COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 octobre 2003
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de l'amiral Jean-Louis Battet, chef d'état-major de la marine, sur le projet de loi de finances pour 2004 (n° 1093)


2

- Examen de l'avis budgétaire marine (M. Charles Cova, rapporteur pour avis)

9

Audition de l'amiral Jean-Louis Battet, chef d'état-major de la marine, sur le projet de loi de finances pour 2004.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu l'amiral Jean-Louis Battet, chef d'état-major de la marine, sur le projet de loi de finances pour 2004 (n° 1093).

Indiquant que le projet de loi de finances initiale pour 2004 alloue à la marine, titres V et III confondus, 5 834 millions d'euros, soit une augmentation de 7,4 % en euros courants par rapport à 2003, l'amiral Jean-Louis Battet a observé que les objectifs fixés par les plus hautes autorités de l'Etat seraient maintenus. Ce budget permettra ainsi de poursuivre la modernisation et le redressement du maintien en condition opérationnelle des bâtiments, sans pour autant exonérer la marine d'un effort de maîtrise de ses dépenses de fonctionnement.

Pour la deuxième année consécutive, les dotations budgétaires consacrées aux investissements sont conformes aux dispositions de la loi de programmation militaire 2003-2008. Cette appréciation doit néanmoins être mise en perspective avec l'exécution du budget pour 2003, qui, s'il a permis d'atteindre sans trop de difficultés les grands objectifs de la première annuité de la programmation militaire, reste marqué par les conséquences du changement de statut de DCN, le 1er juin.

La marine a soutenu cette démarche, dont la réussite conditionne très directement celle de la loi de programmation militaire. Il est vital que DCN améliore sa productivité et conquière de nouveaux marchés, ce qui suppose un carnet de commandes suffisant, une organisation performante et des processus réactifs, notamment en matière de facturation. Or, c'est justement ce dernier point qui conditionne le résultat de la gestion de l'exercice 2003, avec de possibles répercussions sur le budget pour 2004. Le changement de statut de DCN ayant conduit à une interruption des facturations pendant plusieurs mois, certains crédits du budget 2003 pourraient ne pas être consommés alors que les prestations de DCN ont été réalisées. Il faudra absolument les reporter sur l'exercice 2004, afin de ne pas obérer l'équilibre de celui-ci au moment où la société DCN devra être effectivement payée.

Il apparaît également indispensable de doter la marine, en loi de finances rectificative de fin d'année, des crédits de paiement nécessaires à la compensation du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et au financement du volet industriel de la transformation de DCN, comme cela était prévu lors de l'élaboration du projet de loi de finances initiale pour 2003. Une disposition identique devra d'ailleurs être mise en œuvre en 2004 au niveau des autorisations de programme afin de respecter la neutralité fiscale prévue par la loi de programmation militaire, car les capacités de la marine à passer ses commandes à DCN en dépendent.

Les crédits de paiement du titre V du budget de la marine, qui s'élèvent à 3 838 millions d'euros, affichent une augmentation de 12,2 % en euros courants par rapport à 2003. La modernisation de la flotte classique se poursuivra, grâce notamment à 1 100 millions d'euros consacrés aux fabrications nouvelles et plus particulièrement aux capacités de projection.

Dans le domaine de la projection de puissance, le programme Rafale au standard F 2 et celui des frégates antiaériennes Horizon seront les principaux bénéficiaires de ces crédits, afin de renforcer les moyens de protection et de frappe du groupe aéronaval. En outre, les études préliminaires relatives au deuxième porte-avions continueront, financées par des crédits d'études amont. Le choix de l'option retenue sera fait prochainement, le développement du programme devant commencer en 2005.

Pour ce qui concerne la projection des forces, la fabrication des bâtiments de projection et de commandement (BPC) respectera son calendrier, avec une mise en service du premier bâtiment, le Mistral, fin 2005.

Le renouvellement des unités qui constituent le cœur de la marine s'engagera avec le début de la réalisation, en coopération avec les Italiens, des frégates multimissions, dont les quatre premiers exemplaires seront commandés en 2004. Le projet de sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda suivra son cours et quatre chasseurs de mines modernisés ainsi que soixante-quinze torpilles MU 90 seront livrés, au titre de la cohérence opérationnelle.

La force océanique stratégique (FOST) disposera, quant à elle, de 859 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 16 % en valeur, ce qui correspond à la livraison du troisième sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG), Le Vigilant, et à l'accélération de la construction du quatrième exemplaire, Le Terrible.

Parallèlement, l'effort budgétaire consenti en faveur du maintien en condition opérationnelle des bâtiments sera poursuivi, puisque les crédits de paiement prévus à cet effet augmenteront de 14 % en volume, à 994 millions d'euros. Il reste que, malgré un début d'amélioration essentiellement dû à la prise en charge de la gestion des rechanges par la marine et à une mobilisation accrue de l'encadrement de DCN, le redressement total de la disponibilité de la flotte sera plus long qu'escompté. De toute manière, les crédits affectés à cette priorité ne pourront plus guère augmenter, puisqu'ils atteignent 26 % des ressources de la marine et ne sauraient obérer le renouvellement de la flotte.

L'aspect le plus contraignant du budget d'investissement de la marine est sans conteste l'ampleur des charges issues du changement de statut de DCN. Le budget de la défense supportera, sous enveloppe, un coût de 330 millions d'euros, auxquels il faut ajouter 129 millions d'euros au titre de la compensation des taxes désormais applicables aux prestations de DCN. Le budget de la marine se verra imputer l'essentiel de ces coûts. En prenant en considération d'autres charges nouvelles partagées entre toutes les autres armées, ce sont globalement 330 millions d'euros qui affectent l'enveloppe globale du titre V de la marine. Si les reports des crédits non dépensés fin 2003 n'étaient pas accordés, la marine se retrouverait dans une situation extrêmement difficile.

Les autorisations de programme s'élèveront à 4 738 millions d'euros, en augmentation de 16,7 % en valeur par rapport à 2003. Les commandes prévues pourront être passées, mais la réalisation des objectifs de la loi de programmation militaire imposera de consommer une part significative de la réserve d'autorisations de programme non engagées en fin d'année, avec d'inévitables répercussions sur la gestion 2005. Il n'existe plus de marges de manœuvre sur le déroulement des programmes.

Doté de 1 996 millions d'euros, le titre III du budget de la marine diminuera de 0,6 % en valeur, ou 2,1 % en volume. Cette évolution répond à la volonté de la ministre de la défense de faire participer les armées à l'effort général, sans pour autant compromettre la restauration de leurs capacités militaires.

Pour mener ses missions au meilleur coût, la marine modernise son organisation et ses modes de gestion. Des économies seront notamment dégagées sur les produits pétroliers, la communication, les frais de déplacement temporaire et l'alimentation. L'extension des mesures d'externalisation devrait également engendrer des économies. Enfin, le financement de l'entretien programmé des matériels ne sera plus imputé sur le titre III et les charges correspondantes seront prises sous enveloppe.

Avec 10 291 agents, les effectifs civils de la marine affichent une hausse apparente de 230 postes. En fait, cette augmentation aurait dû être de 382 emplois pour tenir compte de l'accueil de personnels de DCN. Sur les 152 postes manquants, qui constituent une seconde source d'économie, 52 résultent du non-remplacement de personnels civils partant en retraite, les autres étant liés à des redistributions vers d'autres services de la défense. Les effectifs militaires diminueront, quant à eux, de 136 postes. Avec 44 131 personnes, ils atteignent un chiffre plancher, qui devrait augmenter à partir de 2005 grâce au rattrapage progressif des 250 postes non obtenus en 2002 pour clore la phase de professionnalisation. Cette remise à niveau permettra d'atténuer les tensions, qui sont de plus en plus sévères en raison d'un accroissement des demandes en personnels qualifiés, notamment officiers, pour les instances interarmées ou internationales. Pour la première fois, la dotation des rémunérations et charges sociales a été calculée sur la base des effectifs réalisés, soit un sous-effectif de 3 %.

Le titre III du budget de la marine comporte d'indéniables sujets de satisfaction, comme la poursuite de l'effort au profit du plan d'amélioration de la condition militaire qui sera doté des 10 millions d'euros prévus. Il en est de même de l'accroissement des crédits destinés au fonds de consolidation de la professionnalisation et à la réserve opérationnelle, dont les ressources augmenteront respectivement de 7,7 millions d'euros et de 3,7 millions d'euros. Enfin, de nouvelles actions d'externalisation pourront être engagées grâce à une enveloppe de 5 millions d'euros supplémentaires.

Dans la logique de la réforme de l'Etat, la marine a décidé d'élargir le champ de la déconcentration, puis de simplifier les tâches administratives en facilitant le dialogue entre les forces et l'état-major central. La déconcentration porte tout à la fois sur la gestion d'une partie des ressources humaines et sur la gestion des moyens financiers par les commandants de forces. Dans le premier cas, elle permettra de mieux concilier les intérêts des marins avec ceux de leur hiérarchie, alors que la déconcentration financière favorisera une plus grande responsabilisation budgétaire des commandants de forces et des commandants territoriaux.

L'efficacité de cette réforme suppose une évolution des modes de management et une bonne connaissance des coûts. C'est dans cette perspective que la marine s'est attachée, depuis deux ans, à développer une démarche de contrôle de gestion à tous les niveaux, complétée par une démarche concernant la qualité, qui se traduit déjà par la certification d'une vingtaine d'unités, notamment dans le domaine du soutien. Ces démarches seront complétées par la mise en place progressive d'un outil de connaissance analytique des coûts, dont la première phase, liée à la capacité de facturation aux unités, interviendra en 2004. Ces évolutions doivent, à terme, aboutir à une déconcentration de fait de certaines décisions, qui n'avaient que trop tendance à remonter jusqu'à Paris.

Enfin, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), du 1er août 2001, la marine, à l'instar des autres armées, va mener une expérimentation de globalisation des crédits au sein d'une formation, le centre d'instruction navale (CIN) de Saint-Mandrier. Pour ce faire, les crédits de rémunérations et charges sociales des personnels civils et militaires (hors élèves), les crédits de fonctionnement et certains crédits du titre V ont été regroupés sur deux articles d'un chapitre spécifique. C'est ce qui explique certaines des évolutions du titre III. Dans l'optique de la mise en œuvre de la fongibilité asymétrique, le commandant du CIN aura une certaine latitude pour redéployer ses crédits en cours de gestion. Cette expérimentation doit être comprise comme un laboratoire destiné à bien définir les mécanismes de gestion qui seront mis en œuvre avec la LOLF.

Pour conclure, l'amiral Jean-Louis Battet s'est montré satisfait de la poursuite de l'effort consenti, qui confirme la volonté de réaliser la loi de programmation militaire. Cette satisfaction doit toutefois être tempérée par le volume des charges qu'il faut prendre sous enveloppe du titre V. Plus encore que les années précédentes, l'exécution budgétaire en 2004 sera extrêmement sensible aux conditions de la fin de gestion de 2003. Pour éviter d'accroître les tensions qui se développent sur les objectifs de la programmation militaire, il faudra réexaminer objectivement la possibilité de recourir à des financements innovants pour le programme des frégates multimissions. Cette formule serait particulièrement bien adaptée au franchissement d'une « bosse » budgétaire liée à la remise à niveau de DCN, normalement suivie par une baisse des coûts et donc des prix.

Le président Guy Teissier a souhaité connaître la nature et le montant des dépenses pour 2003 qui nécessiteront l'ouverture de crédits en loi de finances rectificative de fin d'année.

L'amiral Jean-Louis Battet a précisé que la date du changement de statut de DCN n'étant pas connue avec précision lors de l'élaboration du budget pour l'année 2003, le financement de la compensation des taxes désormais applicables aux prestations de DCN n'avait été pris en compte dans la loi de finances initiale qu'au niveau des autorisations de programme. Cette « neutralité fiscale » du changement de statut de DCN nécessite 119 millions d'euros de crédits de paiement pour l'année 2003. Il faut y ajouter 69 millions d'euros pour le financement du volet industriel de la réforme de DCN.

M. Gilbert Le Bris a demandé des précisions sur le déroulement du programme de second porte-avions, alors que des études sont en cours afin de définir les options retenues par la France. Soulignant la nécessité de prendre une décision dans des délais raisonnables, il a souhaité connaître l'état d'avancement du programme et la chronologie de son déroulement.

Il a ensuite évoqué le renouvellement des remorqueurs de haute mer affrétés par la marine et a rappelé que la candidature de la société Les Abeilles International, dont les compétences sont largement reconnues, a été retenue. Il est actuellement envisagé que les deux remorqueurs soient construits par un chantier naval norvégien. M. Gilbert Le Bris a mis en avant la portée symbolique que revêtirait une telle décision, alors que ces bâtiments sont destinés à assumer des missions de service public, que leur construction donnera lieu à l'application de mesures fiscales favorables et que les chantiers français disposent d'un savoir-faire reconnu dans un tel domaine. Précisant que la différence de coût constatée entre les chantiers norvégien et français s'élève à 10 % seulement, il a demandé si les implications résultant du choix de l'option norvégienne avaient fait l'objet d'une analyse suffisamment poussée par l'état-major de la marine.

L'amiral Jean-Louis Battet a souligné que les études actuelles sur le choix de la propulsion du second porte-avions ne devaient pas occulter l'essentiel, c'est-à-dire le choix par le Gouvernement de construire un tel bâtiment. Il s'est félicité d'avoir demandé la conduite de trois études sur les options envisagées, tout en soulignant que c'est à la délégation générale pour l'armement (DGA) qu'il incombe d'analyser les différentes offres commerciales, dont le périmètre est parfois mal connu, sur la base de critères objectifs. Pour ce qui concerne l'opportunité d'une coopération avec le Royaume-Uni sur ce programme, les spécifications retenues par les autorités britanniques sont en cours d'évolution et sans doute le tonnage des futurs porte-avions de la Royal Navy sera-t-il revu à la baisse, ce qui favoriserait une coopération avec la France et permettrait alors de réaliser des économies d'échelle. De toute manière, il apparaît nécessaire que la décision française n'intervienne pas trop tardivement, de façon à clore un débat trop envenimé et de nature à perturber l'idée même du deuxième porte-avions.

Le chef d'état-major de la marine a ensuite mis en exergue l'importance de l'effort consenti par la marine pour le renforcement des remorqueurs de haute mer qu'elle affrète, leur nombre devant passer de deux à quatre. Le marché de construction n'a pas encore été notifié, mais les procédures ont été scrupuleusement respectées. L'état-major de la marine ne peut intervenir dans le déroulement de l'appel d'offres sans tomber sous le coup de la loi. D'ailleurs, les remorqueurs actuels ont déjà été construits par les chantiers norvégiens qui sont en lice dans l'appel d'offres.

M. Jean-Yves le Drian a évoqué la prise en charge par la marine de dépenses résultant du changement de statut de DCN. Après avoir souligné que la dotation en fonds propres de la nouvelle société était satisfaisante, il a demandé ce qu'incluaient les dépenses de 330 millions d'euros assumées par la marine en 2004, notamment en ce qui concerne le financement de la capitalisation de DCN, et si cette somme était appelée à perdurer dans les prochains budgets de la marine. Pour ce qui concerne le programme de frégates multimissions, qui devrait être mené en coopération franco-italienne, il a souhaité savoir s'il existait des divergences de préconisations techniques entre les états-majors français et italien qui pourraient perturber le lancement du programme. Enfin, après s'être félicité de ce que le débat récurrent sur la création de garde-côtes français soit désormais clarifié, l'organisation maritime française ne faisant plus l'objet de remises en cause, il a voulu avoir des précisions sur les modalités de l'action de l'Etat en mer, dont l'importance a été de nouveau mise en lumière lors du naufrage du pétrolier Prestige.

L'amiral Jean-Louis Battet a indiqué qu'il avait été décidé que le ministère de la défense et le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie prendraient chacun à sa charge la moitié des dépenses nécessaires à la transformation de DCN, le ministère de l'économie ayant vocation à financer la dotation en capital et une partie importante de l'insuffisance des actifs de la nouvelle société et le budget de la défense, pour sa part, prenant en compte les encours non contractualisés, d'importants travaux de remise à niveau des infrastructures ainsi que le plan social de DCN qui vient compléter le fonds d'adaptation industriel qui existait déjà. Le coût des assurances s'est tardivement ajouté au montant global de l'opération, alors qu'il va peser lourdement sur les prix. Au total, ce sont donc 330 millions d'euros qui sont prévus, au titre de la transformation de DCN, dans le titre V du budget pour 2004. Cette enveloppe représente la première des cinq annuités prévues, les deux suivantes étant, avec elle, les plus lourdes. La neutralité fiscale prévue est assurée par une compensation intégrale du montant des taxes supplémentaires qui s'appliquent à présent à DCN ; elle n'est pas comprise dans ce total.

Quatre commandes de frégates multimissions sont prévues en 2004. La marine italienne a très récemment décidé de reprendre les négociations sur les spécifications et le dialogue entre les états-majors a beaucoup progressé. Les industriels sont désormais au pied du mur. Le dossier peut donc être de nouveau abordé avec un optimisme prudent.

En matière de sécurité maritime, il convient de rappeler tout ce qui a été réalisé depuis deux ans pour répondre aux défis posés par l'immigration clandestine, par l'augmentation du trafic de drogue aux Antilles et les conséquences des attentats du 11 septembre 2001. D'importants moyens ont été affectés à ces tâches : une permanence de frégate a été assurée pendant un an au large des côtes libanaises pour lutter contre l'immigration clandestine et 40 % du temps d'utilisation d'une frégate est désormais dévolu aux patrouilles au large des Antilles. La réallocation des moyens de la marine s'est aussi traduite par le réarmement ininterrompu de certains sémaphores, la commande de vingt-quatre vedettes de gendarmerie maritime, celle de deux remorqueurs supplémentaires. Enfin, les moyens basés outre-mer ont été renforcés. La marine a vocation à intervenir en haute mer, elle intervient aussi dans les eaux territoriales et adjacentes avec les autres administrations sous l'autorité des préfets maritimes, dont les pouvoirs de coordination viennent d'être renforcés. Le système ainsi mis en place est sans doute le moins cher en raison de l'absence de duplication des moyens et des chaînes de commandement. On notera que les Espagnols sont intéressés par l'organisation française pour la surveillance de leurs côtes et que les Américains réfléchissent actuellement à la possibilité de réaffecter les moyens des garde-côtes pour partie à l'US Navy, pour partie à la Homeland Defense.

M. Bernard Deflesselles a souligné les avantages du modèle français de sauvegarde maritime, qui donne un rôle prépondérant à la marine. Sa récente participation, en tant qu'observateur, à la tenue d'un important exercice de lutte antipollution en Méditerranée lui a permis de juger sur le terrain de la qualité du dispositif. Il a demandé si la marine sera en mesure d'atteindre le taux cible de disponibilité des matériels, fixé à 63 %, ainsi que le taux cible d'entraînement de cent jours à la mer.

L'amiral Jean-Louis Battet a indiqué que le taux de disponibilité des matériels s'améliorerait progressivement avec l'arrivée de moyens modernes de gestion des rechanges. Il reste cependant des problèmes, comme en témoigne l'indisponibilité actuelle des sous-marins nucléaires d'attaque, notamment en raison de l'absence de pompes de rechange, qui sont en cours de commande. Les objectifs de disponibilité des matériels, qui se situent à des niveaux raisonnables, seront atteints, de même que ceux qui concernent l'entraînement des équipages et des bâtiments. Sur les cent jours à la mer, la part consacrée à l'outre-mer est destinée à s'accroître, notamment en raison de la décision gouvernementale de mettre l'accent sur la surveillance des pêches en Polynésie.

M. Jean-Michel Boucheron a souhaité savoir quel est l'état des moyens de transmission de données de la marine, fortement sollicités lors d'opérations de projection dans le cadre de coalitions, et quelles sont les principales insuffisances, les nécessités de renforcement des moyens satellitaires et les capacités interarmées de la marine.

L'amiral Jean-Louis Battet a relevé que la victoire américaine en Irak résultait largement de la rapidité et des capacités offertes par les systèmes de télécommunications modernes. La guerre du futur est une guerre en temps réel. Afin de maîtriser davantage ce domaine capital, il a été décidé de créer le service des systèmes d'information de la marine (SERSIM), en regroupant les diverses structures s'occupant jusqu'ici des transmissions et des télécommunications. Il devrait permettre une gestion plus globale des systèmes d'information et de communication, à terre et en mer.

Dans le cadre de la prise de commandement par la France de la Task Force 150 (TF 150), au large des côtes somaliennes, un crash programme a été mis en œuvre sur la frégate de lutte anti-sous-marine Tourville, de manière à permettre au commandement opérationnel de disposer de moyens efficaces. Ce système apparaît tout à fait remarquable aux alliés, y compris américains. Il reste que c'est un domaine où il reste beaucoup à faire et où les investissements seront importants. La marine dispose toutefois d'une importante expérience d'intégration dans des dispositifs multinationaux, comme l'a prouvé l'opération Héraclès au large de l'Océan indien.

M. Philippe Vitel a demandé des précisions sur l'évolution des relations entre DCN et le service de soutien de la flotte (SSF) et sur le calendrier de l'opération de réarmement des sémaphores.

L'amiral Jean-Louis Battet a souligné que désormais le SSF et DCN entretiennent des relations commerciales. La réorganisation du SSF progresse et commence à produire ses effets. Ce service s'est vu confier de nombreuses missions nouvelles, telle la gestion des rechanges et celle des pyrotechnies, à tel point que certains y ont vu la reconstitution d'une « DCN bis ». Il s'agissait seulement de parer au plus pressé. À terme, il conviendra de séparer les activités de donneur d'ordre et celle de fabricant pour recentrer le SSF sur sa mission de maîtrise d'ouvrage.

La réactivation du réseau complet des sémaphores est en cours. Elle est en train de se terminer pour la Corse. Toutefois, il s'agit d'un projet ambitieux avec la volonté de doter les sémaphores d'équipements radar et de transmission de données avec les centres de commandement et les avions de patrouille maritime. Ce programme dénommé « Spatio.nav » devrait s'étendre sur cinq à six ans, puisque son financement commence en 2004. Il n'en est donc qu'à ses débuts.

Le président Guy Teissier a souhaité savoir si, à Mayotte, les patrouilleurs La Boudeuse et La Rieuse avaient pu prendre la mer simultanément, mettant fin au système de cannibalisation mutuelle qui lui avait été dénoncé à l'occasion de son déplacement, avec une délégation de la commission, l'hiver dernier. Il apparaît en effet essentiel de renforcer le dispositif de la marine auprès de Mayotte, surtout dans l'objectif de lutter contre l'immigration clandestine.

L'amiral Jean-Louis Battet a souligné que le renforcement du dispositif de la marine à Mayotte est prévu, notamment grâce à l'installation de radars, au prépositionnement d'une vedette supplémentaire et à l'augmentation des patrouilles. Dans un autre cas de figure, il était envisagé d'envoyer un troisième patrouilleur en Guyane pour compléter les deux vedettes de gendarmerie locale en panne continuelle, mais, face à l'allongement de l'IPER du premier, il a été décidé d'envoyer un aviso pour assurer la mission. Cet exemple illustre la souplesse du dispositif de la marine, qui permet, le cas échéant, la mobilisation de bâtiments de combat pour la surveillance maritime.

Les deux bâtiments évoqués par le président de la commission naviguent simultanément depuis un mois. Ils sont actuellement en stage de mise en condition opérationnelle.

Loi de finances pour 2004 : marine (avis)

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Charles Cova, les crédits de la marine pour 2004.

M. Charles Cova, rapporteur pour avis, a souligné que le projet de loi de finances initiale pour 2004 apportait un cinglant démenti à ceux qui avaient douté des ambitions de la loi de programmation militaire 2003-2008, même si l'évolution des titres III, V et VI du budget de la marine est contrastée.

Les dépenses de personnel et de fonctionnement connaîtront une légère diminution de respectivement 1,4 % et 0,4 %. Cet infléchissement des dépenses ordinaires, dont le montant avoisinera tout de même 2 milliards d'euros, montre que le ministère de la défense participe aussi aux efforts que la conjoncture économique actuelle impose à l'Etat. Si des mesures ciblées seront prises en faveur de la fidélisation des personnels, pour 5,8 millions d'euros, et de l'amélioration de la condition militaire, pour 10 millions d'euros, les effectifs militaires diminueront de 0,3 %, malgré des besoins estimés à 310 postes. Les subventions d'investissement de la marine, qui sont inscrites au titre VI, diminueront elles aussi. Les sommes en cause portent néanmoins sur une enveloppe globale de 3,6 millions d'euros.

En revanche, les crédits d'investissement de la marine seront de nouveau réévalués : les dotations du titre V augmenteront de 16,7 % en autorisations de programme, à 4,74 milliards d'euros, et de 12,2 %, en crédits de paiement, à 3,84 milliards d'euros. Il faut néanmoins replacer ces variations dans leur contexte, car une grande partie de cet accroissement est destinée à tirer les conséquences financières de la transformation de l'ancienne direction des constructions navales (DCN) en société, notamment en raison de l'application de taxes diverses ou de l'assainissement de ses comptes. Cet effort permettra toutefois de poursuivre le renouvellement des bâtiments de la marine.

Le projet de loi de finances initiale pour 2004 répond aux aspirations des personnels. Les décevoir aurait des répercussions sur leur moral et leur fidélisation, car une récente étude du centre de suivi des ressources humaines de la marine a mis en évidence que les attentes et les critiques restent fortes, notamment en ce qui concerne les conditions matérielles dans lesquelles les marins exercent leurs missions. Lors de ses déplacements à Toulon et à Brest, afin notamment de dialoguer avec des commandants de bâtiments et les personnels, le rapporteur pour avis a pu constater que les équipages apprécient à leur juste mesure les efforts budgétaires que la Nation accepte de consentir en faveur du renouvellement de leurs matériels.

La livraison, à la fin de l'année 2004, du troisième sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG), la construction des bâtiments de projection et de commandement, qui entreront en service en 2005 et 2006, ainsi que la poursuite du programme de frégates antiaériennes Horizon, dont l'admission au service actif sera concomitante, constituent autant d'exemples concrets d'une modernisation de la flotte qui se trouve en bonne voie. De même, les moyens de service public de la marine seront notablement renforcés d'ici à 2005, avec l'entrée en service de deux remorqueurs de haute mer supplémentaires, puis le lancement d'un programme de bâtiments de soutien de région de nouvelle génération, ainsi que la livraison des hélicoptères NH 90 à partir de 2006. Ces missions de surveillance et de protection des côtes, dont le récent naufrage du pétrolier Prestige a rappelé la nécessité, ont représenté 27 % des activités de la marine au cours du premier semestre 2003.

Il reste que, si le projet de budget pour 2004 est satisfaisant, les crédits devront de nouveau augmenter dans des proportions importantes au fur et à mesure que les programmes futurs, tels que le second porte-avions, les sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda, les frégates Horizon et multimissions avec leurs armements, entreront dans leur phase de réalisation. Les besoins financiers devraient ainsi passer de 741,3 millions d'euros en crédits de paiement, en 2005, à 944,5 millions d'euros, en 2007. Or, il faut ajouter à ces estimations l'ensemble des autres dépenses en capital auxquelles la marine ne pourra pas se soustraire, parce qu'elles portent sur les infrastructures des ports et les bases ou la maintenance des matériels. Au total, la charge du renouvellement des équipements s'annonce très importante, avec notamment deux paliers à franchir en 2005 et 2007. Cette contrainte lourde implique de réfléchir dès à présent aux moyens d'y faire face dans de bonnes conditions. Le recours à des modes de financement innovants, le leasing par exemple, pourrait être envisagé pour la construction et l'entretien de certains bâtiments de surface.

De surcroît, il ne peut être exclu que les prestations industrielles connaissent, dans le même temps, une tendance inflationniste. D'ores et déjà, certains travaux de DCN ont vu leur coût augmenter à l'occasion du changement de son statut, le 1er juin 2003. Ce constat est d'autant plus regrettable que l'apurement des comptes de DCN et l'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur ses prestations coûteront au titre V de la marine 332 millions d'euros en crédits de paiement pour 2004. Certes, la nouvelle société DCN se trouve à la croisée des chemins et il est dans l'intérêt même de la marine que sa transformation réussisse. Il ne saurait être question pour autant que le changement de statut pénalise son principal client. À terme, la mise en concurrence de l'entreprise devrait toutefois permettre de récupérer des marges de manœuvre budgétaires.

Les difficultés de la marine n'ont pas toutes une réponse budgétaire. Dans certains cas, un changement des procédures suffirait à améliorer l'efficacité des dépenses engagées. Pour ce qui concerne l'entretien des matériels, les règles actuelles de passation des marchés n'offrent pas suffisamment de réactivité, car les délais d'appel d'offres sont trop longs et il est parfois impossible de réparer une avarie imprévue sans conclure un autre contrat. Or, si le code des marchés publics n'est plus opposable à DCN, il en va différemment pour le service de soutien de la flotte (SSF). Une révision du texte est en cours, mais elle ne sera pas suffisamment ambitieuse pour déboucher sur de substantielles économies. Ce problème des procédures affecte également le cycle de consommation des crédits dans les unités. Le calendrier d'engagement des crédits commence souvent en avril et il se termine à l'automne ; de fait, les dépenses non engagées avant le début de l'été sont la plupart du temps hypothéquées. Il faudrait donc accélérer les engagements financiers.

Malgré tout, il n'y a pas d'alternative aux orientations retenues par le projet de loi de finances pour 2004. Le budget de la défense est « sanctuarisé », car il y va de l'efficacité des armées et, partant, de la sécurité des Français. Les dispositions du projet de budget de la marine ne sont donc pas une faveur quelconque, mais une nécessité dont la ministre de la défense a saisi l'importance.

M. René Galy-Dejean a souhaité savoir si le déroulement du programme de missile nucléaire stratégique M51, qui doit succéder au missile M45, dont les derniers lots ont été livrés, était conforme à l'échéancier prévu.

M. Charles Cova, rapporteur pour avis, a répondu que le programme de missile M51 se poursuivait sans retard et que ce vecteur équiperait le quatrième SNLE-NG, lors de son admission au service actif.

Le président Guy Teissier a souhaité savoir de quel missile serait doté le troisième SNLE-NG, en service en 2004.

M. Charles Cova, rapporteur pour avis, a répondu que le troisième SNLE-NG sera armé par le missile M45, le M51 ne devant équiper la force océanique stratégique (FOST) qu'à l'horizon 2010.

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la marine pour 2004.

--____--


© Assemblée nationale