COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 novembre 2003
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport de la mission d'information sur le mode de propulsion du second porte-avions (Mme Patricia Adam, M. Charles Cova, Mme Marguerite Lamour et
M. Jérôme Rivière, rapporteurs)

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Mode de propulsion du second porte-avions (rapport d'information).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d'information de Mme Patricia Adam, M. Charles Cova, Mme Marguerite Lamour et M. Jérôme Rivière sur le mode de propulsion du second porte-avions.

Mme Marguerite Lamour a rappelé que la loi de programmation militaire 2003-2008 prévoit la construction d'un second porte-avions, pour assurer la permanence du groupe aéronaval à la mer, mais n'en a pas arrêté les modalités techniques et industrielles.

Quatre options techniques sont possibles et envisagées. En premier lieu, la construction d'un porte-avions nucléaire assez similaire au Charles de Gaulle, corrigé de ses obsolescences, mais aussi proche que possible du premier bâtiment, afin d'économiser sur les coûts de développement. La deuxième possibilité, celle d'un porte-avions nucléaire d'une envergure plus importante, n'est pas réaliste, compte tenu de son coût. La troisième option porte sur le développement d'un bâtiment à propulsion classique de conception française. Son étude associe EADS, Thales, DCN et les Chantiers de l'Atlantique. Enfin, il est possible d'envisager l'acquisition d'un porte-avions reprenant une partie des caractéristiques des bâtiments qui entreront en service dans la Royal Navy en 2012 et 2015. Le calendrier du programme des deux porte-avions britanniques du futur (CVF) coïncide avec les besoins de la Marine nationale, puisque l'admission au service actif du second porte-avions français doit intervenir en 2014.

Le choix du mode de propulsion du second porte-avions est d'autant plus difficile à trancher qu'il ne se limite précisément pas à une alternative simple entre l'énergie nucléaire et un carburant fossile. Les éléments à prendre en considération sont particulièrement nombreux. Le porte-avions devra tenir compte des capacités aéronautiques réelles de la Marine, mais la solution retenue devra disposer d'une marge d'évolution minimum pour lui permettre de s'adapter aux nouveaux besoins et évolutions technologiques à venir. La solution retenue devra permettre d'assurer le meilleur rendement des capacités de la Marine en matière de personnel, d'infrastructures et de soutien logistique, et cela selon une approche tant opérationnelle que financière. En ce qui concerne les délais, il faudra que soit garantie une mise en service opérationnel à la date prévue, afin de ne pas remettre en cause l'objectif de pouvoir disposer d'une capacité aéronavale permanente.

La décision devra assurer le meilleur équilibre en ce qui concerne la préservation des capacités technologiques et industrielles nationales, l'emploi, mais également la coopération européenne. Le programme de porte-avions représente en effet un symbole fort pour la construction de l'Europe de la défense, d'autant plus qu'il en concerne les deux pays phares, la France et le Royaume-Uni.

Les évaluations de coût menées par les groupes de travail de la délégation générale pour l'armement (DGA) se traduisent par une réduction des écarts entre les différentes options, même si tous les éléments ne seront pas disponibles en totalité avant 2004, compte tenu du glissement significatif du calendrier britannique. En ce qui concerne la différence de prix entre un porte-avions classique de conception nationale et un porte-avions nucléaire, la DGA estime que le surcoût global du nucléaire est passé de 19 à 13 %, et de 34 à 19 % si l'on prend en compte la durée d'utilisation.

Le porte-avions est un instrument de démonstration de puissance dans les crises internationales, au service de la politique de défense de la France. Il doit constituer un symbole crédible, visible et incontournable de la volonté de notre pays. Autant de critères qui restent à l'appréciation des plus hautes autorités de la République.

Mme Marguerite Lamour a indiqué qu'en tant que députée de Brest, elle éprouvait une préférence pour un dérivé du Charles de Gaulle, témoignage de la haute capacité technologique de DCN. Si une coopération européenne est retenue, il conviendra de tout faire pour que DCN constitue un acteur majeur du programme.

Mme Patricia Adam a indiqué que le porte-avions était le navire emblématique de la Marine et qu'il attirait l'intérêt, mais aussi les convoitises, sans compter la forte pression des lobbies. La mission a essayé de garder le recul nécessaire pour traiter le sujet d'une manière sereine. Le contexte géostratégique comme l'expérience des crises récentes démontre la pertinence du choix de se doter d'un deuxième porte-avions. Ce dernier doit répondre à deux priorités : préserver l'efficacité et la cohérence du groupe aéronaval, d'une part, et, d'autre part, assurer la permanence de ce moyen de projection de puissance.

Elle a indiqué que trois éléments avaient guidé ses réflexions sur le choix du mode de propulsion : le coût en termes de construction, de possession et de fonctionnement, la concomitance du programme britannique et les possibilités de coopération qui en découlent et, enfin, l'existence même du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, qui implique de réfléchir au surcroît d'efficacité qu'apporte un parc de deux porte-avions. À l'heure actuelle, seul le coût d'un second porte-avions nucléaire est connu avec certitude, DCN l'estimant à 1,83 milliard d'euros et la DGA à 1,98 milliard d'euros, le choix du système d'armes expliquant la différence de 150 millions d'euros Les obsolescences du Charles de Gaulle, - ou plutôt les évolutions inéluctables à apporter en cas de construction de deux prototypes -, sont comprises dans ces chiffrages. L'évaluation du coût d'une solution à propulsion classique est aujourd'hui très incertaine, en raison notamment de l'importance des modifications en cours du programme britannique. Les coûts de développement représenteront en tout état de cause de l'ordre du tiers du coût de la construction. Or, dans le cas du choix d'une coopération, il faudrait partager ces coûts, sans compter les adaptations nécessaires en raison des différences de systèmes d'appontage.

En ce qui concerne le coût de possession, il faudra tenir compte de la meilleure cohérence du parc à deux porte-avions en matière de personnels, d'infrastructures et de soutien logistique. L'estimation de DCN sur le coût moindre d'une maintenance de deux porte-avions nucléaires doit être prise en considération avec sérieux. Choisir la propulsion classique reviendrait à entretenir un second prototype, ce qui est toujours plus cher. Les évaluations des besoins en personnels supplémentaires nécessaires pour un second porte-avions nucléaire doivent être affinées, celui-ci étant évalué par DCN à cinquante personnes et à cent par la DGA. La DGA estime que le surcoût global du porte-avions nucléaire par rapport au classique est de 13 % (19 % si l'on prend en compte la durée d'utilisation), ce qui est confirmé par les études américaines réalisées en 1998 pour le projet CVX sur la base d'un parc homogène. L'avantage financier d'une propulsion classique par rapport au nucléaire diminue donc si l'on prend en compte l'ensemble de ces éléments. Le critère du coût d'entretien et d'économie sur la recherche et le développement semble particulièrement pertinent et favorable au nucléaire.

La coopération avec les Britanniques ne passe pas nécessairement par la construction en commun d'un porte-avions classique. Elle peut être tout aussi importante et intéressante dans les domaines de l'intéropérabilité (systèmes de combat et transmissions). Cette coopération devra respecter les équilibres et enjeux industriels et technologiques, afin de conserver notre indépendance en matière de recherche et de développement et de permettre aux industriels français de jouer un rôle prédominant dans la reconfiguration du secteur de la construction navale en Europe.

La logique de continuité et de cohérence des choix industriels et stratégiques conduit au choix d'une propulsion nucléaire. Le retour d'expérience des chaufferies K 15 est solide, tant sur le plan industriel qu'opérationnel, et sans commune mesure avec celui des systèmes de propulsion classique. Les arguments avancés à l'encontre du nucléaire, tels que l'impossibilité de faire escale dans certains ports et le risque d'attentats, sont difficiles à entendre et à comprendre. Ces escales obéissent avant tout à une fonction secondaire de représentation et les configurations techniques retenues pour la construction d'un porte-avions nucléaire laissent peu ou pas de place à un risque majeur en cas d'attentats. Le vrai risque serait la gestion politique de la crise.

M. Jérôme Rivière a estimé que le rapport présentait objectivement les éléments de réflexion et de choix. Il a rappelé que les propos de l'amiral Jean-Louis Battet, chef d'état-major de la marine, lors d'une audition précédente tendant à souligner l'importance des risques d'attentat contre un porte-avions nucléaire l'avaient choqué. Compte tenu de l'importance du dossier, il était important que le Parlement s'intéresse au sujet de la propulsion du second porte-avions. Les critères sont multiples et, selon le poids relatif qui leur est accordé, la solution retenue ne sera pas la même. En ce qui concerne le coût, il existait à l'origine une forte prévention contre le nucléaire. Les évolutions ont été très importantes en la matière, puisqu'aujourd'hui le surcoût global de possession du nucléaire a été ramené à 13 %. Il s'agit toutefois d'une comparaison entre une offre commerciale ferme, globalement validée par la DGA à un peu moins de deux milliards d'euros, et des extrapolations sur les éléments de coût d'un porte-avions national à propulsion classique, estimé pour l'instant à 2,3 milliards d'euros. Le prix du CVF s'établissait en juillet dernier à 2,7 milliards d'euros, ce qui ne correspondait pas à l'enveloppe financière prévue par les Britanniques. Le projet est donc en cours de redéfinition complète, les études commandées à cet effet mobilisant mille personnes pour six mois, pour un coût de cinquante millions de livres. L'ambition et la taille du CVF sont donc largement revues à la baisse et les incertitudes sur ses caractéristiques techniques sont nombreuses. Pour l'instant, il n'existe qu'un devis certain, la solution nucléaire, et deux extrapolations pour les solutions classiques. Toutefois, les écarts se réduisent sensiblement et il est probable que le critère du prix sera finalement moins déterminant qu'initialement prévu. Il faut malgré tout souligner que le choix d'une solution classique reviendrait à créer un nouveau prototype, avec tous les risques de surcoût que cela induit.

S'agissant des critères opérationnels, les qualités de la propulsion nucléaire, démontrées lors de la mission Héraclès, font l'unanimité. Un porte-avions français à propulsion classique ou le CVF ne constituerait pas un retour en arrière, puisqu'il s'agirait de bâtiments de nouvelle génération, mais ils présentent des risques de développement accrus par rapport au nucléaire, dont on connaît bien les caractéristiques.

Les problèmes supposés pour la sécurité et les escales mis en avant par certains appellent deux objections. D'une part, construit-on un outil militaire pour les escales en temps de paix ou pour ses capacités opérationnelles ? D'autre part, le second porte-avions sera appelé à emporter des armes nucléaires qui, si elles ne présentent pas les caractéristiques des installations nucléaires que sont les chaudières, sont perçues comme des facteurs de risques par certains secteurs de l'opinion. Le sujet de la pollution atmosphérique mérite d'être davantage abordé, puisque les turbines à gaz entraînent des rejets, notamment de gaz à effet de serre, domaine dans lequel la France a pris des engagements internationaux de réduction.

En matière industrielle, il convient de souligner le succès considérable que représente le rôle obtenu par Thales pour la construction du CVF britannique. Pour autant, il faut rappeler que DCN vient d'être recapitalisé et que, dans le cadre des rapprochements entre Thales et cette dernière, il n'est pas inutile de contribuer à la valorisation de DCN en lui confiant un programme majeur. Le coût de la propulsion représente de l'ordre de 250 millions d'euros et, si l'option classique était retenue, seuls des industriels étrangers seraient en mesure de répondre aux besoins. Enfin, le renforcement de l'Europe de la défense serait réel dans le cas où l'option CVF serait choisie par la France. Il serait marginal pour les deux autres projets.

En conclusion, deux choix se présentent vraiment. Celui d'un porte-avions nucléaire dérivé du Charles de Gaulle, d'une part, dont les contours sont maîtrisés, les surcoûts limités et qui permet de sortir de la logique prototype. Celui de la coopération, d'autre part, qui nécessitera en tout état de cause une volonté politique très affirmée. Il est permis de s'interroger sur le point de savoir si le porte-avions est le bon projet pour renforcer la coopération militaire franco-britannique. D'aucuns évoquent un EADS naval, mais il convient de rappeler que le succès d'EADS s'est construit autour d'un projet industriel, Airbus, et non pas d'un produit, comme ce fut le cas pour Concorde.

M. Charles Cova a souligné qu'il convenait de prendre en compte la cohérence d'ensemble, à l'horizon 2015, de la Marine qui doit faire face à de lourds et indispensables programmes. Une capacité maritime se construit avant tout sur la cohérence de la flotte de surface, les porte-avions et sous-marins parachevant le dispositif.

Parmi les trois options réellement en lice, les deux citées le plus fréquemment sont un porte-avions à propulsion nucléaire directement dérivé du Charles de Gaulle et un porte-avions à propulsion conventionnelle réalisé en coopération avec les Britanniques. Il convient toutefois de ne pas négliger le potentiel que revêt l'hypothèse d'un porte-avions national à propulsion conventionnelle, notamment si une coopération avec les Britanniques n'aboutissait pas.

La décision finale doit répondre à quatre logiques : politique européenne de défense, capacités technico-opérationnelles, montages industriels et coûts.

Du point de vue des implications politiques et stratégiques, la coopération avec le Royaume-Uni offre une opportunité unique, permettant d'envisager, au-delà de la construction des bâtiments, un accord portant sur leur disponibilité commune, ce qui irait dans le sens du discours prononcé par le Premier ministre devant l'IHEDN le 14 octobre 2002. Lors du sommet du Touquet, le 4 février 2003, la France et le Royaume-Uni ont adopté une déclaration sur le renforcement de la coopération européenne en matière de sécurité et de défense.

En ce qui concerne les éléments techniques et opérationnels, le nucléaire présente bien des avantages. La mobilité stratégique d'un porte-avions nucléaire doit toutefois être nuancée, car il ne se déplace sans son escorte. L'essentiel est que le second porte-avions soit un navire de son temps. Les obsolescences du Charles de Gaulle, conçu il y a vingt ans, sont déjà perceptibles et ce bâtiment dispose d'une faible marge d'évolution. C'est pourquoi seuls un porte-avions en coopération avec les Britanniques ou un porte-avions à propulsion classique de construction nationale peuvent présenter les capacités d'évolutivité nécessaires pour un navire devant rester en service au-delà de 2050.

En ce qui concerne les aspects industriels, les difficultés d'une coopération internationale sur de grands programmes sont connues, mais une collaboration avec les Britanniques se situe peut-être dans un schéma différent. Ils doivent satisfaire les mêmes besoins technico-opérationnels et calendaires et se placent dans une perspective de maîtrise stricte des coûts, comme en témoigne l'ampleur de leur programme d'études visant à redéfinir le CVF. Le sort de DCN ne peut en aucun cas laisser indifférent et on peut remarquer que, quel que soit le cas de figure retenu, DCN doit rester un intervenant de tout premier plan, notamment pour l'intégration des systèmes d'armes. Armaris jouera un rôle éminent en cas de coopération avec le Royaume-Uni.

En ce qui concerne les éléments financiers du dossier, les écarts entre les trois options principales se sont réduits. Le coût d'acquisition hors taxes d'un porte-avions nucléaire dérivé du Charles de Gaulle devrait être légèrement inférieur à deux milliards d'euros et il est probable que les solutions conventionnelles, nationales ou en coopération, dont les études se poursuivent, se situeront au même niveau. Cependant, le nucléaire connaît toujours des dérives de coûts, tout particulièrement en matière d'entretien, comme en témoigne l'échec de la tentative de maîtrise des coûts, qui ont augmenté de plus de 30 % à l'occasion de la première indisponibilité pour entretien et réparations (IPER) d'un SNLE-NG. Il faudra contraindre les industriels à respecter les prix annoncés.

Le nucléaire n'est pas un mode de propulsion dépassé et reste indispensable sur certains types de bâtiments. Dans le cas du porte-avions, le choix doit surtout tenir compte du besoin d'assurer le financement de l'ensemble des programmes nécessaires au renouvellement de la marine à l'horizon 2015 et s'inscrire également dans le contexte budgétaire de la France. Un dérivé du Charles de Gaulle n'offre pas les marges d'évolutions absolument indispensables sur la durée de vie du deuxième porte-avions. L'opportunité d'une coopération avec le Royaume-Uni présente le double avantage de répondre aux besoins opérationnels à long terme de la marine et de contribuer de manière décisive à la construction de l'Europe de la défense. Cette coopération reste toutefois entourée d'incertitudes et la décision de procéder à des études sur un porte-avions à propulsion classique nationale est un choix de bon sens et de prudence.

Le président Guy Teissier a noté que la propulsion nucléaire n'est pas considérablement plus chère, ce qui constitue une bonne surprise. Il a ensuite demandé si, dans le calcul des coûts de possession du porte-avions à propulsion classique, il avait été tenu compte du coût d'un pétrolier ravitailleur supplémentaire et de son équipage. Puis, il s'est interrogé sur la pertinence de l'idée selon laquelle le potentiel d'évolution d'un deuxième porte-avions nucléaire serait limité : le vieillissement du Charles de Gaulle est lié au délai très long de sa construction en raison de l'étalement du programme et il convient de faire confiance aux capacités des ingénieurs et des industriels pour remédier aux obsolescences constatées. Enfin, il apparaît que la propulsion nucléaire permet de laisser plus d'espace pour l'entreposage des avions et leur maintenance que la propulsion classique, qui mobilise d'importants volumes pour le stockage du carburant.

M. Charles Cova a répondu que les quatre pétroliers ravitailleurs actuels étaient vieillissants et qu'ils devraient être remplacés entre 2008 et 2015. Par ailleurs, les besoins en carburant des Rafale, supérieurs de 30 % à ceux des Super Etendard, imposent que les nouveaux pétroliers ravitailleurs soient de tonnage supérieur aux actuels. Enfin, ces bâtiments ont aussi une fonction de soutien général, y compris pour l'alimentation, et leur mission ne se limite pas à l'avitaillement des porte-avions. Ils seront donc dimensionnés en fonction de l'ensemble des besoins.

La place sur le Charles de Gaulle est limitée. Pendant l'opération Héraclès, faire stationner et manœuvrer dix-sept Super-Etendard, dont les ailes sont repliables, et huit Rafale a créé certaines difficultés. On peut penser que faire évoluer trente-deux Rafale sans ailes repliables ne sera pas toujours aisé. Par ailleurs, pendant la durée de vie du deuxième porte-avions, s'ajoutera la nécessité d'y faire évoluer aussi des drones. Une plate-forme plus grande que celle du Charles de Gaulle est donc souhaitable, quelles que soient par ailleurs les grandes qualités de ce bâtiment.

La maintenance doit être également analysée au regard de l'expérience actuelle. La transformation de DCN en société nationale semble avoir une influence peu favorable sur l'évolution des coûts de maintenance facturés à la Marine. Or, pour une bonne part, il s'agit d'un marché captif.

La présence de l'ASMP à bord du porte-avions, si elle nécessitera des installations de protection spécifiques, sera en tout état de cause extrêmement épisodique.

M. Jérôme Rivière a estimé que la place était certes comptée dans le Charles de Gaulle, mais qu'elle n'était pas insuffisante. L'armement nucléaire sera potentiellement à bord à n'importe quel moment.

M. Jean-Michel Boucheron a souligné l'intérêt du rapport d'information : la mission d'information a obligé les partenaires du programme, notamment les industriels, à faire des démonstrations rigoureuses et argumentées des besoins, des solutions proposées et des coûts induits.

Il s'est ensuite interrogé sur la pertinence de certains arguments en défaveur de la propulsion nucléaire. Mettre en avant les dangers d'attentat pour la réfuter n'imposerait-il pas d'interdire toute sortie au Charles de Gaulle ? Selon que DCN a ou non dans son plan de charge la construction d'un porte-avions nucléaire, sa valeur capitalistique n'est pas la même. Or, elle représente un enjeu majeur à l'heure des restructurations de la construction navale militaire européenne.

Puis, il a jugé que la maintenance de deux porte-avions aux conceptions technologiques radicalement différentes était obligatoirement beaucoup plus complexe et coûteuse que celle de deux porte-avions mettant en œuvre les mêmes technologies. Un porte-avions est aussi beaucoup plus un outil de gestion de crise que de guerre proprement dite. Pendant les opérations liées à la situation en Afghanistan, les forces françaises étaient déjà au large du Pakistan avant que le porte-avions ne les rejoigne, mais on n'a parlé de la présence de la force française dans l'Océan indien qu'à partir du moment où il y a été envoyé. Enfin, si certaines escales sont fermées aux porte-avions dès lors que leur propulsion est nucléaire, cela n'a pas de grandes conséquences.

En revanche, il est vrai qu'un porte-avions construit en coopération ne peut pas être à propulsion nucléaire. La nécessité, pour montrer la volonté de la France de construire l'Europe de la défense, d'envoyer un signal fort impose donc de rechercher d'autres éléments pouvant constituer un tel signal. Une collaboration franco-britannique pourrait-elle être recherchée dans les sous-marins ? Sinon, pourquoi ne pas travailler sur ce qui, dans le porte-avions, n'est pas la propulsion ? L'électronique embarquée, les systèmes d'armes représentent 40 % du coût du porte-avions. Un projet de porte-avions commun où 40 % de l'équipement serait défini et construit en coopération constituerait une grande avancée. Cette coopération pourrait même concerner certains éléments de l'appareil propulsif lui-même, à l'exception de la chaudière nucléaire proprement dite. Ainsi, la vitesse du porte-avions est limitée non pas par les capacités de ses chaudières, mais par celles du réducteur. Eu égard à la compétence de l'industrie britannique dans ce domaine, une coopération entre celle-ci et DCN ne pourrait-elle pas être envisagée pour mettre au point un nouveau réducteur permettant d'améliorer sensiblement la vitesse du porte-avions nucléaire ?

M. Gilbert Le Bris a insisté sur les multiples éléments susceptibles d'influencer le choix du mode de propulsion du second porte-avions :

- les considérations politiques relatives à la volonté de mener une coopération européenne ;

- les aspects financiers, non négligeables ;

- les considérations relatives à la notion même de nucléaire, emblématique pour certains, inacceptable pour d'autres ;

- les intérêts respectifs de la Marine et des industriels, pas toujours convergents.

Il a rappelé qu'il aurait préféré une coopération avec l'Allemagne, qui aurait été plus facile qu'avec le Royaume-Uni, en raison des habitudes de travail en commun et d'une plus grande convergence de vues politique. Cette collaboration, qui aurait contribué à réduire les coûts de construction, n'est malheureusement pas pour l'heure envisageable, la partie allemande ayant d'autres priorités.

Seule, une forte volonté politique de coopérer avec les Britanniques peut conduire la France à choisir un porte-avions classique. Plusieurs arguments plaident en faveur d'un porte-avions à propulsion nucléaire : le coût financier, essentiel dans le contexte économique actuel, et la possibilité de fabriquer des chaudières nucléaires plus performantes que celles conçues il y a quinze ans pour le Charles de Gaulle.

Le choix du nucléaire permettrait de bénéficier du retour d'expérience du Charles de Gaulle et de conforter le savoir-faire français dans ce domaine.

M. Jean-Yves Le Drian a rappelé qu'à la suite du sommet de Saint-Malo, en 1998, une certaine euphorie avait régné s'agissant des perspectives de coopération maritime avec le Royaume-Uni, mais que les déboires ultérieurs du programme de frégates Horizon ont affecté les capacités de la Marine nationale et ont tempéré les ardeurs de coopération navale entre les deux pays.

Les Britanniques ont déjà changé à plusieurs reprises de point de vue s'agissant des choix majeurs relatifs à leurs porte-avions. Ils ont hésité entre avions à décollage et atterrissage verticaux ou avions classiques, ainsi que sur la possibilité de mettre en œuvre ou non le Hawkeye. De nouvelles tergiversations risqueraient d'induire un retard considérable. Or, la France est liée par un calendrier strict, si elle veut disposer du second porte-avions lorsque le Charles de Gaulle subira sa première IPER.

Enfin, M. Jean-Yves Le Drian a fait part de sa perplexité vis-à-vis de l'argument selon lequel un porte-avions classique serait plus évolutif qu'un porte-avions nucléaire. Tous les arguments militent selon lui pour le choix d'un navire à propulsion nucléaire.

M. Charles Cova a indiqué qu'une éventuelle coopération avec les Britanniques ne pourra pas porter sur les systèmes d'armes, le système français ayant été récusé par la Royal Navy. Il est envisageable d'améliorer les performances du réacteur nucléaire K 15, qui équipe actuellement le Charles de Gaulle, mais cela induira nécessairement un coût supplémentaire. Les Britanniques ont dépensé 50 millions de livres et recruté un millier d'ingénieurs supplémentaires pour accélérer le processus de décision concernant leurs porte-avions. Les choix définitifs devraient être annoncés au plus tard en juin 2004, ce qui reste compatible avec le calendrier français. Un porte-avions nucléaire dérivé du Charles de Gaulle peut subir une augmentation de poids de 3 000 tonnes au cours de sa vie active, dont 1 800 tonnes pour le carburant aviation. Un navire à propulsion classique, plus gros, aurait un potentiel d'évolution plus important.

M. Yves Fromion a estimé que les propos de l'amiral Jean-Louis Battet sur le choix du mode de propulsion ne devaient pas faire l'objet d'une simplification hâtive. En effet, nombre d'Etats européens, tels que la Suède et l'Allemagne, affichent des positions complexes et parfois réservées sur l'énergie nucléaire. Dans le cadre de la construction de l'Europe de la défense, on ne peut ignorer les réactions des autres Etats de l'Union sur cette question.

M. Jean-Louis Bernard a mis en avant la complexité du sujet qui a été abordé et les avis divergents des rapporteurs ; d'importantes incertitudes subsistent sur le coût de la construction et de la maintenance du futur porte-avions ainsi que sur l'évolutivité des différentes options qui peuvent être retenues. A ce titre, le rapport qui a été présenté à la commission constitue davantage un rapport d'étape.

M. Jérôme Rivière a indiqué qu'en dépit de la persistance d'incertitudes, le rapport apporte nombre d'informations et d'éclaircissements. Il serait d'ailleurs souhaitable que la commission mette en place un dispositif de suivi de ce dossier auprès de la DGA, qui pourrait lui transmettre les données nouvelles dont elle dispose. Si les travaux menés ont permis d'aboutir à un rapport commun, présentant l'ensemble des options envisageables de façon claire, il n'en reste pas moins que les conclusions tirées individuellement par chacun des rapporteurs sont différentes.

Le président Guy Teissier a précisé que le rapport avait pour premier objet d'exposer les quatre solutions possibles pour la construction d'un second porte-avions et n'impliquait pas nécessairement d'aboutir à une conclusion unanime des différents rapporteurs. La proposition d'un suivi informel des travaux de la DGA est tout à fait intéressante. Ce dernier permettrait de disposer d'informations déterminantes et pourrait donner lieu à des communications devant la commission ou son bureau, la prise de décision finale devant intervenir au premier semestre 2004.

M. René Galy-Dejean a souligné que la difficulté résidait désormais dans la prise de décision. La propulsion nucléaire semble être la solution la plus appropriée, sous réserve cependant que le porte-avions puisse dans ce cas atteindre une vitesse suffisante pour propulser les avions en toutes circonstances.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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