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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 53

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 27 juillet 2006
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères, sur le conflit israélo-libanais et la situation au Proche-Orient



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Audition de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères, sur le conflit israélo-libanais et la situation au Proche-Orient

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Philippe Douste-Blazy d'avoir accepté l'invitation de la Commission afin de l'éclairer sur une situation internationale qui suscite l'inquiétude de tous. Cette invitation était antérieure à l'annonce de la réunion de Rome qui s'est tenue le 26 juillet et qui augmente encore l'intérêt de la venue du Ministre.

M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères, a souligné que c'était un drame humanitaire qui se jouait en ce moment au Liban : il y a eu plus de 400 morts dont 340 civils, 1 100 blessés, 800 000 personnes déplacées. Côté israélien, le bilan est également préoccupant : 51 morts, 800 blessés.

Face à ce drame, la France, liée au Liban par une très vieille histoire et par des liens profonds, a décidé d'agir vite et elle entend poursuivre sa mobilisation. Elle a ainsi décidé, comme priorité absolue, d'acheminer une aide humanitaire qui devrait atteindre 20 millions de dollars, comme l'a annoncé le Président de la République qui a, par ailleurs, exigé l'ouverture de « corridors humanitaires » sur le territoire libanais et entre le Liban et l'extérieur. La France est en train de négocier pour obtenir des accès sécurisés afin de faire parvenir l'aide humanitaire aux Libanais. Elle travaille actuellement sur les axes suivants :

- aérien : il s'agit d'assurer des liaisons aériennes entre Larnaca et l'aéroport de Beyrouth, s'il devait se confirmer que celui-ci est bien ouvert à nouveau ;

- maritime : sécuriser les accès pour Beyrouth, Tyr et Naqoura ;

- terrestre : permettre un acheminement de l'aide sur l'axe Beyrouth/Tyr et des accès aux villes de Naqoura et Nabatiyé.

Mais au-delà et face à la terrible épreuve que traverse le peuple libanais, la priorité doit être d'obtenir un arrêt immédiat des hostilités et, dans un premier temps, selon le souhait du Premier Ministre, Dominique de Villepin, une « trêve humanitaire ».

C'est cet objectif que le Ministre a défendu à Rome lors de la réunion des pays amis du Liban. La quasi-totalité des participants était favorable à ce principe. Mais cette exigence a dû être atténuée face à l'intransigeance des Américains, qui se sont refusés à qualifier d'immédiat l'arrêt des hostilités. La formule retenue : « travailler immédiatement pour permettre de façon urgente et aussitôt que possible un arrêt des hostilités » est un compromis qui donne le sentiment d'une communauté internationale divisée et indécise, ce que la France a publiquement regretté. Le Gouvernement continue de penser que, face aux destructions en cours, la priorité reste la cessation des hostilités, immédiatement et sans conditions.

Mais la responsabilité collective ne peut se limiter à la compassion et à l'aide humanitaire.

Il n'existe pas aujourd'hui de solution strictement militaire à la crise israélo-libanaise. Il faut en revenir à une solution politique, qui reposerait sur trois conditions :

- D'abord, elle doit permettre de restaurer la pleine souveraineté de l'État libanais sur l'ensemble de son territoire et garantir la sécurisation durable de la frontière israélo-libanaise. Affaiblir le gouvernement libanais, symbole de la restauration pour laquelle la France a tant travaillé avec les États-Unis, ce serait aller à l'encontre de tout ce qui a été fait depuis plus d'un an. Sans cela, il n'y aura pas de paix durable au Liban.

- Ensuite, cette solution ne peut être imposée de l'extérieur : elle requiert la participation et l'accord du gouvernement israélien, mais aussi du gouvernement libanais. Ce dernier doit être au centre de toute solution.

- Enfin, cette solution ne peut voir le jour que dans le cadre des Nations unies, en rassemblant la communauté internationale tout entière sur des objectifs partagés. Le Conseil de Sécurité a déjà défini les principaux éléments d'une stabilisation durable, à travers les résolutions 425, 1559 et 1680. Les Nations unies constituent le cadre approprié et l'instance compétente pour définir les conditions de sortie de crise. C'est au Secrétaire général de l'ONU qu'il appartiendra d'être l'acteur de cette mission.

Dans ce contexte, le Ministre a indiqué que la France avait plaidé pour que la mise en place d'une force internationale de sécurité se fasse à la double condition suivante :

- Elle doit suivre et non précéder un accord politique, clef de toute solution durable, et qui doit être conclu entre toutes les parties concernées.

- Elle doit s'accompagner d'un mandat clair défini par les Nations unies et des règles d'engagement fortes.

Il faut cependant être très précis dans la définition de la séquence diplomatique qui doit désormais s'engager. La France va travailler pour obtenir une résolution au Conseil de sécurité rappelant ces différents principes. Elle espère pouvoir y parvenir dans le courant de la semaine prochaine. Le Ministre participera également mardi à Bruxelles à la réunion des ministres des Affaires étrangères européens consacrés à la situation au Proche-Orient.

M. Philippe Douste-Blazy a ensuite souhaité faire part des conclusions qu'il a retirées de sa récente tournée au Proche-Orient au cours de laquelle il a successivement rencontré, à Beyrouth, le Premier ministre, M. Fouad Siniora, et le Président du parlement, M. Nabih Berry ; en Égypte, son homologue, M. Aboul Gheit, et le secrétaire général de la Ligue arabe, M. Amr Moussa ; en Jordanie le Roi Abdallah II et son homologue jordanien ; et enfin, en Israël, M. Ehud Olmert, son homologue, Mme Tsipi Livni, et M. Shimon Peres.

Il a tenu également à se rendre à Haïfa, avec quelques parlementaires, pour y rappeler la souffrance des populations civiles, victimes, en fait depuis 1973, des bombardements des deux côtés de la frontière.

Il s'est aussi déplacé à Ramallah où il a été reçu par le Président de l'Autorité palestinienne, M. Abou Mazen afin de rappeler que, malgré l'actualité, le volet palestinien était toujours dans l'impasse.

De cette tournée, le Ministre a retiré les conclusions suivantes :

- Il n'existe pas aujourd'hui pas plus qu'il n'existera demain de solution strictement militaire à la crise israélo-libanaise. L'idée d'une victoire acquise sur le terrain est illusoire et dangereuse. C'est pourquoi rien n'est plus urgent que de mettre fin dans les plus brefs délais à cet immense et sanglant gâchis. La priorité doit être d'obtenir un arrêt immédiat des hostilités. Tel a été le message de la France à la réunion de Rome.

- C'est dans ce contexte de retombée des violences qu'il sera possible de progresser vers une solution politique. Cette solution politique est la seule à pouvoir offrir une stabilisation et une sécurisation durables de la frontière israélo-libanaise, ainsi qu'une pleine restauration de la souveraineté de l'État libanais sur l'ensemble de son territoire. Elle ne peut d'autre part être imposée de l'extérieur : elle requiert la participation et l'accord du gouvernement israélien comme du gouvernement libanais, qui sera au centre de toute solution.

- Cette solution ne peut enfin exister que dans le cadre des Nations unies. C'est le Conseil de sécurité qui a déjà défini les principaux éléments d'une stabilisation durable, à travers les résolutions 425, 1559 et 1680. Ce sont les Nations unies, à travers la mission dépêchée par le Secrétaire général la semaine dernière dans la région, qui ont permis d'identifier les prémisses d'une solution possible.

Il restera à trancher la question des contacts avec les autres acteurs régionaux que sont la Syrie et l'Iran. Il s'agit d'une affaire délicate au moment où la France est en train de préparer pour le Conseil de sécurité des Nations unies une résolution sur le volet nucléaire de l'Iran sous chapitre VII.

Le Ministre a aussi souhaité faire un point sur la situation de nos ressortissants au Liban qui ont pu être rapatriés vers la France, grâce à la mobilisation remarquable de tous les services de l'administration française concernés, du Ministère de la Défense, du Ministère des Affaires étrangères et de nos ambassades à Beyrouth, à Tel Aviv et à Nicosie.

Déjà 6 509 Français ont pu regagner leur pays. 1 800 ressortissants, pour l'essentiel des pays de l'Union européenne, ont également pu bénéficier du dispositif français, soit 8 300 personnes au total. Il faut également mentionner le millier de Français qui sont partis par d'autres moyens (par la route ou par les moyens organisés d'autres États européens). En conclusion, grâce à la nouvelle rotation, qui sera organisée le 28 juillet avec le bâtiment Mistral, on peut estimer qu'entre 8 000 et 9 000 Français auront pu être rapatriés avant la fin de cette semaine.

Il a conclu en soulignant le contexte très difficile dans lequel s'inscrit ce conflit entre le Hezbollah et Israël. Il est à craindre que les violences au sud Liban se poursuivent au cours des prochaines semaines sans que la communauté internationale parvienne à faire cesser les hostilités. Ensuite, il faudra obtenir que le Hezbollah accepte le principe d'un processus qui conduise à son désarmement et à sa pleine intégration. Ce sera là une négociation difficile et longue. Mais l'essentiel, dans un premier temps, est bien de parvenir à un accord entre toutes les parties (Israël, Liban, Hezbollah) sur le cadre général d'un arrangement politique. Si cela est agréé, la diplomatie pourra alors retrouver toute sa place et jouer tout son rôle.

Chacun sait, par ailleurs, que la question libanaise n'est qu'un aspect du problème beaucoup plus général que pose la recherche de la paix au Proche-Orient. En la matière, il faudra bien, le plus rapidement possible, relancer le processus de paix et, là encore, convaincre Israël et les Palestiniens de reprendre le chemin de la négociation. La France ne se lassera pas de plaider en ce sens.

Le Président Edouard Balladur a souhaité savoir si l'acceptation, par le Hezbollah, de son désarmement représentait actuellement une hypothèse crédible et réaliste. Plus encore, dans l'hypothèse où il le refuserait, qui pourrait l'y contraindre, alors que ni Israël, ni les États-unis, ni les autorités libanaises, ni l'Union européenne ne peuvent ou ne veulent procéder à ce désarmement ? Faut-il considérer que ce désarmement est une condition indispensable au maintien de la paix ?

Concernant la zone tampon démilitarisée de vingt kilomètres à la frontière israélo-libanaise, il s'est demandé quelle garantie de sécurité offrait l'existence d'une telle zone pour Israël, alors que, selon certains observateurs, le Hezbollah détiendrait des roquettes d'une portée allant jusqu'à 75 km ainsi que des missiles susceptibles d'atteindre par leur portée (150 à 200 km) des sites comme Tel Aviv.

M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères, a expliqué que la situation ne cessait de se détériorer de jour en jour sur le terrain, avec, d'un côté, le bombardement d'une partie du territoire israélien par le Hezbollah, et de l'autre, le bombardement du territoire libanais par Israël, qui conduit à frapper aussi la population civile et toutes les infrastructures du Liban.

Dans ce contexte, la question se pose de la possibilité pour Israël de parvenir à ses fins par des moyens militaires : Israël peut certes affaiblir le Hezbollah, mais ne semble pas en mesure de pouvoir le détruire. Cette question est au cœur du problème dans la mesure où, sans arrêt immédiat des hostilités, il n'y aura pas de processus de négociation ; or, sans processus de négociation, il n'existera pas d'accord politique et, sans accord politique, aucun cessez-le-feu durable ne pourra être instauré. Et, sans cessez-le feu durable, aucun force multinationale ne pourra être envoyée sur le terrain. C'est là que se situe le point de discussion entre les États-Unis et la France notamment : il ne saurait être envisageable d'envoyer une force de cette nature pour procéder au désarmement du Hezbollah sans accord politique préalable.

Quel pourrait être le contenu d'un accord politique ? Dans son volet relatif à la partie israélienne, il doit inclure la reconnaissance du droit à la sécurité d'Israël, c'est-à-dire la mise en œuvre de la résolution 1559, ainsi que la libération sans condition des deux soldats israéliens enlevés par le Hezbollah - enlèvement que la France a immédiatement condamné, même si elle a jugé disproportionnée la réponse israélienne. Cet accord devrait également prévoir l'existence d'une zone tampon qui pourrait être d'une largeur de vingt kilomètres, dans laquelle seraient déployées l'armée libanaise et la force multinationale prévue par l'accord. Dans son volet relatif à la partie libanaise, l'accord politique devrait inclure : la garantie de la souveraineté du Liban, avec, en particulier, le déploiement d'une armée libanaise encadrée et appuyée par la communauté internationale ; le règlement du problème des prisonniers libanais détenus en Israël ; et le règlement de la question des fermes de Chebaa. Quant aux acteurs de cette solution négociée, il s'agirait, d'un côté, du gouvernement libanais et du Hezbollah, de l'autre, d'Israël et de la communauté internationale.

M. Philippe Douste-Blazy a expliqué que, notamment à la suite de sa rencontre avec M. Nabih Berry, Président du Parlement libanais, il croyait à la possibilité d'un accord politique, qui représentait la seule solution de règlement de la crise : seul cet accord politique global permettra de résoudre la question du désarmement du Hezbollah, ce qu'une force multinationale ne pourra pas faire à elle seule, en l'absence de toute solution politique négociée.

S'agissant de la zone tampon, indissociablement liée à l'instauration d'un cessez-le feu durable, le Ministre a indiqué qu'il avait présenté, lors de la conférence de Rome, le plan français susceptible de nourrir une future résolution du Conseil de sécurité, dont la France souhaitait l'adoption le plus tôt possible. Dans ce plan, figure cette zone tampon dans laquelle la force internationale qui, selon la chronologie souhaitée par la France, aura été créée à la suite de la conclusion de l'accord politique précité, aura pour mission de rétablir la souveraineté du Liban, de vérifier le cessez-le-feu et de contrôler le désarmement du Hezbollah. Cette force ne pourra être déployée que sous le mandat des Nations unies : M. Philippe Douste-Blazy a estimé qu'il était hors de question qu'elle le soit sous le mandat de l'OTAN, ce qui serait sans aucun doute perçu comme le déploiement d'une force occidentale et nourrirait le sentiment d'humiliation des populations arabes.

M. Pierre Lellouche a marqué son accord avec la position équilibrée exprimée par la France. Ce n'est pas à l'OTAN mais à l'Union européenne, et en particulier à la France, d'œuvrer à la conclusion d'un accord politique. Il a estimé que l'irruption de l'Iran dans le conflit, pour la première fois depuis 1948, était une nouveauté stratégique. L'Iran intervient à la fois comme donneur d'ordre au Hezbollah et comme fournisseur de missiles, pour le moment conventionnels ; rien ne dit cependant qu'il ne s'agira pas, dans un avenir proche, d'armes chimiques. Faute de désarmement du Hezbollah par le gouvernement libanais (en application de la résolution 1559), il s'est interrogé sur la possibilité d'un cessez-le-feu alors que personne n'a jusqu'à présent réussi à l'obtenir ; et l'Iran n'y semble pas disposé alors que les négociations engagées sur le dossier nucléaire n'ont à ce jour pas abouti. Dans le contexte actuel, M. Pierre Lellouche a considéré que seule une force d'imposition de la paix - et non d'interposition - serait de nature à changer les choses à l'instar de l'initiative prise le Président de la République en Bosnie, avec le Royaume-Uni, lors de la guerre en ex-Yougoslavie. Il faut que cesse la pluie de missiles lancés par le Hezbollah sur Israël ; la Communauté internationale doit prendre la décision stratégique de mettre fin à ce désordre.

M. Bruno Bourg-Broc a interrogé le ministre sur l'impact des déclarations du Président de la République au lendemain de l'échec de la conférence de Rome ainsi que sur la réalité des contacts entre la France et l'Iran. Il a également demandé des précisions sur l'instauration de couloirs humanitaires. Faisant enfin état des 6 509 français ayant quitté le Liban, il a souhaité savoir dans quelle mesure ces évacuations étaient ou non inéluctables.

M. Jean Bardet a félicité le ministre pour la pertinence de la position française et pour son implication personnelle dans la gestion de la crise. Mais faut-il vraiment attendre un désarmement du Hezbollah et l'obtention d'un cessez-le-feu pour qu'une force internationale soit mise en place ? Quoi qu'il en soit, ce n'est pas à l'OTAN mais à l'ONU, le cas échéant par la force, qu'il revient d'imposer la paix. Alors que tout doit être mis en œuvre pour obtenir la libération des soldats israéliens enlevés, il a souhaité savoir ce qu'il en était des prisonniers palestiniens et libanais détenus en Israël et des éventuelles démarches engagées par la France pour aider à leur libération.

M. Bernard Debré a estimé que conditionner l'envoi d'une force d'interposition à l'obtention préalable d'un cessez-le-feu et d'un accord politique supposait en réalité un désarmement du Hezbollah. Dans le contexte actuel, comment la paix peut-elle surgir ? Une force d'interposition interviendrait-elle en application du Titre VI ou du Titre VII de la Charte des Nations unies et quel serait son rôle en cas de reprise des affrontements ? M. Bernard Debré a regretté qu'en dépit de la force des mots, c'est la reconnaissance de l'impuissance et de l'immobilisme qui prévaut. Tout le reste n'est malheureusement qu'un rêve.

En réponse à M. Pierre Lellouche, le Ministre a rappelé les principales étapes qui ont jalonné le dialogue avec l'Iran :

- la date du 31 mai a constitué un tournant historique dans la mesure où les États-unis, par la voix de Mme Condoleezza Rice, Secrétaire d'État, se sont déclarés prêts à un dialogue avec l'Iran, via les Européens ;

- le 1er juin, à Vienne, les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que l'Allemagne ont présenté, à l'Iran, des propositions ambitieuses sur le nucléaire civil, accompagnées de mesures économiques et politiques ;

- le 12 juillet dernier, les six mêmes représentants ont effectué une déclaration commune destinée à tendre la main à l'Iran. A défaut de réponse de l'Iran d'ici le 22 août prochain, des sanctions pourraient être envisagées par le Conseil de sécurité, sur le fondement du chapitre VII, article 41, de la Charte des Nations unies.

Face à ces initiatives, la Communauté internationale ne ressent aucun complexe : il existe une ouverture dont il reste à voir, dans les prochains jours, comment l'Iran répond à la proposition qui lui est faite.

Un deuxième aspect important de ce dossier est le rôle de stabilisation que l'Iran peut être amené à jouer dans la région et que le pays souhaite faire reconnaître par la Communauté internationale. L'Iran dispose ainsi d'une jeunesse dynamique, de nombreuses universités et il serait dommageable de ne pas prendre suffisamment en considération l'aspiration de ce pays à jouer un rôle dans la région.

M. Philippe Douste-Blazy a, ensuite, évoqué la question des modalités de désarmement du Hezbollah. Il apparaît que le Gouvernement libanais, encore faible, n'a pas été au rendez-vous de la résolution 1559. Pour autant, est-ce en détruisant le pays que l'on détruira le Hezbollah ou, au contraire, n'est-ce pas plutôt en renforçant l'État libanais - et notamment, en aidant à la formation de son armée, une fois la force multinationale d'interposition établie - que l'on parviendra à résoudre le conflit en cours ? Cette seconde option paraît, de loin, la plus logique : le Gouvernement israélien comme l'Autorité palestinienne ont, en effet, intérêt à pouvoir dialoguer avec un État libanais pleinement souverain.

Le Ministre a considéré qu'on ne pouvait pas réellement rapprocher la situation actuelle au Liban de celle qui a prévalu en Bosnie. A la suite de ses récents déplacements au Proche-Orient, il a insisté sur les changements rapides qu'il a pu constater dans les opinions publiques arabes, y compris dans des pays modérés comme la Jordanie ou l'Égypte : on assiste, en effet, à une radicalisation des opinions qui expriment un ressentiment croissant contre Israël, les États-unis et, plus largement, le monde occidental. Au-delà de la question du rôle de l'Iran, il apparaît essentiel d'éviter que le conflit entre Israël et le Liban ne soit perçu, à terme, comme un conflit entre le monde musulman et le monde occidental.

Évoquant l'intervention de M. Bruno Bourg-Broc, le Ministre a rappelé que, lors de la conférence de Rome, le Président finlandais avait exprimé son accord avec les propositions françaises de cessez-le-feu immédiat, d'établissement d'un accord politique puis d'intervention d'une force multinationale d'interposition. Des pays comme l'Égypte, la Grèce, l'Allemagne ainsi que le Secrétaire général des Nations unies étaient sur cette même ligne. Dans ces conditions, on ne peut que regretter que la déclaration finale de la co-présidence italienne et américaine n'ait pas retenu ces propositions équilibrées. Toutefois, les propositions avancées par le Président de la République sont toujours d'actualité dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies.

En ce qui concerne les corridors humanitaires, M. Philippe Douste-Blazy a insisté sur l'ouverture de couloirs à la fois maritimes (reliant Larnaca et Beyrouth ainsi que Tyr, dans le Sud du pays où des ressortissants français sont encore présents), terrestres et aériens (aéroport de Beyrouth notamment). Il a rappelé que 8 000 Français ont quitté le pays et que la France avait été le premier pays à prendre de telles dispositions. Ces opérations ne doivent cependant pas être considérées comme des opérations d'évacuation dans la mesure où elles concernaient, avant tout, des Français de passage au Liban, principalement pour les congés estivaux.

Répondant à M. Jean Bardet, le Ministre a indiqué que l'envoi d'une force multinationale au Liban, sans que les conditions politiques préalables d'un cessez-le-feu n'aient été remplies, constituerait un réel danger et ferait courir le risque de s'enfermer dans un engrenage grave. Il a estimé que l'exemple de la situation actuelle en Irak, où l'on assiste à une véritable communautarisation du conflit, doit conduire à exclure toute intervention d'une force multinationale au sud-Liban avant la conclusion d'un accord politique.

S'agissant de la situation des prisonniers, M. Philippe Douste-Blazy a indiqué avoir évoqué, lors de son déplacement à Ramallah, la libération du Caporal Gilad Shalit, avec M. Mahmoud Abbas. La question de la libération de ce jeune soldat israélien est actuellement sous médiation égyptienne : elle a fait l'objet d'un dialogue ouvert non seulement avec le Président de l'Autorité palestinienne, mais également avec M. Ehud Olmert, Premier ministre israélien. Sans envisager d'échanges, la question de la libération des 65 prisonniers palestiniens, détenus en Israël depuis plus de vingt ans, a également été abordée.

En réponse aux interrogations de M. Bernard Debré, le Ministre a, enfin, rappelé qu'en cas d'accord politique, la force d'interposition envoyée au Liban sera une force multinationale, sous mandat de l'ONU, dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, c'est-à-dire pour veiller au respect du cessez-le-feu.

Après avoir remercié le Ministre, M. Laurent Fabius a indiqué que le malaise suscité par la violence des événements au Proche-Orient était accru par l'incrédulité de beaucoup d'observateurs vis-à-vis de l'action de la communauté internationale telle qu'elle a été présentée par le Ministre. On peut conditionner le cessez-le-feu à un accord préalable mais c'est justement la conclusion de cet accord qui pose problème. Dans le domaine de la diplomatie, il ne faut pas confondre le possible et le vraisemblable et il semble que parvenir à un accord rapidement est certes possible mais peu vraisemblable.

Derrière les affrontements en cours, c'est la question de l'Iran nucléaire qui se pose. Le 22 août prochain, dans trois semaines donc, s'achèvera le délai pendant lequel l'Iran peut accepter l'offre formulée par les Européens et les États-Unis qui exige la suspension des activités nucléaires non autorisées. En cas de rejet de cette offre, il est prévu des sanctions contre l'Iran. Si le 22 août, les affrontements se poursuivent au Liban, la communauté internationale pourra-t-elle rester ferme sur le dossier nucléaire ? Ne peut-on pas craindre que s'enclenche une mécanique de négociation qui conduira à limiter les exigences sur le dossier nucléaire iranien en échange de la modération des actions du Hezbollah ? Quelle est la position de la France face à cette éventualité ? Il n'y aura d'évolution positive au Liban que si le Hezbollah et Israël ont quelque chose à perdre à poursuivre les violences. D'un côté, la pression internationale sur l'Iran est perçue positivement par les Israéliens ; d'un autre côté, en l'absence de pression sur Israël en faveur d'un retour au calme dans le sud du Liban, l'Iran ne sera pas disposé à accepter les conditions de la communauté internationale sur le dossier nucléaire. Comment sortir de cette situation ? Par ailleurs, quel traitement accorder à la Syrie, sachant qu'il faut éviter de s'en faire un adversaire qui se placerait aux côtés de l'Iran ?

M. Axel Poniatowski a estimé, lui aussi, qu'il n'existait pas de solution militaire à la situation au Proche-Orient et que l'Iran avait incontestablement vocation à être un acteur majeur dans la région. L'idée d'envoyer une force internationale, qui pourrait éventuellement être placée sous commandement français, serait extrêmement dangereuse en l'absence d'un accord politique préalable. Un tel accord pourrait-il se limiter au Liban et au Hezbollah d'une part, au Liban, à Israël et à la communauté internationale d'autre part ? Ne devrait-il pas inclure aussi la Syrie et l'Iran ?

M. Gérard Bapt a demandé si l'Iran et la Syrie avaient été invités à la réunion de Rome ou si leur absence était due à une exigence américaine. Le Président du Parlement libanais sert d'intermédiaire entre la communauté internationale et le Hezbollah. D'autres personnalités libanaises pourraient jouer ce rôle avec une plus grande crédibilité. Il faut rappeler que le gouvernement libanais a demandé au Président des États-unis d'intervenir en faveur du règlement du différend relatif aux fermes de Chebeaa afin de supprimer une cause de tension, qui est utilisée par le Hezbollah pour renforcer son image de parti de la résistance libanaise. Le gouvernement libanais a aussi perdu plusieurs soldats qui tentaient d'éviter le passage de combattants armés par la frontière syro-libanaise. La communauté internationale ne devrait pas minimiser l'importance de ces efforts.

M. Jean-Michel Ferrand a souhaité que le Ministre précise ce que signifiait la « pleine intégration » du Hezbollah : dans quelle mesure peut-il devenir un parti politique traditionnel ? Il a par ailleurs demandé s'il ne fallait pas voir dans le Hezbollah un moyen de négociation brandi par l'Iran sur la question de son programme nucléaire.

M. Hervé de Charrette a constaté que tout conduisait à être pessimiste : les parties en conflit n'expriment nulle volonté d'arrangement, tandis que l'internationalisation de la crise met en lumière l'influence souterraine de l'Iran. Il a jugé que, dans ce contexte, l'expression d'une position française clairement définie représentait le seul motif de satisfaction.

Il s'est demandé comment l'on pouvait espérer que le Hezbollah accepte de lui -même le cessez-le-feu, alors qu'il semblait impossible de le lui imposer, notamment parce que cela impliquerait de l'imposer également dans les territoires palestiniens. Soulignant que, sans dialogue avec le Hezbollah, il serait impossible de négocier et de faire cesser les combats, il a souhaité savoir quel était le point de vue de la France quant à l'établissement d'un tel dialogue et si des initiatives étaient prises en ce sens par notre pays.

Exprimant de fortes réserves quant à la création d'une force internationale, il a rappelé que les expériences d'intervention de forces extérieures au conflit sur ce théâtre d'opérations s'étaient toutes soldées par des échecs et souligné la nécessité de définir au préalable, de manière très détaillée, les conditions d'intervention d'une telle force. Il a ajouté que la surveillance de la frontière entre Israël et le Liban n'était pas seulement une question militaire, mais également une question politique, et qu'il fallait par conséquent mettre en place des mécanismes politiques de surveillance de cette frontière.

S'agissant enfin de la zone tampon, il a fait remarquer que, si ce projet pouvait plaire à Israël, la neutralisation d'une partie du territoire libanais n'était pas pour autant acceptable par toutes les parties. Il a donc jugé nécessaire que cette zone s'étende non seulement sur le territoire libanais, mais également sur le territoire israélien.

M. Xavier de Roux a rappelé qu'au fondement de la crise qui existait au Proche-Orient depuis soixante ans se trouvait le conflit israélo-palestinien, dans lequel chacune des parties cherchait à gagner des alliés : avec l'implication du Hezbollah, donc de la Syrie et de l'Iran, on assiste à l'émergence d'une chaîne des alliances. En conséquence, la guerre durera et s'étendra aussi longtemps que le conflit israélo-palestinien n'aura pas été réglé.

M. Claude Goasguen a rendu hommage à l'action du Gouvernement français dans cette crise, et notamment au Ministre des affaires étrangères, dont la présence sur les lieux de conflit avait été ressentie avec faveur par les Gouvernements concernés. Il a estimé qu'il convenait de ne pas se faire d'illusions sur les chances d'un cessez-le-feu dans l'immédiat et jugé utile d'accentuer les pressions sur Israël concernant la question des prisonniers libanais, question sur laquelle il avait constaté, lors d'un déplacement sur place, que n'existait pas de position israélienne tranchée.

Il a constaté que la crise actuelle posait trois questions.

La première concerne le Gouvernement libanais : n'existe-t-il pas en France une vision trop optimiste sur ce Gouvernement qui renferme en son sein des membres d'une armée privée, le Hezbollah, qui soutiennent les actions menées par ce dernier ?

La deuxième concerne le rôle de la FINUL : avant de mettre en place une nouvelle force multinationale, il serait souhaitable de s'interroger sur le rôle de celle qui existe depuis plusieurs décennies : à quoi a-t-elle servi ? Comment expliquer que les nombreux membres de services spéciaux présents dans cette zone n'aient pas vu la militarisation du Hezbollah ?

La troisième concerne l'Iran : quelles actions la France compte-t-elle mener à l'égard de ce pays, notamment alors que son influence grandissante suscite l'inquiétude des pays musulmans à dominante sunnite, qu'il s'agisse de la Syrie, des pays du Golfe persique ou des pays musulmans d'Asie ?

Expliquant qu'à l'instar du Ministre, il avait reçu les familles des soldats israéliens otages du Hezbollah, M. Rudy Salles a souhaité savoir quelles initiatives la France pourrait prendre pour recueillir des preuves tendant à prouver que ces jeunes soldats étaient encore en vie.

En réponse aux questions des membres de la Commission, M. Philippe Douste-Blazy a apporté les éléments de réponse suivants :

- La situation actuelle impose d'explorer toutes les options pour passer de l'ordre du vraisemblable à celui du possible.

- Sur le dossier nucléaire iranien, les contacts sont nombreux avec l'Iran. Il ne faut pas baisser la garde et la réunion qui s'est tenue à Paris le 12 juillet ouvre la voie à d'éventuelles sanctions économiques. D'ici au 22 août, le dialogue doit se poursuivre avec l'Iran qui peut jouer un rôle de stabilisation dans la région. S'agissant de la Syrie, des contacts existent avec plusieurs partenaires, en particulier avec la Russie, mais il faut prendre garde à ne pas mélanger les dossiers.

- Il n'a pas encore été décidé qui conduira la force multinationale qui serait créée dans le cas d'un accord politique et d'un cessez-le-feu. Le ministre s'est déclaré persuadé qu'un accord politique reste possible. Israël n'a rien à gagner à des bombardements durables face à une opinion publique qui se radicalise dans les pays arabes. De son côté, le Liban a également intérêt à un accord politique. Mais il est indispensable de le doubler d'un plan économique ambitieux pour le Liban et la Palestine. Les populations souffrent de l'absence de système de santé publique, d'hôpitaux et d'universités ; or cette humiliation nourrit la popularité de mouvements tels que le Hamas.

- Évoquant la conférence internationale de Rome consacrée au Liban, M. Philippe Douste-Blazy a répondu à M. Gérard Bapt que la réunion était une initiative des « amis du Liban » : une quinzaine de pays dont la Grèce, Chypre, ou l'Espagne et l'Allemagne, étaient représentés, auxquels il n'a pas paru naturel d'associer la Syrie et l'Iran. Le Ministre a, par ailleurs, indiqué que des contacts avec toutes les parties au conflit avaient été pris.

- M. Hervé de Charette s'étant interrogé sur les relations avec le Hezbollah, le Ministre a considéré que la France ne pouvait s'interdire aucun contact à ce stade. Il a précisé que ce mouvement était représenté par 25 députés et considéré que c'est avec le mouvement politique et non la milice armée qu'il convenait d'établir un dialogue. Il a ajouté qu'au moment où la transformation du Hezbollah en parti politique apparaissait cruciale, il n'apparaissait pas opportun de s'interroger sur la nature éventuellement terroriste du mouvement.

- Concernant l'aide apportée au Gouvernement libanais, M. Philippe Douste-Blazy a rappelé le travail important réalisé depuis un an, malgré une certaine faiblesse du dialogue national sur la mise en œuvre de la résolution 1559 et le désarmement du Hezbollah. Le Gouvernement français n'en reste pas moins déterminé à aider le Liban à exercer de manière pleine et entière sa souveraineté sur son territoire.

A la demande de M. Claude Goasguen, le Ministre a précisé qu'à la suite de l'assassinat de Rafic Hariri, Premier ministre libanais, un plan d'aide à la reconstruction du pays a été discuté avec notamment le soutien du Roi Abdallah d'Arabie Saoudite.

Enfin, M. Philippe Douste-Blazy a insisté sur le fait que si un accord politique était trouvé, la force multinationale envoyée au Liban aurait pour tâche principale la formation de l'armée libanaise afin qu'elle soit notamment en mesure de contrôler le Sud du pays.

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