COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 29

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 12 mars 2003
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution de M. Dominique Paillé tendant à la création d'une commission d'enquête concernant les pratiques frauduleuses dans l'attribution des pensions d'invalidité et les dysfonctionnements du service de santé des armées - n° 526 (M. Christian Ménard, rapporteur)




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- Information relative à la commission

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Proposition création commission d'enquête pratiques frauduleuses attribution pensions d'invalidité et dysfonctionnements service santé des armées (rapport).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné, sur le rapport de M. Christian Ménard, la proposition de résolution de M. Dominique Paillé tendant à la création d'une commission d'enquête concernant les pratiques frauduleuses dans l'attribution des pensions d'invalidité et les dysfonctionnements du service de santé des armées (n°526).

M. Christian Ménard, rapporteur, a indiqué que l'auteur de la proposition se faisait l'écho de faits constatés à l'hôpital Laveran de Marseille et que la commission d'enquête dont il est proposé la création devrait faire la transparence sur les conditions d'octroi des pensions d'invalidité par le service de santé des armées (SSA), évaluer les dysfonctionnements de ce service et en proposer une réforme profonde.

La recevabilité de la proposition de résolution s'apprécie au regard des dispositions conjointes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

La première exigence est relative à la définition précise, soit des faits qui donnent lieu à enquête, soit des services publics dont la commission doit examiner la gestion. Elle est remplie à un double titre, les faits évoqués étant très précis et un service du ministère de la défense étant visé.

La seconde condition de recevabilité interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires, aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par lettre du 17 février 2003, le garde des sceaux a fait savoir qu'au moins une information judiciaire était en cours au tribunal de grande instance de Marseille sur des faits ayant motivé le dépôt de cette proposition. La proposition de résolution est donc irrecevable.

Au-delà de ces conditions de recevabilité, il n'apparaît pas opportun de créer une commission d'enquête sur les dysfonctionnements du service de santé.

L'auteur de la proposition de résolution propose « d'ouvrir une enquête sur le fonctionnement du SSA et d'en proposer une réforme profonde ». Or, c'est bien cette analyse qui a été menée dans le rapport d'information sur le service de santé présenté devant la commission le 29 octobre dernier. Les raisons de la vacance de 304 postes de médecins militaires, évoquée par l'auteur de la proposition de résolution, sont soulignées dans le rapport d'information : diminution de moitié des recrutements imposée au service de 1982 à 1996, allongement de la durée des études médicales, professionnalisation, accélération des départs depuis 1999 due à des facteurs endogènes (départ à la retraite de promotions nombreuses) ou exogènes (opportunités plus nombreuses de démarrer une seconde carrière dans le secteur civil en raison de la baisse du nombre de médecins). Les démissions, qui ne sont pas rares, s'expliquent par une dégradation des conditions de travail, liée à la multiplication des gardes, pas ou partiellement rémunérées, au nombre croissant des opérations extérieures et à la pénurie d'effectifs. Des mesures ont déjà été prises : consultation du personnel dans le cadre d'une convention du service, plan de fidélisation, politique de communication. Cependant, en raison de la durée des études médicales, le déficit évoqué devrait se creuser jusqu'en 2008, dans l'attente des effets du renforcement du recrutement initial.

Ne se limitant pas aux seuls médecins, le rapport d'information a également examiné la situation, elle aussi préoccupante, d'autres officiers du SSA (chirurgiens-dentistes), des personnels paramédicaux et civils.

Les répercussions de cette pénurie de personnel sont très fortes sur le fonctionnement du service et se traduisent par la fermeture de lits dans les hôpitaux. Le rapport d'information a analysé les moyens permettant d'améliorer l'allocation des ressources et leurs limites : recours accru à la réserve, mutualisation des services médicaux d'unité, développement de la coopération dans le cadre de l'Europe de la défense... La restructuration d'une partie des hôpitaux militaires, mise en avant par l'auteur de la proposition de résolution, n'apparaît envisageable ni sous la forme d'hôpitaux mixtes, ni sous la forme d'un recours à l'externalisation. L'exemple du Royaume-Uni est à cet égard flagrant. Il est en revanche souhaitable de développer une coopération plus importante avec les acteurs du système de santé publique. Celle-ci devrait prendre un nouvel essor avec la parution des décrets d'application de la loi de modernisation sociale et l'accueil d'étudiants civils, préconisé par le rapport d'information, devrait pouvoir être effectif dès cette année.

L'auteur de la proposition de résolution s'insurge par ailleurs contre l'absence d'une instance de contrôle, qui ne soit pas à la fois juge et partie. S'il est vrai que l'instance morale du service est représentée par un médecin, l'inspecteur général du service de santé des armées, celui-ci est directement subordonné au ministre de la défense et non à la direction centrale. De plus, depuis 2001, un délégué financier, inspecteur des finances, a été nommé auprès du directeur central et chargé de l'application des exigences de la comptabilité publique à l'activité spécifique du service. Les hôpitaux militaires sont en outre soumis, comme leurs homologues des secteurs public et privé à la procédure d'accréditation, démarche qui devrait être élargie aux services médicaux d'unité prochainement.

Le fait même que des procédures judiciaires aient été mises en œuvre prouve l'existence de recours possibles, qu'il s'agisse du juge pénal, des juridictions financières ou même du tribunal aux armées de Paris pour les infractions commises hors du territoire français. S'agissant des décisions individuelles, les voies de recours sont les mêmes que pour tout personnel militaire et pourraient être améliorées par l'instauration d'un médiateur, envisagée par un rapport d'information présenté à la commission sous la précédente législature. Le service de santé a également fait l'objet d'un contrôle approfondi de la part de la Cour des comptes pendant près de deux ans, qui a donné lieu à une insertion au rapport 2002 sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale (participation des hôpitaux au service public hospitalier) et à des observations dans le rapport public 2002 (missions régaliennes du SSA). Le constat dressé par la Cour rejoint celui décrit par le rapport d'information.

Il est donc urgent d'attendre les suites données aux recommandations de la Cour et aux propositions formulées par le rapport d'information de la commission. De plus, le SSA traverse encore actuellement une phase de transition et bon nombre de mesures mises en place sont trop récentes pour en mesurer valablement l'impact.

Un suivi des propositions de réformes du SSA devra en tout cas être réalisé par le rapporteur pour avis des crédits des services communs du ministère de la défense chaque année. Les investigations menées par une commission d'enquête ne pourraient avoir par comparaison qu'un caractère ponctuel.

Enfin, une telle démarche, qui pourrait discréditer durablement un élément essentiel de la capacité de projection de nos forces n'est sans doute pas le meilleur moyen pour enrayer l'érosion de ses effectifs et susciter de nouvelles vocations.

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, le rapporteur a proposé à la commission de rejeter la proposition de résolution.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Guy Teissier a estimé que, dans la mesure où le service de santé des armées rencontrait actuellement de graves difficultés et n'avait pas achevé sa mutation, la création d'une commission d'enquête parlementaire serait particulièrement inopportune.

Les faits de nature délictueuse concernant l'hôpital Laveran de Marseille, évoqués par M. Dominique Paillé, sont de notoriété publique : des pensions d'invalidité auraient été octroyées un peu trop facilement et à des taux surévalués sur la base de certificats médicaux de complaisance. La justice en est saisie et dès lors, le Parlement ne saurait intervenir. Par ailleurs, le rapport d'information présenté cet automne par M.Christian Ménard fait apparaître que si le service de santé des armées connaît des difficultés, liées notamment à la professionnalisation des armées et aux tentations plus fortes d'entreprendre une carrière dans le secteur civil, en raison de la baisse de la densité médicale en France, les mesures à prendre sont d'une autre nature que celles proposées par la proposition de résolution. Le fait que les emplois budgétaires de militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées (MITHA) soient désormais pourvus à 96 % montre que le redressement est en cours.

Ces constatations n'empêchent pas la prise d'initiatives par la commission de la défense ; ainsi, dans le cadre de la réforme du statut général des militaires, pourraient être étudiées à la demande de la commission les possibilités d'accès aux grades d'officiers subalternes pour les paramédicaux des forces en fin de carrière. En tout état de cause, le statut militaire des personnels intervenant dans le soutien sanitaire de nos forces doit être conservé. Le Royaume-Uni, qui a fermé la totalité de ses hôpitaux militaires et largement externalisé son service de santé des armées, est aujourd'hui dépendant de ses alliés pour son soutien sanitaire en opérations extérieures. La proposition d'intégrer des personnels médicaux militaires au sein des services hospitaliers civils n'est donc pas bonne, il faut au contraire ouvrir les hôpitaux militaires aux civils.

M. Charles Cova a précisé que la proposition d'instituer un médiateur formulée dans le rapport d'information qu'il avait présenté avec M. Bernard Grasset ne concernait pas le seul service de santé des armées, mais l'ensemble des armées. Il s'agissait de créer, pour le personnel militaire, une institution du même type que le médiateur de la République, confiée à une personne extérieure aux armées, chargée d'étudier les litiges individuels de façon neutre, et de proposer au ministre des solutions, voire des réformes. Cette proposition, qui a suscité une hostilité très vive des inspecteurs généraux des armées, a finalement été rejetée par le ministre de la défense.

Au demeurant le service de santé des armées souffre déjà de façon considérable de l'affaire de Marseille et il ne serait pas opportun d'y ajouter la création d'une commission d'enquête parlementaire.

Le président Guy Teissier a ajouté que la Cour des comptes, dans son rapport public pour 2002, avait consacré une analyse approfondie au service de santé des armées et qu'une commission d'enquête serait donc redondante.

M. Pierre Lang a fait valoir qu'une comparaison entre les situations britannique et française n'était pas pertinente, dans la mesure où les densités médicales ne sont pas comparables. Alors que les médecins représentent 3,3 0/00 de la population française, ils ne représentent qu' 1,8 0/00 de la population britannique.

Le rapporteur a fait observer que la situation du service de santé britannique, avec 63 % de postes vacants, était dramatique. Lors d'une rencontre avec Lord Jenkin, le Secrétaire d'Etat à la Défense du cabinet fantôme, qui s'enquérait auprès de lui de remèdes possibles à ce déficit, il avait répondu que le premier devrait consister à soigner le secteur médical civil. Cette situation souligne les dangers de s'appuyer exclusivement sur un secteur civil, qui peut lui-même être défaillant.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution.

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Information relative à la commission

La commission a nommé M. Pierre Lang rapporteur d'information sur le bioterrorisme.

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