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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 52

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 4 juillet 2006
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Macky Sall, Premier ministre du Sénégal

  
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Audition de M. Macky Sall, Premier ministre du Sénégal

Le Président Edouard Balladur s'est dit heureux et honoré de recevoir le premier ministre du Sénégal et a rappelé l'étroitesse des liens qui unissent, depuis si longtemps, le Sénégal et la France. Il a salué les progrès accomplis par le Sénégal sur la voie du développement, progrès que la France a accompagnés dans la mesure de ses moyens, et s'est félicité qu'en politique internationale les deux pays aient de nombreux points de vue communs.

M. Macky Sall, premier ministre du Sénégal, a dit son plaisir de répondre à l'aimable invitation qui lui a été faite de s'adresser, en ce lieu mythique de l'histoire de la France, aux représentants du peuple français. Sa présence en ce lieu honore le peuple sénégalais, et honore le Président et le Gouvernement du Sénégal, qui ont choisi la démocratie et la bonne gouvernance. Cette présence est le symbole d'un héritage commun qui remonte à 1789, lorsque les citoyens de Saint-Louis du Sénégal avaient participé, par l'envoi d'un cahier de doléances, aux États généraux ; d'un héritage qui se caractérise aussi par d'illustres parlementaires tels que Biaise Diagne, Ngalandou Diouf, Lamine Gueye et Léopold Sédar Senghor, figures emblématiques de l'histoire politique du Sénégal qui, pour certains, ont participé à de nombreux gouvernements français.

Depuis six ans, le Président de la République du Sénégal, M. Abdoulaye Wade, a courageusement engagé le pays sur la voie de la prospérité, pour en faire un pays émergent ancré dans les valeurs libérales de développement humain et de progrès social. Sa vision d'un Sénégal prospère et solidaire s'est traduite dans la formulation de la Stratégie de croissance accélérée, politique majeure de développement économique. L'ambition des autorités sénégalaises est de porter le taux de croissance de l'économie à 8 % l'an au moins, afin de doubler le PIB en une décennie et le revenu par tête en quinze ans.

Cette stratégie repose sur deux piliers. Il s'agit en premier lieu de réaliser un environnement des affaires de classe internationale afin de mobiliser le potentiel d'investissement national et de prendre des parts significatives sur le marché de l'investissement direct étranger. Il s'agit aussi d'identifier et de promouvoir des secteurs porteurs au fort potentiel de création de valeur ajoutée, de création d'emplois et d'exportation.

M. Macky Sall a tenu à transmettre aux commissaires les amitiés du peuple sénégalais, de ses élus, dont deux sont ici présents, et surtout celles du Président Abdoulaye Wade, qui l'a chargé de dire combien il apprécie l'engagement de la France aux côtés de l'Afrique. C'est cette France de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, cette France solidaire, qui a valu au monde de nombreux succès dans les grands combats pour la promotion de la paix internationale, la lutte contre la faim, la diversité culturelle.

Aujourd'hui, le Sénégal est résolument en marche vers le progrès économique et social. Mieux encore, depuis que le Président Abdoulaye Wade, panafricaniste épris de paix, de démocratie et de justice sociale, préside à ses destinées, le Sénégal n'a cessé de répondre « présent » à l'appel des pays frères du continent africain. Son engagement en faveur du règlement des différentes crises en Afrique en est une éloquente illustration. Parce qu'il a pris toute la mesure de l'enjeu, qui est de promouvoir la démocratie, les droits de l'homme et la bonne gouvernance, le Sénégal est resté un des pays leaders en Afrique en dépit de son poids démographique et économique. Ainsi se justifie le choix qui s'est porté sur le Sénégal lors de l'élection des quarante-sept États appelés à siéger au nouveau Conseil des droits de l'Homme de l'Organisation des Nations unies. Dans le même registre de défense des droits de l'homme et d'attachement à l'intégrité de la personne, le Parlement sénégalais a adopté, à l'initiative du Président Abdoulaye Wade, une loi portant abolition de la peine de mort.

Pour donner corps à la vision qu'a le Sénégal d'un monde solidaire et plus tolérant, Dakar sera le lieu, en marge du prochain sommet de l'Organisation de la conférence islamique, d'un Sommet mondial sur le dialogue islamo-chrétien. M. Macky Sall a sollicité le soutien du Parlement français dans la matérialisation de cette initiative généreuse du Président Abdoulaye Wade, qui fera de Dakar le carrefour du nécessaire dialogue des cultures et des civilisations.

C'est avec cette vision d'une paix dans la diversité et de la promotion d'un monde plus juste et plus solidaire que le Sénégal souhaite voir l'Afrique représentée au Conseil de sécurité, dans le cadre de la réforme en cours de l'Organisation des Nations unies. Réparer l'injustice faite à l'Afrique, la seule région du monde qui ne dispose pas d'un siège permanent au sein du Conseil de sécurité, tel est le combat du Sénégal et de l'Afrique.

M. Macky Sall a ajouté que l'occasion lui est également offerte d'évoquer une question importante pour le Sénégal et pour la France, voire pour les deux continents : celle des migrations. Depuis plusieurs décennies, de nombreuses politiques ont été définies à ce sujet par différents gouvernements, sous diverses législatures, sans que, ensemble, États africains et pays d'accueil parviennent à apporter une réponse correcte à cette question.

Le Sénégal, qui a pris la rigoureuse option de la « tolérance zéro » en ce qui concerne l'émigration clandestine, souhaite la compréhension de la France. Cela dit, le gouvernement sénégalais est également opposé à toute immigration qui favorise la fuite de ses élites, mais il est conscient que si les candidats à l'émigration ne trouvent pas de réponses satisfaisantes à leurs préoccupations dans leurs propres pays, le flux ne se tarira pas. Il faut donc définir un partenariat fécond et durable pour soutenir des programmes concrets de développement, propres à fixer sur place les éventuels candidats à l'émigration mais aussi suffisamment attractifs pour favoriser le retour des élites africaines. C'est l'idée qui sous-tend l'initiative prise par le Président Abdoulaye Wade d'un programme de « Retour vers l'agriculture » (REVA). Mais ce programme a un coût important, surtout pour un pays comme le Sénégal, dont les ressources sont limitées. En l'évoquant, M. Macky Sall a souhaité dire que si l'on veut réellement apporter des réponses réalistes, durables et concertées à la difficile question de l'immigration, des solutions existent.

Aujourd'hui, c'est un Sénégal résolument tourné vers la recherche de la paix qui entend jeter, avec le soutien et l'accompagnement de la France, les bases d'un développement durable. Plus que jamais, le Sénégal compte sur la coopération et le partenariat séculaire qui l'ont toujours lié à la France.

Après avoir remercié M. Macky Sall, le Président Edouard Balladur a précisé que la France et lui-même sont favorables à l'élargissement du nombre des membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, et considèrent que, dans le cadre de cette réforme, une place devrait naturellement revenir à un pays africain. S'agissant des migrations, il faut en effet tenir compte des capacités d'accueil des pays hôtes, et ne pas porter atteinte aux ressources humaines des pays de départ, particulièrement aux élites qu'ils ont formées. Aussi a-t-il dit attendre un renforcement des liens entre les deux pays, tel que la France puisse aider le Sénégal à développer son économie afin que les citoyens sénégalais trouvent sur place les moyens nécessaires pour assurer leur subsistance.

Après avoir rappelé que l'on commémore cette année le centième anniversaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor, qui fut le chantre de la francophonie, le Président Edouard Balladur a demandé à M. Macky Sall quelle est la situation de la langue française au Sénégal et si la diffusion de TV5 y est assurée de manière satisfaisante.

Il a par ailleurs souhaité savoir quelle appréciation le gouvernement sénégalais portait sur la contribution de solidarité sur les billets d'avion, dite Unitaid, qui doit servir à financer l'accès des pays les plus pauvres aux médicaments contre le paludisme, la tuberculose et le sida, instituée sur proposition du Président de la République française, et si le Sénégal envisageait de s'associer à cette initiative.

Il a ensuite fait état de rumeurs selon lesquelles les élections législatives prévues en février 2007 seraient reportées, et demandé à M. Macky Sall ce qu'il en était.

Enfin, le Président Abdoulaye Wade ayant annoncé dimanche que le Sénégal jugerait, « au nom de l'Union africaine », l'ancien président tchadien Hissène Habré, exilé à Dakar, dont la Belgique avait demandé en vain l'extradition pour crimes contre l'humanité, après que le Sénégal eut refusé de le juger, le Président Edouard Balladur a demandé comment s'explique cette évolution, quand le procès commencerait, et quel rôle exact jouerait le Sénégal.

M. Macky Sall a remercié le Président Edouard Balladur pour l'appui qu'il a manifesté à la demande faite par le Sénégal de voir attribuer un siège permanent à un pays africain au Conseil de sécurité de l'ONU. S'agissant des migrations, il faut en effet tenir compte des contraintes des pays d'accueil, et le premier ministre du Sénégal s'est dit convaincu que la France et le Sénégal parviendraient à ce sujet à un accord acceptable par les deux pays.

Au Sénégal, le centième anniversaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor sera commémoré par diverses manifestations culturelles prévues de longue date. La langue française continue de se développer dans le monde, mais l'objectivité commande de dire que ce développement est limité par « l'impérialisme » croissant de la langue anglaise, devenue langue des communications, des sciences, des nouvelles technologies et des affaires. TV5, qui contribue à la propagation du français, qui est un outil de toute première importance pour les diverses communautés francophones dans le monde ; elle a de très nombreux spectateurs au Sénégal. La chaîne mérite un plus grand soutien de la part des États bailleurs de fonds ; toutefois, elle devrait élargir ses productions pour mieux tenir compte de la diversité culturelle de son auditoire.

Le gouvernement sénégalais a salué la formidable initiative du Président Jacques Chirac tendant à instituer une contribution de solidarité sur les billets d'avion, initiative à laquelle 42 pays, à ce jour, ont dit leur intention de se rallier. Le Sénégal ne manquera pas d'adhérer à ce mouvement qu'il soutient sans réserves, en tenant compte du niveau de taxation existant, car une taxe aéroportuaire nouvelle a été décidée il y a peu pour financer la construction d'infrastructures indispensables.

Évoquant le cas de l'ancien président tchadien, M. Macky Sall a précisé qu'aucune convention n'obligeait le Sénégal à répondre favorablement à la demande d'extradition de M. Hissène Habré formulée par la justice belge, extradition à laquelle l'opinion publique sénégalaise, dans sa majorité, s'opposait. L'extradition a été refusée mais, dans le même temps, le Président Abdoulaye Wade avait fait savoir qu'il ne pouvait tolérer l'impunité et que l'ancien président tchadien devrait être jugé. Il a donc saisi l'Union africaine de cette question, invitant les chefs d'État réunis au Sommet de Khartoum à prendre leurs responsabilités. Une commission de juristes a alors été constituée, chargée de rendre ses conclusions dans les six mois, ce qu'elle a fait hier. Les chefs d'État de l'Union africaine, réunis à Banjul, ont approuvé ces conclusions et accepté le principe du jugement de l'ancien président. Dans le même temps, le 7e Sommet a demandé au Sénégal de compléter son code pénal des incriminations de torture et de crime contre l'humanité. L'Assemblée nationale du Sénégal sera saisie dans les prochains jours d'un projet de loi en ce sens et, lorsque le code pénal aura été modifié, des magistrats sénégalais jugeront M. Hissène Habré au nom de l'Union africaine. Les faits remontant à 1985, la recherche des preuves sera difficile, mais le Sénégal s'est engagé à entamer la procédure.

M. Macky Sall a ensuite tenu à dissiper la curieuse rumeur selon laquelle le Président Abdoulaye Wade aurait l'intention de reporter la tenue des élections, confirmant solennellement qu'un décret a été pris il y a deux mois qui fixe la date des élections présidentielles et législatives au 25 février 2007. Si les élections sont couplées, c'est qu'elles l'ont été depuis l'indépendance jusqu'en 1993, date à laquelle, sur proposition du Président Abdou Diouf, le Parlement avait instauré le septennat. Après l'alternance, en 2000, les Sénégalais, consulté par référendum à l'initiative du Président Abdoulaye Wade, ont choisi de rétablir le quinquennat. Le gouvernement a alors souhaité revenir à l'ancien système d'élections couplées, ce qui supposait d'abréger le mandat présidentiel ou de prolonger celui des parlementaires de huit mois. C'est la seconde solution qui a été retenue, par un vote du Parlement. L'opposition s'élève contre le couplage de l'élection présidentielle et des élections législatives, mais il en a toujours été ainsi, de 1960 à 1993. Le couplage vaut aussi pour les élections municipales et régionales, qui ont lieu le même jour. Il n'y a donc rien de spécial, les élections auront bien lieu de 27 février 2007 et M. Macky Sall, par ailleurs désigné directeur de campagne par le président en exercice, s'attelle ardemment à leur préparation.

M. Jacques Godfrain a fait valoir que, sur un continent soumis aux effets de la mondialisation, les politiques agricoles et alimentaires gagneraient à être harmonisées sur le plan régional ou sous-régional, et demandé à M. Macky Sall si le Sénégal entendait jouer un rôle moteur en ce domaine.

M. Macky Sall a répondu que la mondialisation était source de graves difficultés pour l'agriculture africaine, non subventionnée. Les pays africains s'efforcent, au sein de divers espaces économiques régionaux, de mettre au point des politiques communes, mais force est de constater l'absence de contenu réel pour ce qui concerne l'agriculture. Certains pays essayent de subventionner leurs productions agricoles dans la mesure de leurs moyens, et c'est le cas du Sénégal, mais d'autres États ont d'autres priorités. Au sein de l'OMC et des autres enceintes internationales, les pays d'Afrique s'attachent à harmoniser leurs positions pour défendre des productions agricoles qui, comme le coton, doivent être protégées. Ces questions renvoient aux conséquences de l'ouverture des marchés et à la nécessité d'une solidarité internationale en faveur des plus pauvres qui, en Afrique, sont les paysans.

M. François Loncle a dit partager le point de vue exprimé par le Président Edouard Balladur sur la nécessité d'une réforme de l'ONU et sur la désignation d'un État africain en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. Le Sénégal a confirmé sa candidature dans l'éventualité où la réforme, actuellement bloquée par les États-Unis, aboutirait. Mais l'Egypte, le Ghana et l'Afrique du Sud ayant aussi fait connaître leur intérêt, comment l'Afrique désignerait-elle son candidat ?

S'agissant des migrations, la dernière loi votée par le Parlement français a suscité certaines protestations et incompréhensions, notamment au Sénégal, où le terme même d'« immigration choisie » a été mal perçu. Des négociations sont-elles engagées entre la France et le Sénégal à ce sujet et peut-on espérer un accord qui permettrait une plus grande harmonie des points de vue ?

M. Macky Sall a souligné que tous les efforts du Sénégal se concentrent sur l'obtention d'une place pour l'Afrique au sein du Conseil de sécurité. Une fois ce point acquis, il reviendra à l'Union africaine de définir des critères de candidature. Il y a encore des divergences à ce sujet, mais l'accord se fera en son temps, non tant sur des critères strictement nationaux que sur l'engagement en faveur de la paix et sur le militantisme au sein de l'Union africaine. Le jeu est ouvert ; les candidats devront parler au nom du continent, et pour cela, pouvoir présenter des états de service convaincants. Alors, le Sénégal tentera sa chance. Mais, pour l'instant, a ajouté M. Macky Sall , l'important est d'engager tous les amis de l'Afrique dans le monde à réparer l'injustice qui lui est faite.

Il est exact que la notion d'« immigration choisie » a suscité des incompréhensions, et les autorités sénégalaises ont fait savoir à leurs homologues françaises qu'elles considéreraient inacceptable une immigration sélective qui viderait l'Afrique de ses cerveaux. Mais s'il s'agit de tenir compte des contraintes des pays récepteurs tout en respectant la dignité des hommes, le gouvernement sénégalais est prêt à négocier un accord. Des discussions sont engagées entre les services des ministères de l'intérieur des deux pays et un protocole d'accord devrait pouvoir être signé cet été. Le Sénégal est le premier pays à engager de telles négociations avec la France, dans un esprit de responsabilité et d'ouverture, mais dans le respect de la dignité de ses ressortissants. La question est ouverte, les discussions ont commencé, et M. Macky Sall a senti une évolution positive chez ses amis français.

M. Jean-Jacques Guillet a demandé si le renchérissement du prix de l'énergie risquait d'entraver le développement du Sénégal et de l'Afrique, Afrique qui se transforme par ailleurs en champ de manœuvres pour les compagnies pétrolière et gazières. Par ailleurs, il a souhaité connaître l'opinion du premier ministre sur le bilan du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), dont le Sénégal a été l'un des pays fondateurs.

M. Macky Sall a expliqué que la tension des prix due au choc pétrolier obère substantiellement les efforts de développement des pays non producteurs. Jamais à ce jour les économies africaines n'avaient dû faire face à une hausse d'une telle amplitude, si violente et si durable. De plus, au Sénégal, la production d'électricité est totalement tributaire du pétrole, ce qui a un impact supplémentaire sur l'économie. En 2005, l'État a été contraint de subventionner à hauteur de 26 milliards de francs CFA le gaz butane, d'usage domestique, et d'autant le fuel oil destiné à la production d'électricité. Si le cours du pétrole se maintient à son niveau actuel, qui oscille entre 75 et 80 dollars le baril, une subvention de 100 milliards de francs CFA sera nécessaire en 2006, ce qui, au regard du budget national, est impossible ; par ailleurs, accepter des augmentations erratiques du prix de l'électricité entraînerait une inflation difficile à maîtriser. Des discussions internationales sur le choc pétrolier doivent avoir lieu d'urgence pour définir un mécanisme d'atténuation de ses conséquences pour les économies telles que celles des pays non producteurs, mécanisme qui, à ce jour, fait gravement défaut, alors même que les pays non producteurs ne maîtrisent en rien les paramètres de fixation des prix. Cela a fait dire à M. Macky Sall que la vérité des prix, en matière énergétique, est toute relative, mais que les ménages et l'économie subissent les conséquences de la flambée des cours.

S'agissant du NEPAD, le Sénégal a donné l'impulsion théorique nécessaire, mais le bât blesse pour l'application pratique. Une incompréhension s'est créée entre pays anglophones et pays francophones, le secrétariat de l'organisation a été installé à Pretoria, où siége le comité directeur, dit steering committee, qui s'est mué en une vaste administration bureaucratique, et aucun projet n'a été mené à son terme. Les pays membres se sont donné rendez-vous en octobre pour apporter les correctifs nécessaires au fonctionnement d'une organisation à ce jour incapable même d'absorber les crédits débloqués par le Canada et le Japon. M. Macky Sall a insisté sur le fait que ce n'est pas la stratégie du NEPAD qui pèche, mais la bureaucratie dans laquelle il s'est englué.

Le Président Edouard Balladur a rappelé que la France soutient, dans la mesure de ses moyens, la Stratégie de croissance accélérée engagée par le Sénégal, mais que ce plan d'action suppose l'établissement d'un environnement économique, financier et réglementaire favorable au développement des affaires. Il a demandé si des réformes sont engagées à cette fin.

Évoquant la situation en Côte d'Ivoire, qui ne laisse pas d'inquiéter, le Président a voulu connaître l'opinion du gouvernement sénégalais et demandé à M. Macky Sall si, selon lui, l'élection présidentielle pourrait se tenir à Abidjan en octobre comme prévu.

M. Macky Sall a répondu que, comme il l'a indiqué dans son propos liminaire, la Stratégie de croissance accélérée repose sur deux piliers. En premier lieu, il faut créer les conditions d'un environnement des affaires favorable, pour sécuriser les investisseurs. Différentes réformes fiscales, administratives et juridiques ont déjà été conduites à cet effet, en partenariat avec le secteur privé - dont plusieurs représentants accompagnent le Premier ministre -, qui partage les objectifs de la stratégie définie par le Président Abdoulaye Wade. En matière fiscale, trente-sept mesures ont été mises en œuvre, qui tendent à abaisser les barrières administratives. Elles ont été élaborées sous l'égide du Conseil national de l'investissement, qui regroupe, par tiers, investisseurs du secteur privé national, investisseurs du secteur privé international présents au Sénégal et investisseurs internationaux qui pourraient y investir.

Conscient des critiques faites à son système judiciaire, le Sénégal a également entrepris des réformes tendant à améliorer les conditions de travail des magistrats et des auxiliaires de justice afin qu'ils puissent dire le droit en toute sérénité.

Au cours de ses entretiens avec des représentants du patronat français, M. Macky Sall a indiqué qu'il avait fait valoir que la lutte contre la corruption, fléau universel, demandait la constitution d'un front international uni. Quand il y a un corrompu, il y a un corrupteur, a-t-il observé, et ce sont les entreprises qui favorisent la corruption. Pour ce qui le concerne, le Sénégal a essayé de mettre en place un mécanisme destiné à améliorer la transparence des décisions de justice, à tous les niveaux de juridiction, mais le Gouvernement sait que des progrès doivent encore être réalisés pour convaincre les investisseurs qu'ils peuvent investir sans risque au Sénégal.

S'agissant enfin de la Côte d'Ivoire, la communauté internationale a bien fait d'accompagner le processus de retour à la paix, et M. Macky Sall a dit avoir bon espoir que toutes les conditions seraient réunies pour que les élections se tiennent en octobre comme prévues, concédant que l'ampleur des obstacles qui subsistent puisse en faire douter. Le désarmement n'étant pas effectif et les problèmes d'identité des électeurs toujours irrésolus, on peut se demander comment il sera possible d'organiser les élections en trois mois dans la sérénité et la transparence requises. La communauté internationale, a-t-il conclu, doit continuer de dialoguer avec le Président ivoirien.

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Macky Sall, dont l'allocution et les réponses ont vivement intéressé la commission. Il a souhaité que la coopération se poursuive et s'approfondisse afin que le Sénégal et, plus largement, l'Afrique parviennent à la croissance équilibrée et saine que le Gouvernement sénégalais appelle de ses vœux et à laquelle il espère parvenir par un plan d'action particulièrement ambitieux. Le Sénégal pourra compter sur l'appui de la France.

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