COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 37

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 avril 2003
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition des représentants des syndicats de Giat Industries uu

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- Informations relatives à la commission uu

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Audition des représentants des syndicats de Giat Industries.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu des représentants des syndicats de Giat Industries.

Le président Guy Teissier a rappelé que le plan de restructuration de Giat Industries, rendu public lundi dernier, prévoyait une profonde réorganisation de l'entreprise : il implique des conséquences sociales importantes, notamment dans certains bassins d'emplois, et suscite l'inquiétude légitime des salariés. L'Etat s'étant montré par le passé particulièrement attentiste alors que la société connaissait des difficultés récurrentes, des mesures douloureuses étaient attendues. La représentation nationale a estimé que l'organisation d'un débat sur ce dossier relevait de ses missions. La commission de la défense a demandé en octobre dernier à MM. Yves Fromion et Jean Diébold de réaliser un rapport d'information sur la situation de Giat Industries ; les rapporteurs se sont rendus dans chacun des sites et ont mené leurs travaux avec objectivité, concluant sur la nécessité d'assurer la pérennité de l'industrie d'armement terrestre. Après avoir entendu, de façon conjointe avec la commission des affaires économiques, le président de Giat industries et la ministre de la défense, la commission a souhaité entendre les délégués centraux des organisations syndicales de l'entreprise.

M. André Golliard, représentant la CFDT, a souligné que le plan de restructuration présenté était une véritable provocation. Nul ne peut croire qu'un effectif de 2 500 personnes permettra à Giat Industries de poursuivre son activité, à moins de n'être guère au fait des réalités. Le plan est inacceptable et il doit être écarté pour laisser place à une concertation plus large avec les différents acteurs. Il constitue une véritable faute politique, conduisant la France à se séparer de son outil industriel de défense terrestre, alors même qu'il est question d'Europe de la défense.

Les difficultés de l'entreprise sont indéniables ; l'orientation de Giat vers les activités de maîtrise des systèmes, d'ingénierie et de pilotage des contrats n'est pas contestée. Cependant, il est nécessaire que Giat Industries réalise d'importants progrès pour devenir crédible dans ce domaine. Par ailleurs, concentrer l'entreprise sur ces seuls métiers, en abandonnant ses compétences industrielles et techniques, constitue un pari risqué qui peut conduire à la désorganisation du groupe.

L'organisation juridique de l'entreprise relève d'une logique libérale inacceptable. Le cantonnement des activités jugées non viables dans l'entité Giat S.A. conduit à se séparer d'activités importantes et aboutira à la liquidation organisée de milliers d'emplois. Une autre solution industrielle et sociale est cependant possible.

Le plan de charge étatique doit impérativement être défini par un contrat d'entreprise. Ce dernier devra prévoir un effort important en matière de commandes pluriannuelles et de maintien en condition opérationnelle (MCO), ce qui répond à la préoccupation d'améliorer la disponibilité des matériels militaires. A cette fin, une hausse des crédits budgétaires pour l'année 2004 est nécessaire.

La limitation du recours à la sous-traitance, notamment dans le domaine de la recherche et du développement, peut permettre d'éviter des suppressions massives d'emplois. Enfin, contrairement à ce qui est prévu dans le plan, la diversification doit être encouragée dans les différents bassins d'emploi afin d'éviter de véritables drames sociaux. Des mesures d'âge adaptées devront être mises en place, comme l'indiquait le rapport de MM. Fromion et Diébold.

Un moratoire permettant l'émergence d'une autre approche industrielle et sociale est indispensable. Les salariés ont décidé de se mobiliser pour obtenir l'abandon de ce plan, une plus grande concertation et la préservation de l'emploi. Les décisions prises doivent correspondre aux discours politiques.

M. Joseph Chalayer, représentant la CFE-CGC, a rappelé que, depuis sa création en 1990, Giat Industries connaît des difficultés récurrentes. Des saignées successives ont abouti à des diminutions drastiques d'effectifs sans résultat et le plan qui est actuellement présenté conduira à la disparition des forces vives de l'entreprise. Les mesures de réduction d'effectifs et de fermeture de sites mises en œuvre par les cinq plans successifs n'ont pas permis le redressement de l'entreprise. Ce dernier plan de restructuration réalise un véritable démantèlement de l'entreprise, illustrant la volonté politique de supprimer l'industrie de l'armement terrestre en France. Si la nécessité d'une industrie capable d'assurer le maintien en condition opérationnelle des matériels militaires a été reconnue par la ministre de la défense, le MCO ne peut à lui seul assurer la survie de l'entreprise. Le développement et la production de matériels neufs sont indispensables. Or, le plan présenté ne permet pas d'assurer la pérennité de l'industrie d'armement terrestre française, ce qui contraindra nos armées à des achats de matériels étrangers.

Si des décisions de regroupement de l'industrie terrestre dans le cadre de l'Europe sont nécessaires afin de réaliser des économies d'échelle, les événements internationaux récents démontrent les difficultés à mettre en place l'Europe de la défense. Pour éviter que l'industrie de l'armement terrestre française ne disparaisse au seul profit des groupes américains, le démantèlement de Giat doit être interrompu immédiatement et une concertation doit être engagée.

La CFE-CGC a proposé au président de l'entreprise une solution alternative, dont la viabilité est conditionnée par la volonté ferme de l'Etat de conserver son industrie. Un contrat entre l'Etat et l'entreprise doit être mis en œuvre afin de garantir un certain volume de charge, notamment par des commandes pluriannuelles. L'entretien des matériels doit être confié à Giat de façon systématique, la recherche et le développement doivent être soutenus et les relations entre les différentes parties mieux définies. En effet, l'Etat exige de l'entreprise des performances telles que les matériels produits sont ensuite difficilement exportables. Giat Industries doit être aidée dans sa recherche de contrats d'exportation, qui souvent englobent des prestations ne relevant pas uniquement de l'entreprise.

L'organisation trop centralisée de Giat Industries constitue un handicap. Lourde et coûteuse, la structure de la société déresponsabilise tous les acteurs. Une autre organisation doit être mise en place sur la base des principes suivants : la conservation par Giat Industries de l'ensemble de ses activités, l'intégration de toutes les entités concourant à la réalisation des produits au sein de Giat SA, la conservation de la maîtrise d'œuvre des matériels d'armement terrestre, la simplification des structures et des modes de fonctionnement de l'entreprise, la réorganisation de la fonction commerciale, le développement d'activités civiles, la révision de la politique d'achat de l'entreprise afin de permettre à l'entreprise de réaliser des bénéfices, la conservation d'un effectif minimum pour préserver les compétences nécessaires et la mise en place d'une organisation responsabilisant l'ensemble des salariés et encourageant la prise de risque.

Le projet présenté par la CFE-CGC est conforté par les propositions du rapport de MM. Fromion et Diébold. Les membres de la commission de la défense doivent se mobiliser pour interrompre le plan qui leur a été présenté et pour aider à porter à la tête de cette entreprise une nouvelle équipe dirigeante capable de définir des orientations industrielles porteuses d'avenir.

M. Marc Gougaud, représentant la CFTC, a souligné que l'audition des représentants du personnel avait peut-être lieu un peu tard au regard de la gravité de la situation. Les établissements civils de la défense nationale ont besoin d'une réforme, mais pas d'une révolution. Depuis le changement des statuts, l'Etat s'est désintéressé des établissements de Giat Industries en trahissant ses devoirs régaliens de défense et en conduisant à la perte des savoir-faire industriels nécessaires à l'indépendance des forces armées.

Aujourd'hui, Giat Industries fabrique entre autres le char Leclerc, fleuron de l'industrie de défense terrestre, et dispose de réelles capacités humaines et technologiques malgré toutes les adaptations qui lui ont été demandées. Derrière cette vitrine, des bassins d'emploi se sont développés. Si Giat industries peut encore maîtriser l'ensemble des processus techniques et commerciaux, les usines perdent rapidement de leurs compétences. Des pans entiers de l'industrie d'armement ont été abandonnés au nom de la rentabilité, sacrifiant également le maintien en condition d'une grande partie de l'équipement de nos forces opérationnelles.

Du fait de l'attitude d'un gouvernement qui devrait pourtant être le garant de l'indépendance et de la souveraineté du pays, le projet Giat 2006 va parachever le gâchis de l'industrie de l'armement terrestre et constituer un drame humain pour des milliers de salariés. Des solutions existent, à travers la reconversion et la diversification des activités, mais la volonté manque. Les personnels ont fait les frais de douze années de marasme et d'incurie, y compris dans leurs conditions de travail. Leur seule exigence est de se voir confier du travail au service de leur pays.

M. Jean-Pierre Brat, représentant la CGT, a souligné que le but commun était d'éviter que l'irréparable soit commis et que la France soit privée définitivement d'un outil industriel vital pour assurer l'une des missions régaliennes de l'Etat. En proposant un plan de reconquête industrielle et sociale, la CGT souhaite préserver tous les emplois sur l'ensemble des sites. La stratégie menée depuis plus d'une décennie par les différentes directions s'est révélée nocive. La défaillance de l'Etat est également flagrante. L'annonce brutale de ce nouveau plan a soulevé la colère des salariés et de régions entières, les choix préconisés apparaissant contraires à l'intérêt même de la Nation et remettant en cause l'indépendance de la France. Ce plan est en contradiction avec les objectifs affichés par le Gouvernement, notamment en ce qui concerne le maintien et le développement du groupe.

Si un contrat d'entreprise doit être passé entre l'Etat et Giat Industries, comment la direction peut-elle présenter un plan de restructuration avant même que ce contrat ait été établi et discuté par toutes les parties ? Les vœux pieux ont été balayés par la brutalité de l'annonce faite lundi 7 avril lors du conseil d'administration et du comité de groupe. Après la purge qu'entend administrer le PDG, avec l'aval des représentants de l'Etat au conseil d'administration, Giat Industries n'a plus d'avenir. À la lumière de la situation internationale et des dissensions européennes sur l'opportunité et le contenu d'une défense commune, la France peut-elle se passer d'une entreprise comme Giat Industries, intimement liée à la capacité de la Nation d'assurer son indépendance et sa souveraineté ? Quel impact aurait un affaiblissement supplémentaire de Giat Industries sur les capacités opérationnelles de nos armées ?

Le projet de constitution de Giat Systèmes vise en fait à préparer le désengagement de l'Etat actionnaire et à ouvrir la porte aux capitaux privés. Avec seulement 2 200 salariés à terme, Giat Systèmes ne disposerait plus que d'une entité « systèmes d'armes et blindés » de 1 500 salariés et d'une entité munitionnaire de 500 salariés environ. Cette taille est insuffisante pour faire face aux besoins. L'impact du programme VBCI sur les résultats et l'activité de la société est passé sous silence. Le plan présenté n'est ni économique, ni industriel. Il conduit à s'interroger sur la capacité de la France à assurer les productions nécessaires à sa défense, ce souci existant aussi au sein du ministère de la défense, comme en témoigne la note interne d'un contrôleur des armées. Le plan présenté aura un impact social considérable en raison de la place des établissements de Giat dans le tissu économique local à un moment où le chômage augmente de façon spectaculaire. La suppression de 4 000 emplois dans Giat industries conduit au sacrifice d'au moins 15 000 emplois induits. Les perspectives de reclassement dans la fonction publique ou au ministère de la défense paraissent aussi hypothétiques que les reclassements externes.

La CGT demande un plan industriel sérieux, préparant l'avenir de l'entreprise, tournant le dos aux douze années d'une gestion catastrophique qui a ignoré la véritable richesse de l'entreprise que sont les salariés. Il est urgent de stopper la stratégie d'une direction sourde et aveugle avant que l'irréparable soit commis. Les salariés demandent au Parlement de refuser de cautionner la casse programmée de l'outil de défense et d'intervenir auprès du Gouvernement et du Président de la République. Le comité central d'entreprise prévu le 16 avril prochain doit être annulé et le plan du PDG purement et simplement retiré, afin que soit menée une étude sérieuse de l'activité prévisible ainsi que des moyens industriels et humains nécessaires.

M. Robert Carigi, représentant FO, a souligné la situation difficile qui attendait les personnels et l'inquiétude terrible des familles. Contrairement aux promesses faites, les reclassements et mesures sociales n'apportent aucune garantie, comme l'attestent les difficultés rencontrées par les salariés concernés par les précédents plans sociaux. La moyenne d'âge des personnels de Giat est actuellement de 48 ans et ne laisse que peu de perspectives en dehors de l'ANPE. Après vingt ans de mensonges, les salariés de Giat ne peuvent qu'être en colère. Ils ne sauraient porter la responsabilité du mauvais fonctionnement de l'entreprise, résultat des erreurs accumulées par des dirigeants incompétents et peu au fait de la réalité des ateliers.

Les personnels aiment leur travail et ne peuvent qu'être désespérés par la sanction qu'on leur inflige aujourd'hui. La stratégie choisie par le Gouvernement et la direction doit être revue. Au nom de quelle logique industrielle peut-on prétendre que la présence de deux sites dans la Loire n'est pas viable ? Le cœur de métier de l'entreprise est constitué par le char Leclerc et toute diversification impose une réorganisation, mais cela suppose une direction compétente. La fabrication d'un télescope spatial a été menée à son terme avec succès, certes au prix de pertes financières. Une fois l'expérience acquise dans ce domaine, il aurait été judicieux de poursuivre dans cette voie. Au lieu de cela, la direction a décliné l'offre de fabrication d'un deuxième appareil au motif qu'il ne s'agissait pas du « cœur de notre métier ». D'autres possibilités de diversification civile, notamment dans le domaine du forage pétrolier, n'ont pas abouti pour les mêmes raisons. L'Etat non plus n'a pas su montrer l'exemple, en consacrant des sommes considérables aux restructurations successives. Des déplacements incessants d'activités sans fondement industriel ne peuvent qu'aboutir à casser l'outil industriel et non à créer des emplois. Il y a actuellement plusieurs catégories de salariés dans l'entreprise, il convient de les traiter sur un plan égalitaire et ne pas en sacrifier certaines au profit d'autres. Trop d'expériences malheureuses ont déjà été vécues dans le passé.

Mme Chantal Robin-Rodrigo a indiqué avoir entendu la révolte des salariés ainsi que les propositions alternatives présentées par les syndicats et soutenues par les élus locaux. A cette fin, un moratoire a été demandé aux autorités de l'Etat et notamment au Président de la République, sans succès. Il est pourtant nécessaire d'étudier de façon détaillée ces propositions alternatives avant de réorganiser Giat en profondeur. Qu'en est-il par exemple des 500 emplois évoqués par la CFDT dans le cadre des activités de maintien en condition opérationnelle (MCO) ? S'agirait-il d'emplois nouveaux ou déjà existants sur les sites ?

Quoi qu'il en soit, les élus de Tarbes sont bien décidés à continuer à soutenir la demande des salariés en vue de l'obtention d'un moratoire.

M. Yves Nicolin s'est interrogé sur la capacité des 175 employés de production restant sur le site de Roanne à terminer la commande de chars Leclerc, à assurer le MCO des blindés et à engager en même temps la fabrication du VBCI. Par ailleurs, la stratégie engagée depuis 1989 ne tient pas suffisamment compte de la dimension internationale. Il paraît nécessaire d'engager une concertation plus large avant de prendre une décision irréversible pour le devenir de l'entreprise.

M. Pascal Clément a fait part du scepticisme que l'écoute des syndicats lui faisait éprouver à l'égard du plan de la direction de Giat Industries. Cette direction est la même que celle qui a élaboré le précédent plan, qui s'est avéré être un échec ; ce n'est pas un facteur de confiance pour le nouveau plan. Des problèmes récurrents dans l'exercice des responsabilités au sein de l'Etat sont aussi récemment réapparus. Les remises en cause de la définition du VBCI qui ont accompagné le changement de chef d'état-major des armées montrent qu'une clarification des responsabilités est nécessaire.

Le précédent plan avait justifié la fermeture du site de Saint-Etienne, l'un des trois sites du département de la Loire, au motif que cette fermeture permettrait la pérennisation du site de Saint-Chamond. Or, aujourd'hui, est annoncée la fermeture du site de Saint-Chamond, malgré d'excellents résultats en matière de productivité. On peut comprendre le découragement des personnels.

Giat Industries ne pouvait rester en l'état. Des mesures devaient être prises. Il est d'usage, dans le monde industriel, qu'une direction responsable d'un échec soit changée. La seule ambition de ce plan repose sur la sécurisation des commandes de l'Etat ; l'expérience montre que ces bases sont pour le moins fragiles. Depuis des années, aucun nouveau produit n'a été créé par Giat Industries. Cette situation, unique dans l'industrie, montre la faillite de la direction et des cadres ; une réforme de Giat Industrie au niveau de son management, de ses ingénieurs et de son secteur commercial paraît indispensable. Le plan actuel ne comporte aucun aspect dynamique. Il doit donc être remplacé, non par un moratoire, mais par un projet crédible.

M. Gérard Charasse a indiqué qu'il partageait l'angoisse des salariés de Giat Industries et de sa filiale Manurhin. En vingt ans, celle-ci a vu fondre ses effectifs de 2 500 à 375. Les perspectives sont désormais celles d'une fermeture totale d'ici trois ans. Or, beaucoup de rapports, dont celui de MM. Yves Fromion et Jean Diébold, ont prouvé que l'entreprise était viable. Toutefois, la baisse des commandes de l'Etat a profondément perturbé le plan de charge de Manurhin et la surfacturation par Giat des produits réalisés par sa filiale a rendu cette dernière peu compétitive à l'exportation. Selon la ministre de la défense, la marge de négociation concerne les aspects sociaux, mais pas l'orientation industrielle ou l'aménagement du territoire. Le plan actuel n'est bon ni sur le plan social, ni sur le plan de l'aménagement du territoire et il est illusoire de penser que, dans un bassin d'emploi comme celui de Cusset qui compte 13 % de chômeurs, des solutions alternatives pourront être proposées aux salariés licenciés.

M. François Rochebloine a indiqué qu'il ne pouvait que partager l'inquiétude et l'angoisse des personnels de Giat Industries. Espérant que le président-directeur général de Giat Industries et la ministre avaient entendu les propos tenus, il a rappelé que le rapport de MM. Fromion et Diébold avait montré la viabilité de l'entreprise. La responsabilité première de sa situation est imputable aux erreurs des pouvoirs publics et le personnel n'a pas à en supporter les conséquences. Ce plan prépare la septième et dernière restructuration, celle de la disparition de Giat Industries, et doit à ce titre être rejeté. Le président-directeur général de la société, dont l'augmentation de salaire de 330 000 francs par an est immorale, doit céder sa place.

M. Pierre Forgues s'est déclaré stupéfait, au-delà du drame humain qui résultera du plan présenté, du manque de dialogue entre la direction de Giat Industries ou sa tutelle et les représentants des salariés. En l'absence de stratégie dans la fabrication d'armement terrestre en France, les salariés de Giat ne doivent pas être transformés en boucs émissaires. C'est pourquoi il faut appeler à la reprise du dialogue. On ne peut créer une situation qui aboutira à priver la France de toute industrie d'armement terrestre. L'ensemble du plan de restructuration doit être revu et les dirigeants qui ont échoué doivent partir.

M. Jean-Claude Sandrier a indiqué que plusieurs arguments plaidaient en faveur d'un moratoire. L'absence de concertation préalable à la présentation du plan n'a pas permis de proposer d'éléments d'amélioration. Le plan de charge étatique doit être réévalué : si certains se sont vantés de la progression du budget de la défense, celle-ci recouvre une diminution de la commande annuelle de l'Etat en armements terrestres qui est passée de 600 millions d'euros par an pendant la précédente programmation militaire à 270 millions d'euros dans l'actuelle programmation.

L'évolution de la situation internationale montre la nécessité d'une réflexion nouvelle sur la stratégie de défense de la France. Cette réflexion, qui n'a pas été prise en compte lors de l'élaboration du plan de Giat Industries, peut avoir pour conséquence une réorientation d'une partie du budget de la défense nationale.

La ministre de la défense n'a pas répondu de manière satisfaisante à toutes les questions qui lui ont été posées. A la question relative au maintien de la capacité de Giat Industries à produire des chars lourds, la ministre a répondu que le lancement d'un nouveau programme n'était pas d'actualité, le char Leclerc devant servir encore au moins 25 ans. Or, dans ce domaine, les délais d'étude sont tels qu'ils nécessitent un travail très en amont. La ministre a également indiqué que les achats « sur étagère » à l'étranger seraient désormais limités par la mise en œuvre de plans pluriannuels. Cette affirmation méritera d'être vérifiée. La ministre a assuré que le Gouvernement travaillait à l'affirmation d'une politique de préférence communautaire dans le domaine de l'armement, mais aucune assurance n'a été donnée sur le fait que l'essentiel de la production du VBCI et du canon Caesar serait confié à Giat Industries.

Enfin, si un rendez-vous a bien été manqué, c'est, il y a quinze ans, celui d'un double développement militaire et civil des capacités industrielles de Giat. Cette diversification doit être reprise. L'ampleur et la profondeur des mesures annoncées interdisent d'agir dans la précipitation et méritent quelques semaines supplémentaires de réflexion.

M. Yves Fromion a rappelé que, si les dépenses d'armement terrestre, sous la précédente loi de programmation militaire, s'élevaient à 600 millions d'euros par an, la plus grande partie de cette somme était imputable au char Leclerc. Maintenant que ce programme est terminé, la nouvelle loi de programmation prévoit 270 millions d'euros de dépenses annuelles moyennes d'armements terrestres contre 240 millions d'euros hors Leclerc auparavant. La difficulté pour Giat vient du fait qu'aucun grand programme ne succède au char lourd, hormis le VBCI qui ne représente que 20 % du Leclerc et dont les premiers exemplaires ne sortiront des chaînes qu'à l'horizon 2007-2008.

Le rapport parlementaire sur la situation de Giat Industries auquel il a été fait allusion n'a pas conclu à la viabilité de l'entreprise en l'état, mais a souligné l'immense atout qu'elle représente pour le pays, ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait pas d'adaptation à apporter. Cependant, l'amertume et le dépit éprouvés par les salariés, confrontés à des erreurs et des insuffisances répétées, sont parfaitement compréhensibles.

Le rapport d'information n'a présenté aucune proposition susceptible d'avoir inspiré le plan de restructuration. Il s'est borné, plus modestement, à tracer quelques pistes et à amorcer une réflexion. La reconfiguration des effectifs n'est pas de nature à faire disparaître l'entreprise. Elle était inévitable et ressentie comme telle par tous les interlocuteurs rencontrés, y compris par les syndicats qui souhaitaient qu'un plan social ambitieux l'accompagne.

Cette position a été plaidée auprès de la ministre de la défense qui a fini par admettre, en dépit d'une position de principe, que certaines mesures d'âge pourraient être envisagées au cas par cas, afin de tenir compte des situations les plus difficiles. Il semble évident que le volet social du plan devra être modulé en fonction des réalités locales, certains bassins étant d'évidence davantage mis en difficulté que d'autres.

Le contrat d'entreprise figure parmi les propositions du rapport d'information sur la situation de Giat. Il peut néanmoins paraître surprenant que le nouveau plan ait été annoncé avant que ne soit présenté le contenu de ce contrat. La charge relative au maintien en condition opérationnelle (MCO) confiée à Giat s'arrêtera-t-elle au Leclerc et au VBCI ou inclura-t-elle l'artillerie ou l'AMX 10 P ? Combien de canons Caesar seront commandés ? Quel sera le niveau des commandes pluriannuelles en matière de munitions ? Des clarifications devront être apportées. Le ministère semble garder un certain nombre de portes ouvertes à la négociation.

La délocalisation du siège de Satory était, à l'origine, un sujet tabou. Aujourd'hui, il est admis que certains moyens d'essais seront transférés à Roanne. Au-delà des considérations relatives à la réticence des cadres, le transfert en province des activités du siège serait porteur d'un symbole fort.

La recherche d'alliances, françaises ou européennes, figurait déjà dans le précédent plan stratégique économique et social (PSES) de 1998. Or, rien n'a été fait. Le plan qui est présenté aujourd'hui n'apporte aucun élément sur une telle alliance qui pourrait s'inspirer de ce qui a déjà été réalisé dans le secteur aéronautique. Ne rien envisager dans ce domaine revient à condamner Giat.

Faut-il pour autant réclamer un moratoire ? Tous les interlocuteurs rencontrés lors de l'élaboration du rapport sur la situation de Giat Industries ont insisté sur la nécessité que soit prise une décision. Ce plan, demandé par le précédent gouvernement à l'actuelle direction de l'entreprise, présente au moins l'avantage d'ouvrir le débat.

Le président Guy Teissier a déclaré partager l'émotion des représentants du personnel de Giat, entreprise qui dépend d'un actionnaire et client unique, l'Etat.

Cette société reste soumise aux exigences de l'armée de terre dont les demandes, transmises par l'intermédiaire de la DGA, complexifient la conception des engins et renchérissent les coûts. Cela est regrettable au regard de la qualité des produits fabriqués : char Leclerc, fusil FAMAS...

L'évolution géostratégique ne doit pas être pour autant occultée : la disparition d'un monde bipolaire a conduit à la réduction du nombre de blindés en service dans l'armée française. En quelques années, 1 500 AMX 30 ont été remplacés par 406 Leclerc.

La situation financière de Giat a nécessité, depuis 1990, des recapitalisations d'un montant d'environ 3 milliards d'euros, ce qui représente 50 % de ce qui a été versé au Crédit lyonnais. Cette situation financière difficile empêche aujourd'hui Giat de nouer des alliances industrielles pourtant indispensables à sa survie.

Le président de la commission de la défense se fera donc l'interprète de ses collègues auprès de la ministre de la défense dans le cadre des négociations qui ont été annoncées. Si l'idée d'un moratoire n'était pas retenue, deux rapporteurs d'information, l'un de la majorité et l'autre de l'opposition, seraient nommés afin de suivre la mise en place des mesures sociales d'accompagnement.

M. André Golliard a estimé qu'un suivi du volet social devait être accompagné d'un suivi du devenir industriel du groupe.

Le président Guy Teissier a répondu que ce suivi en matière industrielle serait assuré par la mission d'information créée par la commission sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense.

M. Jean-Pierre Brat a insisté sur la nécessité d'obtenir un moratoire. Il ne peut y avoir de plan social sans la connaissance préalable du contenu du contrat d'entreprise. Or, contrairement à DCN, le contenu précis du contrat d'entreprise ne sera défini qu'a posteriori. Pour l'élaboration de son plan, M. Vigneron a déterminé la taille des effectifs des sites en se référant au ratio entre salariés et chiffre d'affaires d'entreprises comparables, sans prendre suffisamment en compte les spécificités de Giat. La charge de travail de Giat pour 2003 est suffisante, rien n'interdit de se donner le temps de négocier.

M. Didier Périchon, représentant la CGT, a indiqué que les syndicats étaient convoqués dès le 16 avril pour la présentation du projet devant le comité central d'entreprise et que le plan était donc déjà lancé. Si les élus soutiennent l'idée d'un moratoire, ils doivent intervenir au plus vite.

M. Robert Carigi a souligné que les interrogations soulevées par la décision prise par le Gouvernement nécessitaient un moratoire afin de revoir le plan de la direction et qu'il fallait tenir compte du désespoir des salariés.

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Informations relatives à la commission

La commission a nommé M. Philippe Vitel rapporteur pour la proposition de loi de M. Jean-Pierre Giran relative à la représentation au sein du conseil d'administration et des instances représentatives des fonctionnaires, des agents sous contrat et des ouvriers de l'Etat mis à la disposition de l'entreprise nationale DCN en application de l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 (n° 735).

La commission a nommé MM. Guy Teissier et Jean-Louis Léonard rapporteurs d'information sur les réserves.

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