COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 6 janvier 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense

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Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que les forces françaises avaient été fortement sollicitées en 2003 et au début de l'année 2004. Ainsi, lors du tragique accident d'avion de Charm el-Cheikh, ce sont les forces militaires qui ont été déployées pour contribuer à localiser l'épave de l'appareil, récupérer les enregistreurs de vols (les « boîtes noires ») et repêcher les corps des victimes. Quelques jours auparavant, les forces françaises sont aussi intervenues en Iran à la suite du tremblement de terre survenu dans la région de Bam ; la rapidité de leur intervention et l'efficacité de l'aide médicale prodiguée ont été reconnues. Les forces armées ont également été fréquemment sollicitées sur le sol national : canicule et incendies à l'été 2003, inondations au début de l'hiver.

A ces activités s'ajoutent les opérations extérieures. L'intervention en Côte d'Ivoire est la plus importante. Elle mobilise 4 000 militaires, dont de nombreux gendarmes. Le rôle de ceux-ci a été essentiel lors des manifestations devant la base militaire française, à la fois pour la bonne coordination avec la gendarmerie ivoirienne et le cantonnement des opérations dans la catégorie du maintien de l'ordre.

Opérant désormais en Côte d'Ivoire en application de la résolution du Conseil de sécurité n° 1464 du 4 février 2003, l'armée française y était présente depuis plusieurs mois. Cette présence a permis de protéger les ressortissants français et étrangers et d'éviter que se produisent des massacres comparables à ceux perpétrés dans la région des Grands Lacs ou en Sierra Leone. Des militaires français ont payé ce résultat de leur vie. Les efforts consentis portent aujourd'hui leurs fruits : la situation s'est stabilisée, même si des poussées de violence de la part d'extrémistes des deux camps sont toujours à redouter, et les parties en présence ont compris qu'il était nécessaire d'accélérer la mise en oeuvre des accords de Marcoussis.

Depuis septembre 2003, de réels progrès ont été accomplis : la quasi-totalité des points de contrôle entre le nord et le sud du pays a été levée, les prisonniers ont été libérés, le regroupement des armes légères et le recensement des armes lourdes ont commencé et la « zone de confiance » entre le nord et le sud a été étendue. Les « forces impartiales », constituées des forces françaises de l'opération « Licorne » et de la MICECI, la mission de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest) en Côte d'Ivoire, déjà à Bouaké, sont maintenant aussi à Korhogo. Les militaires français participent de fait à la mise en œuvre des accords de paix de Marcoussis en facilitant les rencontres entre les représentants militaires locaux des deux parties, ce qui permet aux villages de reprendre une vie normale : les écoles et dispensaires ouvrent de nouveau leurs portes, les marchés se mettent en place... Les ministres d'opposition devraient réintégrer rapidement le Gouvernement et le président de la République de Côte d'Ivoire devrait se rendre prochainement à Bouaké. Les forces françaises auront également un rôle à jouer dans la préparation et le déroulement des élections prévues en 2005, qu'il s'agisse de faciliter le recensement ou de veiller aux opérations de vote.

Les militaires français sont présents dans d'autres pays d'Afrique. En République centrafricaine, les 200 soldats français de l'opération Boali continuent à jouer un rôle important dans un pays totalement désorganisé et en proie à l'insécurité. L'opération menée en Ituri, en 2003, bien que techniquement difficile, est également une réussite. Il s'agissait de la première opération de l'Union européenne menée avec ses seuls moyens. Elle était sous commandement français. A l'issue de cette intervention, la mission d'observation des Nations unies au Congo (MONUC) a pu succéder aux forces européennes et conduire normalement ses tâches.

En Afghanistan, où Mme Michèle Alliot-Marie s'est rendue mi-décembre, environ 500 militaires sont déployés aux alentours de l'aéroport de Kaboul, dans le cadre de la Force internationale d'assistance et de sécurité, dont le commandement est aujourd'hui assuré par l'OTAN. Cinquante autres militaires français participent à la formation de l'armée afghane, avec de bons résultats, notamment en matière de fidélisation et de qualité d'instruction des recrues. Ces éléments augurent favorablement de la reconstruction du pays, d'autant plus que le président Hamid Karzaï a lancé une politique de retour au pays des talibans les moins fortement engagés, jusqu'alors réfugiés au Pakistan. Cependant, il semble que certains talibans, plus engagés, profitent de cette opportunité pour reconstituer en Afghanistan des cellules de l'organisation Al-Qaïda. Enfin, la France dispose encore dans le sud du pays de forces spéciales dont le professionnalisme et l'efficacité ont été salués par le commandement américain.

Dans les Balkans, l'opération conduite en Macédoine est désormais achevée ; ne subsistent que des forces de soutien, qui comprennent quarante gendarmes français, lesquels représentent le tiers des effectifs totaux restants. Cette force met en œuvre un concept spécifique de gestion de sortie de crise et vient en appui à la proposition de créer un corps européen de gendarmerie. Au Kosovo, la France doit assumer le commandement des opérations au deuxième semestre 2004 ; les forces françaises participent actuellement à la KFOR à hauteur de 3 100 militaires ; elles prendront part aux nouvelles avancées, telles que la désectorisation de la région. En Bosnie-Herzégovine, les forces françaises sont de 1 100 militaires, soit 10 % de l'ensemble des effectifs militaires présents ; il est prévu que la responsabilité de l'opération, assumée par l'OTAN, soit transférée à l'Union européenne, tandis que le nombre total de militaires doit diminuer. Les effectifs des forces françaises, dont la proportion au sein de la coalition demeurera identique, devraient être réduits à terme à 400 militaires. Il convient toutefois de ne pas se hâter de proclamer que les opérations militaires sont terminées : la stabilité de la Bosnie-Herzégovine peut être affectée par l'action non seulement de mouvements politiques, mais aussi de réseaux mafieux, qui ont tout intérêt à ce qu'un certain désordre perdure.

La ministre de la défense a ensuite évoqué le dossier du second porte-avions. Elle a reçu les rapports élaborés par la délégation générale pour l'armement (DGA) ; une synthèse en a été faite, qui prend en compte les réflexions du rapport d'information établi par la commission de la défense. Une phase de consultation interministérielle est désormais engagée et devrait être suivie sous peu par la prise d'une décision sur le mode de propulsion.

Le président Guy Teissier a fait part de son sentiment que le président Laurent Gbagbo semblait souhaiter gagner du temps, en prétendant travailler à la mise en œuvre des accords de Marcoussis sans chercher réellement à aboutir à leur application. Les ministres d'opposition ne sont pas revenus au sein du gouvernement ivoirien, la partition de fait du pays perdure, la loi d'amnistie prévue par les accords de Marcoussis n'a pas été votée et le désarmement n'est pas achevé. Les forces françaises assurent le maintien de la paix, tandis que la gendarmerie ivoirienne est toujours absente et que les préfets et les fonctionnaires ne sont pas encore revenus. Une impression de statu quo et d'usure prédomine, le président Gbagbo semblant s'appuyer à la fois sur les forces françaises et sur les membres les plus extrémistes de son parti. Alors qu'un premier projet de voyage en France du président ivoirien a été ajourné, peut-on aujourd'hui envisager qu'il vienne effectivement dans notre pays dans les prochaines semaines ?

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que ces dernières semaines ont été marquées par de nombreuses avancées, les levées de barrages, le rassemblement d'armes et la libération de prisonniers. Les ministres d'opposition devraient reprendre leur place au Gouvernement dès le 6 janvier et les textes prévus par les accords de Marcoussis ont été élaborés et présentés devant l'Assemblée nationale et le Conseil des ministres. Si certains éléments, de l'un et de l'autre bord, s'accommodent de la crise et de la partition actuelles, il apparaît que le président Gbagbo a conscience que l'application des accords de Marcoussis conditionne la préservation de l'unité du pays ; l'impression de flottement actuellement constatée peut s'expliquer par la nécessité pour le président ivoirien de composer avec l'ensemble de son entourage, dont les membres ne sont pas tous favorables aux accords.

La ministre a indiqué que, lors de ses entretiens avec le président Gbagbo, celui-ci a convenu que les fonctionnaires n'étaient pas encore revenus dans certaines zones, notamment dans le nord du pays, car ils craignaient que la situation fût encore trop instable. Toutefois, ceux qui sont revenus dans ces régions n'ont pas rencontré de difficultés et certains sont restés tout au long de la crise. La venue du chef d'Etat ivoirien à Paris est envisagée à la fin du mois de janvier. Le report de cette visite est dû au fait que le président Gbagbo souhaite pouvoir présenter des résultats tangibles.

Le président Guy Teissier a souhaité savoir si la venue des forces françaises à Bouaké avait été motivée par la volonté de permettre au président Gbagbo de s'y rendre.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que la décision de faire prendre position aux forces impartiales à Bouaké était sans rapport avec la décision du président Gbagbo et lui était largement antérieure.

M. Richard Mallié a regretté que la France n'ait pas participé aux négociations, menées par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, qui ont abouti à la décision, annoncée par la Libye, de renoncer à des armes de destruction massive : le développement des capacités militaires françaises et l'émergence d'une Europe de la défense ne devraient-il pas permettre à la France de retrouver une influence plus importante dans ce domaine ? Rappelant ensuite que le document élaboré par M. Javier Solana, secrétaire général du Conseil et Haut représentant pour la PESC, sur la stratégie de sécurité, adopté par le Conseil européen en décembre 2003, utilise le concept de « guerre préventive », il a demandé si cette notion équivaut à celle de « prévention » au sens du modèle d'armée 2015.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que la France jouait tout son rôle dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Cependant, la réussite des négociations dans ce domaine nécessite des relations de grande confiance avec les Etats concernés. En raison du contentieux subsistant au sujet de l'indemnisation des victimes du DC10 d'UTA, la France était moins bien placée que les Etats-Unis et le Royaume-Uni pour obtenir de la Libye la destruction de ses stocks d'armes de destruction massive. En revanche, en collaboration avec d'autres pays européens, elle a obtenu la signature par l'Iran du protocole additionnel au traité de non-prolifération.

Le document sur la stratégie européenne de sécurité ne fait nullement référence à la notion de guerre préventive ; celle-ci ne correspond pas à l'état d'esprit du secrétaire général et n'est d'ailleurs soutenue par aucun Etat membre. Le document se réfère au contraire à la nécessité d'une politique de prévention des crises, rejoignant en cela le concept français de prévention. L'Union européenne peut en effet développer une telle politique, notamment en Asie et au Moyen-Orient.

M. Jérôme Rivière a rappelé que le rapport d'information qu'il avait présenté avec Mmes Patricia Adam, Marguerite Lamour et M. Charles Cova avait permis de décrire le contexte de la décision prochaine du Président de la République relative au mode de propulsion du second porte-avions. La commission de la défense a souhaité que les rapporteurs effectuent un suivi des questions encore en suspens. Les inconnues restent nombreuses sur les différentes offres concernant un bâtiment à propulsion classique et leur analyse par la délégation générale pour l'armement, sur la prise en compte des incidences sur l'environnement (pollution, effet de serre), sur l'importance des exigences de sécurité d'un tel bâtiment et sur les réflexions concernant l'élargissement des possibilités de coopérations, en particulier en matière de systèmes d'armes. L'absence de réponses de la DGA aux rapporteurs, malgré leur insistance, ne permet pas aux parlementaires de disposer des informations nécessaires et tranche avec le climat dans lequel le rapport d'information a pu être élaboré.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que, si sa propre appréciation des éléments du dossier était destinée prioritairement au Gouvernement et au Président de la République, rien ne justifiait que les demandes d'information des parlementaires sur ces points précis ne soient pas satisfaites, et qu'elles le seraient.

Soulignant le caractère capital des conséquences de la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) sur l'organisation interne et le périmètre extérieur du ministère de la défense, M. Jean-Michel Boucheron a souhaité connaître l'état d'avancement de la définition des agrégats, car la définition de cette architecture est une question éminemment politique et non financière, à laquelle le Parlement a vocation à être associé.

Le président Guy Teissier a précisé que M. François Cornut-Gentille, rapporteur d'information, était chargé au sein de la commission du suivi de l'avancement des travaux de définition des agrégats.

Mme Michèle Alliot-Marie a souligné qu'elle était prête à présenter devant la commission de la défense les propositions de son ministère, comme elle l'a déjà fait devant les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat. La LOLF constitue une véritable opportunité pour le ministère de faire preuve de plus de souplesse et de rester à la pointe de la modernisation de l'Etat. Les propositions du ministère ont été transmises à la fin de l'année 2003 et des discussions interministérielles ont débuté. Un arbitrage devra être rendu sur deux points par le Premier ministre à la fin du mois. Le débat avec le Parlement devrait alors pouvoir s'engager en février ou en mars 2004.

M. René Galy-Dejean a souhaité savoir quels étaient les deux points qui n'étaient pas tranchés.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu qu'il restait encore à déterminer si la sécurité intérieure ferait l'objet d'un agrégat regroupant les crédits de la police et de la gendarmerie et à fixer le périmètre du programme consacré à la préparation des forces.

M. Gilbert Le Bris a déclaré partager l'analyse du président Guy Teissier concernant la stratégie de retardement active suivie par le président de la République de Côte d'Ivoire. Il a ensuite posé trois questions, sur l'évolution à attendre du rôle des forces militaires africaines présentes en Côte d'Ivoire aux côtés des forces françaises, sur l'attitude des Etats voisins tels que le Burkina Faso dans la crise ivoirienne et sur les tâches des forces spéciales françaises en Afghanistan.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que les effectifs de la MICECI s'élevaient désormais à environ 1 500 militaires et que son commandement, reconnu et sérieux, donnait satisfaction au commandement de l'opération Licorne. Il est prévu qu'à l'occasion de la mise en œuvre de la nouvelle phase de désarmement, l'effectif des forces militaires s'accroisse, notamment par le déploiement d'une force de casques bleus. La lourdeur des procédures de l'ONU ne permettant pas d'envisager ce déploiement avant trois ou quatre mois, la ministre a indiqué qu'elle va se rendre le 16 janvier à New York pour rencontrer le secrétaire général Kofi Annan afin d'essayer d'accélérer ce processus.

Le rôle du Burkina Faso dans la crise ivoirienne continue d'alimenter les rumeurs, le président Gbagbo ayant expressément demandé que cesse l'approvisionnement des forces nouvelles en munitions transitant par ce pays. En revanche, d'autres Etats voisins, notamment le Mali, font pression sur les deux parties en vue d'une réconciliation et du maintien de l'unité du pays. L'évolution de la Côte d'Ivoire, dans un sens ou dans l'autre, jouera un rôle de modèle dans la région.

Au-delà de leurs tâches purement défensives, les forces spéciales en Afghanistan mènent aussi des activités de renseignement, conformément à leur fonction.

Le président Guy Teissier a conclu la réunion en soulignant l'attachement de la commission à obtenir des informations complémentaires sur le mode de propulsion du second porte-avions.

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