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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 21

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 7 février 2006
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Li Zhaoxing, Ministre des Affaires étrangères de la République populaire de Chine

  


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Audition de M., Ministre des Affaires étrangères de la République populaire de Chine

Le Président Edouard Balladur a souhaité la bienvenue à M. Li Zhaoxing. Il a souligné l'importance des relations non seulement entre la Chine et la France mais aussi entre la société chinoise et la société française.

Après avoir remercié le Président Edouard Balladur pour son accueil, M. Li Zhaoxing, Ministre des Affaires étrangères de la République populaire de Chine, a exprimé la reconnaissance de son peuple pour les efforts réalisés en faveur des relations franco-chinoises et a présenté ses vœux à l'occasion du début de l'année du chien, symbole de dévouement et de fidélité. Il a souhaité que cette année voie le développement des relations bilatérales entre la France et la Chine, et notamment entre leurs parlements.

Ayant à son tour formulé des vœux pour la Chine et son peuple, le Président Edouard Balladur a souhaité savoir comment la Chine envisageait la diversification de ses sources d'approvisionnement énergétique afin de répondre à l'augmentation des besoins liée à la très forte croissance de son économie. En ce qui concerne la protection de l'environnement, la Chine a ratifié le protocole de Kyoto mais sans être engagée sur un objectif précis de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Le protocole devant être renégocié en 2012, quels engagements la Chine a-t-elle l'intention de prendre pour cette échéance ?

La situation du nucléaire en Iran constitue une grande préoccupation pour tous les pays du monde, ce dont a témoigné le renvoi unanime de cette question devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Qu'est ce que la Chine attend de ce renvoi, alors qu'elle est récemment apparue plus ouverte qu'auparavant à l'exercice d'une contrainte sur l'Iran ? En ce qui concerne la réforme des Nations unies, la Chine est-elle favorable à une amélioration de la représentativité du Conseil de sécurité, ce qui passerait par la nomination de nouveaux membres dont certains pourraient être des membres permanents éventuellement dotés d'un droit de veto ?

M. Li Zhaoxing a rappelé que le Premier ministre chinois avait effectué en 2005 une visite en France à l'occasion de laquelle il avait notamment abordé le dossier énergétique avec les dirigeants français. Depuis 27 ans, la croissance chinoise s'établit en moyenne à 9,4 % par an. En 2005, son produit intérieur brut a atteint 2200 milliards de dollars américains, en hausse de 9,9 % par rapport à l'année précédente. Le niveau de vie de la population s'améliore mais de nouveaux problèmes surgissent, parmi lesquels celui de l'énergie. En 2004, la Chine a produit plus de 160 millions de tonnes de pétrole brut, mais sa principale source d'énergie reste le charbon, dont elle est le premier producteur mondial. Elle est non seulement autosuffisante dans ce domaine mais aussi exportatrice. La réflexion actuellement en cours en faveur d'une meilleure protection de l'environnement pourrait conduire à une réduction de ces exportations, mais l'Europe attend au contraire de la Chine qu'elle exporte plus de charbon dans l'avenir.

En fait, deux problèmes se posent : la Chine doit importer du pétrole et elle doit éviter de gaspiller ses ressources naturelles. Elle exporte beaucoup de produits nécessitant de grandes quantités d'énergie et de ressources naturelles et engendrant une forte pollution. Il faut remédier à cette situation par la promotion d'un développement durable, ce à quoi la coopération avec la France peut contribuer. La nécessité d'économiser les ressources énergétiques a été prise en compte dans le onzième programme pour le développement économique qui prévoit que le PIB chinois soit multiplié par quatre entre 2010 et 2020 tandis que la consommation d'énergie devrait diminuer de 5 % par an. Pour atteindre cet objectif, de nouvelles ressources énergétiques comme le nucléaire, l'hydraulique et l'éolien doivent être développées. La France peut aider la Chine à y parvenir.

La Chine a signé le protocole de Kyoto et souhaite qu'il soit respecté. Il est dans l'intérêt de la Chine de protéger l'environnement et de lutter contre les changements climatiques.

Il est très positif que les membres permanents du Conseil de sécurité soient parvenus à se mettre d'accord sur le délicat et complexe dossier iranien. Il est essentiel de convaincre l'Iran qu'il ne doit pas reprendre ses activités nucléaires et, pour cela, de parvenir à une solution diplomatique dans le cadre de l'AIEA. Le Ministre a indiqué qu'il s'était efforcé d'expliquer aux dirigeants iraniens que leur pays avait tout à gagner à reprendre ses négociations avec les pays européens afin de résoudre la crise. Mais les évolutions récentes ne sont pas conformes aux souhaits de la communauté internationale et ont conduit à un regain de tension. Rien n'est plus précieux que la paix et la stabilité. La voie diplomatique est la meilleure pour les préserver.

En tant que pays fondateurs et membres permanents du Conseil de sécurité, la France et la Chine sont d'accord sur de nombreux points en ce qui concerne la réforme des Nations unies. Elles sont notamment toutes deux particulièrement attachées au respect de l'esprit de la Charte. La France s'efforce de contribuer au développement des pays africains, dossier que la Chine juge particulièrement crucial. Elle est favorable depuis de nombreuses années à une réforme des Nations unies et a soutenu les initiatives en ce sens. Mais réformer une institution revient à guérir une maladie : il faut trouver des solutions parfaitement adaptées aux symptômes. La Chine estime que les Nations unies ont mené trop peu d'actions concrètes et que le Conseil de sécurité, créé alors que les Nations unies ne comptaient que 51 membres, souffre de la sous-représentation des pays en développement, ainsi que des pays petits et moyens. Cette situation n'est pas conforme à la Charte qui prévoit l'égalité entre tous les Etats et un fonctionnement démocratique. Il faut absolument trouver une solution qui améliore la représentation des pays africains et qui soit acceptée par l'ensemble des Etats afin de rendre au Conseil de sécurité toute sa légitimité et son autorité.

M. Roland Blum a fait état des pourparlers à six entre les deux Corée, la Chine, le Japon, la Russie et les Etats-Unis sur le désarmement de la péninsule coréenne et il a mentionné la récente décision des autorités nord coréennes de cesser leur participation aux négociations en raison des accusations de blanchiment d'argent portées à leur encontre par l'administration américaine. Quelle est la position de la Chine sur cette question ?

M. François Loncle a indiqué que la Chine était aujourd'hui la troisième puissance militaire du monde et il a souhaité obtenir des explications sur la portée de l'effort considérable accompli par la Chine dans le domaine de la défense. Quels sont les ennemis de la Chine ? Comment expliquer cet accroissement du budget militaire chinois ?

Le Ministre des Affaires étrangères de la République populaire deChine a apporté les éléments de réponse suivants :

-  la question coréenne suscite l'intérêt du monde entier et la Chine est plus particulièrement concernée par ce problème, car elle dispose d'une frontière terrestre avec la Corée du Nord ; les autorités chinoises souhaitent que la péninsule coréenne puisse être dénucléarisée et qu'elle connaisse la paix et la stabilité ; la Chine est directement impliquée dans le processus de règlement de la question coréenne ; tant que les Etats-Unis considèreront la République démocratique populaire de Corée comme « l'avant-garde de la tyrannie », les autorités nord-coréennes craindront une agression américaine et seront fermées à la discussion ; la Chine développe d'importants efforts envers les différentes parties pour que les pourparlers aboutissent ; il y a d'ores et déjà eu une déclaration commune mentionnant le renoncement au développement d'armes nucléaires, ce qui constitue un important progrès ; les accusations de blanchiment d'argent portées par l'administration américaine à l'encontre des autorités nord-coréennes posent de nouvelles difficultés ; la Chine entend poursuivre sa médiation pour convaincre les différentes parties de reprendre les négociations d'ici un mois ; il faut faire preuve de patience, de souplesse et de créativité pour avancer et trouver une solution à la délicate question de l'armement nucléaire dans la péninsule coréenne ;

-  il est souhaitable que la France et la Chine puissent développer leur coopération dans le domaine de l'énergie nucléaire ; la France est particulièrement compétitive dans ce domaine et il serait souhaitable que les échanges en la matière s'intensifient ;

-  la politique de défense de la Chine s'inscrit dans la voie d'un développement pacifique facilité par un environnement stable ; le développement économique est conditionné par la paix ; si le PIB de la Chine est très important en volume, il est minime lorsqu'on le ramène au nombre d'habitants ; après 27 ans de réformes et d'ouverture de son économie, la Chine a toujours un PIB par habitants de 1 700 dollars ; la pression démographique est très forte : 9 millions d'emplois ont été créés l'an dernier, mais 10 millions de personnes sont en recherche d'emploi ; une dizaine de millions de paysans cherchent à rejoindre les villes ; le nombre de nouveaux-nés l'an dernier s'est élevé à 12 millions et huit millions de nouveaux travailleurs entrent sur le marché du travail chaque année ; les disparités de développement entre l'Est et le reste du pays sont par ailleurs très fortes ; il faut accroître le revenu des paysans ; l'objectif premier des autorités chinoises est donc celui du développement pacifique ;

-  la thèse d'une menace chinoise est une assertion infondée ; la Chine n'a aucune intention de menacer les autres pays ; il n'en demeure pas moins que la réunification de la patrie n'est pas achevée et qu'elle constitue un objectif constant pour les autorités chinoises, qui ne tolèreront jamais les tentatives sécessionnistes de Taïwan ; ces activités, qui ont fait l'objet d'une loi votée par le Parlement chinois, constituent la plus grave menace pour la paix dans la région ;

-  il convient en tout état de cause de relativiser la portée de l'effort militaire chinois ; avec 1,6 % de son PIB consacrés à la défense pour un budget de 30 milliards de dollars, la Chine se situe loin derrière les Etats-Unis dont le budget est de 422 milliards de dollars et même du Japon dont le budget est de 45,4 milliards de dollars, alors même que son territoire et sa population sont sans comparaison avec ceux de la Chine.

Ayant rappelé que 150 pays, dont la France, avaient signé et ratifié la convention d'Ottawa sur les mines antipersonnel, M. François Rochebloine a souhaité savoir si la Chine envisageait de faire de même et sous quels délais.

Soulignant que les Etats-Unis étaient conscients que la Chine allait devenir sous peu l'autre superpuissance dans le monde, M. Loïc Bouvard a demandé à M. Li Zhaoxing comment il voyait l'évolution des relations entre ces deux grands pays.

Le Ministre des Affaires étrangères a répondu que la Chine travaillait avec la communauté internationale à l'élimination de toutes les mines. La Chine joue un rôle constructif et participe activement au processus d'Ottawa. Dans l'histoire et dans l'actualité, la Chine a été et est toujours contre un ordre irrationnel dans le monde. Ayant été victime de guerres, elle comprend les sentiments et les besoins des pays eux-mêmes victimes des guerres. A l'instar de la France et de la seconde guerre mondiale, la Chine a subi l'agression japonaise de 1937 à 1945, les souffrances du pays ayant même commencé dès 1931. C'est pourquoi la Chine souhaite maintenir une coopération très sincère avec la communauté internationale.

Les vues des Etats-Unis et de la Chine sont similaires sur beaucoup de points. La France et la Chine ont un ami commun, les Etats-Unis. La Chine est très attachée à maintenir ses relations avec les Etats-Unis. Ainsi, le volume des échanges commerciaux a dépassé les 100 milliards de dollars américains en 2005. Les investissements américains sur la partie continentale du pays sont très importants. De même, les échanges culturels sont de grande envergure. Beaucoup de Chinois vont étudier aux Etats-Unis et plus de 4 000 Américains viennent étudier en Chine. A la suite de son élection, le Président George Bush a poursuivi la politique d'une seule Chine à laquelle l'administration américaine a toujours été très attachée. Les Etats-Unis sont opposés à l'indépendance de Taiwan et apportent leur soutien à la réunification de la Chine. Les engagements pris dans le cadre des trois déclarations conjointes sino-américaines doivent être respectés. La Chine s'oppose à la vente d'armes par les Américains aux indépendantistes de Taiwan. Il y va de l'intérêt vital du pays. Aucune marge de compromis n'est possible sur cette question.

M. Jacques Godfrain a salué les propos du Ministre des Affaires étrangères concernant le rôle que l'Afrique doit jouer au sein de l'ONU et fait observer que l'action diplomatique de la Chine sur ce continent était très forte. La France elle-même mène une politique de coopération importante, soit dans un cadre bilatéral, soit dans le cadre de l'Union européenne, soit en partenariat avec d'autres pays comme l'Allemagne ou le Japon. Dans quels domaines pourrait-on envisager une action sino-française en Afrique ?

Indiquant qu'il avait travaillé plus de quarante ans au ministère chinois des Affaires étrangères, M. Li Zhaoxing s'est déclaré très heureux d'avoir passé près de dix ans en Afrique. Il s'est par ailleurs félicité de voir que les dirigeants et les parlementaires français étaient très attachés à ce continent. Ce dont l'Afrique a le plus besoin c'est la paix. Il y a un peu plus d'une dizaine d'années maintenant, lorsque des troubles très graves ont secoué l'Afrique, notamment dans la région des grands lacs, au Burundi, au Rwanda et en République démocratique du Congo, la Chine et la France, deux membres permanents du Conseil de sécurité, ont mené une excellente coopération sur ces dossiers. Ils ont accordé leur assistance aux pays africains concernés et soutenu les efforts de l'OUA puis de l'UA afin de rétablir la paix. Aujourd'hui, si la situation s'est améliorée en Afrique, celle-ci n'est pas parfaite dans toutes les régions. Il faut par exemple essayer d'aider la Côte d'Ivoire à retrouver la paix et la stabilité. Par ailleurs, la vie des Africains est aujourd'hui très difficile. Alors que l'espérance de vie dépasse les quatre-vingt ans en Asie, elle ne va pas au-delà de quarante ans en Afrique. C'est une injustice. Le droit le plus fondamental pour les Africains est le droit à l'existence. Il faut faire des efforts constructifs pour y arriver. Lors de la tournée qu'il a faite récemment dans plusieurs pays d'Afrique, le Ministre des Affaires étrangères a notamment assisté à la cérémonie de prestation de serment de la nouvelle présidente du Libéria. Il a pu à cette occasion constater que les forces de maintien de la paix y ont fait du bon travail. Le peuple est très satisfait de l'assistance reçue de la part des autres pays du monde. Les trois mots qui sont revenus régulièrement lors de cette tournée ont été « bienvenue, paix, emploi ». Sans la paix et sans le travail, on ne peut aboutir à rien. Il faut donc faire davantage pour promouvoir le développement en Afrique. Au Mali, les dirigeants ont exprimé le souhait de voir la Chine importer davantage de coton malien et apporter son aide à la construction des installations de traitement du coton, alors que les Européens et les Etats-Unis ont de nombreux griefs à l'encontre de l'industrie textile chinoise. Il importe de comprendre les situations respectives des différents pays pour trouver une solution avantageuse pour tous. Si la conférence de Hong-Kong dans le cadre du cycle de Doha peut se targuer d'un certain progrès par rapport à celle de Cancun, on est encore loin de pouvoir satisfaire les besoins et les exigences des pays en développement. Il faut donc renforcer les échanges et la coopération sur tous ces volets aux plans bilatéral et multilatéral.

Le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre des Affaires étrangères d'avoir répondu de façon aussi libre et intéressante aux questions des parlementaires.

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