COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 12 novembre 2002
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Charles Edelstenne, président-directeur général de Dassault aviation, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187)

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Loi de programmation militaire 2003-2008 : audition de M. Charles Edelstenne, président-directeur général de Dassault aviation.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Charles Edelstenne, président-directeur général de Dassault aviation, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187).

M. Charles Edelstenne a exprimé sa satisfaction de constater que le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 met fin à la décroissance régulière des crédits du titre V, laquelle s'est traduite sur les dix dernières années par la réduction de plus de la moitié du chiffre d'affaires de la société Dassault Aviation réalisé sur la base des commandes du ministère de la défense. Pour la première fois, il n'est pas prévu de nouvel étalement du programme d'avion polyvalent Rafale, alors que sur les neuf dernières années, il a subi un retard de neuf ans. A titre de rappel, le premier escadron de Rafale de l'armée de l'air devait initialement entrer en service en 1998 et, en contrepartie d'un financement par l'industrie de 25  % des coûts de développement, cette date avait été avancée à 1996 afin de favoriser les exportations. En fait, le premier escadron de l'armée de l'air sera opérationnel en 2006 seulement. A la fin de l'année 2000, cinq exemplaires avaient été livrés aux armées, alors qu'il était initialement prévu de leur en fournir cent trente-sept. Une fois la loi de programmation votée, il conviendra de s'assurer de sa bonne exécution, ce à quoi ce sont engagés la commission de la défense et son président.

Le projet de loi de programmation militaire comporte des dispositions intéressantes concernant le maintien en condition opérationnelle et les drones. Dassault Aviation a formulé des propositions coïncidant avec les orientations que le Gouvernement entend privilégier pour l'entretien des matériels, qui visent à améliorer la disponibilité tout en diminuant les coûts. A cet effet, la société Dassault Aviation est prête à prendre en charge la maîtrise complète de la chaîne de maintenance de ses appareils, tout en se ménageant la possibilité de leur apporter des modifications au cours de leur durée de service, ce qui se répercuterait sur le niveau des coûts d'entretien et engendrerait des économies. Le maintien en condition opérationnelle global permet de planifier le support des avions de combat et, ainsi, de lisser le plan de charge industriel. Actuellement, les modalités du maintien en condition opérationnelle font l'objet d'un débat : la DGA et la SIMMAD proposent de confier à Dassault Aviation le maintien en condition opérationnelle global des Rafale avec l'ensemble de leurs équipements et, pour les autres appareils, uniquement les équipements Dassault. Le maintien en condition opérationnelle nécessite la mise en place d'équipes et de compétences s'inscrivant dans une certaine durée.

En ce qui concerne les drones, il est satisfaisant que le projet de loi de programmation militaire accorde beaucoup d'importance à ces systèmes d'armes d'avenir, qui devraient permettre le maintien des capacités technologiques françaises dans le secteur de l'aéronautique à moyen terme. Alors que les livraisons de Rafale et de Typhoon s'étaleront jusqu'en 2020 et que cinq pays européens ont fait le choix de l'appareil américain de nouvelle génération F 35 pour une entrée en service à partir de 2015, les besoins en avions de combat interviendront à un horizon relativement lointain, compte tenu de la durée de vie moyenne d'un appareil. Le maintien des compétences technologiques est indispensable et les programmes de drones constituent en ce sens des projets mobilisateurs et une solution à faible coût. C'est pourquoi la société Dassault Aviation ne doit pas en être exclue. Il s'agit là d'un choix stratégique au niveau national qui déterminera le devenir de l'industrie française, voire européenne, des avions de combat, étant donné qu'à l'exception des compétences françaises en la matière, peu de pays européens disposent de capacités de développement, si ce n'est la Suède à une petite échelle ou le Royaume-Uni, mais dans certaines limites, compte tenu des difficultés rencontrées sur les programmes Nimrod et Typhoon. Il est crucial de maintenir cette capacité technologique en permanence. Le choix de la conserver ou d'acheter des matériels sur étagère aux Etats-Unis relève en dernier ressort d'une décision politique.

M. Jean-Louis Bernard a souligné la satisfaction de l'armée de l'air et de la marine à l'égard du Rafale. Sont cependant apparus sur le marché le F35 et l'Eurofighter, dont les prix de revient se révèlent contre toute attente supérieurs à celui du Rafale. Ce différentiel a-t-il été confirmé ? Par ailleurs, il a souhaité avoir des précisions sur les difficultés que semble rencontrer le Rafale à l'exportation. Soulignant la répartition déséquilibrée du chiffre d'affaires de Dassault Aviation entre l'aviation civile pour 75 % et les activités militaires pour 25 %, il a émis également des craintes sur l'intérêt de l'entreprise à poursuivre le développement du futur engin de combat. Enfin, il a souhaité connaître les relations de Dassault avec la SIMMAD pour le maintien en condition opérationnelle des matériels.

M. Charles Edelstenne a confirmé que les coûts de développement et de fabrication des avions Rafale sont inférieurs à ceux engagés pour l'Eurofighter. Un écart de 25 % est mis en évidence par la comparaison d'un rapport de la commission des prix de revient des fabrications d'armement et d'un document émanant de l'équivalent britannique de la cour des comptes, fondé sur le coût de 232 avions. Pendant quinze ans, la thèse contraire était reprise dans la presse. Les modalités de construction de l'Eurofighter ne relèvent pas d'une logique industrielle rationnelle et expliquent ce prix final élevé. Contrairement à un avion civil, qui utilise des technologies longtemps expérimentées, un avion de combat intègre des technologies nouvelles que chaque pays veut acquérir. Or, la distribution de la charge s'est faite en fonction des financements et non des compétences, en affectant ainsi la compétitivité de l'appareil. Quant au JSF, sa vocation était d'être réalisé en grande quantité afin de réduire les coûts. Avec un programme de 226 milliards de dollars, le prix unitaire des avions est en réalité 3 à 4 % plus élevé que celui du Rafale. Cette différence est due à l'importance des sommes dépensées pour le développement par les Etats-Unis.

En ce qui concerne la politique d'exportation du Rafale, les industriels ont financé 12 milliards de francs de développement pour avancer la livraison des appareils à l'armée de l'air à 1996, mais, en raison des étalements budgétaires successifs, les exportations ne seront possibles qu'à compter de 2006. Entre-temps, des appareils concurrents, tels que le F35, le F18, le F16 block 60 ou l'Eurofighter, sont apparus sur le marché. Dans ce contexte, une décision stratégique de soutien est nécessaire. De plus, un fort soutien politique est également nécessaire. En Corée du Sud, le rapport d'évaluation indiquait que le Rafale s'imposait sur le plan opérationnel, technologique et financier. Aux Pays-Bas, en dépit du choix ab initio du JSF, une ouverture à la concurrence a été faite et la commission spécialisée, qui s'est fondée sur 700 critères d'évaluation, a attribué une note tout à fait satisfaisante au Rafale de 6,95 sur 8,5, inférieure de deux centièmes seulement à celle du JSF. Le « gap » technologique entre les Etats-Unis et l'Europe n'existe donc pas encore pour les avions de combat.

La création de la SIMMAD constitue un grand progrès : elle permet aux industriels de mieux appréhender la réalité de la situation en matière de maintien en condition opérationnelle et d'apporter des réponses adaptées. Un débat entre la DGA, Dassault Aviation et la SIMMAD est en cours, afin de déterminer si le maintien en condition opérationnelle des matériels doit être géré par fournisseur ou par appareil, le fournisseur fédérant le tout. La deuxième hypothèse serait préférable ; elle aurait notamment l'avantage de permettre d'apporter en connaissance de cause des modifications aux appareils et d'en faire profiter les clients étrangers.

L'actuelle répartition du plan de charge de Dassault entre les activités civiles (75 %) et militaires (25 %) ne résulte pas d'un choix stratégique et un partage plus équilibré serait préférable. Dassault ne saurait abandonner le métier militaire, comme le confirment les efforts déployés pour convaincre les pouvoirs publics de lancer le Rafale Mk 2.

Le programme, entièrement autofinancé, du démonstrateur de drone Duc a permis de vérifier que Dassault savait fabriquer un appareil en utilisant de nouvelles technologies, autorisant notamment une faible signature. L'entreprise développe également un démonstrateur destiné à réaliser un drone multicharges et multimissions (MCMM), appareil capable d'évoluer à la fois lentement et rapidement.

M. Yves Fromion a demandé si, en matière de MCO, Dassault était prêt à assurer la maintenance d'appareils que l'entreprise n'aurait pas fabriqués. Par ailleurs, ne serait-il pas essentiel de réfléchir, au-delà des drones de surveillance, à des appareils d'appui tactique ou de neutralisation des défenses ennemies, sur lesquels les Américains sont très avancés ? Quel est l'écart de prix entre le Rafale et son principal concurrent américain ? La complexité des avions de combat ne rend-elle pas de plus en plus difficile une coopération internationale pour ce type de matériel ?

En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle, M. Charles Edelstenne a répondu que son entreprise était prête à prendre en charge la totalité de la maintenance des avions que Dassault a livrés.

Dassault est favorable au développement de drones tactiques, mais le projet de loi de programmation ne l'envisage pas et l'entreprise espère que la prochaine programmation ira plus loin. Le calendrier reste néanmoins convenable, permettant de préserver les compétences technologiques de l'entreprise. Les Américains ont, certes, pris de l'avance en ce qui concerne les drones de combat, mais sont sans doute allés trop loin, oubliant que le drone est un appareil de substitution à faible coût dont on peut accepter une certaine consommation sans prendre de risque humain. Le coût du dernier drone qu'ils ont mis au point s'élève à 75 millions de dollars l'unité, ce qui revient plus cher qu'un avion de combat.

M. Pierre Lang a posé la question de la pertinence de l'avion Rafale, conçu il y a déjà quinze ans et dont la mise en service dans l'armée de l'air commencera en 2005. N'allons-nous pas acheter un avion démodé ?

M. Charles Edelstenne a indiqué que la meilleure réponse vient des Pays-Bas où le Rafale a été mis en concurrence avec le JSF américain, qui entrera en service en 2012 aux Etats-Unis et en 2015 dans les autres pays. L'écart technologique mis en évidence par les Néerlandais n'est que de 2 centièmes de points. La France a pris la bonne décision en choisissant cet avion polyvalent, qui aurait pu être employé seul au Kosovo s'il avait existé à l'époque, au lieu de plusieurs types d'appareils que nos forces ont alors utilisés. Même si une version dotée d'un moteur plus puissant et d'un radar ayant une portée allongée est nécessaire pour l'exportation, l'appareil commandé par les forces françaises convient tout à fait à la défense de notre pays.

M. Philippe Folliot a demandé quelle est la différence de coût entre un drone conçu par Dassault et un avion de combat de type Rafale ou un de ses concurrents.

M. Charles Edelstenne a précisé que, pour une mission donnée, un drone coûte de trois à quatre fois moins cher qu'un avion de combat.

M. Axel Poniatowski a demandé si la société Dassault Aviation a perdu des opportunités de contrats à l'exportation, soit en raison de l'impossibilité pour les industriels français de fournir des missiles ou des munitions proposés par leurs concurrents, notamment américains, soit parce que l'administration américaine avait opposé des restrictions à l'intégration des missiles produits par des entreprises outre-Atlantique.

M. Charles Edelstenne a souligné que les munitions produites par les entreprises françaises étaient actuellement de même niveau que celles de leurs concurrentes américaines, leur principal handicap consistant en un prix de vente supérieur. Il s'agit certainement d'un problème de prix, mais aussi de coût de production, puisqu'à séries équivalentes, certains concurrents non américains parviennent à afficher des prix de vente équivalents aux industriels américains. Le prix des produits des industriels français s'établit actuellement à plus du double de celui de leurs concurrents et, il y a peu de temps encore, la proportion était de l'ordre du triple. A titre d'exemple, dans un contrat à l'exportation qu'elle n'a pas pu obtenir, la société Dassault Aviation a constaté qu'un écart du prix de vente de son offre par rapport à ses concurrents de l'ordre de 13  % était dû à l'écart de prix entre les missiles proposés en complément.

Observant que le projet de loi de programmation militaire prévoit la livraison de 57 Rafale à l'armée de l'air, le président Guy Teissier a souhaité savoir si la société Dassault Aviation est en mesure de les livrer conformément au calendrier prévu.

M. Charles Edelstenne a indiqué que la société Dassault Aviation n'aura aucun mal à faire passer ses capacités de production d'une cadence de trois appareils par an à un rythme de livraisons de seize à vingt-deux exemplaires chaque année. Elle serait même en mesure de soutenir un plan de charge plus dense encore.

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