COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 36

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 Avril 2003
(Séance de 11 heures 45)

Présidence de M. Patrick Ollier,
président de la commission des affaires économiques,

et de M. Guy Teissier, président de la commission de la défense

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense

2

Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

La commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire et la commission de la défense nationale et des forces armées ont entendu Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

Après avoir rappelé que la société nationale Giat Industries avait accumulé plus de 4 milliards d'euros de déficit et subi cinq plans sociaux depuis dix ans, sans que la dégradation de son carnet de commandes soit enrayée pour autant, Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que cette situation était le résultat d'erreurs d'appréciation. Le plan stratégique, économique et social (PSES) élaboré en 1998 s'est largement appuyé sur la poursuite du programme de char lourd Leclerc alors qu'il était déjà clair pour tous que la production cesserait dès 2004. Il en va de même pour les munitions, dont les commandes ne pouvaient que diminuer avec la déflation des effectifs militaires résultant de la professionnalisation des armées. La restructuration de Giat Industries s'est donc engagée sur des bases fausses.

La ministre de la défense a ensuite indiqué qu'avant d'envisager de nouvelles mesures, elle avait rencontré, pendant six mois, les syndicats et les dirigeants de la société nationale, ainsi que les élus locaux concernés par l'implantation de l'entreprise, pour examiner les éléments de la revitalisation des territoires touchés par la baisse d'activité de Giat Industries. Sur ces bases, le Gouvernement a fixé au président-directeur général de l'entreprise trois exigences devant encadrer la recherche de solutions.

Le projet industriel présenté devait être viable à long terme. Si d'aucuns ont pu suggérer le démembrement et la vente par activité de Giat Industries, cette éventualité n'a jamais été envisagée par le Gouvernement ; dès l'origine, celui-ci a fait le choix de pérenniser une industrie nationale de l'armement terrestre.

Le projet devait aussi prévoir un traitement individualisé de chacun des personnels concernés par les réductions d'effectifs.

Enfin, il devait prendre en compte la réalité des bassins d'emploi locaux et les préoccupations d'aménagement du territoire.

Plusieurs propositions ont été soumises par la direction de l'entreprise au Gouvernement. Les modalités du plan finalement arrêté ont été présentées au conseil d'administration et au comité de groupe le 7 avril 2003. Elles seront soumises à négociation pendant les trois mois à venir ; une fois la mise en œuvre du plan engagée, la restructuration de Giat Industries s'étalera sur trois ans, jusqu'à la fin de l'année 2006.

Quant à la méthode, il revenait à l'Etat, client et actionnaire, de donner les orientations et de présenter des engagements ; il revenait à l'entreprise de préparer le plan de restructuration, de le négocier et de l'appliquer.

Mme Michèle Alliot-Marie a alors détaillé les engagements pris par l'Etat pour accompagner la transformation de Giat Industries.

Sur le plan industriel, l'Etat a eu la volonté d'offrir aux salariés des perspectives à long terme. Pour cela, la démarche a été celle de la constitution d'un noyau dur d'activités pour l'entreprise, afin d'assainir sa situation et de rendre possibles pour elle des alliances industrielles, nationales ou européennes. Au premier plan de ce pour quoi l'Etat peut s'engager à long terme figurent les commandes d'armement. A cet égard, la loi de programmation militaire 2003-2008 offre des perspectives de plan de charge importantes, puisque 700 véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) seront commandés à Giat Industries, tandis que la maintenance et la modernisation des chars Leclerc et des AMX 10 P lui seront aussi confiées ; le maintien en condition opérationnelle de ces matériels représente une activité pour vingt-cinq ans. Dans le domaine des munitions, le Gouvernement a décidé de conclure des commandes pluriannuelles sur six ans ; cela donnera, là aussi, une visibilité à moyen terme. Tous ces engagements seront formalisés dans un contrat d'entreprise conclu entre l'Etat et Giat Industries.

Les doutes qui sont apparus sur la viabilité, dans ce secteur, d'une entreprise qui emploiera 2 500 personnes, ne sont pas fondés : les homologues allemands et britanniques de Giat Industries, qui ont engagé avec succès de profondes restructurations ces dernières années, ont retenu ce format. Il est ensuite attendu de Giat Industries reconfigurée un dynamisme pouvant la conduire à d'éventuelles alliances industrielles, à l'image de ce qui s'est produit dans le secteur de l'aéronautique et de ce qui devrait se passer dans le domaine de la construction navale.

L'accompagnement social de la restructuration de Giat Industries s'appuiera, à la demande du Gouvernement, sur un traitement individualisé et sur la volonté de privilégier le retour à l'emploi. Il existe actuellement trois catégories de personnel au sein de l'entreprise : des fonctionnaires mis à disposition, des ouvriers sous statut public et des ouvriers relevant des conventions collectives. Les fonctionnaires détachés seront réintégrés. Les ouvriers sous décret se verront proposer quatre possibilités d'emploi, dont deux dans la fonction publique, parmi lesquelles une au sein du ministère de la défense ; les prévisions d'effectifs du ministère de la défense conduisent à anticiper les vacances de 2 000 postes sur la durée du plan. Un texte de loi permettant l'intégration de ces personnels au sein des autres administrations ou de la fonction publique territoriale et hospitalière sera aussi prochainement soumis au Parlement. La priorité du retour à l'emploi sur la mise en œuvre de mesures d'âge, solution très peu satisfaisante, est ainsi confirmée. Un filet de sécurité de ce type a cependant été prévu, reprenant les dispositifs communément appliqués dans le secteur de la métallurgie ; il devra rester limité.

Le Gouvernement a pleinement conscience des problèmes financiers et des répercussions sur les équilibres locaux que la restructuration de Giat Industries peut engendrer. Tous les moyens de reconversion seront donc mobilisés, afin de faciliter la création rapide d'emplois dans les collectivités locales concernées. Le ministère de la défense a déjà annoncé l'implantation de deux unités, l'une à Roanne, l'autre à Tulle. Les autres ministères ont été eux aussi sollicités, notamment le ministère de l'aménagement du territoire, et une prospection sera engagée auprès des entreprises privées, afin d'examiner les modalités de revitalisation des sites touchés. A ce jour, trois projets font l'objet d'études exploratoires, sans qu'il soit pour autant possible d'en préciser aujourd'hui les détails.

Le Gouvernement se mobilise aussi pour mettre en œuvre, dans une perspective de plus long terme, des mesures d'aménagement du territoire, de façon à maintenir l'attractivité des sites touchés par le plan. Sont notamment envisagées la cession de certains actifs de Giat Industries à des collectivités territoriales et des actions de désenclavement.

La ministre a conclu que le Gouvernement avait pleinement conscience des situations humaines difficiles créées par ce plan. Cependant, elle s'est dite confiante que, une fois l'annonce passée, après un mois à venir sans doute difficile, chacun des acteurs pourra avoir une vision plus équilibrée de la situation et prendre en considération les mesures d'accompagnement mises en œuvre, qui s'inscrivent dans la durée des trois ans du plan.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a souligné que la mort programmée de certains sites allait porter un coup fatal à des bassins d'emploi déjà fragilisés, tels que celui de Tulle. Le moment choisi pour la présentation de ce plan de restructuration, alors que la croissance économique est atone et que les créations d'entreprise sont faibles, n'est pas le plus propice. L'Etat devra donc prendre en compte les conséquences humaines et industrielles dans des mesures d'accompagnement. Déplorant le caractère trop centralisé de la politique française d'aménagement du territoire, qui jette un doute sur la capacité de l'Etat à limiter les sinistres économiques, elle a indiqué n'être pas totalement rassurée par l'exposé de la ministre.

M. François Rochebloine s'est demandé si ce sixième plan de restructuration n'allait pas, par son ampleur, porter un coup fatal à l'entreprise. Comme les plans précédents, dont l'échec est avéré, ce plan a été unanimement rejeté par les personnels ; les propositions alternatives n'ont pas été entendues.

Reconnaissant que des engagements fermes avaient été pris pour les fonctionnaires et les ouvriers sous décret, M. François Rochebloine s'est inquiété du sort des salariés sous convention collective. Ils forment une part importante du personnel, par exemple 60 % du personnel du site de Saint-Chamond. Les actions de formation sont certes positives, mais, dans des sites déjà très touchés par les restructurations industrielles, comment des salariés âgés de 48 à 53 ans pourront-ils retrouver un emploi ?

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu qu'on ne pouvait différer davantage l'annonce du plan. Lors de ses entretiens, tous ses interlocuteurs lui ont indiqué qu'une atmosphère très difficile régnait sur les sites de l'entreprise, les personnels connaissant la situation de celle-ci et souhaitant en finir avec l'incertitude. La décision n'est en rien conjoncturelle : depuis le mois d'octobre, la ministre avait annoncé qu'elle serait prise au mois de février ou de mars ; certains lui ont même reproché alors de ne pas accélérer le processus.

Le site de Tulle n'est pas le plus maltraité puisqu'une activité du ministère de la défense y est implantée, venant conforter le pôle industriel de Giat Industries.

Si les plans précédents avaient pris la mesure de la situation, sans doute ne serait-il pas nécessaire aujourd'hui de prendre des décisions aussi drastiques. Lors des plans antérieurs, les restructurations nécessaires ont été sous-dimensionnées.

Le plan actuel est la seule solution pour épargner à l'entreprise des restructurations ultérieures. Il relève de la responsabilité de la ministre d'offrir de véritables perspectives à Giat Industries, lui donnant les moyens d'être viable à long terme.

La priorité définie pour les salariés sous convention collective est de leur permettre de retrouver un emploi : des dispositifs de formation et de reconversion vont être mis en place. Des projets d'implantation d'entreprises sont en cours d'identification. Comme la rémunération de ces salariés correspond plus au niveau du marché, leur reclassement sera plus facile à réaliser ; il ne sera pas nécessaire de présenter un projet de loi pour cette catégorie de salariés. Les dispositifs de retraite anticipée ne constituent jamais une bonne solution.

M. René Galy-Dejean a félicité la ministre pour son action résolue et courageuse : après les échecs successifs des ministres de la défense précédents depuis dix ans, qui se sont traduits par une ponction de 3 milliards de francs chaque année sur le budget de la Nation au profit de Giat Industries et aux dépens du budget d'équipement de la défense, ce plan, qui prévoit aussi les mesures sociales nécessaires, est courageux et interrompt un processus coûteux, inutile et sans avenir.

M. Jean-Claude Sandrier a rappelé que, si les erreurs et les occasions manquées ne pouvaient être occultées, les difficultés et la décroissance de l'activité de Giat Industries tenaient d'abord aux restrictions budgétaires, à la réduction du format des armées et aux choix stratégiques. Il a souligné que, selon les chiffres fournis par Giat, la précédente loi de programmation prévoyait des commandes pour 600 millions d'euros, alors que ce montant ne s'établissait qu'à 270 millions d'euros pour la nouvelle loi de programmation militaire, votée en novembre dernier. Il a indiqué que les résultats d'une entreprise d'armement ne pouvaient seulement être évalués à l'aune d'impératifs économiques, la préservation des capacités stratégiques nationales étant en jeu.

Il a ensuite posé plusieurs questions. L'entreprise conservera-t-elle après ce plan la capacité de développer et de produire des chars lourds ? Les achats sur étagère, qui ont fait disparaître le secteur des munitions de petit calibre, vont-ils se poursuivre ? La mise en place d'une préférence communautaire dans le secteur de l'armement est-elle envisagée, de façon que les Etats de l'Union européenne puissent, comme les autres, protéger leur industrie d'armement ? Le VBCI sera-t-il fabriqué pour l'essentiel par Giat Industries ? Les derniers événements internationaux vont-ils provoquer une révision de l'attitude stratégique française à l'égard de l'OTAN, de l'Union européenne et des Etats-Unis ?

Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que les précédentes lois de programmation militaires avaient fait l'objet en exécution de restrictions budgétaires sévères, alors que l'exécution de la loi de finances pour 2003 était en parfaite cohérence avec l'actuelle loi de programmation et qu'il devait en être de même en 2004.

Giat Industries conservera la capacité de développer des chars lourds quand le besoin sera exprimé, mais tel n'est pas le cas aujourd'hui, le char Leclerc devant encore servir environ 25 ans.

Le contrat d'entreprise prévoira l'achat par le ministère de la défense de munitions de moyen et gros calibre sur une période de six ans. La France a déjà proposé à ses partenaires européens de s'engager sur une préférence communautaire. Cela fait partie des négociations inhérentes à la construction de l'Europe de l'armement, objectif qui suscite un consensus.

La situation internationale conduit en effet à une réflexion sur l'Europe de la défense. Celle-ci pourrait paradoxalement se trouver accélérée. Il faut sans doute déconnecter la construction de l'Europe de la défense, qui peut être rapide, de celle d'une politique étrangère commune, qui sera longue.

Après avoir récusé l'idée selon laquelle l'espoir de vendre des chars Leclerc à l'Arabie Saoudite était infondé lors de la mise en œuvre du précédent plan social, puisque l'actuel Gouvernement avait encore des espérances il y a peu, M. Jean-Michel Boucheron a souligné que les salariés de Giat avaient droit à un discours clair et transparent. Giat comporte de nombreux salariés de droit privé ; les sous-traitants sont aussi touchés ; pourquoi ne pas s'engager à ce que chaque salarié retrouve un emploi, à salaire identique, dans le même bassin d'emploi ? Il faut faire ce pari. Cela est possible sur de nombreux sites. Cela a déjà pu être réalisé avec DCN ainsi que sur d'autres sites de Giat, dans le passé.

Sur le plan industriel, les solutions sont toujours trouvées aux dépens du monde ouvrier, à travers des restructurations. Il conviendrait également de s'interroger sur la façon de concevoir les programmes ainsi que sur le pouvoir des techniciens : un engin comme le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), d'un prix de cinq millions d'euros l'unité, doit être conçu pour l'exportation, faute de quoi risquent de se répéter les problèmes commerciaux rencontrés avec le char Leclerc.

De même, le VBCI est une des composantes du système de combat en réseau européen qui va être mis en place. Il s'agit d'un enjeu très important que Giat ne pourra pas affronter seul. L'avenir européen de ce blindé sous-entend des alliances.

Mme Chantal Robin-Rodrigo a demandé si, dans le cadre des futures négociations relatives au plan, des propositions alternatives telles que le plan proposé par le contrôleur des armées Perget seraient prises en compte. La région de Tarbes a été particulièrement atteinte par les restructurations industrielles et les suppressions d'emplois au cours de ces dernières années. La situation très difficile qu'elle subit aurait pu lui permettre d'espérer un meilleur traitement. L'aménagement du territoire semble toujours se réaliser au détriment des mêmes régions ; la délocalisation, sur les sites les plus touchés, des services actuellement regroupés à Versailles-Satory constituerait un geste très apprécié.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué qu'il lui était rapidement apparu que la vente de chars Leclerc à l'Arabie Saoudite présentait un caractère très aléatoire. En tout état de cause, un tel contrat ne donnerait d'activité à la société que pour deux ans.

Il faut essayer, bassin par bassin, de tenir le pari d'une reconversion sur place pour chaque emploi supprimé. Le Gouvernement y travaille. Cependant, la ministre se refuse à s'engager publiquement : il ne faut pas tromper les salariés par des promesses que l'on n'est pas sûr de pouvoir tenir.

Il y a un an, le VBCI faisait encore l'objet de divergences de conception, notamment pour ce qui concerne sa tourelle. Aujourd'hui, le projet est stabilisé et les relations entre l'industriel, les états-majors et la délégation générale pour l'armement (DGA) sont en cours de clarification. La vocation à l'exportation du VBCI, notamment en Europe, nécessite une coopération de Giat Industries avec d'autres partenaires, mais ses actuelles difficultés financières rendent aujourd'hui une telle coopération impossible, même si le savoir-faire de l'entreprise est reconnu.

Des propositions complémentaires pourront être examinées dans le cadre des négociations. Ce que certains appellent le rapport Perget est une note rédigée par une personne qui n'avait aucune compétence dans le domaine et à laquelle rien n'avait été demandé. L'auteur n'avait pas accès au dossier et a travaillé sur coupures de presse. Des sanctions ont été demandées contre lui.

M. Yves Nicolin a insisté sur le fait qu'au-delà des trois sites qui seront fermés, d'autres comme Roanne perdront beaucoup d'emplois dans des bassins où la reconversion est difficile. Le siège de Versailles-Satory verra certes ses effectifs diminuer de plus de 50 %, mais l'importance de l'opération immobilière qui accompagne cette diminution montre la richesse en emplois de ce bassin. Les négociations devraient conduire à une délocalisation de la majeure partie de ses activités, même si cela implique de recruter de nouveaux cadres pour remplacer ceux qui refuseraient de quitter la région parisienne. Si conserver la direction générale près de la capitale est compréhensible, le fait que les activités relatives aux engins blindés ne soient pas regroupées à Roanne est incompréhensible.

M. Yves Fromion a approuvé ces propositions, qui correspondent à celles formulées dans le rapport d'information qu'il a élaboré avec M. Jean Diébold. Le site de Bourges doit son actuelle solidité au fait qu'il regroupe l'ensemble de l'activité relative aux munitions, c'est-à-dire non seulement la production, mais aussi la conception et la recherche. L'absence de piste d'essai à Roanne pour les véhicules blindés n'a aucune justification.

Il a ensuite demandé des précisions sur les futures commandes de canon Caesar sur camion par l'Etat : malgré l'importance cruciale de ces commandes pour l'entreprise, aucune indication ne figure ni dans la loi de finances pour 2003, ni dans la loi de programmation militaire. Il a aussi souligné que la réduction par l'actuelle loi de programmation militaire à 270 millions d'euros par an des commandes de matériels terrestres au lieu de 600 millions d'euros par an par la loi de programmation précédente s'expliquait par le seul achèvement du programme Leclerc : les 270 millions d'euros annuels prévus représentent une augmentation par rapport au volume de crédits prévus par la loi de programmation militaire précédente hors programme Leclerc.

Enfin, il a jugé qu'attendre l'échéance de la phase de transition de trois ans, soit l'année 2006, pour commencer à élaborer une réflexion sur les futures alliances industrielles de l'entreprise signerait la mort de Giat Industries. L'actionnaire, c'est-à-dire l'Etat, doit lancer la réflexion sur les futures alliances industrielles dès aujourd'hui.

Tout en réaffirmant son attachement très fort à la décentralisation, et notamment à la décentralisation en réseau et non au profit des seules grandes métropoles régionales, la ministre de la défense a justifié par la richesse même des offres d'emploi en région parisienne la décision de l'entreprise de ne pas transférer les bureaux d'étude de Versailles-Satory. Craignant que les ingénieurs et techniciens qui y sont employés préfèrent massivement retrouver un emploi à proximité plutôt que d'accepter d'être transférés sur un autre site, la direction de Giat a considéré qu'elle ne pouvait risquer de perdre l'ensemble du savoir-faire accumulé si elle devait totalement reconstituer les équipes en recrutant de jeunes ingénieurs.

L'armée de terre a commandé cinq exemplaires du Caesar. Avant de définir une commande supplémentaire, elle doit achever leur expérimentation et effectuer un bilan de leur utilisation.

Il est exact que les crédits prévus pour l'armement terrestre hors char Leclerc sont en augmentation par rapport à la loi de programmation militaire précédente ; il faut ajouter à ces 270 millions d'euros annuels les crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle, qui constitue une activité garantie.

Autant, dans la situation d'incertitude qui régnait à Giat Industries, il était impossible de travailler sur des alliances industrielles futures, autant, dès lors que le cadre industriel et stratégique est fixé, il est hors de question d'attendre 2006 ; la réflexion sur les alliances doit commencer dès aujourd'hui.

Soulignant que la ministre de la défense avait exposé que le plan dévoilé était destiné à être discuté et négocié pendant une période de trois mois, M. Gérard Charasse a demandé quelles étaient les marges de négociation, notamment dans le domaine social où les efforts paraissent inéquitablement limités pour les personnels sous convention collective, comme ceux de Manurhin, et en matière d'aménagement du territoire, où certains sites comme celui de Cusset ne semblent recevoir aucune compensation.

Après avoir exprimé ses doutes sur les évolutions que les négociations pourraient faire subir au plan présenté, M. Pierre Forgues a demandé si, au contraire du précédent, le plan actuel ne péchait pas par trop de pessimisme sur la possibilité d'une commande de chars Leclerc par l'Arabie Saoudite : les conditions de l'environnement régional ayant changé, des perspectives ne sont-elles pas de nouveau envisageables ? Il a aussi attiré l'attention sur l'intérêt de la construction de l'Europe de la défense pour le programme Leclerc, les Etats nouveaux adhérents à l'Union européenne étant sans doute appelés à devenir aussi de nouveaux clients pour ce char. Soulignant ainsi l'absence de cohérence entre la volonté affichée de donner des perspectives aux salariés de Giat Industries et le plan présenté, il a conclu à l'absence de logique de ce plan et jugé que, outre le désastre humain qu'il provoquait, il n'avait sans doute pas les vertus industrielles et militaires qu'on lui prêtait.

La ministre de la défense a répondu que la marge de négociation concernait le domaine social, à travers un dialogue entre la direction de l'entreprise et les syndicats. Les questions d'aménagement du territoire relèvent d'autres enceintes de dialogue, notamment entre les collectivités locales, les préfets et les organismes compétents en la matière, autour du délégué interministériel aux restructurations de défense (DIRD).

Le maintien d'une activité sur le site de Cusset était éminemment souhaitable, eu égard aux compétences des salariés. La nécessité vitale d'un regroupement industriel l'a rendu impossible. Ce site est cependant l'un de ceux où des perspectives de solutions solides, à relativement court terme, existent. Dans la mesure où aujourd'hui aucun engagement ferme ne peut être pris, il n'est pas question de susciter de faux espoirs.

Le plan actuel a pour principe de donner une base et des perspectives solides à l'entreprise telle qu'elle sera reconfigurée. Son socle est donc constitué de ce que l'Etat peut tenir, autrement dit des commandes qu'il s'est engagé à passer, à travers la loi de programmation militaire. Les capacités de développement supplémentaires que l'entreprise pourrait créer elle-même sont, bien sûr, bienvenues ; cependant, un éventuel contrat avec l'Arabie Saoudite ne peut être inclus dans ces bases de développement garanti ; de plus, un tel contrat n'assurerait de travail à l'entreprise que pendant deux ans.

Le plan tient compte de la nouvelle donne stratégique relative à l'Europe de la défense. On a construit naguère des chars en Europe pour faire face à l'Union soviétique, dont c'était l'arme de pénétration de référence ; compte tenu des évolutions stratégiques et de leur équipement actuel, les Etats ne sont plus demandeurs de chars. L'équipement terrestre qui s'avère indispensable aujourd'hui et dont chacun dit avoir besoin, c'est le véhicule blindé de type VBCI. Le plan proposé intègre donc bien à la fois la dimension industrielle et la dimension stratégique.

--____--


© Assemblée nationale