COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 15

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 7 décembre 2005
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Stefan Meller, ministre des Affaires étrangères de la République de Pologne

  

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Audition de M. Stefan Meller, Ministre des Affaires étrangères de la République de Pologne

Le Président Edouard Balladur a souhaité la bienvenue à M. Stefan Meller, ministre des Affaires étrangères de la République de Pologne, et s'est réjoui que l'un de ses tout premiers voyages à l'étranger depuis sa récente nomination ait pour destination Paris, signe, selon lui, de la volonté du nouveau gouvernement polonais d'avoir avec la France des relations encore plus étroites et plus confiantes.

M. Stefan Meller, Ministre des Affaires étrangères de la République de Pologne, s'exprimant en français, a remercié le Président Edouard Balladur et la Commission de lui donner l'occasion d'évoquer l'évolution de la Pologne et de sa politique européenne, et s'est dit ému de retrouver, quatre ans et demi après, la ville et le pays où il fut ambassadeur pendant cinq ans - et où il n'imaginait pas revenir un jour en tant que ministre des Affaires étrangères. Il a fait observer que le gouvernement polonais composé au lendemain des élections législatives et présidentielle de l'automne était le plus francophone de toute l'histoire de la nouvelle Pologne démocratique : la moitié des ministres parlent couramment le français, à telle enseigne que le Conseil des ministres pourrait presque se tenir dans cette langue.

La politique étrangère polonaise est marquée du sceau de la continuité, car ses bases n'ont pas changé depuis 1989 : elles sont la conséquence des événements qui ont permis à la Pologne de retrouver sa liberté, son indépendance et de construire sa démocratie. Quant aux changements que l'on a pu observer dans cette politique, ils découlent naturellement de l'évolution du pays, de l'Europe et du monde depuis quinze ans, évolution qui s'est traduite par l'adhésion de la Pologne à l'OTAN, puis à l'Union européenne.

La Pologne apprend, depuis un an et demi, à ne plus être un observateur, mais un membre actif de l'Union européenne, et prend part à tous ses grands débats en cours et à venir. L'une des tâches qui attend la diplomatie polonaise est de développer une nouvelle vision du « Triangle de Weimar », constitué par la France, l'Allemagne et la Pologne à l'époque où leurs ministres des aAfaires étrangères étaient respectivement MM. Roland Dumas, Hans Dietrich Genscher et Krzysztof Skubiszewski, et qui a aidé la Pologne à trouver le chemin le plus court vers l'Europe ; il s'agit aujourd'hui de lancer de nouveaux projets précis et concrets, mais aussi une réflexion intellectuelle et politique sur la construction de l'Europe future et sur la place des nouveaux venus dans l'Union européenne.

Quant à la Russie, la Pologne doit s'attacher à donner aux relations qu'elle entretient avec elle un style nouveau, dans le cadre d'un dialogue qui n'est plus seulement bilatéral, puisqu'elle est partie prenante de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union.

Les relations avec les Etats-Unis ont traversé plusieurs phases successives. Le ministre polonais de la défense, M. Radoslaw Sikorski, a été reçu hier par M. Donald Rumsfeld à Washington, où une autre rencontre aura lieu le 17 décembre entre Mme Condoleezza Rice, secrétaire d'Etat, et son homologue polonais. Il y sera notamment question de la présence des troupes polonaises en Irak.

La réflexion du gouvernement polonais actuel est, quelques commentaires que l'on ait pu lire dans la presse au cours des cinq dernières semaines sur les conséquences possibles du changement politique intervenu lors des dernières élections, une réflexion pro-européenne. Rien n'a changé à cet égard et la Pologne cherche toujours à entretenir des liens très étroits avec l'Union européenne et chacun de ses membres. Une preuve en est la venue à Paris de son ministre des Affaires étrangères.

Après avoir remercié le ministre pour son propos liminaire, le Président Edouard Balladur a souhaité connaître les points sur lesquels la Pologne était décidée à ne pas transiger dans la discussion en cours du budget européen. Puis, constatant que la Constitution européenne ne verra sans doute pas le jour, il s'est demandé si la Pologne allait amorcer une réflexion sur ce que devraient être les futures institutions de l'Union européenne ? Serait-elle prête, par exemple, à accepter dès maintenant que le président du Conseil européen soit élu pour deux ans et demi renouvelables ? La Pologne considère-t-elle que l'Union européenne puisse continuer à s'élargir alors qu'elle n'a pas encore réformé ses institutions ni même adopté son budget ? Le Traité de Nice permettrait-il à l'Union de supporter un élargissement ultérieur ?

Enfin, le Président Edouard Balladur a souhaité savoir si la Pologne était prête à entrer dans la zone euro, et si le fait que certains de ses responsables politiques envisagent un référendum sur la question était ou non de nature à favoriser une telle perspective.

M. Lionnel Luca a félicité le ministre de l'excellence de son français, belle illustration des liens historiques entre la Pologne et la France, qui ne se sont jamais démentis. Pour autant, une certaine incompréhension est apparue récemment entre les deux pays, certains en France reprochant à la diplomatie polonaise un alignement excessif sur les Etats-Unis, notamment à propos de l'Irak. Cet élément est-il toujours d'actualité ? Par ailleurs, les parlementaires français souhaiteraient être mieux informés sur les relations qu'entretient la Pologne avec ses deux voisins orientaux, l'Ukraine et la Biélorussie.

Après avoir dit sa satisfaction, au nom de l'amitié franco-polonaise, d'entendre en Commission le ministre des Affaires étrangères de Pologne, M. Axel Poniatowski a demandé quelle était la vision polonaise des frontières de l'Europe. Jusqu'où celle-ci doit elle aller ? Doit-elle, par exemple, inclure la Turquie ? Où en est la réflexion sur ce sujet en Pologne ?

M. Stefan Meller a apporté, en réponse aux différentes questions, les éléments suivants.

Les propositions budgétaires actuelles de la Présidence britannique ne sont pas acceptables par la Pologne. Les choses peuvent certes évoluer, mais en l'état, le projet présenté va contre les intérêts de la Pologne et contre les principes mêmes du Traité de Rome, qui parle de « solidarité » - un mot qui, pour les Polonais, revêt une dimension historique importante, vingt-cinq ans après la création du syndicat libre Solidarność.

Quelques mois après l'échec du traité constitutionnel européen, une réflexion se développe à nouveau en Pologne, mais cette fois à partir des milieux politiques et de la société civile vers le Gouvernement, et non pas l'inverse. Le Gouvernement a annoncé à la Commission des Affaires étrangères de la Diète son intention d'inviter les dirigeants de tous les partis politiques à participer, en 2006, à ce débat qui, s'étant engagé de façon non officielle, devient un débat national.

Quant à l'élection du président du Conseil européen pour deux ans et demi, il est encore trop tôt pour que la Pologne soit en mesure d'avoir une opinion précise. Il faudra en passer par un débat national, car aucune force politique n'a encore pris position sur la question.

L'élargissement est une question très sérieuse, et cela vaut pour ceux qui ont eu lieu comme pour ceux à venir. On peut la considérer d'un point de vue économique et financier ; on peut aussi l'envisager d'un point de vue politique. La Pologne considère que les élargissements sont des décisions de principe qui doivent être prises avant tout en fonction de critères politiques.

La Pologne se reconnaîtrait difficilement dans une vision du continent où les pays balkaniques, au-delà même de l'adhésion de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie, n'auraient pas leur place. Elle s'est employée au début des années 1990, sous l'impulsion de son ministre des Affaires étrangères, M. Krzysztof Skubiszewski, à conclure, en dépit d'une histoire commune tourmentée, des traités de bon voisinage avec tous ses voisins - Allemagne, Russie, Lituanie, Ukraine - et y est parvenue en dépit des difficultés qu'on lui prédisait. Parallèlement, la guerre ravageait l'ex-Yougoslavie, déstabilisant l'Europe entière au moment où une partie d'elle-même était en train de renaître. Ce sont donc des raisons politiques qui expliquent la position de la Pologne en faveur de l'élargissement, étant entendu qu'il convient naturellement de se donner un calendrier réaliste.

Certains hommes politiques polonais sont partisans d'une entrée rapide dans l'euro, d'autres y sont au contraire très défavorables, mais il est trop tôt pour que le gouvernement prenne une position définitive. Ce gouvernement, qui n'est en place que depuis quelques semaines, et minoritaire qui plus est, prépare le budget pour 2006 et attend, pour l'heure, l'adoption du budget européen.

La nature des relations entre la Pologne et les Etats-Unis n'est pas uniquement politique. La plus grande ville polonaise du monde n'est pas Varsovie, mais Chicago, et ce depuis la fin du XIXe siècle, et le premier chef d'Etat à avoir soutenu, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'indépendance de la Pologne fut Woodrow Wilson. Après 1989, le puissant lobby des Américains d'origine polonaise a pesé en faveur de l'admission de la Pologne dans l'OTAN, et les Etats-Unis sont apparus aux Polonais comme le garant le plus efficace de leur liberté et de leur souveraineté retrouvées. Aujourd'hui, la relation transatlantique est parvenue à une sorte d'équilibre, et rien ne subsiste de ce qui permettait naguère à certains, dans l'Union européenne, de qualifier la Pologne de « cheval de Troie » des Etats-Unis.

La question la plus importante, pour les relations bilatérales, est celle de la présence des troupes polonaises en Irak. Etats-Unis et Pologne sont d'accord pour que ces troupes s'occupent désormais uniquement d'entraîner les troupes irakiennes, au lieu de représenter une capacité militaire proprement dite. Elles pourraient, dans ces conditions, quitter le territoire irakien, dans le courant de l'année 2006 - sans que le mois puisse être encore précisé -, leur tâche d'entraînement étant achevée ou pouvant se poursuivre dans des académies militaires en Pologne même.

La Pologne ne voit pas d'obstacle de principe à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, mais souhaite surtout que celle-ci s'élargisse - dans un avenir qui ne saurait naturellement être immédiat - à l'Ukraine, pays dont la vocation européenne fut reconnue dès le XVIIe siècle par un voyageur français, Guillaume Le Vasseur de Beauplan, qui en fit la première description de toute l'historiographie moderne. La Pologne considère que l'Ukraine, grand Etat européen, est un pays clé pour la stabilité du continent, à laquelle elle contribuera de façon décisive lorsque sa propre stabilité sera assurée. L'absence de l'Ukraine ne ferait que rendre les évolutions futures plus compliquées, et plus difficile la définition des frontières de l'Europe. Le pays connaît depuis un an une révolution démocratique que l'Europe doit à la fois aider et contrôler car les institutions sont encore fragiles. Le Triangle de Weimar peut y apporter une contribution notable.

Le cas biélorusse est différent, car d'une part la liberté politique qui règne en Pologne - et désormais en Ukraine - est un exemple pour la société civile qui cherche à se constituer en Biélorussie, et d'autre part il existe depuis 1945, du fait du déplacement de la frontière entre la Pologne et l'Union soviétique, une importante minorité polonaise en Biélorussie - un demi-million de personnes - et une moindre minorité biélorusse dans l'Est de la Pologne. La Pologne agit donc à la fois en faveur de la défense des droits de l'homme et de la défense des droits de la minorité nationale polonaise, les uns et les autres malmenés par le régime autoritaire du président Aleksandr Loukachenko. Elle se réjouit que, depuis un certain temps, l'Union européenne ait marqué son intérêt pour la situation politique en Biélorussie, permettant aux relations bilatérales entre Varsovie et Minsk de s'appuyer sur un dénominateur commun minimum au niveau de l'Union.

Concluant son propos, le Ministre a assuré les membres de la Commission de sa disponibilité à revenir s'exprimer prochainement devant eux et de la volonté du gouvernement auquel il appartient de renforcer les liens entre la Pologne et la France.

Le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre de sa visite et de ses réponses circonstanciées aux questions des membres de la Commission.

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