COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 29 octobre 2002
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Philippe Camus, président exécutif d'EADS, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187)


2

- Examen du rapport d'information sur le service de santé des armées (M. Christian Ménard, rapporteur)


7

Audition de M. Philippe Camus, président exécutif d'EADS, sur le projet de loi de programmation militaire 2003-2008.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Philippe Camus, président exécutif d'EADS, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187).

M. Philippe Camus a rappelé les conditions de la création du groupe EADS en juillet 2000. Face aux restructurations et à la concentration des industries de défense américaines, il apparaissait nécessaire de constituer un grand groupe spatial et aéronautique européen qui soit présent dans les secteurs civil et militaire, afin d'équilibrer ses activités.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont entraîné pour l'industrie aéronautique civile de graves difficultés liées à la faiblesse du secteur du transport aérien commercial. On peut cependant espérer une reprise de l'activité sous peu, comme ce fut le cas après la guerre du Golfe. En même temps, les Etats-Unis ont engagé un effort financier considérable pour la défense : d'importantes ressources budgétaires ont été mises en place pour le lancement de grands programmes, notamment dans le secteur spatial, déséquilibrant les relations entre industriels européens et américains. Les dépenses des Etats-Unis en matière de recherche et de développement s'élèvent à 110 milliards de dollars, soit le double des moyens européens, et les crédits militaires américains se montent dans certains secteurs à six fois l'effort européen. L'industrie de défense américaine peut ainsi concurrencer les groupes européens sur leur propre marché, alors que le marché américain est peu accessible aux groupes européens. Dans ce contexte, les entreprises de défense françaises s'interrogeaient sur les orientations du projet de loi de programmation militaire et, plus largement, sur les efforts auxquels étaient prêts à consentir les pays de l'Union européenne en matière de défense. Le projet de loi de programmation militaire constitue une inflexion très notable par rapport à la situation antérieure. Les moyens prévus permettent à la France de conserver une position de leader au sein de l'Europe. Des déclarations de responsables politiques depuis la présentation du projet de loi de programmation permettent d'espérer que la loi sera exécutée et que certaines pratiques de prise en charge par le budget de la défense de dépenses qui lui sont étrangères ont définitivement disparu.

Cependant, quelques réserves peuvent être formulées. En dépit d'une croissance de l'ordre de 16 % dans le projet de loi de programmation militaire, les moyens consacrés à la recherche et au développement restent en-dessous de ce qu'il faudrait faire, notamment au regard des montants qu'y consacrent le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Les secteurs de l'espace et des missiles tactiques apparaissent comme les parents pauvres de ce projet. Alors que le budget spatial militaire annuel de la France s'élevait à 600 millions d'euros au début des années 90, il s'établira à 450 millions d'euros seulement pour les années couvertes par le projet de loi de programmation militaire. Le fossé s'accroît entre les Etats-Unis, qui investissent massivement dans ce secteur, et l'Europe. Les crédits consacrés aux missiles sont dans la même situation, les programmes de missiles tactiques émergeant en fin de période, à la différence des projets britanniques.

Le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l'Allemagne recourent de façon croissante à l'externalisation. Des solutions novatrices sont développées. Ainsi, le satellite de télécommunications Skynet 5, dont EADS, associée à BAe a remporté l'appel d'offres, restera la propriété d'une société privée qui fournira un service au ministère de la défense britannique. Un appel d'offres est également en cours pour des services de ravitaillement en vol. EADS est prêt à travailler de cette façon aussi en France.

Enfin, la dimension européenne du projet de loi de programmation militaire est sans doute insuffisante, spécialement en ce qui concerne l'aspect industriel. Deux programmes européens présentent des difficultés emblématiques : l'avion de transport A 400 M, qui a fait l'objet d'un accord en décembre 2001, n'est pas encore lancé, en raison de la lenteur du processus budgétaire allemand ; il en est de même du missile air-air Météor, dont le contrat a été signé au printemps dernier et qui doit assurer la suprématie européenne dans ce domaine. Deux autres programmes mériteraient un meilleur sort. Le missile de croisière naval dérivé du missile aéroporté Scalp est inscrit dans la loi de programmation militaire, mais les livraisons ne sont prévues qu'après la mise en service des frégates multimissions. Alors que le secteur des drones mériterait un grand programme européen de drones tactiques d'observation et d'attaque, les programmes arrivent tardivement dans le projet de loi et pour des montants réduits.

Soulignant l'importance des drones, le président Guy Teissier a relevé que les commandes prévues par la programmation n'étaient pas si faibles : douze drones MALE et dix drones multimissions sont inscrits dans le projet de loi. Si les crédits inscrits en matière de missiles sont tout à fait convenables, la crise du secteur des télécommunications et la concurrence imposée par les Russes et les Américains rendent la situation beaucoup plus difficile dans le domaine des satellites et des lanceurs spatiaux. Des alliances paraissant indispensables, des négociations sont-elles en cours entre EADS et Alcatel ?

M. Philippe Camus a répondu que la situation dans le secteur spatial avait évolué rapidement. L'échec de projets de constellations de satellites de communication, ainsi que les difficultés de la « nouvelle économie », ont eu des répercussions négatives sur le marché des satellites de télécommunications. Il existe actuellement cinq principaux fabricants de satellites au niveau mondial, trois américains et deux européens. Il est en général considéré que deux sont de trop et que des regroupements seront nécessaires. Le secteur des satellites est très important, que ce soit pour l'observation, le traitement de l'information ou pour la navigation aérienne. L'espace est au centre des métiers d'EADS qui en poursuivra le développement. EADS travaille déjà avec Alcatel, les deux sociétés ayant répondu ensemble à un appel d'offres de l'OTAN pour des satellites de communication, et elle est prête à des rapprochements plus importants.

La situation des lanceurs est rendue difficile par la forte concurrence imposée par les Américains. En revanche, le lanceur russe Soyouz, qui emporte moins de 1,4 tonne en orbite géostationnaire à Baïkonour et moins de 3 tonnes à Kourou, n'est pas un rival pour la future version d'Ariane 5, qui sera capable, avant la fin de l'année, de placer dix tonnes sur cette orbite. En revanche, non seulement le marché des satellites a diminué, mais les performances accrues des satellites et des lanceurs réduisent le nombre de lancements nécessaires. Au lieu de sept ou huit auparavant, Arianespace ne devrait procéder qu'à quatre à six lancements au cours des prochaines années, alors que les opérateurs américains bénéficient d'une vingtaine de lancements institutionnels par an pour le compte du Pentagone ou de la NASA. Une question politique se pose : l'Europe aura-t-elle la volonté de maintenir une capacité spatiale autonome ? EADS a produit des efforts considérables et a divisé ses prix de lancement par deux, mais l'existence d'un marché de lancements institutionnels est indispensable à la survie du secteur.

M. Gilbert Meyer a rappelé qu'EADS était très impliquée dans des activités de maintenance des matériels militaires. Le chiffre d'affaires d'Eurocopter est constitué à hauteur de 35 % par l'activité de maintien en condition opérationnelle. Face aux très importants problèmes de disponibilité des matériels, l'augmentation des crédits prévue par le projet de loi de programmation militaire permettra-t-elle à elle seule d'améliorer la situation ou faut-il s'engager aussi dans des réformes de structure ?

M. Philippe Camus a répondu que la responsabilité était partagée dans la disponibilité insuffisante des matériels, mais que la difficulté était également liée à l'organisation interne de l'entretien des matériels au sein des armées. En ce qui concerne les hélicoptères, la situation est difficile et la direction d'Eurocopter a été sensibilisée à ce sujet. Il convient d'aller vers un système permettant d'établir un meilleur partage des responsabilités entre l'industriel et l'utilisateur. Actuellement, l'entretien est pour partie externalisé, pour partie réalisé par les armées. A l'image de ce qui est effectué pour les hélicoptères civils, qui ne connaissent pas ces problèmes de disponibilité, il serait souhaitable d'aller vers une meilleure définition des voies d'externalisation et d'y mettre les moyens.

M. Gilbert Meyer a rappelé que, dans un rapport d'information récemment présenté à la commission, il a proposé de substituer une logique de « coût de possession » à la seule prise en compte du coût d'acquisition.

M. Philippe Camus a considéré qu'il s'agissait d'une excellente idée. Ce système est déjà en vigueur au Royaume-Uni où les contrats comprennent également le coût d'entretien du matériel pour sa durée de vie. EADS est prête à s'engager dans des contrats similaires.

M. René Galy-Dejean a demandé quelle était l'ampleur de la crise que connaissait Ariane. En ce qui concerne le missile M 51, les délais seront-ils tenus et l'effort consenti par les pouvoirs publics est-il susceptible de compenser la crise d'Ariane ? Combien d'Airbus est-il prévu de vendre en 2003 ? EADS finance-t-elle de la recherche sur ses fonds propres ? Quelle en est la nature et quelles sont les évolutions prévisibles en la matière ?

M. Philippe Camus a indiqué qu'Ariane traverse une crise grave, dont les causes sont structurelles, tenant notamment au retour des Américains sur le marché. S'il est possible pour Ariane de faire face techniquement et industriellement pendant un certain temps, les besoins en lancements institutionnels européens sont trop faibles, ce qui entraînera une perte de compétitivité à terme. L'Europe doit s'interroger sur sa volonté de conserver un accès autonome à l'espace.

En ce qui concerne le M 51, l'année 2003 devrait voir le lancement de la deuxième tranche du programme, dont le budget - tout en ayant subi de fortes contraintes - permettra d'atteindre des performances notablement supérieures au système opérationnel actuel. La diminution du volume de la commande et l'étalement dans le temps de sa réalisation posent aussi problème pour l'établissement d'Aquitaine. Pour ces raisons, le M 51 ne permet en aucun cas de compenser la crise d'Ariane. Si, sur le plan technique, les programmes militaires ont longtemps permis des applications civiles, l'inverse est aussi vrai et l'imbrication des programmes est très étroite. Aujourd'hui, ce sont les technologies d'Ariane 5 qui bénéficient au M 51, alors qu'Ariane 4 a bénéficié des technologies du M 4. Pour le M 51, les délais, les spécifications et les coûts contractuels seront tenus.

En 2003, 300 Airbus devraient être livrés, ce qui représente une baisse de 25 % par rapport aux prévisions effectuées avant le 11 septembre 2001. Le marché des avions de mission des armées doit donc être davantage exploré, qu'il s'agisse de l'A 400 M ou des avions ravitailleurs. Pour ces derniers, il existe un besoin mondial très important de renouvellement d'une flotte arrivant à obsolescence et qui était précédemment un monopole américain de fait. L'A 330 constitue une excellente base de développement d'un avion ravitailleur. Il est proposé aux Britanniques dans le cadre de l'appel d'offres pour l'externalisation de leur capacité de ravitaillement en vol. EADS a concouru pour un appel d'offres américain d'une première centaine d'appareils ; ce marché est d'un accès extrêmement difficile, mais nous restons dans la course pour les tranches suivantes. L'OTAN réfléchit aussi à un programme important de flotte de ravitailleurs en vol.

EADS consacre d'importants efforts de recherche sur ses fonds propres, à la différence de ce qui se passe aux Etats-Unis où la recherche est largement pré-financée par le Pentagone et la NASA. En matière d'avions commerciaux, la recherche représente environ 10 % du chiffre d'affaires d'Airbus, alors que, dans ce secteur, Boeing ne consacre que 2,7 % de ses fonds propres à la recherche et au développement et met pleinement à profit les transferts de technologies entre avions civils et militaires. En matière de défense, le taux de recherche sur fonds propres d'EADS est de l'ordre de 5 %.

Le président Guy Teissier a demandé quels industriels participent à l'appel d'offres britannique pour l'externalisation de la flotte d'avions ravitailleurs de la Royal Air Force (RAF).

M. Philippe Camus a indiqué que deux consortiums ont soumissionné, le premier regroupant notamment EADS, Thales, Cobham, Rolls Royce et Halliburton, le second associant Boeing à BAe Systems. Dans l'hypothèse où l'offre du consortium où figure EADS serait retenue, une société spécifique serait constituée, qui traiterait avec les banques et la RAF. Le financement de la réalisation des avions sera effectué par prêt bancaire, garanti et remboursé par les loyers à percevoir de la RAF. Les ravitailleurs, lorsqu'ils ne seront pas utilisés par la RAF, pourront être loués à d'autres armées ou à des opérateurs de vols commerciaux, de fret ou charters, sachant qu'il est prévu qu'un nombre d'appareils soit réservé en permanence aux missions de la RAF.

Se référant au choix du Royaume-Uni, de l'Italie, du Danemark et des Pays-Bas en faveur de l'appareil américain F 35 pour renouveler leurs flottes d'avions de combat, M. Gilbert Le Bris a souhaité avoir le sentiment de M. Philippe Camus sur les perspectives de déroulement du programme de système commun d'avion futur (SCAF). Le futur avion de combat des armées européennes sera-t-il de conception américaine ou totalement européen ? Lequel des concepts d'avion piloté ou d'aéronef sans pilote sera privilégié ?

M. Philippe Camus a regretté qu'un certain nombre de pays européens ait effectivement entrepris de participer au développement du F 35, car il n'existe pas de réciproque. En effet, les entreprises européennes de l'armement ne bénéficient pas de conditions d'accès au marché américain du même ordre que leurs concurrentes américaines sur les marchés européens. Le F 35 est un avion de même génération que les Rafale et Typhoon et leur sera comparable. En revanche, il va bientôt falloir envisager la préparation de la génération d'avion de combat postérieure aux Rafale et Eurofighter. L'Europe devra lancer les études sur la base d'une définition commune et d'un programme commun aux principaux pays intéressés et d'une intégration industrielle plus poussée qu'aujourd'hui. Actuellement, ni Dassault Aviation pour le Rafale, ni le consortium Eurofigther n'ont trouvé de débouchés hors d'Europe. L'avion de combat futur sera intégré dans un système d'armes incluant des liaisons permanentes avec des systèmes de reconnaissance et de positionnement aériens ou spatiaux.

M. Charles Cova a demandé s'il n'était pas envisageable de partager les coûts de développement d'une accélération du programme de missile de croisière naval entre les industriels et la délégation générale pour l'armement (DGA).

M. Philippe Camus a reconnu que des préoccupations budgétaires étaient responsables du report de l'entrée en service du missile de croisière naval après celle des premières frégates multimissions. Une des manières de résoudre l'équation financière consiste à développer le projet conjointement avec d'autres partenaires européens. C'est ce à quoi s'emploie actuellement le groupe EADS.

M. Yves Fromion a souhaité obtenir des précisions sur la stratégie éventuelle du groupe EADS en matière d'alliance avec des partenaires américains pour pallier les aléas des coopérations européennes.

M. Philippe Camus a fait valoir qu'il n'est pas possible au secteur de l'armement aéronautique et spatial d'espérer nouer des coopérations industrielles équilibrées avec les industriels américains s'il n'est pas suffisamment fort en Europe. Le groupe EADS s'est donc d'abord engagé dans une stratégie de consolidation en Europe, notamment à travers les programmes de missiles Météor, de drones de nouvelle génération et de ravitailleurs. Il cherche cependant aussi à renforcer sa présence aux Etats-Unis. Au lieu de privilégier le rachat de sociétés américaines ou la création de filiales communes, il a été décidé d'essayer de pénétrer le marché américain, en faisant valoir la qualité des produits et la compétence des équipes d'EADS auprès des décideurs américains, quitte à prendre des engagements de localisation industrielle Outre-Atlantique, comme c'est déjà le cas dans l'Etat du Mississipi où une usine a été installée pour assurer la maintenance des hélicoptères des gardes-côtes modernisés par EADS. La localisation d'activités industrielles sur place se justifie aussi par les contraintes réglementaires très sévères qu'impose l'administration américaine en matière d'armement et d'exportation de matériels militaires, qui rend difficile la pénétration de ce marché à partir de rachats de sociétés existantes ou de constitution de sociétés communes spécialisées.

M. Alain Moyne-Bressand a demandé si des coopérations avec l'industrie aéronautique russe étaient envisagées, le marché aéronautique de la Russie n'étant désormais plus fermé.

M. Philippe Camus a indiqué que l'industrie aéronautique russe, très puissante et efficace dans les années 1960 et 1970, avait connu ensuite de grandes difficultés. Cependant, c'est l'outil industriel qui bride cette industrie. Dans les domaines de l'ingénierie et des études, les compétences sont toujours là. Des partenariats sont donc envisageables, d'autant plus qu'une alliance éventuelle entre les industries russe et américaine pourrait être à terme pénalisante pour l'Europe. L'industrie aéronautique américaine mène du reste une politique active de présence en Russie. Un accord important, concernant l'industrie spatiale et aéronautique ainsi que les relations entre Airbus et les compagnies aériennes russes, a été conclu en juillet 2001 entre EADS et l'industrie russe. Sa mise en œuvre se poursuit. Airbus a ouvert en Russie un bureau d'études qui devrait prendre une grande importance et des développements communs sur des appareils russes qui n'ont pas leur équivalent en Europe, tels que l'avion BE 200 de lutte contre les feux de forêt, sont en cours.

*

* *

Service de santé des armées (rapport d'information).

La commission a examiné le rapport d'information de M. Christian Ménard sur le service de santé des armées.

M. Christian Ménard, rapporteur, a indiqué que, bien qu'il soit méconnu, le service de santé des armées joue un rôle essentiel dans la capacité de projection de nos forces et dans la préservation du moral des combattants. Il s'y ajoute une nouvelle dimension liée à la prise en compte des modalités d'hygiène et de sécurité en opération, comme l'ont démontré après coup les revendications liées au syndrome de la guerre du Golfe ou des Balkans.

L'action du service de santé des armées s'inscrit dans un contexte radicalement différent de celui des dernières années. L'abandon du service national a fait disparaître la charge considérable liée à la sélection et au suivi médical du contingent et a privé le service de l'apport considérable des appelés pourvus d'une formation médicale ou paramédicale. En effet, 27 % des médecins, 63 % des pharmaciens, 75 % des vétérinaires, 92 % des chirurgiens-dentistes, mais aussi 51 % des kinésithérapeutes, 25 % des laborantins et 15 % des infirmiers appartenaient au contingent. Par ailleurs, quelque quatre-vingts scientifiques du contingent servaient comme informaticiens ou chercheurs dans les laboratoires.

Ayant dû faire face à la fois à la professionnalisation et à la réforme générale de la santé publique, le service de santé des armées a, en l'espace de quelques années, été profondément réorganisé. Le dispositif hospitalier a été réduit de moitié, passant de 5 600 à 3 200 lits, en se resserrant sur les neuf hôpitaux d'instruction des armées. Il s'est ouvert dans le même temps très largement au service public hospitalier, en devenant par les recettes liées à son activité de soins le pivot du financement de l'ensemble du service.

Aujourd'hui, alors que de nouveaux défis l'attendent, notamment la féminisation, et qu'il est largement sollicité par la multiplication des opérations extérieures, le service de santé doit faire face à une pénurie de personnel médical et paramédical. Il dispose paradoxalement de droits budgétaires convenables au regard de son nouveau format.

Les missions du service sont plus que jamais dominées par le soutien des forces projetées, auquel il consacre une part croissante de ses moyens en personnel et matériel. Les effectifs, le parc hospitalier et l'ensemble des moyens du service ont été réorganisés en fonction du contrat opérationnel, soit le soutien de 35 000 hommes engagés sur deux théâtres avec un taux de perte de 2 %. Le service de santé est devenu une composante incontournable des opérations extérieures, au cours desquelles il met en œuvre un concept d'emploi tout à fait spécifique, qui inspire de plus en plus nos voisins et qui repose sur une prise en charge sanitaire globale, allant de la sélection et de la médecine préventive aux soins immédiats, à l'évacuation et à l'hospitalisation. Cette chaîne sanitaire s'appuie en outre sur la mise en œuvre de deux grands principes : la médicalisation et la réanimation-chirurgicalisation de l'avant et la systématisation des évacuations sanitaires précoces vers les hôpitaux de traitement définitif. Même si privilégier l'évacuation immédiate vers des hôpitaux, à l'instar de ce que font les anglo-saxons, pourrait paraître a priori plus rationnel dans un contexte de déficit en personnel, ce soutien de proximité est un élément essentiel du moral de nos troupes et permet de limiter les séquelles fonctionnelles. Autre exemple, la présence d'un psychiatre sur chaque théâtre permet de limiter les évacuations sanitaires en réglant sur place les problèmes d'adaptation et d'éloignement familial.

La multiplication des opérations extérieures et leur inscription dans la durée rendent cependant nécessaire l'optimisation des ressources, avec la mise en place d'un soutien mutualisé des unités, au Kosovo par exemple. La coopération avec les services de santé étrangers, notamment allemand et espagnol, progresse, mais ne permet d'envisager une mutualisation des moyens qu'à moyen terme. Le prélèvement des personnels, qui ne sont jamais remplacés pendant leur absence, pèse cependant lourdement sur le fonctionnement du service, déjà fragilisé par des problèmes de sous-effectif.

Le service de santé connaît un déficit croissant en médecins d'active qui s'élève à 304 postes, soit 12,5 % des effectifs, et concerne surtout les médecins affectés dans les forces et certaines spécialités déjà déficitaires dans le secteur civil (anesthésistes-réanimateurs, urgentistes). Ce sous-effectif est la conjugaison de plusieurs facteurs : restriction des recrutements imposée au service de la fin des années 80 jusqu'en 1996, allongement de la durée des études médicales, professionnalisation qui a entraîné la création de 126 postes à pourvoir, accélération du nombre des départs depuis 1999, due à l'arrivée à la retraite de classes d'âge nombreuses et à l'attractivité du secteur civil, aggravée par une démographie médicale ouvrant des perspectives pour l'exercice libéral. Un renforcement du recrutement initial a été engagé dès 1997, mais, si le succès du concours est constant avec 10 candidats pour une place, ses effets ne se feront sentir qu'à compter de 2006. Il était donc indispensable durant cette phase de transition de s'appuyer sur un recrutement complémentaire de médecins déjà diplômés. Or, le recrutement sur concours de médecins thésés a rapidement épuisé un vivier issu du service national. En 2000, seules 2 places ont été honorées sur les 30 proposées. On observe cependant un frémissement des recrutements de médecins sous contrat. Une politique de communication est menée depuis deux ans auprès des facultés et auprès de l'ordre des médecins. Elle a été renforcée cette année par une campagne d'information faite dans la presse spécialisée et la création d'un bureau recrutement à la direction centrale. Au-delà de ces mesures, il est nécessaire d'augmenter l'attractivité de ces contrats. Les généralistes recrutés comme officiers sous contrat (OSC) le sont au premier grade de médecin et sont donc payés en tant que capitaines. De plus, la limite d'âge fixée à 52 ans interdit à tout médecin en fin de carrière et disposant de plus de disponibilité de s'engager. Quant aux spécialistes recrutés au titre de l'article 98-1 du statut de 1972, ils ne peuvent percevoir de prime de qualification.

Depuis trois ans, le service de santé a aussi de plus en plus souvent recours à des vacataires pour effectuer des gardes hospitalières et à des réservistes, mais la durée de leur mandat est limitée. Pour freiner les départs, des mesures de revalorisation ont été prises depuis 2001. Il est encore trop tôt pour mesurer l'impact de ces mesures, même si la tendance au départ semble s'infléchir cette année.

La bonne marche de la professionnalisation se heurte aussi à des disparités injustifiées au sein du personnel paramédical, qui relève actuellement de trois statuts : les militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées (MITHA), recrutés sur titres par le service de santé, et disposant d'un statut proche de celui de la fonction publique ; le personnel civil du service de santé sous statut fonctionnaire ou ouvrier d'Etat ; les sous-officiers et officiers mariniers de la branche santé, recrutés par leur armée d'appartenance, qui obtiennent leur diplôme à l'issue d'une formation interne commune à l'école du personnel paramédical des armées de Toulon. En 1998, une refonte des statuts a été engagée en vue de rationaliser les emplois, les professions non projetables étant désormais recrutées sous statut fonctionnaire, les professions projetables uniquement sous le statut militaire de MITHA. Pour des raisons budgétaires, l'unification des statuts des paramédicaux militaires dans le cadre d'un statut MITHA élargi n'a pas abouti. L'étanchéité des statuts est telle que le service de santé ne peut recruter avec reprise de son ancienneté un infirmier des forces à l'issue de son engagement avec son armée d'appartenance. Si un renforcement du recrutement des MITHA est engagé depuis 2002 et facilité par un système de prérecrutement en dernière année d'institut en soins infirmiers, le service de santé souffre aussi d'un fort déficit en personnel civil, dû à la lourdeur des concours, au manque d'attractivité par rapport au secteur libéral et à la situation de pénurie démographique de certaines professions (kinésithérapeutes, manipulateurs en radiologie).

Dans les hôpitaux, la sanction de ces sous-effectifs est immédiate avec la fermeture de lits. Avec la perte de la clientèle obligée des appelés, les hôpitaux militaires ont dû par ailleurs s'ouvrir très largement à la clientèle civile pour maintenir une activité suffisante et variée. En 2001, la part de la clientèle civile représentait 72 % des entrées et 76 % des journées d'hospitalisation. Cette participation au service public hospitalier a été formalisée par l'article 11 de la loi de modernisation sociale. Les équipements et les capacités des hôpitaux militaires sont pris en compte dans la planification sanitaire, sans en faire partie. Et, comme les hôpitaux civils, les hôpitaux militaires se sont engagés dans la démarche de l'accréditation. Cette activité non militaire contribue désormais de manière prépondérante au financement de l'ensemble du service de santé, puisqu'elle lui apporte plus de 60 % de ses ressources financières, pour la quasi-totalité sous la forme d'une dotation globale depuis le 1er janvier 2002. Un point d'équilibre devra être néanmoins trouvé afin de préserver le caractère prioritaire des missions militaires du service, la progression de ces recettes externes ne devant pas se traduire par une érosion des crédits budgétaires du service.

Face à ces difficultés, deux solutions radicales doivent être écartées : la mixité avec le secteur civil et l'externalisation. La première n'est pas viable et n'offre aucune garantie de réactivité et de conciliation avec la continuité du service public. S'agissant de l'externalisation, il suffit de regarder ses résultats catastrophiques au Royaume-Uni, où le recours exclusif au secteur civil rend aujourd'hui l'armée britannique dépendante de l'aide mutuelle pour son soutien sanitaire.

Les remèdes sont plutôt les suivants : une meilleure reconnaissance des qualifications et des emplois en facilitant l'accès aux corps d'officiers aux infirmiers spécialisés, à l'instar de ce qui se fait dans les armées anglo-saxonnes ; le développement de l'accueil des étudiants civils dans les hôpitaux militaires, faculté prévue par le décret du 14 mai 1974, mais jamais appliquée, qui permettrait de faciliter le recrutement complémentaire et la constitution de la réserve ; la suppression des disparités injustifiées entre paramédicaux militaires en les regroupant sous un statut MITHA unique, ce qui permettrait d'offrir un choix élargi d'emplois aux intéressés et par là-même de les fidéliser ; la réintégration des kinésithérapeutes parmi les professions projetables sous statut militaire ; l'amplification de la politique de communication.

Enfin, le service de santé devra dans la prochaine décennie relever d'autres défis majeurs. Il s'agit d'abord de la féminisation ; avec la levée des quotas intervenue en 1998 pour le recrutement des officiers du service de santé, les nouvelles promotions de médecins sont constituées de femmes à plus de 50 %. Le taux de féminisation du service de santé, qui dépasse déjà 42 %, amène à s'interroger sur la disponibilité opérationnelle de ces personnels féminins et l'adaptation de la durée des missions en opération extérieure, les problèmes de garde des enfants et la rétribution corrélative des gardes de nuit pour les MITHA. Une réflexion sur l'aménagement du temps de travail et ses conséquences, dans le respect du statut militaire, s'impose.

Le second défi de la décennie est la réforme des études médicales à l'horizon 2004-2005, qui se traduit pour les élèves médecins des armées par la suppression des 3 ans obligatoires en unité et l'existence de fait de deux filières dès l'origine: la filière des unités pour les généralistes et la filière interarmées des hôpitaux pour les spécialistes. Il importera d'aménager des passerelles entre les deux. En effet, comment les spécialistes pourront-ils statuer en dernier ressort sur l'aptitude, en n'ayant fait qu'un stage de trois semaines en unité au cours de leur scolarité ? Le maintien de leur culture militaire sera également nécessaire au bon fonctionnement des formations sanitaires de campagne. Enfin, les incertitudes sont les plus fortes sur la clé de répartition entre les médecins des forces et les hospitaliers. Une désaffection de la filière généraliste ne pourrait que fragiliser davantage le service où le déficit en médecins se concentre déjà dans les forces. Cette réforme devra cependant être l'occasion d'intégrer au nouvel internat un module optionnel validant de médecine militaire, à l'instar de ce qui se fait déjà à la faculté de Montpellier, et qui permettrait de restaurer un lien disparu avec la fin du service national.

Le dernier chantier qui attend le service de santé sera la montée en puissance de la réserve opérationnelle, qui ne compte actuellement que 1 040 personnes pour un objectif de 7 000 en 2008 et qui s'avère problématique pour les sous-officiers infirmiers et les militaires du rang brancardiers secouristes. Si des « correspondants réserve » existent déjà dans les facultés et les instituts de formation en soins infirmiers, une meilleure information sur les emplois proposés devra être assurée.

Par tous ces aspects, le service de santé traversera une décennie de transition particulièrement cruciale pour son avenir. Il conviendra de lui donner les moyens nécessaires pour y parvenir et de préserver ce pôle d'excellence de nos armées, qui inspire de plus en plus nos voisins.

M. Alain Moyne-Bressand a demandé si les agences régionales de l'hospitalisation étaient compétentes dans la décision d'achat des équipements des hôpitaux des armées et comment ces équipements étaient pris en compte dans la carte sanitaire.

M. Christian Ménard, rapporteur, a répondu qu'en dépit d'une ouverture croissante des hôpitaux militaires à une clientèle civile, le ministère de la défense restait seul décideur en la matière, la fixation du montant de la dotation globale faisant l'objet d'une négociation directe avec le ministre de la santé. Si les équipements des hôpitaux militaires sont pris en compte dans le schéma régional d'organisation sanitaire, ils n'en font pas partie pour autant.

M. Philippe Vitel a ajouté que le matériel lourd acquis par les hôpitaux des armées était recensé par les agences régionales de l'hospitalisation, en vue d'une meilleure optimisation des équipements avec le secteur civil.

S'inquiétant du déficit en médecins militaires, M. Charles Cova s'est interrogé sur la possibilité d'imposer aux étudiants en médecine boursiers l'obligation de servir deux ans dans les armées à l'issue de leurs études, en contrepartie de l'effort financier consenti par l'Etat.

M. Christian Ménard, rapporteur, a reconnu que cette idée méritait d'être approfondie.

Le président Guy Teissier a souligné qu'il s'agissait d'une pratique courante aux Etats-Unis pour le recrutement d'officiers et qu'en France la commission armées-jeunesse décernait déjà quelques bourses d'études à des étudiants de haut niveau, en contrepartie d'une obligation de service dans les armées. Cet usage doit être développé et assorti en outre d'une obligation de service dans la réserve. De manière plus générale, les armées doivent renforcer leur politique de communication auprès des universités.

M. Philippe Vitel a souligné que le problème de la démographie médicale concernait aussi bien les civils que les militaires, ces derniers étant d'ailleurs compris dans le numerus clausus. En 2010, 8 000 médecins partiront à la retraite et seuls 3 500 seront remplacés. Les départs de médecins militaires s'ajouteront à ce déficit généralisé. Alors que 200 000 médecins exercent en France actuellement, il n'en restera que 158 000 en 2025. Il a également souhaité savoir si l'ouverture aux ressortissants européens et l'équivalence des diplômes allaient concerner le service de santé des armées.

Le président Guy Teissier et M. Christian Ménard, rapporteur, ont rappelé que l'emploi au sein du service de santé des armées était subordonné à la possession de la nationalité française.

M. Gilbert Le Bris a souhaité savoir si une prévision du nombre de médecins nécessaires à la marine à l'horizon 2015, dans le cadre de la réalisation du modèle d'armée, avait été effectuée.

M. Christian Ménard, rapporteur, a indiqué que de telles prévisions avaient été faites par la direction centrale du service de santé à l'horizon 2008.

M. Richard Mallié a manifesté la crainte qu'en imposant aux boursiers de leur faire effectuer un temps sous les drapeaux, on risque de décourager davantage les vocations médicales.

Le président Guy Teissier a précisé que si ce système de contrepartie était retenu, il devrait se généraliser à l'ensemble des étudiants boursiers, des chimistes pouvant servir par exemple dans le service des essences.

M. Yves Fromion a souligné que les bénéficiaires de bourses accordées à des doctorants par des collectivités territoriales se voient également demander des contreparties.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

--____--


© Assemblée nationale