COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 mars 2003
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Examen du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la répression de l'activité de mercenaire - n° 607 (M. Marc Joulaud, rapporteur).

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Répression activité de mercenaire (rapport).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné, sur le rapport de M. Marc Joulaud, le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la répression de l'activité de mercenaire - (n° 607).

M. Marc Joulaud, rapporteur, a précisé que ce projet de loi tend à caractériser et à réprimer dans le droit français l'action armée conduite par des mercenaires.

La clarté des débats relatifs au mercenariat est obérée par une confusion entre l'acception actuelle du terme de mercenaire, très péjorative, et l'acception traditionnelle, qui désigne tout simplement un militaire de nationalité étrangère payé pour son travail, à qui rien ne permet de dénier a priori les valeurs morales du combattant. Aujourd'hui encore, la Légion étrangère française ou les Gurkhas britanniques sont des unités composées d'étrangers, dont la qualité est reconnue et estimée. À l'inverse, il était traditionnellement admis par les Etats que leurs ressortissants puissent aller faire la guerre de leur propre initiative à l'étranger, pas seulement pour de l'argent. Les combats pour l'indépendance de la Grèce dans les années 1820, la guerre civile en Espagne de 1936 à 1939 en sont des exemples classiques. Les législations actuelles relatives à l'action militaire privée à l'étranger font montre d'un grand libéralisme. En France, la principale disposition est celle de l'article 23-8 du code civil, qui fait de l'activité militaire à l'étranger de chaque Français une activité libre, sous réserve d'un droit du Gouvernement à lui enjoindre de l'interrompre, le Français qui refuse de déférer à cette injonction encourant le risque de perdre sa nationalité.

La lutte contre le mercenariat s'est d'abord traduite par l'élaboration de conventions internationales. Le protocole I du 8 juin 1977 additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, établit un statut juridique international du mercenaire. Le mercenaire est exclu du statut de combattant régulier et donc des protections internationales garanties par ce statut aux prisonniers de guerre. Cependant, la définition juridique du mercenaire dans ce protocole est extrêmement étroite et repose sur six critères cumulatifs : être spécialement recruté pour prendre part à un conflit armé ; participer directement aux hostilités ; obtenir de ce fait un avantage personnel important, notamment une rémunération matérielle ; n'être ni ressortissant d'une partie au conflit, ni résident d'un territoire qu'elle contrôle ; ne pas être membre des forces armées d'un belligérant ; ne pas avoir été envoyé en mission officielle par un Etat tiers. Ce protocole I a été ratifié par 161 Etats, dont la France.

Le deuxième grand texte international est la convention internationale du 4 décembre 1989 contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires. Elle fait du mercenariat une infraction pénale et punit aussi le recrutement, l'utilisation, le financement ou l'instruction de mercenaires. Cependant, le fait de prendre « une part directe aux hostilités » n'est plus nécessaire pour caractériser un mercenaire, ce qui peut conduire à une application excessive de la notion. Enfin, la convention instaure une compétence universelle pour juger pénalement de l'infraction de mercenariat. Compte tenu de l'incertitude juridique qu'elle engendre, la convention de 1989 ne compte que 23 adhérents, la France, comme la plupart des pays industrialisés, n'y étant pas partie.

La France qui reconnaît comme répréhensible l'activité de mercenaire au sens du protocole I de 1977 se doit cependant de sanctionner cette activité. C'est l'objet du présent projet de loi. Celui-ci se présente sous la forme d'un article unique, créant, au sein du titre III du livre IV du code pénal, un nouveau chapitre VI intitulé « De la participation à une activité de mercenaire », composé de cinq articles numérotés de 436-1 à 436-5.

Le nouvel article 436-1 définit l'activité répréhensible et en caractérise la peine. La définition est reprise du protocole I de 1977. Pour tomber sous le coup de la loi, l'activité du mercenaire, qui peut concerner soit un « conflit armé », soit un « acte de violence concerté » doit réunir chacune des six caractéristiques cumulatives énumérées par ce protocole. Ainsi, l'infraction est définie de façon très précise. Elle est punie au maximum « de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende. ». Le Sénat a adopté l'article 436-1 sous réserve de deux modifications de cohérence bienvenues. S'agissant des personnels dépêchés par un Etat, il a substitué à l'expression « mission officielle » le simple terme de « mission », le caractère officiel de la mission lui paraissant suffisamment établi dès lors qu'elle est instaurée par un Etat. Le Sénat a aussi substitué aux termes de « forces armées de l'Etat partie », l'expression « forces armées de la partie » pour tenir compte du fait que le dispositif concerne aussi bien les conflits interétatiques qu'intra étatiques.

L'article 436-2 punit de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende « le fait de diriger ou d'organiser un groupement ayant pour objet le recrutement, l'emploi, la rémunération, l'équipement ou l'instruction militaire d'une personne définie à l'article 436-1 ».

L'article 436-3 dispose que ces faits, lorsqu'ils sont commis par un Français, sont punissables même s'ils sont commis à l'étranger et que, pour l'engagement des poursuites par la justice française, une plainte de la victime ou une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis n'est pas nécessaire. Cet article permet de justifier le refus par la France de la compétence universelle prévue par la convention du 4 décembre 1989.

Les articles 436-4 et 436-5 concernent les peines complémentaires qu'encourent les personnes coupables des délits définis aux articles 436-1 et 436-2. Ces peines, qui sont facultatives, sont les peines complémentaires usuelles pour les faits délictueux. Le Sénat a apporté à l'article 436-4 un amendement de cohérence.

En conclusion, le rapporteur a estimé que le projet de loi se caractérise par son équilibre, puisqu'il sauvegarde la capacité de la France à mener les actions de coopération militaire et d'armement de son choix et écarte de ses dispositions ses soldats servant à titre étranger, tout en créant un instrument de répression efficace contre l'action des soldats perdus de nationalité française. Ce projet fait l'objet d'un large consensus politique. Déposé par le précédent gouvernement, il a été présenté et défendu par le gouvernement actuel. Au Sénat, il n'a fait l'objet que de retouches mineures et a été adopté à l'unanimité. Enfin, la proposition de loi déposée sur ce sujet à l'Assemblée par MM. Quilès, Ayrault et les membres du groupe socialiste est la reprise pure et simple du projet de loi.

Pour ces raisons, le rapporteur a proposé à la commission d'adopter sans modification le projet de loi.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Guy Teissier a demandé quelles autorités seraient compétentes pour poursuivre un militaire français, enrôlé par une officine étrangère, et exerçant dans un pays tiers.

Le rapporteur a répondu qu'aux termes du projet de loi le juge français sera compétent ; la situation du militaire sera appréciée en fonction des six critères cumulatifs énoncés par le texte.

M. Alain Moyne-Bressand a exprimé des réserves quant à la longueur des procédures, qui pourrait ôter à la loi beaucoup de son effet pratique. Il a ensuite demandé si l'on connaissait le nombre de mercenaires dans le monde et s'il existait une économie du mercenariat.

Le rapporteur a répondu qu'il était difficile de connaître l'effectif global des mercenaires en activité, mais que le développement du mercenariat était réel. En Afrique du sud, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, des sociétés militaires privées se développent, certaines fonctionnant avec le label des autorités. Le mercenariat traditionnel issu de la décolonisation tend ainsi à être remplacé par le développement d'activités militaires privées organisées, méthodiques et professionnelles.

M. François Lamy a fait remarquer qu'une partie des observateurs envoyés au Kosovo par les Américains avant le conflit dépendait en fait de sociétés privées et que ces situations semi-officielles étaient créatrices d'une certaine confusion.

Le rapporteur a indiqué que le remplacement par le Sénat, dans le texte du projet de loi, de l'expression « mission officielle » par le simple mot de « mission » permettait de prendre en compte les situations de ce genre.

M. François Lamy a demandé si le projet de loi permettrait d'engager des procédures vis-à-vis de mercenaires déjà recrutés, mais non encore engagés dans un conflit. Pourrait-on empêcher le départ de ces mercenaires vers l'étranger ? Par ailleurs, les officiers français à la retraite ou placés en deuxième section ayant des fonctions de conseillers militaires auprès d'autorités étrangères sont-ils concernés par ce projet de loi ?

Le rapporteur a indiqué qu'il n'était pas possible d'empêcher des personnes, même soupçonnées de mercenariat, de quitter le territoire national tant que les six critères cumulatifs n'étaient pas remplis. De même, tant que ces critères ne sont pas remplis, les militaires français à la retraite servant auprès d'autorités étrangères ne sont pas concernés par le projet de loi.

Le président Guy Teissier a regretté l'absence de statut juridique spécifique de ces missions, confiées de gré à gré à d'anciens officiers français, mais qui s'apparentent beaucoup plus à des missions de coopération militaire qu'à des actes de mercenariat et il a exprimé la crainte que ce vide juridique ne s'avère préjudiciable à ces officiers.

M. Gilbert Meyer s'est déclaré perplexe quant à l'efficacité du dispositif consistant à exiger le cumul de six conditions pour qualifier l'activité des mercenaires, efficacité qui pourra être encore diluée par des procédures juridiques susceptibles d'être fort longues. A l'appui de sa démonstration, il a cité les dispositions de l'article 436-1 qui se réfèrent à « toute personne, spécialement recrutée pour combattre dans un conflit armé », en indiquant que certains mercenaires pouvaient être recrutés à d'autre fins que pour combattre spécialement dans un conflit armé. Si le projet de loi pose bien un cadre, celui-ci devrait se révéler difficilement applicable à l'usage.

Le rapporteur a convenu que le dispositif prévu par le projet de loi limitait les possibilités de qualification des faits. Néanmoins, l'article 436-1 du code pénal introduit par le projet de loi ne fait que reprendre les dispositions du protocole I de 1977, qui a été ratifié par la France.

M. Charles Cova a demandé si les officiers généraux français, admis dans la deuxième section depuis plus de cinq ans et remplissant des fonctions de conseillers militaires auprès de chefs d'Etat étrangers, pouvaient relever de la qualification de mercenaire prévue par le projet de loi. Certaines ambiguïtés semblent subsister sur ce point. En outre, quelle sera la situation au regard de la loi des techniciens de nationalité française qui sont appelés à effectuer des opérations de maintenance de matériels de guerre vendus à des Etats étrangers ?

Le rapporteur a souligné que, dans ces deux cas, les six critères qualifiant l'activité de mercenaire protègent les personnels français en cause. En effet, les officiers généraux exerçant des fonctions de conseillers de chefs d'Etat étrangers ne peuvent être considérés comme des mercenaires dès lors qu'ils n'ont pas été spécialement recrutés pour combattre dans un conflit, ou qu'ils ne prennent pas directement part à des hostilités. Pour ce qui concerne les techniciens, les notions d'assistance et de conseil techniques ne relèvent pas non plus de la participation directe aux opérations militaires visée par le projet de loi.

M. Christian Ménard a souhaité savoir si le mercenariat privé éventuellement reconnu ou suscité par l'Etat français tombait sous le coup du projet de loi.

Le rapporteur a fait valoir que l'article 436-1 du code pénal exclut de son champ toute personne qui a « été envoyée en mission par un Etat autre que l'un de ceux parties au conflit en tant que membre des forces armées dudit Etat ».

Le président Guy Teissier a observé que cette question était importante, les services de renseignement préférant parfois recourir à des personnels spécialement rémunérés plutôt qu'à leurs propres éléments pour accomplir certaines missions.

M. Gérard Charasse a souhaité connaître les sanctions, les critères de qualification de l'activité de mercenaire et les autorités juridictionnelles compétentes qui étaient prévues par la convention du 4 décembre 1989.

Le rapporteur a indiqué que les critères constitutifs de l'activité de mercenaire prévus par la convention du 4 décembre 1989 étaient identiques à ceux du protocole I de 1977, à l'exception de deux différences notables qui ont motivé la décision de la France de ne pas signer ce texte. En premier lieu, la convention de 1989 ne prévoit pas qu'il soit nécessaire, pour être qualifié de mercenaire, de prendre directement part aux hostilités. En second lieu, elle reconnaît une entière compétence aux Etats parties à la convention pour organiser les poursuites juridiques contre les mercenaires. La France tient à ce que le champ de la qualification du mercenariat inclue la participation directe à des opérations militaires et ne saurait accepter une compétence universelle qui s'affranchisse de ce critère.

M. François Lamy s'est inquiété des possibilités de dévoiement du dispositif du projet de loi. On peut envisager que des forces armées locales concluent un contrat de travail avec des ressortissants français, opérant de ce fait sous uniforme local, afin de leur permettre d'échapper à la qualification de mercenaire prévue à l'article 436-1 du code pénal.

Le rapporteur a souligné que cette éventualité se trouvait fortement compromise par les dispositions finales du 1° de l'article 436-1 du code pénal, qui inclut parmi les critères du mercenariat le fait que les personnes visées accomplissent leur activité « en vue d'obtenir un avantage personnel ou une rémunération nettement supérieure à celle qui est payée ou promise à des combattants ayant un rang et des fonctions analogues dans les forces armées de la partie pour laquelle elle doit combattre ». De ce fait, une personne employée par les forces armées d'un belligérant, mais dont la rémunération diffère fortement de celles en vigueur dans cette armée, pourra certainement encourir d'être qualifiée de mercenaire.

La commission a ensuite adopté l'article unique du projet de loi sans modification.

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