COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 8 octobre 2002
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de M. Yves Fromion, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Audition du général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2003 (n° 230)


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Audition du général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2003

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu le général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2003 (n° 230).

Le général Jean-Pierre Kelche a d'abord qualifié d'exceptionnelle la croissance des crédits consacrés à la défense dans le projet de loi de finances initiale pour 2003 par rapport aux dotations votées en loi de finances pour 2002. Ce redressement de 9,7 %, en pouvoir d'achat, du niveau du titre V et de 4,7 % du niveau du titre III a peu de précédents. Pour autant, le volume des crédits n'est pas exorbitant : en effet, c'est l'équivalent d'une annuité d'investissement qui a été perdue au cours de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 1997-2002. L'effort effectué permet de rétablir le montant des crédits des armées au niveau prévu par la loi de programmation militaire 1997-2002 telle que révisée par la revue des programmes de 1998.

Faute de ce redressement indispensable accueilli avec satisfaction par les armées, le modèle d'armée 2015 aurait nécessairement été remis en question. Outre les graves conséquences qui en auraient résulté pour l'accomplissement de leur mission par les armées, cela aurait eu de graves incidences sur l'institution même, et en tout cas le moral des personnels : ceux-ci ont consenti des efforts considérables pour mener à bien la professionnalisation parce qu'ils pensaient que cela en valait la peine. Une nouvelle marche d'un milliard d'euros supplémentaire devra cependant encore être franchie, au titre V, lors de l'exercice budgétaire 2004, avant de pouvoir s'en tenir au rythme de progression annuelle de 0,8 %.

Les dispositions du titre III du projet de loi de finances pour 2003 sont satisfaisantes à trois égards.

En premier lieu, elles permettent de consolider la professionnalisation, ce qui est fondamental pour maintenir l'efficacité des armées. Le taux de renouvellement des engagements des militaires du rang de l'armée de terre française est de l'ordre de 75 % à 90 % de ceux qui arrivent en fin de contrat. Les raisons du succès rencontré par l'armée de terre résident dans le niveau des rémunérations, les avantages procurés par les opérations extérieures, la qualité de la relation au sein de l'institution militaire et enfin les perspectives de reconversion. D'un strict point de vue financier, les évaluations de coût de la professionnalisation effectuées en 1996 ont été confirmées par les faits, à moins de 0,5 % près. Désormais, il faudra aussi garantir une véritable flexibilité dans l'emploi des crédits du fonds de consolidation de la professionnalisation (FCP).

Les mesures en faveur des effectifs de la gendarmerie et de l'armée de terre sont elles aussi positives. Cette dernière bénéficie d'une transformation de 1 572 postes de volontaires en 1 000 postes d'engagés sous contrat, afin de pallier les tensions observées dans l'infanterie, les transmissions et le génie à l'occasion des rotations d'unités déployées en opérations extérieures.

Enfin, le projet de loi de finances pour 2003 permet d'envisager un redressement du taux d'activité des armées, dont l'affaissement résultait directement de la conduite des opérations de restructuration des unités et des insuffisances de crédits. Les crédits inscrits permettront de revenir à des taux plus conformes à ceux d'armées modernes et professionnelles.

Pour ce qui concerne le titre V, les mesures prévues par le projet de loi de finances en faveur du redressement des taux de disponibilité, de la modernisation des équipements, de la poursuite des commandes globales et de l'amélioration des crédits de recherche-développement sont à la hauteur des ambitions affichées dans le projet de loi de programmation militaire. Le problème de la disponibilité des matériels, qui est sans aucun doute le plus aigu, a fait l'objet de mesures internes qui devraient commencer à porter leurs fruits au début de l'année 2003. Le taux de disponibilité visé est de 75 %. A la fin de cette même année, les taux de disponibilité seront vraisemblablement plus proches de ceux qu'on est en droit d'attendre pour des armées professionnelles modernes.

La modernisation des équipements, qu'il s'agisse des grands programmes ou des programmes de cohérence, pourra se poursuivre également de manière tout à fait correcte en 2003. Les trois principales commandes globales portent sur 59 Rafale et 680 missiles MICA et sur la tranche de développement du missile M 51 ; les autorisations de programme correspondantes seront inscrites en loi de finances rectificative pour 2002. Enfin, les crédits de recherche et d'études bénéficieront d'une augmentation progressive des engagements pour préparer l'avenir.

En conclusion, la conformité du projet de loi de finances pour 2003 à la première annuité du projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 renforce la crédibilité de celui-ci et constitue un signal fort à l'adresse de l'institution militaire et des Français sur le fait que la défense est une priorité du Gouvernement.

Le général Jean-Pierre Kelche a ensuite évoqué la situation en Côte-d'Ivoire. Ce pays connaît une crise grave. Il ne s'agit pas d'une simple mutinerie, mais d'une véritable rébellion interne n'impliquant que très peu d'intervenants extérieurs. La simultanéité de l'action dans plusieurs villes du pays et notamment à Abidjan, Bouaké et Korhogo, la cohérence des consignes de comportement envers les populations civiles et les étrangers, ainsi que le respect de celles-ci, démontrent l'aspect coordonné de la rébellion. La ligne de contact entre rebelles et forces loyalistes correspond approximativement à la limite entre le pays forestier et chrétien au sud et la partie sahélienne et musulmane au nord.

Les rebelles ne sont pas très nombreux (entre 600 et 800), mais bien organisés, même si leur valeur combattante reste moyenne. Même si les forces loyalistes réussissaient à reprendre la ville de Bouaké, cela ne mettrait pas forcément fin aux combats, les rebelles ayant visiblement la capacité de mener une guérilla dans le nord du pays.

Le dispositif français sur place comprend un millier de soldats. Ceux-ci ont déjà évacué environ 3 000 ressortissants occidentaux et continuent à agir dans ce sens de manière discrète. Les militaires français sont notamment positionnés à 1,5 kilomètre de Bouaké, prêts à intervenir pour protéger les ressortissants étrangers restés sur place si le besoin s'en faisait sentir. Des détachements ont également été mis en position entre cette ville et la capitale, Yamoussoukro. Cette présence a jusqu'ici dissuadé toute propagation de la rébellion vers une ville où se sont réfugiés de nombreux occidentaux ayant quitté le nord.

A M. Yves Fromion, président, qui demandait ce qu'il était advenu des soldats américains envoyés il y a quelques jours à Yamoussoukro, le général Jean-Pierre Kelche a répondu que ceux-ci avaient quitté la Côte-d'Ivoire après avoir récupéré certains de leurs ressortissants, notamment ceux qui avaient été exfiltrés de la mission baptiste de Bouaké par les militaires français.

M. Axel Poniatowski a souhaité savoir quel était le taux de renouvellement des engagements des militaires du rang dans l'armée américaine. Puis, il a demandé si ce qui est bon pour l'armée est également bon pour la société : dans la mesure où l'armée fournit une formation aux engagés qui retournent dans le civil, n'est-il pas intéressant pour la société que le roulement soit le plus important possible ? Il a ensuite demandé quel serait l'usage du milliard d'euros supplémentaire jugé souhaitable par le général Kelche au titre V du budget 2004.

Le général Jean-Pierre Kelche a répondu que les comparaisons étaient difficiles avec les Américains en raison de paramètres trop différents, mais que la rotation des engagés était probablement plus importante qu'en France, sauf peut-être pour ce qui concerne le corps des Marines. S'il est vrai que les intérêts des armées et de la société peuvent être antagonistes, les raisons opérationnelles suffisent à justifier que l'armée essaie de fidéliser ses soldats. Dans les situations les plus délicates, comme c'est le cas actuellement en Côte d'Ivoire, toute erreur individuelle peut avoir de très graves répercussions et l'expérience et la maturité des soldats aguerris est fondamentale. Par ailleurs, rendre à la vie civile de jeunes adultes de 28 ans, plutôt que de 23 ans, après 10 années de métier militaire et dotés d'une solide formation n'est certainement pas une mauvaise manière faite à la société. En redonnant à certains jeunes qui auraient pu se trouver en marge une place dans la société, l'armée joue aussi pleinement son rôle de renforcement de la cohésion sociale.

Le milliard d'euros supplémentaire jugé nécessaire en titre V pour le budget 2004 concourra principalement à financer en crédits de paiement la réalisation des commandes passées au cours des années antérieures en autorisations de programme. De plus, à la suite des événements du 11 septembre 2001, des équipements, concernant notamment les forces spéciales ou la protection en matière nucléaire, radiologique, biologique ou chimique, ont été commandés dans l'urgence ; ces commandes devront être payées à partir de 2004.

M. Yves Fromion, président, a souhaité connaître le taux de rotation, d'attrition, des officiers et des cadres militaires en général. Il a ensuite demandé s'il est pertinent d'arrêter le recrutement des officiers de gendarmerie par l'école militaire de Saint-Cyr, alors que les gendarmes sont particulièrement attachés au maintien de leur statut militaire.

Le général Jean-Pierre Kelche a répondu qu'il n'existait pas de problèmes de recrutement au niveau des cadres, sauf peut-être dans la filière scientifique, pour laquelle la concurrence du secteur civil joue à plein. Il a regretté à cette occasion un recrutement tourné majoritairement vers les disciplines scientifiques, alors que les élèves littéraires disposent d'une culture générale et de compétences linguistiques particulièrement utiles pour les armées. En ce qui concerne les sous-officiers, les armées doivent gérer un problème délicat de pyramide des âges. Les départs intervenant avant la limite d'âge ont en outre été plus importants que prévu, ce qui crée des tensions.

Le recrutement traditionnel des officiers de gendarmerie, quand la gendarmerie disposait d'un contingent de places à la sortie de Saint-Cyr, présentait des inconvénients : les élèves qui souhaitaient s'orienter vers la gendarmerie s'y trouvaient mal à l'aise, car ils aspiraient à un métier différent de celui des armes. Le concours particulier des officiers de gendarmerie permet de prendre en compte cette différence de culture.

M. Jean-Yves Le Drian a demandé au chef d'état-major des armées son jugement sur la capacité de la force de réaction rapide de l'Union Européenne à remplir les missions extérieures dites de Petersberg et sur les progrès qui restent encore à accomplir en matière d'harmonisation européenne.

Le général Jean-Pierre Kelche a jugé très positive la démarche européenne entreprise depuis 1998 et a souligné la réussite représentée par la déclaration d'opérationnalité du Conseil européen de Laeken. Cependant, cette capacité européenne, ainsi définitivement sortie du virtuel, doit maintenant s'ancrer dans le réel grâce à la prise de la responsabilité par l'Union européenne de l'engagement de forces armées sur un théâtre de crise. Une occasion pourrait être trouvée en Macédoine, mais elle est gênée par les relations entre l'Union européenne et l'OTAN. La Bosnie est également envisageable, mais une telle opération ne doit pas aboutir à un départ prématuré des Américains. Si les forces répondent aux ambitions définies, la chaîne de commandement politico-militaire fonctionne bien elle aussi, qu'il s'agisse de l'état-major de l'Union européenne ou du comité politique et de sécurité (COPS). Des limites subsistent dans des domaines stratégiques, tel le renseignement, mais pas au point d'obérer une action autonome de l'Union à partir de janvier 2003. Les projets d'analyse des besoins, menés à leur terme, font place maintenant à des projets de financement et de réalisation de capacités européennes, conduits entre deux ou plusieurs pays. Une telle réussite serait exemplaire, car une démarche similaire engagée par l'Alliance Atlantique est actuellement enlisée.

M. Yves Fromion, président, a demandé si un porte-avions commun à des partenaires européens ne serait pas une réalisation symbolique pour l'Europe de la défense.

Le chef d'état-major des armées a répondu qu'un porte-avions commun à deux ou plusieurs pays européens n'était pas envisageable : le partage dans le temps serait trop complexe ; il pourrait être inadapté aux besoins ponctuels des pays partenaires, lors d'une crise notamment ; le partage des coûts d'entretien impliquerait des visites poussées à chaque changement d'équipage pour, en cas de détérioration du porte-avions, déterminer les responsabilités respectives des pays qui l'utilisent.

Si un porte-avions à temps partagé est exclu, un porte-avions à coût partagé est tout à fait envisageable. Le choix de la version, à décollage vertical, de l'avion JSF ne ferme pas la porte à une éventuelle coopération avec le Royaume-Uni pour la construction du second porte-avions français. En effet, en dépit du choix du JSF, une catapulte sera nécessaire sur le porte-avions britannique pour le décollage des avions de guet aérien Hawkeye. Les porte-avions français et britannique pourraient utiliser des composants communs, notamment pour les systèmes d'armes ou la propulsion, ce qui permettrait de réaliser des économies d'échelle : sur certains éléments, les gains pourraient atteindre 20 à 30 % du coût. Des études sont en cours.

Rappelant qu'en 2003, 1 572 postes de volontaires dans l'armée de terre seraient remplacés par 1 000 postes d'engagés, en raison des difficultés de recrutement de volontaires, M. Philippe Vitel a demandé ce qu'allait devenir le statut de volontaire, surtout si une telle démarche est adoptée par les autres armées.

Le général Jean-Pierre Kelche a répondu que le statut de volontaire était en effet peu attractif par rapport à celui d'engagé, en raison des différences de statut et de rémunération. Ce statut a été conçu soit comme une possibilité d'engagement de courte durée à titre d'essai, soit pour utiliser des compétences spécifiques sur un temps bref et permettre aux jeunes gens ainsi recrutés de faire valoir sur le marché du travail une première expérience de qualité, soit enfin, de la part de la gendarmerie, pour constituer une forme de période probatoire au sein d'une brigade. Cependant, ce dispositif ne fonctionne pas pleinement et les manques d'effectifs deviennent permanents et pèsent sur les structures. Afin de sortir de cette impasse, l'armée de terre a entrepris de remplacer 1 572 postes de volontaires à coût constant par 1 000 postes d'engagés ; cette opération sera renouvelée en 2004, l'objectif étant de recruter ainsi 3 000 militaires du rang supplémentaires.

M. Jérôme Rivière a évoqué la question des réserves : alors que la situation est aujourd'hui satisfaisante parmi les officiers, les effectifs de militaires du rang réservistes sont insuffisants. Il a demandé si le projet de loi de programmation militaire prévoyait les fonds nécessaires pour y remédier. Après avoir rappelé que le calendrier prévu par la loi de programmation militaire pour le deuxième porte-avions impliquerait des arbitrages rapides, il a demandé si l'opération Heraclès permettait déjà d'orienter certains d'entre eux, notamment pour la plate-forme de tir et les systèmes d'armes.

Le chef d'état-major des armées a reconnu que les réserves constituaient une préoccupation importante. Si le système d'affectation individuelle des officiers pour des périodes données fonctionne bien, avec des missions sur les théâtres d'opération de trois ou quatre mois, en revanche, la moitié des objectifs d'effectifs seulement est atteinte pour les sous-officiers et 12,5 % pour les militaires du rang. Les crédits qui y sont consacrés sont suffisants, puisque ceux prévus pour 2002 ne sont pas consommés en totalité. Ce sont les règles de fonctionnement qui doivent être modifiées. La ministre de la défense va nommer un chargé de mission sur les réserves. La difficulté doit être résolue, car l'organisation des armées inclut des unités élémentaires composées de réservistes. Des mesures renforçant leur attractivité sont spécialement nécessaires : rémunérations, reconnaissance, action auprès des entreprises.

La campagne du Charles-de-Gaulle a été une réussite, d'autant plus remarquable qu'on sait de quelles péripéties elle a été précédée. Les capacités en matière d'interopérabilité, de maîtrise de l'espace aérien et de l'information ont donné entière satisfaction. S'il est possible de construire un sister-ship au Charles-de-Gaulle, la question du choix de la propulsion reste essentielle : lorsque le premier porte-avions a été conçu, le choix de la propulsion nucléaire s'imposait, compte tenu des performances insuffisantes de la propulsion classique. Cependant, le gaz permet aujourd'hui de fournir une puissance considérable. La charge d'entretien associée à la propulsion nucléaire est plus lourde et les escales soulèvent plus de difficultés en raison de l'image de l'énergie nucléaire, mais la puissance fournie est très élevée, tout comme la fiabilité. Les arbitrages seront réalisés au printemps 2003. La décision du Royaume-Uni constituera un élément important. L'attente de ce choix ne retardera pas l'entrée en service du deuxième porte-avions, prévue en 2012.

M. Jean-Michel Boucheron a demandé si, au vu des événements de l'année écoulée et de l'évolution des menaces à l'échelle mondiale, le moment n'était pas venu de reprendre la réflexion sur les choix fondamentaux de la politique française de dissuasion.

Le général Jean-Pierre Kelche a répondu qu'il s'agissait en effet là d'une question essentielle, au cœur de toute réflexion sur l'adéquation du futur type de défense à l'évolution des menaces. Face à la montée en puissance des menaces asymétriques non étatiques, que le nucléaire n'a de toute façon pas vocation à couvrir, il est possible dans un premier mouvement de s'interroger sur l'opportunité de maintenir des investissements pour la dissuasion nucléaire à hauteur de 19 % des crédits du titre V.

Pour perdurer, le consensus sur le nucléaire doit être étayé de nouveau. Il convient de raisonner dans la durée : la dissuasion nucléaire a pour objet de protéger les intérêts vitaux de la France à l'horizon de vingt ou trente ans. Il ne faut pas que nos successeurs puissent reprocher notre imprévoyance. Les incertitudes sur les menaces futures sont grandes, qu'il s'agisse de la situation d'une Russie qui n'est actuellement pas encore stabilisée ou de l'émergence de puissances régionales disposant d'armes de destruction massive. Il existe un certain nombre de scénarios possibles dans lesquels la possession de l'arme nucléaire donne aux autorités politiques françaises une capacité d'action et de réaction face à des puissances hostiles. Enfin, le statut international de la France, et notamment son siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, dépend pour partie de sa capacité nucléaire militaire. Le prix à payer pour bénéficier de l'ensemble de ces atouts ne semble donc pas disproportionné, mais il est certain qu'il faudra réfléchir à une évolution de la notion de dissuasion française et mieux argumenter vis-à-vis de l'opinion publique.

M. Yves Fromion, président, a souligné que la création d'une défense européenne conduisait inéluctablement à une réflexion sur le rôle de la dissuasion nucléaire française.

M. Richard Mallié a rappelé que, dans le projet de loi de programmation militaire, 265 millions d'euros étaient prévus pour la rénovation des hélicoptères Puma et Cougar. Ne serait-il pas plus judicieux d'utiliser ces crédits pour acheter plutôt quinze NH 90 neufs ? Par ailleurs, les gendarmes français en mission au Kosovo effectuent des missions de police judiciaire et de renseignement sur les filières de criminalité organisées. Leur séjour se limite à quatre mois. Cette durée ne pourrait-elle pas être augmentée, afin de mieux répondre aux besoins opérationnels ?

Le général Jean-Pierre Kelche a indiqué que la maquette de l'armée de terre avait été insuffisamment dimensionnée en ce qui concerne l'aéromobilité et qu'il n'avait pas été possible de revenir sur ce déficit, représentant environ un régiment. De plus, il faut faire face à la faible disponibilité actuelle des hélicoptères. Le programme NH 90 prévoit que la version marine sera développée en premier, la version transport de troupes ne devant être livrée qu'en 2011. Une réflexion a été menée sur la possibilité d'avancer cette date, mais la renégociation d'ensemble du contrat faisait craindre des surcoûts importants, tandis que les autres Etats participant au programme n'étaient pas favorables à une telle modification. D'un point de vue opérationnel, à moyens constants, l'achat de treize hélicoptères NH 90 ne permettrait pas de compenser le retrait progressif du service des 69 hélicoptères devant être modernisés. Or, le degré de rénovation à effectuer a été établi pour pouvoir engager les appareils rénovés sur des théâtres d'opérations extérieures. Le programme de rénovation permettra ainsi de prolonger de dix à quinze ans la durée de vie des appareils et de faire la soudure avec l'arrivée du NH 90.

On peut effectivement penser que quatre mois sont insuffisants pour pouvoir être efficace dans la lutte contre la criminalité organisée. Cependant, la responsabilité du déploiement de spécialistes dans ce domaine en opérations extérieures ne relève pas de l'état-major des armées. La durée du déploiement des unités de combat en opérations extérieures a été limitée à quatre mois, même dans les zones calmes, car il est apparu qu'une durée plus longue avait des répercussions sérieuses sur la vie des familles.

M. Jean Michel a évoqué l'engagement de l'Allemagne en faveur de la défense européenne, notamment au regard de ses hésitations sur le programme A 400 M. Après avoir relevé que les pays d'Europe centrale et orientale entrés dans l'OTAN avaient tendance à se fournir auprès des industries de défense américaines, il a souhaité savoir quelles pouvaient être les modalités de coopération militaire avec la Russie dans le futur.

Le général Jean-Pierre Kelche a estimé que l'Europe ne pouvait pas se faire sans la Russie et que l'avenir de cette dernière se situait en Europe. S'il est fréquemment reproché à la Russie de regarder davantage vers l'OTAN que vers l'Union européenne, il faut bien reconnaître que celle-ci ne prend aucune initiative vis-à-vis de la Russie. La situation de l'appareil militaire russe est extrêmement difficile. Le projet du président Poutine d'organiser une transition vers l'armée professionnelle en 2010 se heurte à un profond manque de moyens financiers. En 2002, 150 000 postes de cadres de l'armée russe devraient disparaître. L'indemnité versée aux personnels licenciés est extrêmement faible. Face au manque de moyens, l'expérience de la France en matière de professionnalisation ne peut être d'un grand secours. Pour les mêmes raisons, en ce qui concerne la coopération opérationnelle, à peine 15 % des projets prévus chaque année sont effectivement réalisés.

Les pays d'Europe centrale et orientale ont privilégié l'adhésion à l'OTAN, d'une part en raison de leur sentiment d'insécurité vis-à-vis de la Russie, d'autre part parce qu'il est plus facile d'adhérer à l'Alliance atlantique qu'à l'Union européenne. Les Etats qui vont prochainement intégrer l'OTAN ne remplissent en réalité pas les standards de l'organisation, de même que la plupart de ceux qui y sont entrés récemment. Au contraire, l'intégration à l'Union européenne suppose des processus complexes et des démarches approfondies. Les élargissements successifs de l'OTAN et de l'Union européenne resteront donc décalés dans le temps et dans l'espace. Ce qui importe, c'est que l'élargissement de l'Union européenne reste compatible avec le développement d'une politique de sécurité et de défense commune.

La situation budgétaire de l'Allemagne reste très difficile et, au mieux, les dépenses militaires seront simplement reconduites l'an prochain. Le débat sur le service national en Allemagne n'a pas été tranché et, outre la sensibilité historique de cette question, se pose le problème du remplacement éventuel du service civil, qui concerne actuellement 180 000 personnes. Si le principe de la commande de l'A 400 M n'est pas remis en cause, il y a lieu d'être inquiet sur le nombre d'A 400 M qui seront commandés, qui est déterminant pour la pérennité d'un programme dont l'échec serait une catastrophe pour l'Europe. L'Allemagne reste toutefois susceptible de s'investir ponctuellement dans certains programmes en coopération européenne peu coûteux, comme les modules de télécommunication déployables et les drônes.

Rappelant que le général Jean-Pierre Kelche va quitter dans quelques semaines ses fonctions de chef d'état-major des armées, M. Yves Fromion, président, lui a rendu hommage au nom de la commission, en soulignant la grande disponibilité à l'égard du Parlement d'un officier en qui il a vu « sans doute l'un des meilleurs de sa génération ».

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