales avec chacun des Etats membres, sans faire de proposition, ce qu'elle entend faire dans le courant du mois de novembre seulement. Il faut se hâter : comme l'a rappelé le Premier ministre, le 17 octobre dernier, sans budget, l'Europe n'avancera pas.

Puis la Ministre a abordé la question des négociations d'adhésion lancées le 3 octobre dernier avec la Turquie et la Croatie. Il s'agira là d'un processus ouvert. Si la Turquie ne remplissait pas les critères requis ou si la capacité d'absorption de l'Union européenne ne permettait pas de l'accueillir, ce processus s'orienterait vers une solution alternative à l'adhésion sous la forme d'un lien « le plus fort possible » entre la Turquie et l'Union. La France, ainsi que d'autres Etats membres, notamment les Pays-Bas et l'Autriche, ont demandé et obtenu que ces principes soient clairement établis dès le début des négociations. De plus, chaque chapitre sera ouvert et clos à l'unanimité. Dans le cas où les négociations déboucheraient sur un projet d'adhésion, les Français auront en tout état de cause le dernier mot par la voie du référendum.

S'agissant de la Croatie, les ministres présents à Luxembourg ont pris note de la conclusion de Mme la Procureure Carla del Ponte selon laquelle la coopération de la Croatie avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie était désormais entière. C'était la dernière condition à l'ouverture des négociations conformément aux décisions du Conseil européen du 17 décembre 2004. On a veillé à ce que cette coopération fasse l'objet d'un suivi tout au long des négociations et à ce que l'arrestation du Général Gotovina soit un objectif de court terme. En cas de défaillance de Zagreb dans cette coopération, les négociations d'adhésion peuvent être suspendues à tout moment.

Les négociations d'adhésion avec la Turquie, comme avec la Croatie, feront donc l'objet d'un contrôle politique étroit. A cet égard, la Ministre a rappelé qu'il s'agissait bien de négociations entre chacun des Etats candidats et l'ensemble des Etats membres, et non avec la seule Commission européenne. En outre, celles-ci sont fondées sur le principe de l'unanimité, ce qui confère à la France un droit de veto à chaque étape. Le Gouvernement tiendra les parlementaires dûment informés tout au long de ces négociations.

Le prochain Conseil européen informel de Hampton Court est un rendez-vous important puisque c'est la première fois que, depuis le dernier Conseil européen des 16 et 17 juin 2005, les chefs d'Etat et de gouvernement se retrouveront. En outre, les citoyens européens seront très attentifs au bon déroulement de ce sommet et aux orientations qui pourront en être dégagées. D'après les informations recueillies à ce stade auprès de la présidence britannique, trois thèmes seront abordés : comment maintenir et consolider la justice sociale et la compétitivité dans le contexte de la mondialisation ? Cette question sera l'occasion d'échanges sur la recherche et le développement, l'énergie, la démographie... Seront ensuite évoquées la place de l'Europe dans le monde ainsi que la sécurité de nos citoyens. Ce Conseil européen informel qui ne fera l'objet que de conclusions orales, sera donc consacré aux principaux défis que l'Union doit relever aujourd'hui. La France s'y rendra dans un esprit constructif, avec la volonté de soutenir la présidence pour faire de ce rendez- vous une réussite. C'est tous ensemble que nous pourrons trouver les réponses, en gardant à l'esprit que le coeur du projet européen repose sur un esprit de solidarité, une exigence d'harmonisation et une volonté commune de défendre nos intérêts.

La Ministre a souhaité conclure son intervention en présentant les travaux que le Gouvernement avait entrepris depuis le mois de juin 2005 pour tenir compte du message que les Français avaient adressé le 29 mai. Ce point est au cœur de l'action du Gouvernement. Il est nécessaire de réaffirmer que notre projet est celui d'une Europe politique, forte, ambitieuse et solidaire, et répondre par des politiques concrètes aux préoccupations quotidiennes des Français, à commencer par la croissance et l'emploi. Mais il faut également proposer une autre façon de construire l'Europe, qui associe mieux les Français aux décisions relatives à leur avenir. Il y a sur ce point une attente très forte, que la Ministre a constatée à l'occasion de chacun de ses déplacements dans les régions. C'est pourquoi le 29 août 2005, dans son discours devant les ambassadeurs, le Président de la République a demandé que le Parlement français mais aussi les collectivités locales, les partenaires sociaux et la société civile soient davantage associés aux processus de décision européens. Le Premier ministre lui fera prochainement une série de propositions.

Il a aussi été décidé, lors du Comité interministériel sur l'Europe du 20 septembre 2005, de créer un nouveau site portail interactif sur l'Europe, qui sera la tête de réseau de l'ensemble des sites publics et associatifs. Enfin, la Ministre a entamé une série de rencontres avec les partenaires sociaux pour recueillir leurs propositions sur les moyens de mieux associer les Français aux processus européens de décision et pour échanger avec eux sur les grands dossiers du moment.

Le Parlement a naturellement un rôle crucial à jouer dans cet effort qui doit être mené au quotidien pour refaire la preuve de l'Europe à nos concitoyens. Le Premier ministre l'avait confirmé dès le 15 juin 2005, certaines initiatives ayant, d'ores et déjà, été prises pour mieux associer le Parlement français : il pourra désormais se prononcer sur un plus grand nombre de textes européens ; par ailleurs, des sessions de sensibilisation aux problématiques européennes vont être proposées aux parlementaires dans le cadre d'un déplacement à Bruxelles et à Strasbourg.

La Ministre a conclu en déclarant qu'elle savait pouvoir compter sur les parlementaires dans cette action.

Après avoir remercié la Ministre pour la présentation qu'elle venait de faire du budget de l'Union pour 2006 et plus largement des perspectives qui s'ouvraient aujourd'hui pour l'Union européenne, M. Roland Blum a déclaré que, selon lui, le vote du 29 mai dernier traduisait une grande incompréhension des Français vis-à-vis du rôle réel de l'Union européenne. Cette suspicion à l'égard de l'Europe, qui atteint aujourd'hui un point critique est à la fois injuste et légitime. Injuste, parce qu'on demande souvent plus à l'Union européenne qu'elle ne peut elle-même accomplir ; il ne faut pas oublier que les Etats sont encore dominants dans le jeu institutionnel. Légitime, car le système européen pris au sens large - Commission et Etats membres - a engagé un mouvement de réformes et d'adaptation absolument nécessaire sans prendre cependant en compte le fait que cela infligeait à nos sociétés des évolutions parfois brutales.

Pour y remédier, M. Roland Blum a estimé qu'il fallait améliorer l'information de nos concitoyens sur les questions européennes. C'est le sens des propositions de M. le député Michel Herbillon dans son rapport remis au Premier ministre en juin 2005. Mais cela ne suffit pas. Il faut également que les Français puissent peser sur la politique européenne par le biais, en particulier, de leurs représentants.

Il a rappelé que l'amendement adopté par la Commission des Affaires étrangères en janvier 2005 - plus connu désormais sous le nom d'« amendement Balladur » et que M. de Charette et lui-même avaient cosigné - donnait aux assemblées un pouvoir d'initiative et le droit de voter. C'est là le seul pouvoir qui compte pour une assemblée : s'exprimer par un vote. Il a convenu que des débats seraient sans doute organisés avant et après les Conseils européens et s'en est réjoui. Mais cela ne suffit pas non plus. Une suite de discours dans l'hémicycle n'est pas un débat ; cela reste une suite de discours et pour débattre réellement, il faut voter. Le Gouvernement a tout fait au début d'année pour que l'initiative adoptée par la Commission des Affaires étrangères soit finalement rejetée. Mais le vote du 29 mai ne semble-t-il pas avoir invalidé largement cette position ?

M. Roland Blum a demandé si le Gouvernement entendait donner plus de poids aux avis du Parlement sur les affaires européennes notamment en lui soumettant tous les projets d'actes et les documents produits par les instances européennes que ce soit le Conseil, le Parlement ou la Commission. Il s'est enquis du sort de la circulaire promise sur ce sujet par le Premier ministre en février 2005.

M. Roland Blum a ensuite souhaité aborder la question de l'élargissement, en estimant que les conditions dans lesquelles on avait étendu l'Union et surtout projeté de l'élargir plus encore, notamment, pour être clair, à la Turquie, était l'une des causes profondes de la crise actuelle. Il a souhaité savoir quelle était aujourd'hui la position du Gouvernement sur les élargissements futurs, au-delà même de la question turque et quelle vision avait-il de l'Europe dans vingt ans ? Avec quels pays et pour quoi faire ? Pour ce qui est de la Turquie, comment le Gouvernement entend-il concrètement s'organiser pour associer le Parlement dans le processus de négociations ? Enfin, la Roumanie et la Bulgarie vont-elles pouvoir entrer dans l'Union européenne au 1er janvier 2007 ?

A propos des perspectives financières et des négociations difficiles engagées depuis plus d'un an, il faut saluer la position responsable qui fut celle du Président de la République et du Gouvernement lors du Conseil de juin 2005. Les Britanniques ont fait le choix de l'intransigeance sans proposer quoi que ce soit. Cette attitude est critiquée notamment dans les nouveaux Etats membres, comme M. Roland Blum a pu l'observer en République tchèque en septembre dernier. Il a indiqué à la Ministre qu'elle pouvait compter sur son soutien en la matière dans les semaines qui viennent.

Enfin, concernant la République tchèque, qui a parfaitement négocié sa première année de présence dans l'Union européenne, il a souhaité savoir quelle était la position de la France à propos de l'ouverture de nos frontières aux travailleurs tchèques, ouverture limitée au moins jusqu'au printemps 2006 et quel était le calendrier envisagé pour régler cette question ? Il a ajouté que les Tchèques avaient globalement peu envie de s'expatrier et qu'ils considéraient que le refus, notamment de la France, de leur ouvrir pleinement ses frontières était un signe de défiance difficilement acceptable, certains pays comme le Royaume-Uni ayant d'ores et déjà fait disparaître toute barrière.

Le Président Edouard Balladur a souhaité savoir si le projet de circulaire qui avait été annoncé par le Premier ministre et par le garde des Sceaux lors du débat sur la révision constitutionnelle relative au Traité établissant une constitution pour l'Europe concernerait non seulement les textes européens relevant de la co-décision mais les textes ayant une incidence budgétaire et ceux relatifs à l'élargissement de l'Union. Il a estimé que, pour la bonne harmonie entre le Gouvernement et le Parlement, il n'aurait pas été inutile que ce dernier fût informé sur le sort de ce projet de circulaire. Il a ensuite souhaité savoir d'où provenait la différence entre la contribution française au budget communautaire votée en loi de finances initiale pour 2005 à hauteur de 16,5 milliards d'euros et celle constatée in fine qui s'élève à 17,3 milliards d'euros. Faisant référence aux propos du Vice Premier ministre britannique, déclarant que la Grande-Bretagne devait faire des concessions sur le rabais consenti à son pays par l'Union européenne, il s'est demandé s'il s'agissait d'une position unanime du Gouvernement du Royaume-Uni. Il a fait observer que, si l'Europe s'élargissait de plus en plus, elle deviendrait inéluctablement de moins en moins politique ; le référendum du 29 mai 2005 ayant d'autre part montré les réticences des Français à l'égard du processus d'élargissement, ne faudrait-il pas marquer une pause dans ce processus ? Il a souhaité pouvoir disposer d'un inventaire exhaustif des différentes formes d'association existantes dans le cadre de la politique de voisinage et a demandé si le Parlement serait informé des décisions prises concernant les différents pays voisins de l'Union tels que la Georgie, l'Ukraine, ou la Macédoine. Enfin, la Commission des Affaires étrangères ayant adopté une proposition de résolution demandant que, dans le cadre de la politique de codification entreprise par l'Union européenne, la langue française puisse servir de référence en cas de divergences d'interprétation, le Gouvernement entend-il défendre cette position lors du prochain Conseil des ministres européen consacré à la compétitivité prévu les 28 et 29 novembre prochain ?

M. René André a souhaité avoir des précisions sur les limites du mandat dont disposait la Commission européenne pour négocier avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC). A-t-on tort de considérer que la volonté britannique de réduire le rôle de la politique agricole commune en Europe et la position que vient de prendre le Commissaire européen, M. Peter Mandelson, en outrepassant le mandat qui lui avait été confié par le Conseil, seraient liées ?

Après avoir observé que la Ministre avait évoqué les relations entre l'Union européenne et ses voisins, notamment l'Ukraine, M. Loïc Bouvard s'est interrogé sur l'évolution des relations de l'Union avec la Russie, pays partiellement européen.

M. Pierre Lequiller a constaté que, face à la crise que traverse l'Union européenne, on invoquait la nécessité d'engager des politiques communes, par exemple dans le domaine de la recherche ou de l'industrie, sans que des propositions concrètes aient cependant été avancées en la matière. Quels sont les progrès accomplis aujourd'hui sur ce point sous la présidence britannique ? Par ailleurs, le Royaume-Uni n'aurait-il pas un intérêt politique à attendre le premier semestre 2006 et la présidence autrichienne de l'Union pour voir aboutir les négociations sur les perspectives financières 2007-2013 ?

Après avoir considéré que le référendum du 29 mai 2005 était un succès puisqu'il démontrait que les Français avaient pris conscience que la « machine européenne » leur échappait, M. Jacques Myard a estimé que l'affaire du mandat de négociation de la Commission à l'OMC n'était que la répétition de ce qui avait pu être observé à l'époque où M. Edouard Balladur était Premier ministre et M. Alain Juppé, Ministre des Affaires étrangères. Le système européen est aujourd'hui incontrôlé et incontrôlable, le « quantitatif » - c'est-à-dire la taille de l'Union européenne - ayant des conséquences néfastes sur le « qualitatif » - sa capacité d'action. Il est frappant de constater que nos autorités n'ont pas conscience de la nécessité de passer à un nouveau projet, car parler aujourd'hui d'Europe politique paraît totalement surréaliste. Il existe, d'ores et déjà, plusieurs Europe, des marchés ou des Etats ; à l'évidence il est urgent que l'on sorte du système communautaire comme l'impose l'organisation d'un continent à trente Etats. En conclusion, M. Jacques Myard a souhaité savoir si la Ministre entendait enfin donner instruction à son administration de renvoyer tout document européen qui lui serait désormais adressé en anglais, la situation actuelle étant, de ce point de vue, marquée par un laxisme révoltant. Il s'est ainsi indigné que les dernières négociations au Conseil se soient déroulées exclusivement en anglais, sans que la délégation française n'ait exigé que les travaux soient conduits également dans notre langue.

En réponse aux différents intervenants, la Ministre déléguée a apporté les éléments d'information suivants :

-  La nouvelle circulaire relative à la mise en œuvre de l'article 88-4 de la Constitution portant sur l'information du Parlement en matière européenne doit être très prochainement signée par le Premier ministre ; la publication de ce texte ne pouvait intervenir avant celle du décret transformant le Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI) en Secrétariat général des affaires européennes, qui est intervenue le 18 octobre 2005 ; la circulaire prévoit la transmission au Parlement de tous les projets d'acte communautaire relevant de la codécision, c'est-à-dire de tous les textes législatifs au sens du traité constitutionnel européen, ce que prévoyaient les dispositions du titre XV de la Constitution du 4 octobre 1958 qui devaient entrer en vigueur après l'adoption de ce traité.

-  La procédure budgétaire n'est pas une procédure de codécision à proprement parler mais une procédure ad hoc. Le Parlement français est consulté chaque année sur le montant du prélèvement communautaire lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances ; ce prélèvement est établi conformément à la décision européenne sur les ressources propres.

-  Le processus d'élargissement ne relève pas non plus de la codécision puisqu'il est du domaine intergouvernemental, de la négociation entre Etats ; tout traité d'adhésion requiert, en effet, la ratification par chaque Etat membre suivant leurs règles internes.

-  En matière d'élargissement il convient de distinguer le cas des pays balkaniques de celui des pays, qui comme l'Ukraine, n'ont pas vocation à intégrer rapidement l'Union européenne et qui relèvent de la politique du voisinage ; la perspective d'intégration des pays balkaniques a été entérinée dans le cadre des accords de stabilisation et d'association conclus avec ces pays à la suite du sommet de Zagreb qui s'est déroulé sous Présidence française en 2000 ; pour certains de ces pays la perspective d'intégration demeure lointaine, mais il est utile qu'elle existe, car elle constitue un levier en faveur de leur transformation sur la voie de l'application des critères de Copenhague.

-  Il n'est pas envisagé que la Russie devienne membre de l'Union, ce que ce pays ne souhaite d'ailleurs pas. Si l'un des membres du Conseil européen a pu l'évoquer parfois
- en l'occurrence, le Premier ministre italien, M. Silvio Berlusconi - cette prise de position est demeurée isolée. Par sa géographie, la Russie n'est que partiellement européenne, les limites orientales de l'Europe n'ayant d'ailleurs jamais pu être fixées clairement.

-  L'Europe dans vingt ans sera, selon la vision qu'elle s'en fait, une Europe politique qui aura progressé sur le plan de l'intégration ; cela pose la question des frontières et il n'y a pas de réponse a priori sur ce point ; il s'agit d'une question difficile qui doit faire l'objet de discussions avec nos partenaires, y compris ceux qui auront rejoint l'Union dans les prochaines années ; s'agissant de la Turquie, il convient de souligner que le critère de la capacité d'absorption de l'Union européenne a été ajouté aux critères de Copenhague et qu'il ne faut en tout état de cause pas préjuger de la décision future des Etats membres sur ce point.

-  Le Parlement sera informé des prochains développements en matière d'élargissement et la Commission des Affaires étrangères constitue à cet égard un interlocuteur privilégié ; s'agissant de la Turquie, le Gouvernement tiendra les parlementaires informés du passage de chacun des trente-cinq chapitres.

-  Depuis 1957, la construction de l'Europe s'est manifestée à la fois par un élargissement et un approfondissement des liens entre les Etats. Pour le futur ce processus se posera dans les mêmes termes, avec le paradoxe suivant : si l'Europe des Six est parfois évoquée avec nostalgie, cette organisation était cependant beaucoup moins intégrée qu'aujourd'hui ; il n'existait aucune politique étrangère et de sécurité commune, aucune politique en matière de justice et d'affaires intérieures et l'euro n'avait pas vu le jour.

-  La politique de voisinage s'applique aux pays situés au Sud et à l'Est de l'Europe. Dès lors qu'ils bénéficient d'un accord d'association avec l'Union, ces pays doivent respecter des valeurs communes, comme celles de la liberté, de l'Etat de droit et de la démocratie.

-  La Commission européenne doit remettre le 25 octobre 2005 au Conseil un rapport sur les perspectives d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie ; ce rapport constituera l'un des éléments d'appréciation de la possibilité d'intégrer ces deux pays le 1er janvier 2007, comme cela était initialement prévu.

-  La différence entre le prélèvement de 16,5 milliards d'euros votés en loi de finances initiale pour 2005 et le prélèvement effectif de 17,3 milliards d'euros s'explique par trois facteurs : l'écart entre le budget adopté en décembre et celui voté par le Conseil sur lequel l'estimation de la loi de finances était fondée ; les budgets rectificatifs adoptés en cours d'année (notamment sur les fonds structurels) ; l'écart entre la prévision et l'exécution sur les recettes liées à la conjoncture (droits de douane, autres ressources propres).

-  Le manque de précision sur les perspectives financières de l'Union à la suite des annonces de la Présidence britannique suscite de nombreuses interrogations chez les dix nouveaux Etats membres, qui craignent d'être pénalisés ; si la négociation sur ces perspectives ne devait pas prendre pour point de départ l'accord établi en juin dernier par la Présidence luxembourgeoise, il ne serait pas possible d'aboutir sur ce point avant la fin de l'année ; il est souhaitable que la Présidence britannique tienne compte de cette situation.

-  Des responsables britanniques ont évoqué une possible évolution sur le niveau du « chèque britannique » en lien avec d'autres paramètres comme la réforme de la PAC, qui ne saurait en aucun cas intervenir avant 2013. M. Tony Blair a également exprimé le souhait de parvenir à un accord sur les perspectives financières avant la fin de l'année, soit à la mi-décembre 2005, aucune proposition concrète ne devant être formulée lors du Conseil informel d'octobre.

-  La présidence britannique n'a pas, pour l'heure, abouti à des propositions concrètes en vue du Conseil européen informel qui se tiendra dans quelques jours. La France a contribué à la préparation de cette réunion en suggérant notamment de mobiliser des financements européens en faveur de la recherche que ce soit en sollicitant le budget de l'Union ou en utilisant des facilités dégagées par la Banque européenne d'investissement. Notre pays souhaiterait qu'un consensus se dégage lors de ce Conseil européen informel sur les questions énergétiques notamment, pour assurer la sécurité de nos approvisionnements, la hausse du prix du pétrole l'imposant. Des nouvelles technologies doivent être également développées en la matière. Enfin, la France a demandé que la problématique démographique, qui pèse sur la croissance, soit évoquée à l'occasion de cette réunion.

-  Concernant l'intérêt politique que pourrait trouver le Royaume-Uni à ne pas voir conclure avant la fin 2005 les négociations sur les perspectives financières, on peut considérer que, selon la logique communautaire, au terme de laquelle le pays qui assume la présidence de l'Union met tout en œuvre pour que les discussions aboutissent, une issue à cette question pourrait être trouvée, même si des interrogations demeurent.

-  En matière de circulation des travailleurs des nouveaux Etats membres au sein de l'Union, il ne paraît pas possible d'accorder un régime dérogatoire à tel ou tel pays au motif que sa main d'œuvre serait peu mobile, comme c'est le cas en République tchèque. Le sort de tous les nouveaux Etats membres doit être réglé globalement.

-  Le respect du principe d'égalité des langues en Europe ne permet pas, juridiquement, de retenir la proposition de la Commission des Affaires étrangères visant à ce que le français soit la langue de référence en cas de conflits d'interprétation sur les textes juridiques, et ce même si notre langue est celle des délibérés de la Cour de justice. La Ministre a rappelé que les actions du Gouvernement pour la diffusion du français dans les instances européennes et en direction des nouveaux Etats membres, par le biais de programmes cofinancés avec la Commission, connaissaient un grand succès.

-  On doit constater, tout en le regrettant, que si l'administration française devait rejeter tous les projets de textes et documents européens qui lui proviennent d'abord en version anglaise, sa capacité de réaction lors des négociations communautaires serait considérablement réduite.

-  Le Conseil Affaires générales du 18 octobre 2005 vient de s'achever sur la question du mandat de la Commission pour négocier à l'OMC. Il est apparu, en effet, que la semaine dernière, la Commission européenne avait fait une nouvelle proposition de négociation à cette organisation sans aucune concertation préalable avec les Etats membres, ce qui est anormal. La France a demandé que la preuve soit apportée par la Commission que cette proposition nouvelle respectait le cadre du mandat qui avait été fixé préalablement par le Conseil. Le Commissaire européen chargé de ces questions, M. Peter Mandelson, a fait savoir, sans précision aucune, qu'il considérait que tel était bien le cas. Il sera nécessaire de le vérifier par un examen technique de cette nouvelle proposition. Elle n'a été découverte par les Etats membres qu'après sa transmission à des pays tiers dans le cadre de la négociation commerciale. Les premières expertises engagées par la France laissent supposer que la Commission aurait atteint la limite de son mandat pour les négociations relatives à certains produits et serait même allée au-delà pour certains autres. Notre pays a demandé que, pour l'avenir, à chaque étape de ces négociations, le Conseil puisse vérifier le respect par la Commission de son mandat. Adoptées après un débat difficile et sans qu'un accord unanime se dégage spontanément, les conclusions du dernier Conseil Affaires générales donnent satisfaction à la France. Le mandat qui a été confié à la Commission par le Conseil a été rappelé dans son contenu et il a été réaffirmé explicitement, comme le demandait en vain notre pays depuis 2003, que la réforme de la PAC constituait la contribution de l'Union européenne aux négociations de l'OMC et, dès lors, faisait figure de limite que le Commissaire européen ne pouvait transgresser. Ces conclusions ont également rappelé l'obligation de transparence des négociations menées par la Commission, condition nécessaire pour que celle-ci et le Conseil puissent travailler en toute confiance. Enfin, le Conseil a réaffirmé l'importance de parvenir, dans le cadre des discussions au sein de l'OMC, à un résultat équilibré d'un point de vue global.

-  L'assertion de M. Jacques Myard selon laquelle le référendum du 29 mai 2005 serait un « succès » n'est évidemment pas partagée par la Ministre, puisque les Français ont rejeté le traité constitutionnel européen. On ne peut pas non plus partager son point de vue selon lequel construire l'Europe politique serait un projet surréaliste. De manière un peu paradoxale, on doit d'ailleurs observer qu'après cet échec, la matière qui est appelée à connaître les progrès les plus sensibles sera la PESC qui demeure dans le domaine des relations intergouvernementales.

*

* *

Examen pour avis des crédits des Affaires européennes pour 2006

M. Roland Blum, Rapporteur pour avis, a indiqué qu'il ne reviendrait pas sur le détail du budget européen pour 2006 qui venait d'être évoqué abondamment par la Ministre déléguée aux Affaires européennes.

Le budget européen pour 2006 est dans la parfaite continuité de celui de l'an passé. De l'ordre de 121 milliards d'euros, avec une contribution française de 18 milliards (contre un peu plus de 17 milliards pour 2005), il marque la fin des perspectives 2000-2006 avant l'ouverture du nouvel agenda ; on a souligné les incertitudes qui pesaient sur lui.

Il a souhaité ensuite aborder plus particulièrement la situation de la République tchèque choisie comme exemple dans le cadre de son rapport pour avis afin d'illustrer la manière dont un nouvel Etat membre a pu négocier sa première année dans l'Union.

Après une décennie quatre-vingt-dix difficile - la République tchèque n'a retrouvé qu'en 1999 son niveau de vie de 1989 - le bilan est très favorable pour ce pays qui a réformé son économie et qui connaît une croissance de plus de 4 %, une inflation maîtrisée et une balance commerciale excédentaire. Seul le chômage reste élevé (environ 8 %) avec cependant de fortes disparités entre Prague, par exemple, et certaines régions en voie de reconversion au Nord du pays notamment.

La République tchèque est très industrialisée, ce qui explique qu'elle se sent peu concernée par la politique agricole commune (PAC) au contraire de ses voisins polonais ou slovaque. En revanche, elle porte une attention particulière à la question des dépenses régionales. Les administrations tchèques avaient mis en place des structures très sérieuses pour gérer les fonds européens. La République tchèque a cependant pris du retard pour ce qui concerne la consommation des crédits dégagés en 2004, retard qu'elle entend rattraper en 2006.

Les relations entre la France et la République tchèque sont plutôt bonnes même si les Tchèques regrettent que notre pays ne se tourne pas plus vers eux. Ils s'interrogent aussi sur l'attitude de la France après le vote du 29 mai 2005, ce qui est réjouissant et préoccupant. Cela est réjouissant, car on voit clairement que la France est toujours perçue comme l'un des leaders concernant le projet européen. Mais cela est aussi préoccupant car, faute de signal fort de notre pays, on sent que les nouveaux Etats membres risquent de se détourner durablement de la France.

La question de l'ouverture pleine et entière de nos frontières aux travailleurs tchèques qui sont d'ailleurs peu mobiles y compris dans leur pays est devenue un point de crispation entre la France et la République tchèque. La décision de reporter ou pas cette clause de sauvegarde doit être prise au printemps prochain.

Il ressort de cette mission que la République tchèque entend jouer un rôle actif en Europe sur les questions d'élargissement - avec un soutien très net à la Croatie - ou diplomatique. Au cours de sa mission, le Rapporteur pour avis a pu rencontrer des interlocuteurs très au fait des questions européennes et soucieux d'apporter leur contribution au débat. Surtout, il y a perçu une position beaucoup plus nuancée que celle qui voudrait que les nouveaux Etats membres adoptent la même attitude que celle du Royaume-Uni, favorable à un grand marché. Les Tchèques semblent, au contraire, très attachés à une Union qui assure ses missions politiques et apporte stabilité et paix en Europe. L'histoire tchèque explique pour beaucoup cet attachement à ce rôle de l'Union.

Pour conclure, il a invité la Commission à donner un avis favorable à l'article 50 du projet de loi de finances pour 2005 qui porte sur le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne.

Conformément aux conclusions du Rapporteur pour avis, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 50 du projet de loi de finances pour 2006.

*

* *

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'enlèvement de Florence Aubenas et Hussein Hanoun

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Roland Blum, la proposition de résolution n° 2382 de M. Jean Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur les circonstances relatives à l'enlèvement, à la détention et aux conditions de libération en Irak de Florence Aubenas et Hussein Hanoun.

M. Roland Blum, Rapporteur, a rappelé que les membres du groupe socialiste et apparentés avaient déposé le 17 juin 2005, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur « les circonstances relatives à l'enlèvement, à la détention et aux conditions de la libération en Irak de Florence Aubenas et de Hussein Hanoun ».

La proposition de résolution est juridiquement recevable. En effet, les faits sur lesquels la proposition de résolution demande qu'une enquête soit menée sont « certaines circonstances relatives à l'enlèvement, à la détention et aux conditions de la libération en Irak de Florence Aubenas et Hussein Hanoun ». Ils sont donc déterminés avec suffisamment de précision. Interrogé par le Président de notre Assemblée, le Garde des Sceaux a fait savoir qu'à sa connaissance « aucune procédure judiciaire n'est actuellement en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition ». Enfin, notre Assemblée n'a mené à ce jour ni mission d'information ni commission d'enquête sur les faits qui motivent la présente proposition de résolution. Les trois conditions de la recevabilité juridique de la proposition de résolution sont donc réunies, ce qui ne signifie pas que son adoption soit souhaitable.

Les auteurs de la proposition de résolution insistent, à juste titre, sur le fait que les socialistes « ont été de bout en bout solidaires des actions menées par le gouvernement, contre le terrorisme » et ont participé à toutes les actions de mobilisation en faveur de Florence Aubenas et Hussein Hanoun. Ils estiment que désormais, « le temps du silence n'est plus de mise » et qu'il convient de faire toute la lumière sur l'enlèvement et la libération de la journaliste française et de son accompagnateur.

Cette libération a été obtenue par le travail remarquablement efficace de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), qui a su tirer les enseignements de l'enlèvement de Christian Chesnot et Georges Malbrunot et est parvenue, après un mois d'effort, à instaurer un contact stabilisé avec un interlocuteur qui a servi d'intermédiaire entre eux et les ravisseurs pour les négociations. La qualité de ce travail, qui se fait, par nature, dans la discrétion, ne peut qu'être saluée.

Une commission d'enquête qui s'intéresserait aux conditions de la libération de Florence Aubenas et de Hussein Hanoun serait nécessairement amenée à demander le témoignage des personnes qui y ont contribué et la transmission des documents relatifs à leur travail de terrain. Or, il est peu probable que les agents français et étrangers qui ont joué un rôle dans la libération de la journaliste accepteraient de témoigner devant une commission d'enquête et de livrer les éventuels documents qu'ils détiendraient.

Certes, en application du II de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, « toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission », ce qui impose une obligation de se présenter devant la commission d'enquête dès lors que le président en a fait la demande ; mais il sera quasiment impossible de mettre en œuvre ces dispositions. D'une part, il sera très difficile, par définition, d'obtenir l'identité des nombreuses personnes qu'il serait utile d'entendre. D'autre part, il ne saurait être envisagé d'envoyer un agent de la force publique française à la recherche d'un témoin à l'étranger.

En outre, l'obligation de se présenter devant la Commission ne signifie pas l'obligation de lui révéler tout ce que l'on sait. L'article 6 de l'ordonnance précitée précise que la personne convoquée « est tenue de déposer, sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». Il est donc possible aux agents des services de renseignement d'invoquer le secret professionnel pour ne pas révéler une information à caractère secret.

Enfin, pour ne pas livrer les documents secrets relatifs à l'enlèvement, ils pourraient se prévaloir des dispositions du même article selon lesquelles les rapporteurs de commissions d'enquête « sont habilités à se faire communiquer tous les documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat (...) ».

Quand bien même un certain nombre de personnes accepteraient de témoigner, la mise à jour des réseaux qui ont permis une issue heureuse aux deux prises d'otages présenterait un danger évident, à la fois pour les membres de ces réseaux, dont une partie au moins vit toujours en Irak et qui pourraient être victimes de représailles de la part des auteurs des enlèvements, et pour la pérennité des réseaux d'informateurs sur lesquels la France peut actuellement compter. Dans le cas, que l'on ne peut malheureusement pas exclure, où un nouvel enlèvement surviendrait, les services français ne pourraient plus ni compter sur ces réseaux, dont l'existence et les mécanismes seraient désormais publics, ni en tisser de nouveaux, les personnes susceptibles d'aider la France n'étant certainement pas prêtes à courir le risque de voir, à leur tour, leur nom dévoilé.

La proposition de résolution insiste en revanche avec beaucoup de pertinence sur le problème de l'impunité dont jouissent les preneurs d'otages. Ce problème est dû au chaos institutionnel dans lequel l'Irak s'est trouvé depuis la chute du régime baasiste, mais aussi au fait que les victimes des enlèvements ou les Etats dont elles sont ressortissantes portent rarement plainte. Cette impunité doit être combattue avec énergie, en particulier dans un cadre international, afin de mettre un terme à des pratiques criminelles qui ont touché plusieurs centaines de personnes, irakiennes ou étrangères, au cours des deux dernières années.

Si ce problème est grave, ce n'est pas la commission d'enquête, dont la création est demandée, qui pourrait contribuer à lui apporter une solution. Le travail que mènent actuellement deux de nos collègues dans le cadre d'une mission d'information sur le statut des journalistes et correspondants de guerre en cas de conflit me semble mieux adapté à la recherche de pistes pour mieux protéger nos ressortissants des kidnappings, et pour mettre un terme à l'impunité dont jouissent les responsables de ces pratiques criminelles.

M. Roland Blum, Rapporteur, s'est prononcé pour le rejet de cette proposition de résolution.

M. Jacques Godfrain a estimé que si les agents qui avaient participé à la libération de Mme Florence Aubenas avaient su à l'époque que leur travail ferait ultérieurement l'objet d'une Commission d'enquête, ils ne l'auraient sans doute pas accompli. La mort d'un agent italien lors de la libération des deux otages de ce pays rappelle, s'il en était besoin, à quel point ce type de missions est périlleux. Enfin, lorsqu'une arrestation est filmée en France, l'image des gendarmes ou des policiers est cachée : il est donc justifié que les agents en service à l'étranger soient également protégés.

M. Paul Quilès a estimé qu'il était normal d'examiner de manière dépassionnée les circonstances de la libération de Mme Florence Aubenas. Le but des auteurs de la proposition de résolution n'est pas de mettre en danger qui que ce soit et une telle affirmation relève du procès d'intention. Alors qu'un parlementaire est intervenu lors des négociations tendant à la libération de cet otage dans des conditions qui ont ridiculisé le Parlement et les services français compétents, il est du devoir de l'Assemblée de faire la lumière sur ces évènements, d'autant qu'ils sont susceptibles de se reproduire à l'avenir. Le rôle du Parlement n'est pas de regarder passer les trains et dans toutes les grandes démocraties les commissions d'enquête traitent de sujets relevant des services secrets. Rester silencieux serait coupable. Il ne s'agit pas de gêner l'exécutif, mais d'éclaircir une situation qui a été dommageable pour le Parlement et la démocratie.

M. François Loncle a considéré que le Parlement avait pour mission de contrôler l'exécutif au moyen de commissions d'enquête ou de missions d'information. Les législatures précédentes ont montré tout l'intérêt de ce type de travaux à l'occasion par exemple des missions consacrées au Rwanda ou à Srebrenica. La création d'une commission d'enquête sur les circonstances de la libération de Florence Aubenas permettrait de faire la lumière sur le rôle des différents pays qui sont intervenus et sur le rôle des différents protagonistes de l'affaire. L'intérêt d'une telle commission est d'informer les citoyens et d'apporter des éclaircissements utiles pour l'avenir. Il est d'ailleurs regrettable que la Commission ait précédemment rejeté la demande déposée par les députés socialistes tendant à la création d'une commission d'enquête sur les événements de Côte d'Ivoire. En l'absence d'une telle commission, il revient aujourd'hui à l'exécutif seul de tirer les conséquences des agissements du commandement militaire français sans que le Parlement ne soit intervenu au préalable, ce qui est dommage.

M. Roland Blum, Rapporteur, a indiqué que les risques que courraient les personnes qui accepteraient de témoigner ne pouvaient être balayés d'un revers de main et qu'à eux seuls ils rendaient inopportune la constitution de cette commission enquête.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a rejeté la proposition de résolution (n° 2382).

_______

● Union européenne (budget)

● Union européenne (élargissement)

● Irak


© Assemblée nationale