COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 35

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 Avril 2003
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier,
président de la commission des affaires économiques,

et de M. Guy Teissier, président de la commission de la défense

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Luc Vigneron, président-directeur général de Giat Industries

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Audition de M. Luc Vigneron, président-directeur général de Giat Industries.

La commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire et la commission de la défense nationale et des forces armées ont entendu M. Luc Vigneron, président-directeur général de Giat Industries.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, a remercié le président Guy Teissier d'avoir proposé l'organisation d'une audition commune consacrée à Giat Industries, l'intérêt de la commission des affaires économiques pour ces questions s'expliquant par l'importance des enjeux économiques qui s'y rattachent.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, a rappelé que la commission de la défense nationale et des forces armées avait entendu le 13 novembre 2002 le président-directeur général de Giat Industries et examiné le 17 décembre 2002 un rapport d'information de MM. Jean Diébold et Yves Fromion sur la situation de cette entreprise. Il a remarqué que ce rapport concluait à la nécessité pour la France de conserver une industrie d'armement performante, cet objectif devant conduire à supprimer les contraintes pesant sur cette industrie et à clarifier la position de l'Etat à son égard. Il a enfin ajouté que la présentation le 7 avril 2003 d'un important plan de restructuration de Giat Industries devant son conseil d'administration puis son comité de groupe conduisait la commission de la défense à organiser une série d'auditions, destinées à recueillir les explications du président-directeur général de cette entreprise, mais aussi de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, et des organisations syndicales de l'entreprise.

M. Luc Vigneron, président-directeur général de Giat Industries, a indiqué que le projet de restructuration présenté aux syndicats était difficile tant pour les partenaires sociaux que pour les collectivités locales et les équipes de management de l'entreprise. Il a estimé qu'un tel plan était néanmoins nécessaire pour préserver l'avenir du groupe, ce dernier devant être adapté à la fois à la diminution du niveau d'activité liée à l'achèvement progressif du programme du char Leclerc, à l'évolution des marchés mondiaux d'armement et à l'émergence d'une industrie de défense européenne. Il a précisé que l'objectif fixé par le plan était de disposer en 2006 d'une entreprise concentrée sur son cœur de métier, rationalisée et sans sureffectifs.

S'agissant de l'adaptation du groupe à son nouveau volume d'activité prévisible, il a rappelé que le programme du char Leclerc avait représenté plus de 6,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires cumulé pour le groupe, qui y consacre encore aujourd'hui la moitié de son activité. Il a ajouté que le nombre d'heures de travail directes consacrées par l'entreprise à la production industrielle, qui s'élevait en 1997 à 4 millions, passerait, entre 2002 et 2006, de 1,7 million à moins de 600 000, cette diminution spectaculaire étant inéluctable du fait de la fin des grands contrats en cours. Il a en effet noté que le projet d'exportation de ce char vers l'Arabie Saoudite ne s'était pas concrétisé et a donc indiqué que l'hypothèse d'un nouveau contrat d'exportation du char, malheureusement peu probable, n'avait pas été retenue dans le scénario de base.

Il a par ailleurs rappelé que la loi de programmation 2003-2008 ne permettait pas de prévoir plus de 270 millions d'euros de commandes annuelles pour l'armée française, alors que sous la précédente programmation le montant s'élevait à 600 millions d'euros, dont 350 millions pour le seul programme du char Leclerc. Il a ajouté que les perspectives d'exportation retenues par l'entreprise devaient être réalistes, Giat Industries se refusant à parier sur des commandes aléatoires, et concernaient essentiellement le système d'artillerie sur châssis à roues Caesar et le secteur des munitions.

S'agissant de l'objectif de retour à la compétitivité, il a rappelé que Giat connaissait un déficit structurel, indépendamment des aléas sur l'exportation de chars Leclerc aux Emirats Arabes Unis et des sureffectifs. Il a estimé qu'il était impératif de résoudre ce problème profond, le marché français étant appelé à s'ouvrir à la compétition internationale au-delà des seuls secteurs des munitions et des blindés légers. Il s'est réjoui de l'obtention par Thales de contrats au Royaume-Uni, portant sur des porte-avions et le « soldat du futur », mais a observé que ces succès à l'étranger appelaient une ouverture réciproque de la France. Il a estimé que la diminution importante des commandes à l'exportation, qui n'atteignaient plus en 2002 que 45 millions d'euros, ce niveau étant le plus bas que l'entreprise ait connu, reflétait un manque de compétitivité qui devrait être surmonté à l'avenir, pour relancer les exportations et assurer ainsi la viabilité du groupe.

S'agissant de la participation à l'industrie de défense européenne, il a rappelé que ce secteur se caractérisait depuis quelques années par une concentration croissante des entreprises, le nombre d'acteurs principaux sur le marché de l'armement terrestre étant passé de 50 en 1990 à 20 en 2003. Il a estimé que ces regroupements étaient la cause essentielle du recul du rang mondial de Giat Industries, passant de la deuxième à la cinquième place entre 1997 et 2001, et devant atteindre la huitième place en 2006 toutes choses égales par ailleurs. Il a expliqué ce phénomène de concentration par la moindre importance des marchés, la rareté croissante des programmes et la plus grande sophistication des technologies et a jugé que Giat Industries ne pourrait échapper à ce mouvement inéluctable. Il a donc indiqué que l'amélioration de la profitabilité de l'entreprise était un préalable indispensable pour nouer des alliances avec d'autres entreprises européennes, souvent cotées en bourse, ces dernières ne souhaitant évidemment pas s'allier à une entreprise déficitaire.

Puis, il a précisé que, dans ce contexte, la stratégie de développement de l'entreprise reposait à la fois sur une concentration de ses activités sur le cœur de métier et sur une rationalisation de son outil industriel.

Ainsi, il a souligné que l'armement terrestre reposait essentiellement sur les systèmes d'armes et les blindés d'une part, sur les munitions d'autre part. S'agissant des premiers, il a annoncé que Giat Industries avait l'ambition d'être le grand systémier intégrateur de l'armement terrestre en France et de devenir en la matière une référence à la hauteur de ses capacités technologiques. Il a précisé que la notion de systémier intégrateur renvoyait à des dispositifs tels que le système d'artillerie Caesar qui ne comporte pas seulement l'artillerie sur châssis à roues, mais aussi des véhicules de ravitaillement, d'observation et de commandement reliés par des systèmes d'information et de commandement. Il a ajouté que la notion d'intégration faisait référence à la capacité d'une entreprise à maîtriser des plates-formes d'engins telles que le char Leclerc, dont 67 % des coûts de production proviennent d'équipements achetés par le producteur auprès de fournisseurs et intégrés par Giat.

Il a estimé que Giat Industries avait déjà acquis une maîtrise importante en matière de systèmes, grâce au programme Leclerc, qui comporte des outillages, des systèmes de soutien ou de dépannage, et avait reçu la commande du système VBCI (véhicules blindés de combat d'infanterie), ces derniers comprenant également des variantes porte-missiles, des véhicules de commandement et un service après-vente forfaitaire pour les deux premières années. Il a ajouté que Giat Industries, déjà responsable des systèmes d'information et de commandement des engins blindés, souhaitait, en matière terrestre, jouer un rôle majeur pour le fantassin du futur « Félin », le blindé du futur EBRC ainsi que pour la bulle opérationnelle aéroterrestre (BOA). Aucune entreprise ne pouvant maîtriser l'ensemble des technologies pour ces systèmes complexes, il a jugé nécessaire que Giat Industries développe des partenariats avec de grands industriels pour devenir un acteur majeur du secteur.

En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO), il a estimé que l'entreprise avait développé de véritables compétences de systémier intégrateur, notamment en modernisant des matériels tels que le véhicule AMX 10 RC ou l'automoteur chenillé d'artillerie AUF1. Enfin, il a indiqué que l'ambition du groupe pour 2006 était de développer progressivement son activité grâce au soutien apporté au char Leclerc après sa production, au soutien à terme de l'ensemble des matériels produits par Giat Industries, et grâce aux commandes passées pour le renouvellement des équipements de l'armée de terre française.

Puis, il a indiqué que Giat Industries souhaitait devenir le principal fournisseur en munitions et devrait en conséquence améliorer sa compétitivité industrielle. Il a ensuite ajouté que le groupe prévoyait de consacrer 16 % de son chiffre d'affaires aux activités de recherche et développement en 2006.

S'agissant de la rationalisation du processus industriel, il a souligné que Giat Industries disposerait de trois années pour gérer la reconversion des personnels et des sites industriels. Il a précisé que l'objectif était de concentrer les activités en 2006 autour de quatre sites principaux (Versailles, Bourges, Roanne et La Chapelle Saint-Ursin), employant chacun 300 à 600 personnes, et trois sites complémentaires (Tulle, Toulouse et, pour les activités pyrotechniques, Tarbes), employant chacun 100 à 150 personnes.

Il a indiqué que la réalisation de cet objectif nécessiterait une profonde reconversion des trois sites de Cusset, Saint-Chamond et, pour les activités mécaniques, Tarbes. Il a souligné que la démarche du groupe consistait à recentrer ses activités sur le cœur de métier autour des sept sites évoqués, les autres activités devant être externalisées pour conserver les emplois sur les sites concernés, le volume d'activité y étant actuellement trop faible pour en assurer la pérennité. Il a donc estimé qu'il convenait de choisir entre un dépérissement progressif et une politique volontariste supposant de développer des partenariats industriels pour sauver les emplois et les sites. Il a ainsi estimé possible de préserver la production de systèmes de protection et de décontamination de l'unité NBC-SYS à Saint-Chamond, les activités d'optique à Saint-Etienne et les activités d'ingénierie spécialisée de l'unité Dual Tech à Tarbes.

Il a indiqué qu'à l'issue de cette restructuration, la spécialisation des sites industriels de Giat sera complète puisque le site de Bourges, entièrement consacré à la production des armes, deviendra la canonnerie française. Par ailleurs, l'activité munitionnaire serait regroupée sur le site de La Chapelle, l'activité pyrotechnique à Tarbes, le site de Roanne étant consacré à l'intégration de systèmes et de plates-formes. Les sites de Tulle et de Toulouse seront en outre spécialisés dans le maintien en condition opérationnelle respectivement de la petite mécanique et de l'électronique. Les activités mécaniques du site de Cusset feront l'objet d'un effort de reconversion à destination de l'industrie civile. Il a estimé que l'activité de construction de NBC-SYS à Saint-Chamond devait pouvoir être pérennisée dans un autre contexte et indiqué que le site de Tarbes ne conserverait que l'activité de pyrotechnie, avec une possibilité de diversification, notamment dans la production de réservoirs pour GPL. Il a souligné que la Sofred, filiale du groupe spécialisée dans la reconversion des sites du groupe, aiderait à la mise en œuvre de cette stratégie de spécialisation.

S'agissant des effectifs de l'entreprise, M. Luc Vigneron a indiqué qu'ils devraient s'élever à 2 500 emplois en 2006, cette prévision ne prenant en compte ni les nouvelles commandes éventuelles, ni les perspectives de reconversion. Le site de Versailles devrait ainsi compter 656 employés, le site de Bourges 576 employés, le site de Roanne 535 employés et le site de La Chapelle 270 employés. Le groupe Giat Industries aura donc à terme la taille de ses principaux concurrents européens Alvis-Vickers, qui compte 2 100 personnes pour un chiffre d'affaires de 480 millions d'euros, ou Krauss Maffei avec 2 300 employés et un chiffre d'affaires de 670 millions d'euros.

Abordant ensuite le volet social du plan de restructuration, il en a souligné la difficulté, compte tenu de l'ancienneté des employés du groupe. Il a indiqué que la direction avait décidé de se donner le temps et les moyens de mettre en œuvre un ensemble de mesures sociales exceptionnelles. Le dispositif d'aide au reclassement, maintenu jusqu'à la fin de l'année 2006, sera la solution privilégiée, même si des mesures individuelles propres à satisfaire chaque employé seront également étudiées. La ministre de la défense a par ailleurs annoncé la volonté du Gouvernement de prendre en charge le reclassement des fonctionnaires détachés et des ouvriers dits « sous décret ». Des mesures de mobilité, largement dotées, seront proposées sur tous les sites. Un effort de formation ainsi que des aides économiques et financières substantielles sont également prévus.

Abordant ensuite le volet territorial du plan de restructuration, M. Luc Vigneron a indiqué qu'il devait permettre la reconversion industrielle des sites concernés, en soulignant que l'ambition du groupe était de créer 5 000 emplois avant fin 2006 dans les bassins industriels touchés, à l'aide de sa filiale Sofred et en concertation avec l'État et les collectivités locales. Il a rappelé que le précédent plan social de Giat Industries montrait qu'il était envisageable, dans certains sites, de créer un nombre d'emplois plus important que les suppressions prévues par le plan social : ainsi, sur le site du Mans, la suppression de 150 emplois par le précédent plan social avait été largement compensée par la création de 450 nouveaux emplois.

Il a indiqué que les investissements nécessaires à la reconversion immobilière des sites avaient fait l'objet d'une provision, afin que le plan de restructuration n'aboutisse à la création d'aucune friche industrielle et qu'un accord tripartite entre le ministère de la défense, la Caisse des dépôts et consignations et Giat Industries avait par ailleurs été signé en 2002, permettant d'ores et déjà la reconversion immobilière de sites fermés dans le cadre du précédent plan de restructuration, comme celui de Salbris.

En conclusion, il a noté que le coût des mesures sociales du plan s'élèverait à 480 millions d'euros, tandis que celui du plan de restructuration dans son ensemble, comprenant également les aspects industriels et la prise en charge transitoire des sureffectifs, serait de 850 millions d'euros.

Le besoin de financement du groupe s'élève au total à 1 milliard d'euros, si l'on ajoute au coût de ce plan de restructuration les charges résiduelles du plan social précédent qui s'élèvent à 180 millions d'euros jusqu'en 2011, ainsi que les frais liés aux contrats déjà signés avec les Émirats arabes unis d'un montant 390 millions d'euros et les gains attendus de divers autres contrats pour un montant de 130 millions d'euros. Il faut retrancher à ces charges de 1,3 milliard d'euros les 300 millions d'euros résultant de la récente augmentation de capital du groupe pour aboutir à un besoin de financement d'un milliard d'euros.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a regretté que le plan de restructuration de Giat Industries constitue un nouveau sinistre social inacceptable dans une période d'augmentation du chômage : certains sites seront durement touchés comme celui de Tulle où 260 emplois vont être supprimés, sans que les mesures prévues ne puissent rassurer les 120 salariés restants sur la pérennité du site. Elle a rappelé que, lors des questions au Gouvernement du mardi 8 avril 2003, la ministre de la défense avait affirmé que des recommandations avaient été faites au groupe en matière d'accompagnement social, mais a estimé que certains bassins avaient peu de possibilités de reclassement compte tenu de l'ancienneté des personnels.

M. Pierre Forgues a regretté que la possibilité de vendre des chars Leclerc à l'Arabie Saoudite n'ait pas été intégrée dans le plan de restructuration, estimant que le contexte actuel ouvre des perspectives favorables en matière de vente d'armement dans cette région du monde.

Il a jugé en outre que le plan de restructuration présenté ne permettrait pas à la France de jouer un rôle moteur dans la mise en place d'une défense européenne et estimé qu'en ramenant Giat Industries à la dimension de ses principaux concurrents européens, la France risquait de perdre un atout important dans les négociations permettant de construire l'Europe de la défense. Il a conclu en observant que ce plan de restructuration ne semblait répondre ni à une ligne politique claire, ni à une stratégie industrielle efficace. Il s'est enfin interrogé sur l'avenir du site de Tarbes, qui devrait perdre 650 emplois, pour ne conserver que ses activités de pyrotechnie.

Mme Chantal Robin-Rodrigo a fait état d'une note du 5 mars 2003 d'un contrôleur général des armées, analysant en termes très négatifs le plan de redressement en cours, indiquant notamment que les options choisies en matière industrielle ne permettraient en rien d'enrayer la baisse de la productivité et que la réduction très sévère de l'emploi, pour atteindre un effectif de 2 500 personnes, non seulement détériorerait fortement le climat de travail, mais surtout rendrait l'entreprise non viable. Elle a demandé que la mise en œuvre du plan fasse l'objet d'un moratoire, afin de permettre son réexamen au vu de ces commentaires, comme l'ont d'ailleurs déjà demandé les représentants syndicaux et les élus locaux concernés.

Elle a ensuite estimé que les projets de reconversion concernant l'établissement de Tarbes étaient peu crédibles étant donné la situation économique difficile à laquelle se trouvait déjà confrontée la zone, du fait de la défaillance récente d'autres implantations d'entreprise, comme celles de Pechiney et d'Elf, d'autant que l'établissement de Tarbes était plus touché que les autres, 82 % des effectifs étant concernés contre seulement 33 % sur d'autres sites, ce qu'elle a jugé inacceptable.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense, est intervenu pour préciser que le contrôleur général des armées, auquel Mme Chantal Robin-Rodrigo avait fait référence, s'était exprimé en son nom propre et qu'il avait fait l'objet d'une sanction.

M. François Rochebloine, constatant que M. Luc Vigneron était membre des instances dirigeantes de Giat Industries depuis 1998, qu'à ce titre, il avait participé à la mise en place du plan PSES, et notamment à la réorganisation des services commerciaux de Giat, a demandé quel bilan il fallait tirer de cette réorganisation, qui semblait avoir abouti à un échec patent. Rappelant ensuite que Giat en était à son sixième plan de restructuration, il s'est interrogé sur les innovations qui, dans le dernier plan, permettraient de laisser espérer que celui-ci fût plus efficace que les précédents. Rappelant que la ministre de la défense avait, lors de l'annonce publique du plan, indiqué que des marges de négociation subsistaient quant à certaines de ses modalités, il a souhaité connaître lesquelles. Il a regretté que le site de Saint-Chamond fît l'objet d'une décision de fermeture, alors qu'il était justement le seul à atteindre les objectifs de productivité fixés par le plan précédent. Il s'est inquiété de ce que le plan social présenté fût discret pour le cas des employés sous convention collective. Enfin, il a demandé quel était le principe qui avait pu justifier la dernière augmentation de rémunération du président de Giat, pour une somme équivalant à 330 000 francs par an, dans un groupe que celui-ci a présenté comme « structurellement déficitaire ».

M. Pascal Clément a signalé que cinq députés de la Loire étaient présents à cette audition et que cette présence collective soulignait le traumatisme créé par la restructuration de Giat dans ce département de vieille tradition industrielle, où l'entreprise disposait des deux sites de Roanne et de Saint-Chamond. Il s'est étonné d'abord que les efforts de restructuration de Giat depuis plus d'une dizaine d'années n'aient pas permis de sortir l'entreprise de sa dépendance vis-à-vis de la production de chars. Il s'est inquiété ensuite de ce que le nouveau plan de restructuration s'appuyât sur une perspective de débouchés restreinte aux seules commandes de l'Etat, sans perspective de développement commercial et sans intégrer la dimension des marchés d'exportation, alors que le passé avait montré combien ces commandes pouvaient être sujettes à diminution, l'achat des 1 400 unités initialement envisagées ayant été, dans le cas du char Leclerc, ramené à 400 unités seulement. Il a dit enfin son incompréhension devant le traitement inégal réservé aux deux sites de Roanne et de Saint-Chamond, le premier faisant l'objet d'un plan de reconversion tandis que le second semblait laissé pour compte.

Il a déploré l'absence de plan d'ensemble et conclu en soulignant la difficulté qu'éprouvaient les élus pour relayer l'entreprise compte tenu du scepticisme que soulève le plan annoncé et du traumatisme profond qui frappe les populations concernées.

M. Gérard Charasse a estimé que le plan proposé relevait plus du pari pascalien que de la stratégie industrielle. Il a craint qu'il aboutisse, dans les prochaines années, à des conséquences économiques et sociales d'autant plus douloureuses, en particulier pour les salariés.

Après avoir rappelé que deux établissements du groupe, appartenant à sa filiale Manhurin Défense, situés à Cusset- Les Graves et à Montpertuis à Bellerive-sur-Allier, se trouvaient dans sa circonscription, M. Gérard Charasse a jugé que la presse locale ne s'était pas trompée en titrant, à propos du plan du groupe Giat Industries : « Giat sacrifie Manurhin ».

Il a rappelé que l'entreprise Manurhin Défense était pourtant viable, comme plusieurs rapports l'indiquent, et que ses salariés avaient déjà dû consentir des efforts importants, notamment en subissant des périodes de chômage technique ou en acceptant de changer de lieu de travail. M. Gérard Charasse a donc dénoncé le fait qu'en « récompense » de ces efforts, la fermeture des deux sites soit prévue.

Considérant que la solution retenue était la plus coûteuse sur le plan social puisque tous les salariés sont soumis à des conventions collectives, il l'a jugée inacceptable. Puis, il a rappelé que le bassin d'emploi concerné était extrêmement touché par le chômage de sorte qu'il ne lui paraissait pas possible de se contenter des mesures d'accompagnement annoncées.

M. Gérard Charasse a donc souhaité savoir quelles compensations industrielles et sociales fortes, nouvelles par rapport aux opérations envisagées avant même l'annonce du plan, étaient prévues et comment l'entreprise Manurhin Défense pourrait fonctionner dans les trois années à venir avec, au terme de cette période, la perspective de la fermeture du site.

M. Jean Glavany a tout d'abord jugé indispensable de faire preuve de prudence et de modestie, soulignant que les propos de M. Luc Vigneron étaient fortement similaires à ceux tenus par de précédents présidents-directeurs généraux de Giat Industries, comme MM. Pierre Chiquet ou Jacques Loppion, de même que les propos de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, pouvaient être rapprochés de ceux de ses prédécesseurs, MM. Alain Richard et Charles Millon. Notant que chaque plan de restructuration de Giat Industries était présenté comme le « bon » plan, il a émis la crainte que l'on ne s'achemine progressivement vers la fin de l'entreprise.

Après avoir déclaré partager l'analyse contenue dans la note établie par un contrôleur général des armées, il s'est montré extrêmement sceptique quant à la qualité du plan « Giat 2006 » au regard des objectifs d'aménagement du territoire, estimant que le rapport entre le taux de suppression des emplois et les bases fiscales des collectivités territoriales concernées montrait que ce plan donnait lieu, en réalité, à un véritable « déménagement » du territoire qu'il a jugé scandaleux.

Enfin, il a jugé moralement très choquant que le maintien des activités de pyrotechnie à Tarbes, qui a contraint la ville à consentir de réels sacrifices et à geler notamment, pour une grande part, le développement du nord de la ville, soit obtenu au prix de la suppression des autres activités de Giat sur ce site.

M. Jean-Claude Viollet, évoquant le rapport de MM. Yves Fromion et Jean Diébold sur la situation de Giat Industries, a rappelé que ce dernier faisait état d'un effectif de sous-traitants supérieur à 500 pour le groupe, ce chiffre s'élevant à 160 pour les trois sites destinés à être fermés, et il a souhaité connaître l'analyse de M. Luc Vigneron sur l'impact qu'aurait la restructuration de Giat Industries sur ces sous-traitants. Concernant les véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), il a souhaité connaître les perspectives de développement de ce produit, notamment dans le cadre du plan « Giat 2006 ». S'agissant du maintien en condition opérationnelle (MCO), il s'est enquis de l'impact de celui-ci sur les établissements de Giat Industries, son chiffres d'affaires et les effectifs qui y seraient affectés dans le plan « Giat 2006 ».

M. Yves Nicolin s'est déclaré convaincu que le plan « Giat 2006 » conduirait à la perte de maîtrise industrielle de notre système terrestre. Notant qu'il s'agissait du sixième plan de restructuration de Giat Industries, il a craint que l'entreprise ne disparaisse à terme. Il a jugé hasardeuse la stratégie de l'entreprise, qui repose toujours sur « l'après 1989 », date à laquelle il a été décidé de recentrer Giat sur son cœur de métier. Or, a-t-il fait observer, depuis 1989, la donne géostratégique a évolué, notamment en 2002 et il a estimé probable une évolution des alliances européennes futures.

Abordant le plan social, il a rappelé qu'il était prévu de supprimer 4 000 emplois et, notant l'effort consenti par l'Etat pour reclasser ses personnels, il s'est interrogé sur les efforts qui seraient faits par l'entreprise elle-même pour reclasser ses employés.

Il a, par ailleurs, jugé insuffisante la taille de 2 500 salariés retenue pour Giat Industries, en se fondant sur l'exemple de l'industrie de la défense en Italie qui compte près de 40 000 personnes ou celle des Etats-Unis.

Puis, notant que l'Etat avait octroyé 1 milliard d'euros pour recapitaliser Giat Industries, il a jugé que les 45 millions d'euros consentis par l'entreprise pour la Société financière régionale pour l'emploi et le développement (Sofred) seraient largement insuffisants et devraient être revus à la hausse.

Plaidant en faveur d'une diversification de la politique commerciale de Giat Industries, il s'est étonné que le président-directeur général de la branche transport d'Alstom lui ait signalé qu'il avait contacté la direction de Giat en vue d'un partenariat, mais n'avait pas reçu de réponse à ce jour.

Evoquant la livraison des premiers VBCI en 2008, il a observé que le plan de charge du site de Roanne n'était établi que jusqu'à l'année 2004 et a souhaité savoir le sort qui serait réservé aux activités de ce site entre 2004 et 2008.

Il a enfin souhaité avoir des informations sur les marges de négociation et sur le salaire de M. Luc Vigneron.

M. Yves Fromion a déclaré partager l'analyse de M. Jean Glavany selon laquelle les difficultés de Giat Industries ont perduré sous les majorités successives, comme l'atteste le fait que le plan de restructuration annoncé ait été préparé à la demande de M. Alain Richard, précédent ministre de la défense.

Puis, il a souhaité savoir si la préparation des alliances industrielles, absolument nécessaires à la survie de Giat Industries, serait engagée avant que le groupe ait atteint l'objectif de taille prévu pour 2006 et quelle serait, d'ici à 2006, l'activité des personnels dont le plan prévoit qu'ils quitteront le groupe.

Il a ensuite demandé si un contrat d'entreprise existait et, le cas échéant, quelles étaient ses principales stipulations.

Enfin, M. Yves Fromion a indiqué que Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, avait fait savoir à M. Jean Diébold et à lui-même, à l'occasion de la préparation de leur rapport d'information sur la situation de Giat industries, que le canon Caesar allait être commandé. Il a souhaité que M. Luc Vigneron apporte des précisions sur ce point.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, a rappelé que la charge de travail du groupe Giat industries était passée de 4 millions d'heures, en 1997, à 1,8 million d'heures en 2002. Il a estimé que l'évolution de cette charge de travail, dépendante des commandes enregistrées, était prévisible, probablement dès 1998 ou 1999. Il a donc souhaité savoir pourquoi, dans ces conditions, le plan décidé en 1998 avait été à ce point sous dimensionné au regard des enjeux et si M. Luc Vigneron avait proposé une restructuration plus ambitieuse à sa nomination, en 2001, et, le cas échéant, pourquoi celle-ci n'avait pas été mise en œuvre.

En réponse aux différents intervenants, M. Luc Vigneron a apporté les précisions suivantes :

- le recentrage de l'établissement de Tulle sur la petite mécanique constitue une solution d'adaptation très crédible, d'autant plus que ce recentrage s'accompagne d'une diversification en direction des activités de réparation des machines outils et de traitement thermique ou de surface des pièces mécaniques, qui correspondent à un véritable besoin dans le bassin industriel de la Corrèze. Si le métier de la petite mécanique apparaît a priori annexe par rapport à la production lourde, il n'en constitue pas moins aujourd'hui une composante indispensable, et même essentielle, au bon fonctionnement des systèmes d'armes modernes. Il serait contre-productif de maintenir à Tulle une seconde production de canons de moyen calibre à côté de celle de Bourges, en raison de la concurrence très forte du producteur britannique très performant Royal Ordnance. L'établissement de Tulle emploie pour l'essentiel du personnel sous statut et ceux qui ne seront pas maintenus dans le cadre de la reconversion du site se verront offrir de très nombreuses possibilités de reclassement. Sur les trois ans à venir, il y a donc tout lieu de croire que le volet social de la restructuration du site de Tulle réussira ;

- la décision de ne pas intégrer l'éventuel débouché ouvert par la signature d'un contrat avec l'Arabie saoudite correspond à une démarche de prudence ; évidemment, toute évolution en ce sens, et l'entreprise continue activement de négocier pour obtenir le contrat, aboutirait à une révision du plan de restructuration ;

- l'objectif relatif à la taille du groupe est uniquement défini en fonction de critères de compétitivité ;

- à Tarbes, la restructuration s'appuiera sur un développement des activités civiles, au travers de SPRIA, de Dual Tech, de la tentative de développer la production de réservoirs de GPL et de convertir un atelier en structure autonome externalisée ;

- il appartient au seul Gouvernement de commenter la note du contrôleur général des armées évoquée par Mme Chantal Robin-Rodrigo, mais il convient toutefois de rappeler que la taille prévue pour Giat industries en 2006 est comparable à celle de ses concurrents britannique et allemand, entreprises profitables et réputées ;

- afin d'accompagner le plan de restructuration et de limiter ses conséquences en termes d'aménagement du territoire, il est prévu que la Société financière régionale pour l'emploi et le développement (Sofred) intervienne à hauteur de 45 millions d'euros ;

- le fait que le contrat envisagé avec l'Arabie saoudite n'ait pas été conclu explique en grande partie l'écart entre les prévisions du plan stratégique, économique et social (PSES) de 1998 et la situation actuelle ;

- M. François Rochebloine a souligné la compétitivité de l'établissement de Saint-Chamond. Toutefois, l'élément déterminant du choix des sites sur lesquels sera réalisée l'intégration des systèmes a été la qualité des infrastructures des usines et, de ce point de vue, l'établissement de Roanne est plus adapté que celui de Saint-Chamond ;

- il est vrai que la situation des personnels soumis à une convention collective est difficile, mais les moyens et le temps prévu pour l'accompagnement social sont à la hauteur de l'enjeu ;

- la diversification vers les activités civiles est rendue difficile par le fait que, parmi les industries de défense, l'armement terrestre est l'une de celles qui présentent le moins de synergies avec des activités civiles. Des tentatives de diversification vers des productions à finalité civile ont été conduites dans le passé, mais elles se sont souvent terminées par des pertes importantes, comme l'illustre l'exemple de la vente de composants pour le télescope de l'observatoire européen de l'hémisphère sud au Chili qui a entraîné des pertes importantes, comme l'a d'ailleurs souligné la Cour des comptes. Pour autant, des tentatives de diversification sont en cours et la filiale SYEGON installée à Roanne apparaît notamment prometteuse ;

- de nombreux contrats à l'export sont possibles et il en est tenu compte dans le plan « Giat 2006 », mais, par réalisme, le choix a été de ne pas faire reposer la stratégie sur un énorme contrat aléatoire comme cela a été le cas dans le plan stratégique, économique et social (PSES) de 1998 ;

- le maintien de l'activité de pyrotechnie à Tarbes constitue un acquis non négligeable, compte tenu de la rationalisation de cette activité à un niveau européen. Des efforts devront être consentis pour en améliorer la compétitivité. On doit signaler en outre que la filiale SPRIA a permis la création de près de 200 emplois ;

- concernant la sous-traitance, il convient de distinguer, d'une part, le recours à des sous-traitants pour des raisons de compétitivité, comme cela est, par exemple, le cas pour la production de pièces mécaniques simples pour laquelle Giat Industries est structurellement inadaptée (tel est le cas des canons du FAMAS pour lesquels une offre de Beretta a été retenue, car elle était de 30 % à 40 % moins chère que les coûts de production internes) et, d'autre part, une sous-traitance « anormale » à laquelle il est fait recours pour respecter les délais de production, en raison du manque de réactivité de Giat Industries et de l'insuffisante mobilité des personnels. Le plan « Giat 2006 » aura d'ailleurs notamment pour objectif de résorber cette sous-traitance en améliorant la polyvalence des personnels ;

- concernant le VBCI, les premières livraisons devraient avoir lieu en 2008. On doit noter que ce produit est, sur un strict plan mécanique, plus simple que les chars Leclerc. Ainsi, si un char Leclerc nécessite 13 000 heures de charge directe de production, un VBCI ne nécessite que 1500 heures environ ;

- s'agissant du MCO, le projet « Giat 2006 » intègre le prolongement de programmes actuels, tels que le programme de modernisation de l'automoteur d'artillerie, le soutien de la post-production du char Leclerc. Giat Industries fera en outre des propositions à la délégation générale pour l'armement (DGA) et à l'état-major pour mener des activités complémentaires, le dernier mot revenant bien sûr au client ;

- l'équipe de direction de Giat a l'intention de consacrer autant d'énergie à la gestion des aspects industriels qu'à celle des questions sociales et d'aménagement du territoire et elle sera adaptée en ce sens ;

- les rôles respectifs de l'Etat et de l'entreprise découlent de la situation même de l'entreprise dont l'Etat est le seul actionnaire. L'entreprise gérera le projet de restructuration dès lors qu'il aura été instruit dans le cadre de la procédure sociale. Elle aura à supporter un coût total de 850 millions d'euros dont 480 millions d'euros pour les mesures sociales. L'entreprise n'étant pas profitable à ce jour, c'est l'Etat, qui est son actionnaire, qui financera ces dépenses ;

- Giat industries a, à plusieurs reprises, tenté de se diversifier vers la construction de matériels ferroviaires, notamment à Saint-Chamond et à Roanne. Ces tentatives se sont traduites par des pertes très significatives. Les ensembliers du secteur cherchent, en effet, des sous-traitants à façon, compétitifs. Giat industries est ainsi mis en concurrence avec des entreprises polonaises avec lesquelles elle ne peut rivaliser en termes de prix, compte tenu de ses coûts horaires ;

- le projet prévoit le plan de charge de Giat industries jusqu'à l'année 2006, incluse. La production des VBCI commencera à partir de fin 2007 et entraînera une charge de travail comparable à celle nécessaire pour une rénovation de matériel. Le programme VBCI n'aura donc pas, sur la charge de travail des usines du groupe, un effet structurant comparable à celui de la construction des chars Leclerc ;

- en ce qui concerne les « marges de négociation » évoquées, une procédure sociale est engagée. Il faut qu'elle se déroule et l'on ne peut se prononcer à ce stade ;

- c'est l'employeur qu'il convient d'interroger sur la rémunération du président-directeur général du groupe ;

- il appartient d'abord à l'Etat, actionnaire de l'entreprise, de préparer d'éventuelles alliances pour Giat Industries en prenant en compte les impératifs stratégiques et patrimoniaux. Il sera toutefois difficile de travailler sérieusement avec des partenaires potentiels tant que l'entreprise n'aura pas fait la preuve de sa capacité à retrouver la profitabilité. Cela sera donc probablement difficile avant 2005 ;

- la ministre de la défense a effectivement évoqué la perspective d'un contrat d'entreprise qui pourrait comprendre, de la part de l'Etat, des engagements portant sur les commandes et sur le soutien au reclassement social et à l'aménagement du territoire et, de la part de l'entreprise, des engagements sur l'activité, sur les résultats et sur le soutien au reclassement social et à l'aménagement du territoire ;

- il convient d'interroger le Gouvernement sur les commandes de canon Caesar ;

- le plan stratégique, économique et social (PSES) de 1998 reposait sur une hypothèse structurante, la commande d'environ 200 chars par l'Arabie saoudite en 2000. Le fait que ce contrat n'ait pas été conclu explique l'écart entre la situation actuelle et les prévisions d'alors. Jusqu'à la fin de l'année dernière, la conclusion rapide de ce contrat était encore attendue. La période couverte par le plan stratégique, économique et social (PSES) de 1998 s'achevait fin 2002. La préparation de l'étape suivante a été engagée avec le Gouvernement précédent à partir de 2001 et s'est poursuivie ensuite.

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