COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 8

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 28 octobre 2003
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Michel Voisin, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Audition du général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2004 (n° 1093)

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- Examen de l'avis budgétaire dissuasion nucléaire (M. Antoine Carré, rapporteur pour avis)

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Audition du général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2004.

La commission a entendu le général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2004 (n° 1093).

Le général Henri Bentégeat a exposé que l'année 2003 avait été marquée par la persistance des risques et des menaces que constituent notamment le terrorisme, les armes de destruction massive et l'instabilité dans des zones géographiques où les intérêts français sont importants. La suprématie militaire américaine a été confirmée, mais elle a aussi montré ses limites. L'Union européenne a fait preuve, avec l'opération Concordia, menée avec le soutien de l'OTAN, et l'opération Artémis, menée avec les seuls moyens de l'Union, de sa nouvelle maturité en matière militaire. La construction de l'Europe de la défense se poursuit dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. L'OTAN connaît d'importantes réformes avec la création de l'allied command operations (ACO) et de l'allied command tranformation (ACT), ainsi qu'avec la création de la force de réaction rapide le 15 octobre 2003. La France a joué le rôle de nation-cadre pour les deux opérations menées par l'Union européenne et fournit une contribution importante aux deux premières versions de la force de réaction rapide.

Il n'y a pas de raisons objectives pour diminuer l'effort de défense, qui constitue un élément essentiel de la sécurité des Français et permet à la France de faire entendre sa voix sur la scène internationale.

Le projet de budget pour 2004 est conforme aux dispositions de la loi de programmation militaire. Il augmente de 2,7 % en euros constants et représente 2 % du PIB hors pensions, à comparer, à périmètre égal, à 2,4 % du PIB au Royaume-Uni, 3,5 % aux Etats-Unis, mais 1,6 % en moyenne pour les Etats membres de l'Union européenne. En 1965, le budget français de la défense représentait 4 % du PIB et 22 % du budget de l'Etat. Avec, aujourd'hui 2 % du PIB et 11 % du budget de l'Etat, il ne saurait être tenu pour la principale cause du déficit de celui-ci. En 2004, l'effort principal porte sur le titre V, dont les crédits progresseront de 7,6 % en euros constants ; la part relative du titre V au regard du titre III passera ainsi de 44 à 46 %. L'effort est également important pour les aspects civils : le budget de la recherche duale s'élève à 200 millions d'euros, la contribution du budget de la défense à la transformation de DCN se monte à 263 millions d'euros, et même 300 millions d'euros en comptant les crédits du fonds d'adaptation industrielle.

L'effort en matière de maintien en condition opérationnelle est accru, avec une augmentation de 11 % des crédits, après 9 % en 2003. Le taux de disponibilité des matériels augmente : il passe de 60 à 63 % pour la flotte et de 50 à 59 % pour l'ensemble des aéronefs. Toutefois, il reste insuffisant, tout particulièrement pour les matériels de l'armée de terre. L'effort devra donc être maintenu, quel que soit par ailleurs le poids des programmes neufs. En effet, la loi de programmation 2003-2008 est principalement une loi de fabrication. En 2004, seront livrés les satellites Helios II et Syracuse III, le troisième SNLE-NG, 45 chars Leclerc, cinq Rafale Air, un avion à très long rayon d'action, sept hélicoptères Tigre et 110 missiles Scalp EG. Ces missiles de croisière à longue portée, les premiers dont disposeront les armées françaises, permettront à celles-ci de soutenir la comparaison avec les armées américaine et britannique qui, seules, disposent de tels matériels jusqu'ici. Avec 16,8 milliards d'euros, les autorisations de programme sont d'un bon niveau, même si elles risquent de présenter des insuffisances au regard du poids des commandes globales à passer.

Le titre III est contraint en matière d'effectifs et favorable pour l'entraînement des forces. Il est construit sur la base d'un sous-effectif de 3 % du personnel. 852 postes de personnels civils sont supprimés, soit 1 % de l'effectif total. En revanche, seront créés 2 000 postes d'engagés volontaires dans l'armée de terre, 300 postes pour le service de santé des armées, 1 200 postes de gendarmes et quelques postes pour la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure). Le fonds de consolidation de la professionnalisation se verra affecter 27 millions d'euros, tandis que les mesures relatives à l'amélioration de la condition militaire bénéficieront de 53 millions d'euros de mesures nouvelles. Les crédits d'activité des forces sont de 41 millions d'euros et ceux destinés aux réserves de 37 millions d'euros.

Les personnels déployés en opérations extérieures sont répartis de la façon suivante : 4 400 militaires dans les Balkans (dont 1 100 en Bosnie, environ 3 100 au Kosovo et 123 en Macédoine) ; en Afghanistan, 500 militaires en poste à Kaboul et 50 affectés au détachement d'instruction de l'armée afghane, auxquels il convient d'ajouter les forces spéciales positionnées à la frontière avec le Pakistan ; près de 4 000 militaires sont déployés en Côte d'Ivoire et 200 en République centrafricaine, en soutien des forces de la communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) ; 250 personnels sont présents au Liban dans le cadre de la FINUL. Enfin, la France assure aussi le soutien du détachement sénégalais de la MONUC, la mission des Nations Unies en République démocratique du Congo.

Nos forces sont également engagées en métropole dans plusieurs missions de sécurité publique. Elles maintiennent quatre patrouilles de défense aérienne en alerte immédiate et assurent une participation renforcée à la surveillance des façades maritimes. La contribution au plan Vigipirate, désormais modeste, reste cependant significative pour la sécurité des aéroports parisiens. Enfin, les forces participent aussi à la lutte contre les catastrophes naturelles, comme les feux de forêts.

En 2003, deux militaires ont été tués au combat en Côte d'Ivoire et une vingtaine d'autres ont été gravement blessés.

Rappelant l'importance des opérations extérieures, M. René Galy-Dejean a souligné que leur financement à l'occasion du collectif de fin d'année reste un cap difficile pour le budget de la défense et il a demandé si des démarches sont effectuées par l'état-major des armées pour faire en sorte que l'essentiel du financement des opérations extérieures soit inscrit dès la loi de finances initiale, l'ajustement en fin d'année n'intervenant qu'à la marge.

Le général Henri Bentégeat a répondu que des forces armées qui ne seraient jamais engagées dans des opérations n'auraient sans doute pas de raison d'être. Les opérations intérieures, directement liées à la protection du territoire national, sont souvent mieux connues que les opérations extérieures (OPEX). Celles-ci peuvent être jugées coûteuses au regard de leur éloignement et d'un lien jugé faible avec notre sécurité. Pour autant, en 2003, comment tenir un tel raisonnement ? Les opérations dans les Balkans contribuent à rétablir la stabilité de pays situés aux portes de l'Union européenne et en proie à des réseaux de criminalité ; elles présentent ainsi un intérêt majeur pour la sécurité de la France. L'intervention en Côte d'Ivoire concerne un Etat avec lequel la France a des accords de défense et de coopération militaire, où vivent 20 000 Français, et qui constitue une clé pour la survie économique de l'Afrique occidentale. Ne pas intervenir aurait signifié un désengagement de la France, très préjudiciable à sa place en Afrique. Les opérations conduites en Afghanistan ont pour objectif l'éradication d'un des principaux foyers de terrorisme international : la présence de forces armées dans cette région est indispensable, afin que ne réapparaissent pas des émules d'Al Qaida dans un environnement dépourvu de toutes règles. Les interventions extérieures des forces françaises, qui s'inscrivent dans le cadre de la charte des Nations Unies, apparaissent ainsi pleinement légitimes et contribuent effectivement à assurer la sécurité de notre pays.

Sur la période 1992 - 2002, la moyenne des surcoûts dus aux OPEX est de 630 millions d'euros. Ce montant pourrait être dépassé en 2003. Il serait souhaitable que soient désormais inscrits en loi de finances initiale des crédits à ce titre, pour un montant proche du coût total estimé. Un groupe de travail commun à l'inspection générale des finances et au contrôle général des armées a remis en avril 2003 un rapport formulant des suggestions qui permettraient de résoudre le problème du financement des OPEX. Ces conclusions ont été approuvées par le ministère de la défense.

M. Jean-Michel Boucheron a souhaité savoir dans quel climat s'était déroulée la réunion des ministres de la défense des pays membres de l'OTAN qui s'est tenue à Colorado Springs, aux Etats-Unis, au début du mois d'octobre et quelles orientations y avaient été définies. Il a ensuite demandé quelles étaient les missions assumées par les forces spéciales françaises déployées en Afghanistan, qui collaborent avec leurs homologues américains. Enfin, il a interrogé le chef d'état-major des armées sur la nature des moyens stratégiques qui font défaut à l'état-major européen pour disposer d'une autonomie de planification et de conduite d'opérations.

Le général Henri Bentégeat a répondu que la réunion de Colorado Springs avait pour objectif d'asseoir la force de réaction rapide de l'OTAN et de susciter une réflexion sur les processus de décision au sein de l'Alliance atlantique, qui s'avèrent trop peu réactifs. Sur ce dernier point, il a été proposé de donner davantage d'autonomie aux responsables militaires. Cependant, il est apparu au cours des discussions que la rapidité de la prise de décision repose en premier lieu sur l'établissement d'un consensus politique entre les Etats membres et que les délais constatés sont pour l'essentiel imputables aux processus décisionnels de ces Etats.

Il est difficile de préciser les missions des forces spéciales en Afghanistan dès lors qu'elles sont effectuées conjointement avec les forces américaines et requièrent une certaine confidentialité.

L'Union européenne a besoin de moyens de renseignement plus importants. Elle se heurte aussi au principe, en vigueur également au sein de l'OTAN, du caractère national du renseignement : les différents Etats fournissent au mieux des analyses globales, jamais des informations brutes. De plus, les moyens dont dispose l'Europe dans ce domaine sont bien moindres que ceux des Etats-Unis et de l'OTAN. Cependant, le centre satellitaire de Torrejon fournit des données, issues de satellites civils et militaires, au secrétaire général du Conseil ainsi qu'à l'état-major européen. Le volume de ces données a vocation à s'accroître et à se diversifier dans l'avenir. Des efforts importants doivent aussi être consentis par les Etats européens en matière de moyens de transmissions. Si les moyens de l'Union dans ce domaine ne sont pas comparables à ceux de l'OTAN, des progrès sont néanmoins perceptibles ; la France a fourni l'ossature générale des transmissions de l'opération Artémis. L'accroissement des moyens européens de planification et de conduite d'opérations a notamment été abordé lors du sommet qui a réuni la France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg en avril 2003, ces Etats ayant proposé de renforcer les moyens de l'état-major européen. Pour la planification d'une opération européenne, trois options devraient être envisageables : recourir aux moyens de l'OTAN, en application des accords dits « Berlin plus » ; faire appel à une nation-cadre disposant des capacités de planification nécessaire, selon la solution retenue pour l'opération Artémis ; confier cette mission à l'état-major européen, qui est basé à Bruxelles. Aujourd'hui, cette troisième option n'existe pas. Le développement des capacités de planification de l'état-major européen suscite des discussions entre les Etats membres, le Royaume-Uni s'avérant réticent, et est mal perçu par les Etats-Unis, qui craignent qu'un tel état-major ne devienne un concurrent direct de la structure de commandement de l'OTAN, SHAPE (grand quartier général des puissances alliées en Europe), et, à terme, diminue l'attractivité de l'OTAN. Cette approche n'est pas partagée par la France et ses partenaires européens, qui envisagent la constitution d'une petite cellule d'une trentaine d'officiers, sans commune mesure avec la structure SHAPE, qui compte 600 officiers : une telle cellule serait suffisante pour planifier et conduire des missions de gestion de crise et collaborerait avec SHAPE.

Rappelant que la construction d'un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) avait déjà été interrompue dans le passé, M. Jean Lemière s'est inquiété des conséquences possibles de la campagne médiatique mettant en cause le poids de l'outil de dissuasion dans le budget de la défense sur la livraison des troisième et quatrième sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération prévue par la loi de programmation militaire.

Évoquant son récent déplacement aux Etats-Unis aux côtés du Président Édouard Balladur, M. Axel Poniatowski a souligné la très grande inquiétude des autorités américaines face à l'émergence d'un centre de commandement européen autonome, susceptible de marginaliser l'OTAN et d'amoindrir les divisions entre Européens. Il a souhaité avoir des précisions sur l'étendue et l'origine de ses moyens financiers et humains et ses modalités de fonctionnement, ainsi que sur les perspectives de le voir entrer en service dès août 2004. Il a ensuite demandé si des troupes françaises étaient engagées dans des actions de lutte contre le terrorisme en dehors de l'Afghanistan.

Le général Henri Bentégeat a répondu que l'échéance et les effectifs envisagés pour ce centre n'avaient qu'une valeur indicative et faisaient l'objet d'un débat qui est loin d'être achevé. En tout état de cause, le renforcement de l'état-major européen reste conditionné à la volonté des Etats membres et à l'existence d'un consensus en la matière. En l'absence d'unanimité, une structure distincte pourrait alors être envisagée, pour intervenir en cas de besoin. Actuellement, l'état-major européen dispose de cent vingt officiers. Un renforcement de trente officiers lui donnerait déjà une capacité de planification appréciable. Cette troisième option est une nécessité, car, contrairement à la formule de la nation-cadre ou au recours à SHAPE, elle permet d'associer les petits pays et les Etats neutres, avant le lancement de l'opération. L'accroissement des capacités militaires de l'Union européenne devrait être perçu comme une chance et non comme une concurrence par l'OTAN. Le recours à l'une ou l'autre organisation devra s'effectuer en fonction de la nature de la crise à résoudre. En Bosnie-Herzégovine, l'Union européenne a l'intention de mener une action globale, à la fois politique, économique, judiciaire et militaire, ce que ne peut pas faire l'OTAN. L'Union européenne apparaît également plus qualifiée pour intervenir lors d'une crise située à proximité de ses frontières.

Seule, la DGSE participe à des actions limitées et spécifiques de lutte contre le terrorisme, en coopération étroite avec les Américains.

S'agissant de la dissuasion, il n'y a pas d'inflexion de notre doctrine depuis le discours du Président de la République devant l'institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) le 8 juin 2001. La loi de programmation militaire tire les conséquences des ajustements de la doctrine opérés avant 2001. Les inscriptions de crédits en loi de finances traduisent ces choix. En 2004, 20 % des crédits d'équipement sont affectés à l'outil de dissuasion. Ce pourcentage devrait diminuer d'ici la fin de la période de programmation, en raison de l'avancement du programme M 51 et de la livraison des SNLE-NG.

M. Michel Dasseux s'est inquiété des risques d'engagement en Iraq, à la demande de nos alliés, de nos forces spéciales, réputées pour leurs capacités d'immersion dans les populations. Il a également fait remarquer que, si la défense représentait plus de 4 % du PIB en 1965, la situation internationale était très différente.

M. Jean Michel s'est étonné de la lenteur du processus de création, par l'Union européenne, d'une capacité de commandement propre. Les pays les plus volontaristes, principalement la France, l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, peut-être rejoints par d'autres, devraient pouvoir mener une coopération renforcée leur permettant d'avancer à un rythme plus rapide que les autres dans la création de cette structure qui sera le gage d'une Europe puissante et indépendante.

Le général Henri Bentégeat a répondu que le Président de la République avait très clairement indiqué qu'il n'était pas question que la France déploie des troupes en Iraq. En revanche, elle est prête à participer à la formation de la police et de l'armée de ce pays lorsque les conditions seront remplies. Il n'est, du reste, pas indispensable que cette formation ait lieu en Iraq. Après le vote d'une résolution par le Conseil de sécurité de l'ONU, la France attend des indications claires sur un calendrier qui dresserait des perspectives sur l'avenir de l'Iraq.

En 1965, il n'y avait pas d'autre menace que celle, bien définie, du pacte de Varsovie, dont la France était protégée par la dissuasion, la présence américaine et le fort volume de troupes déployées dans le centre de l'Europe. Cette situation simple a laissé la place à des menaces plus diffuses qui sont parfois le fait de réseaux et à une prolifération avérée qui accroît le nombre des Etats nucléaires. Il y a là de nouveaux facteurs d'inquiétude. Pour autant, l'objectif n'est pas de faire passer l'effort de défense à 4 % du PIB.

La volonté des Etats européens de doter l'Union européenne d'une autonomie en matière de défense est totale, mais les modalités de mise en œuvre doivent être abordées avec prudence. Si un consensus de l'ensemble des pays de l'Union est dégagé, la capacité de planification retenue sera confiée à l'état-major de l'Union européenne. Si cet accord n'est pas possible, une coopération structurée entre quelques pays seulement pourra permettre la création d'une capacité de commandement, qui sera alors mise à la disposition de l'Union européenne. Dans cette deuxième hypothèse, le risque existe que certains Etats membres s'opposent systématiquement à l'utilisation de cette structure. La voie du consensus est donc la plus facile, elle doit être privilégiée.

M. Jean-Louis Léonard a demandé si l'augmentation de 37 millions d'euros, en 2004, des crédits consacrés aux réserves était suffisante pour réaliser les objectifs fixés pour 2008. Le format sera-t-il réellement atteint et le nombre de journées d'activité suffisant ? La gestion séparée des réserves par chacune des armées n'est-elle pas préjudiciable à l'efficacité du recrutement ? Les personnels de santé sous-officiers, par exemple, sont gérés par les différentes armées. Lorsqu'ils quittent le service, ils sont perdus pour le service de santé des armées, alors que celui-ci connaît une pénurie chronique de personnels de réserve. Quelles actions, notamment en matière indemnitaire, pourraient être entreprises pour motiver et fidéliser les réservistes ? Quelle attitude adopter vis-à-vis des employeurs pour concilier les activités civiles et militaires des personnels réservistes ?

M. Alain Moyne-Bressand a souhaité savoir si la progression des crédits, pour la deuxième année consécutive, avait un effet sur la qualité du moral des armées. Il a ensuite demandé des précisions sur l'ampleur du soutien apporté à la compétitivité des entreprises françaises par les armées grâce aux crédits militaires de recherche et développement.

M. Michel Voisin, président, a insisté sur l'intérêt de la commission pour les mesures permettant aux réservistes relevant du secteur privé de s'investir dans leur activité de réserviste.

Le général Henri Bentégeat a répondu que, à la demande de la ministre de la défense, les états-majors ont étudié des pistes de réflexion pour l'amélioration du dispositif des réserves : besoins, capacités opérationnelles nécessaires, principales difficultés liées à la fin de la conscription. Un groupe de travail créé par la ministre, en liaison avec le conseil supérieur des réserves et les entreprises, est chargé d'approfondir ces réflexions.

Le budget de 37 millions d'euros consacré aux réserves en 2004 permettra de faire passer le nombre de jours d'activité moyen de 18 en début d'année à 22 en fin d'année, pour un objectif de 27 jours. Cette durée doit être conçue comme une moyenne, la mission pouvant être allongée dans certains cas. Ainsi, il serait logique que la durée de la mission en opération extérieure d'un officier réserviste puisse atteindre 120 jours.

Le statut des réservistes doit évoluer. Le niveau de disponibilité d'un réserviste doit pouvoir changer en fonction de ses sollicitations professionnelles, de façon à garantir une meilleure adéquation entre sa disponibilité réelle et les besoins des armées. Le réserviste qui passe provisoirement dans une catégorie moins exigeante, par exemple de la réserve opérationnelle à la réserve citoyenne, devra pouvoir conserver ses droits, notamment à avancement.

Le service de santé des armées développe en ce moment une gestion globale de ses personnels, ainsi qu'une gestion plus rigoureuse de ses réservistes.

Il est difficile d'intéresser les entreprises aux réserves. La difficulté de pallier l'absence durable d'un réserviste dans les petites et moyennes entreprises y compte certainement pour beaucoup. Les armées ont proposé que des dispositifs fiscaux incitatifs soient mis en place, mais la décision ne leur appartient pas.

Le moral des troupes s'est indiscutablement amélioré. Les militaires ont pris conscience de l'ampleur de l'effort fait par la Nation. Ils commencent à voir la disponibilité de leurs matériels s'accroître. La grande majorité d'entre eux est aussi satisfaite du traitement qui a été réservé aux retraites des militaires. La réforme du statut général des militaires est le dernier dossier sur lequel ceux-ci peuvent encore avoir des interrogations. Un projet de loi devrait être présenté au Parlement en 2004.

Le budget militaire de recherche représente 1,26 milliard d'euros et le budget civil, 9 milliards d'euros. L'effort spécifiquement militaire est important. En 2003, trois importants démonstrateurs technologiques ont été commandés à l'industrie. En 2004, sera commandé notamment le démonstrateur d'UCAV, qui permettra à la France de conserver la maîtrise de la conception d'ensemble et de l'assemblage des avions de combat sans pilotes.

Loi de finances pour 2004 : dissuasion nucléaire (avis)

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné pour avis, sur le rapport de M. Antoine Carré, les crédits de la dissuasion nucléaire pour 2004.

M. Antoine Carré, rapporteur pour avis, a estimé que le regain du débat sur la dissuasion était parfaitement légitime, mais intervenait sans doute un peu à contretemps compte tenu de l'ampleur des mutations doctrinales et techniques accomplies depuis 1995. La prolifération des armes de destruction massive, associée à un affaiblissement regrettable, mais certain, des instruments juridiques internationaux de désarmement, doit conduire à aborder avec prudence, voire inquiétude, les évolutions à moyen et à long terme.

Aucune grande puissance nucléaire n'a renoncé à son arsenal de dissuasion et, quand bien même celui-ci est le plus souvent en cours de réduction, ce processus s'accompagne d'une modernisation réelle des capacités. Plusieurs Etats ont accédé récemment au statut de détenteur d'armes nucléaires, tandis que les tentatives d'autres pour y parvenir ne se démentent malheureusement pas. Les cas iranien et nord-coréen illustrent l'ampleur et les dangers de la prolifération nucléaire et balistique, ainsi que la fragilité des garanties apportées par le traité de non prolifération.

Face à ces évolutions, la doctrine française de dissuasion a fait l'objet d'adaptations très importantes. Lors de son discours prononcé le 8 juin 2001 devant l'IHEDN, le Président de la République a bien souligné que le concept français de dissuasion ne se résumait plus à une dissuasion du faible au fort. Il n'est pas exclu que des puissances régionales soient à même, à l'avenir, de mettre en cause nos intérêts vitaux et, dans un tel cas, le choix ne serait pas entre l'anéantissement complet d'un pays et l'inaction. Les dommages auxquels s'exposerait un éventuel agresseur s'exerceraient en priorité sur ses centres de pouvoir, politique, économique et militaire.

L'arsenal nucléaire disponible doit être en mesure de menacer de tels objectifs de manière crédible. Si le système actuel est encore largement l'héritier des décisions prises au début des années 1960, des investissements considérables sont réalisés depuis 1995 dans la perspective d'une modernisation d'ensemble de l'outil de dissuasion, destinée à en assurer la crédibilité au moins jusqu'à l'horizon 2040. Cet effort est réalisé avec la volonté de s'en tenir au principe de stricte suffisance, tout en maintenant le caractère permanent de la dissuasion. S'agissant de ce dernier point, la permanence à la mer de la force océanique stratégique (FOST) implique un parc de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE). La FOST n'est pas un vestige de la guerre froide : outil de dissuasion principal et permanent, elle participe à l'adaptation de la posture aux nouvelles menaces. Les efforts actuels visent ainsi à fournir une capacité de diversification des frappes, à la différence du système ancien de frappe massive. La composante aérienne la complète utilement, par la précision et la modulation des frappes qu'elle autorise.

En ce qui concerne l'évolution des crédits, après avoir connu de fortes augmentations en 2002 et en 2003, ils connaissent un ralentissement très net de leur croissance, ce qui est conforme aux prévisions. Pour 2004, les crédits affectés à la dissuasion représentent au total 3,11 milliards d'euros de crédits de paiement (+ 5 %). De fait, la part de la dissuasion nucléaire dans le budget d'investissement de la défense tend à se réduire : alors qu'elle représentait 21,7 % du titre V en 2003, elle sera ramenée à 20,9 % en 2004. En moyenne, sur la durée de la loi de programmation militaire, la dissuasion nucléaire devrait représenter 19,2 % du titre V. Ce mouvement de décrue régulière est appelé à se prolonger au-delà, avec l'achèvement progressif des principaux programmes à l'horizon 2010.

La construction du Vigilant respecte le calendrier prévu. La partie propulsion est désormais validée et la première sortie en mer est prévue pour décembre prochain, avec une admission au service actif pour novembre 2004. Les autorisations de programme consacrées au M 51 augmentent de 268 % en raison de la commande d'un premier lot de missiles. Ce programme est entré dans une phase active d'essais techniques. Le premier tir du propulseur du deuxième étage a eu lieu en juillet 2003. L'essai de chasse d'une maquette en Méditerranée, initialement prévu en septembre, a été reporté à la suite d'une difficulté technique indépendante du missile. Enfin, le programme ASMP-A se déroule normalement et la dernière tranche de développement a été notifiée en 2003. Un deuxième tir du démonstrateur Vesta a eu lieu avec succès le 6 octobre dernier. En avril 2004, devrait avoir lieu un tir de missile à partir du sol, suivi en avril 2005 d'un tir en vol. Quant au programme de simulation, il se déroule conformément au calendrier prévu et représente une aventure industrielle et scientifique de très haut niveau, dont les retombées sont considérables.

Des évolutions sont possibles. Le choix de s'engager définitivement dans la voie des armes robustes n'interdit pas toute évolution. Sous réserve de quelques adaptations de l'outil de simulation, il sera possible de répondre à l'avenir aux besoins d'adaptation tout en restant dans le même concept d'armes. Davantage qu'une miniaturisation, ce sont plutôt les questions de précision des armes, de variation de leur énergie et de maîtrise des effets collatéraux qui sont pertinentes. L'outil de simulation et les essais passés menés par la France dans ces domaines lui permettent de rester crédible.

Enfin, l'évolution des positions françaises en matière de défense antimissile ne doit pas être sous-estimée. La priorité française va à la protection contre la menace de missiles de portée inférieure ou égale à 600 km des forces et des moyens déployés en opérations extérieures. Compte tenu de son coût, ce programme ne pourra être mené à bien qu'en s'inscrivant dans le cadre de partenariats plus larges. Ses évolutions ultérieures vers une capacité de lutte contre des menaces véritablement balistiques de longue portée en dépendront également. On notera à cet égard que le chef de l'Etat a signé la déclaration du sommet de l'OTAN tenu le 21 novembre 2002 à Prague. Il ne s'agit donc plus de s'en tenir strictement à la seule protection des forces projetées. Dès lors, il conviendra sans doute de s'interroger sur le lancement de recherches en matière d'interception exo atmosphérique, seule composante d'une défense contre les missiles balistiques de longue portée qui ne soit actuellement pas prise en compte par les études amont et les programmes de démonstrateurs. Cela permettrait de contribuer également au maintien des compétences nécessaires pour l'avenir de la dissuasion nucléaire.

M. Jean-Louis Bernard a souligné la complémentarité des composantes aérienne et océanique de la dissuasion nucléaire. Le rayon d'action des forces aériennes stratégiques est limité, même avec l'emploi de ravitaillements en vol, d'où la nécessité d'une seconde composante à même de dissuader les menaces d'où qu'elles viennent.

M. René Galy-Dejean a jugé paradoxal que certains préconisent de baisser la garde alors même que de nombreux Etats se dotent d'armes nucléaires. Il faut souligner à quel point le programme de simulation, par delà son objectif premier qui est la garantie du fonctionnement des armes nucléaires, constitue une aventure industrielle et scientifique extraordinaire, plaçant la France à égalité avec les Etats-Unis et dont les retombées seront très importantes.

M. Jean Michel a rappelé la continuité de l'effort en matière de dissuasion nucléaire : depuis le début du programme sous la quatrième République, les chefs d'Etat se sont continuellement attachés à maintenir et à moderniser cet outil. Au vu de l'évolution des concepts et des menaces, il serait nécessaire de disposer d'informations plus larges et de pouvoir débattre au sein de la commission de la défense des perspectives de la dissuasion à l'horizon 2040.

M. Michel Voisin, président, a indiqué que ces réflexions étaient prises en compte dans le cadre du plan prospectif à trente ans et qu'un débat serait effectivement bienvenu.

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la dissuasion nucléaire pour 2004.

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