COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 19

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 4 février 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président, puis de
M. Michel Voisin, vice-président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen de la proposition de résolution de MM. Yves Cochet, Noël Mamère et Mme Martine Billard tendant à créer une commission d'enquête sur la production et l'utilisation d'armement à l'uranium appauvri par la France et l'impact sanitaire réel des armes utilisées chez les personnels civils et militaires engagés dans les opérations militaires du Golfe, et les suivantes ainsi que leur impact sur l'environnement - n°829 (M. Jean-Louis Bernard, rapporteur)





2

- Examen du rapport de la mission d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2003 (M. Guy Teissier, rapporteur).


7

Proposition création commission d'enquête production et utilisation d'armement à l'uranium appauvri (rapport).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné, sur le rapport de M. Jean-Louis Bernard, la proposition de résolution de MM. Yves Cochet, Noël Mamère et Mme Martine Billard tendant à créer une commission d'enquête sur la production et l'utilisation d'armement à l'uranium appauvri par la France et l'impact sanitaire réel des armes utilisées chez les personnels civils et militaires engagés dans les opérations militaires du Golfe, et les suivantes ainsi que leur impact sur l'environnement (n°829).

Le président Guy Teissier a rappelé que deux propositions ayant un objet analogue à celle dont la commission était aujourd'hui saisie avaient été déposées sous la précédente législature et rejetées par la commission de la défense, respectivement les 2 octobre 2000 et 18 avril 2001. En revanche, la commission avait décidé le 2 octobre 2000 la création d'une mission d'information « sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe, à des risques de pathologies spécifiques », présidée par M. Bernard Cazeneuve, M. Charles Cova en étant vice-président et Mme Michèle Rivasi et M. Claude Lanfranca co-rapporteurs. Cette mission comprenait six autres membres, de tous les groupes politiques, parmi lesquels MM. Jean-Louis Bernard, René Galy-Dejean et lui-même. Le 10 janvier 2001, l'objet de la mission a été élargi aux opérations dans les Balkans. Présenté le 15 mai 2001 (rapport n° 3055, XIème législature), le rapport de la mission d'information a été complété, le 20 février 2002, par une communication des rapporteurs portant plus spécialement sur les Balkans, qui a fait l'objet du compte rendu n° 29 (2001-2002) publié par la commission.

Ce travail approfondi est néanmoins jugé insuffisant par les auteurs de la proposition de résolution qui ont déposé le 9 mai dernier une demande de création d'une commission d'enquête. Le 18 juin 2003, la commission a désigné son rapporteur, M. Jean-Louis Bernard. Toutefois, ce n'est que le 3 décembre 2003 que le texte de la proposition a été mis en distribution. Il appartient à la commission de la défense, conformément à l'article 140 du Règlement, de se prononcer sur cette proposition, après en avoir examiné la recevabilité et l'opportunité.

M. Jean-Louis Bernard, rapporteur, a exposé que parmi les causes des troubles pathologiques dont se sont plaints certains vétérans de la guerre du Golfe et des opérations dans les Balkans, la toxicité des armements à uranium appauvri a régulièrement été citée.

Selon les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées » ; de plus « il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».

Si la proposition de résolution remplit à l'évidence la première condition fixée par l'article 6 de l'ordonnance, celle de porter sur des faits déterminés, en revanche, le garde des sceaux, saisi par le Président de l'Assemblée nationale en application de l'article 141 du Règlement, a répondu que : « des procédures judiciaires sont actuellement en cours devant le tribunal aux armées de Paris et devant le tribunal de grande instance de Paris sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition, s'agissant des plaintes de militaires français engagés pendant les opérations militaires en Arabie Saoudite, en Irak et au Koweït en 1990 et 1991. ». Dès lors, l'interprétation stricte de la loi oblige à conclure que l'existence même de procédures judiciaires en cours fait obstacle à la création d'une commission d'enquête. La proposition de résolution apparaît donc irrecevable.

Cependant, eu égard à l'importance des questions soulevées par la proposition, la commission devait l'examiner aussi au fond et se prononcer également sur l'opportunité de la création d'une telle commission d'enquête.

Eu égard à la mission d'information constituée sous la précédente législature, la création d'une commission d'enquête se justifierait du fait des lacunes qui pourraient être constatées dans les travaux de cette mission d'information ou de faits nouveaux apparus depuis. C'est bien le sens de la proposition de résolution, dont l'exposé des motifs est tout particulièrement critique sur les travaux de la mission d'information relatifs à l'uranium appauvri.

Pour le rapporteur, la mission d'information a fait un travail sérieux et approfondi. Le rapport a été adopté à l'unanimité des membres de la mission d'information. Sur chacun des trois champs d'investigation définis par la proposition de résolution, la mission d'information a été aussi loin que les pouvoirs de contrôle du Parlement le lui permettaient ; une commission d'enquête n'apporterait aucun élément neuf par rapport à ses analyses et propositions.

Si la mission d'information a certes dû composer avec les exigences du secret de la défense nationale, une commission d'enquête ne pourrait pas, mieux qu'elle, s'affranchir des règles protectrices de ce secret. Aux termes de l'article 6-II de l'ordonnance n° 58-1100 précitée, si « les rapporteurs des commissions d'enquête (...) sont habilités à se faire communiquer tous documents de service [...] », c'est « à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat ».

La mission d'information a été soucieuse de pouvoir conclure de façon sûre, à partir de données effectives. Elle a procédé à des auditions détaillées. Sur sa demande, le ministère de la défense a déclassifié de très nombreux documents à son intention. Outre les auditions, elle a publié, en annexe de son rapport, une partie d'entre eux.

La première conclusion de la mission d'information, aux termes de laquelle la France n'a pas utilisé d'armes à uranium appauvri pendant la guerre du Golfe et les opérations du Kosovo, est fondée sur des éléments solides et très précis. Les auditions auxquelles elle a procédé comportent de très nombreuses données vérifiables, sur la chronologie des recherches en matière de munitions à uranium appauvri et des livraisons de celles-ci, sur les équipements nécessaires pour les processus industriels de l'uranium métal et sur leur disponibilité en France. Il apparaît qu'en 1991, la France ne disposait encore que de maquettes de telles munitions ; les machines spécifiques nécessaires à la fabrication de flèches en uranium appauvri n'ont été mises en place qu'en 1994. La production a cessé en 1998. Publiées par la mission d'information en annexe de son rapport, ces auditions sont aussi disponibles pour leur examen et leur recoupement par des analystes indépendants qui douteraient de leur véracité. A ce jour, il ne semble pas que quiconque ait pu prendre celle-ci en défaut. De même, nul, ni avant ni après la chute du régime de Saddam Hussein, ne semble avoir repéré en Iraq les traces d'une utilisation par la France d'armes à uranium appauvri, pas plus qu'au Kosovo.

Les Etats-Unis, en revanche, font une utilisation habituelle d'armes à uranium appauvri. Ils ont tiré de telles munitions pendant la guerre du Golfe, dans les Balkans, en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo en 1999. La question de l'impact sanitaire de l'utilisation de ces munitions sur les soldats français n'est donc aucunement écartée par l'absence d'utilisation de ces armes par la France.

Les travaux de la mission d'information font apparaître que la toxicité de l'uranium métal est bien connue et justifie des mesures de protection spécifiques, qui sont mises en œuvre dans l'industrie civile comme dans le secteur militaire. Les pathologies liées à l'uranium appauvri lui ont été présentées par des médecins spécialistes reconnus ; ces présentations ont inclus celle du suivi médical effectué sur certains militaires américains blessés par des tirs fratricides. La pathologie est donc connue et repérable, la mission d'information n'a aucunement cherché à le nier.

La mission d'information a aussi usé de ses pouvoirs pour établir si des militaires français avaient pu être exposés à l'uranium appauvri.

La déclassification à son usage, demandée et obtenue par elle, des journaux de marches et opérations des régiments engagés dans la guerre du Golfe lui a permis de conclure à la certitude que quatre régiments avaient été en contact avec des munitions à uranium appauvri, tirées par les Américains : le 1er régiment de dragons, le 4e régiment d'infanterie de marine, le 1er régiment étranger de cavalerie et le 2e régiment étranger d'infanterie.

Cependant, elle n'a aucunement conclu que la liste de ces quatre régiments était limitative. Les forces américaines n'ayant fourni à leurs alliés aucune information spécifique sur l'usage d'uranium appauvri pour les actions de bombardement, comme elle a pu l'établir notamment grâce à ses auditions d'officiels américains lors de sa   mission à Washington en avril 2001, la mission d'information considère que d'autres unités ont parfaitement pu être en contact avec l'uranium appauvri sans le savoir. Dans sa communication du 20 février 2002, elle a adopté la même démarche et tiré les mêmes conclusions pour les opérations dans les Balkans, qu'il s'agisse du Kosovo ou de la Bosnie-Herzégovine.

Enfin, la mission d'information a aussi établi que la présence dans l'uranium appauvri d'uranium 236, qui n'existe pas dans l'uranium naturel et est un produit résiduel de l'enrichissement de l'uranium, n'était que celle de traces résiduelles liées à des passages anciens d'uranium enrichi dans les usines américaines et que ces traces ne présentaient pas de risques sanitaires. Les résultats d'analyses médicales effectuées sur des vétérans, qui sont tous négatifs, sont annexés au rapport. A la connaissance du rapporteur, nulle analyse scientifique postérieure aux travaux de la mission d'information n'est venue contredire cette conclusion.

L'impact sanitaire réel de l'exposition à un produit toxique est l'impact constaté chez un patient par un médecin. La mesure de l'impact sanitaire réel de l'uranium appauvri sur les militaires de la guerre du Golfe et des opérations dans les Balkans ne peut donc résulter que de l'examen des patients, comparé à la pathologie connue de l'exposition à l'uranium appauvri.

Le 20 février 2002, les deux co-rapporteurs de la mission d'information ont présenté l'ensemble des mesures de surveillance médicale mises en œuvre par le service de santé des armées pendant et après les opérations au Kosovo. Ils exposent notamment qu'une étude épidémiologique portant sur 83 501 militaires français ayant séjourné dans les Balkans a été lancée. Fin juillet 2001, 62 392 dossiers de militaires encore en activité avaient été analysés et près de 1 000 consultations spéciales à la demande de civils et d'anciens militaires avaient été réalisées ; à une numération formule sanguin et à un bilan rénal s'ajoutait une recherche urinaire d'uranium appauvri pour toute personne en faisant la demande. Tous les examens se sont révélés négatifs.

Dans ces conditions, seuls les militaires ayant participé à la guerre du Golfe n'avaient pas fait l'objet d'une étude épidémiologique. Ce fut donc l'une des propositions de la mission d'information que de demander le lancement d'une telle étude. Cette étude a été lancée en 2001 et confiée à un organisme de recherche médical civil reconnu, l'institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM. L'équipe chargée de la conduire, dirigée par le professeur Roger Salamon, a présenté un rapport d'étape le 10 décembre 2003. Le rapporteur en a eu communication. Tout montre que le travail engagé correspond aux souhaits formulés : il cherche à examiner la totalité des anciens combattants de la guerre du Golfe et tente de repérer les pathologies qui pourraient trouver leur origine dans la participation à ce conflit. 20 208 militaires ayant participé à la guerre du Golfe ont été recensés ; l'adresse de 10 477 d'entre eux a été retrouvée et autant de questionnaires envoyés. Au 3 octobre 2003, 5 479 questionnaires avaient été retournés remplis à l'équipe de recherche. Le rapport final doit être rendu en juin 2004.

Un troisième volet d'enquête est souhaité par la proposition de résolution : l'impact des armes à uranium appauvri sur l'environnement. Cependant, quelle que soit son importance, de l'avis du rapporteur, cette question ne relève pas du Parlement français. En effet, il s'avère que les tonnes d'uranium appauvri pulvérisées sur l'Iraq et le Kosovo sont américaines ou britanniques. Quelle autorité le Parlement français a-t-il sur les armées et les autorités des Etats-Unis ou du Royaume-Uni ? Le sol kosovar, ou irakien, n'est pas sous juridiction française. Une enquête sur ce point ne relève donc aucunement du champ d'une commission d'enquête au sens de l'ordonnance n° 58-1100. En revanche, des organismes américains, irakiens, yougoslaves ou relevant de l'ONU, pourraient se saisir de cette question. Du reste, dans sa communication du 20 février 2002, la mission d'information relève qu'en janvier puis en mars 2001, le programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) s'est rendu au Kosovo et a visité onze sites bombardés avec des munitions à l'uranium appauvri et effectué plusieurs centaines de prélèvements divers. Il semble du reste que le PNUE se soit montré globalement rassurant.

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, le rapporteur a donc proposé à la commission de rejeter la proposition de résolution n° 829.

Le président Guy Teissier a considéré que le rapport devrait mettre un point final aux controverses.

Déclarant partager les conclusions du rapporteur, M. François Lamy a toutefois souhaité que la commission de la défense puisse s'intéresser aux conditions éventuelles d'utilisation de munitions à uranium appauvri par la France dans le futur, le char Leclerc et l'hélicoptère Tigre disposant de telles munitions.

M. Jean-Louis Bernard, rapporteur, a confirmé que la France conservait un stock de 7 000 obus flèches à uranium appauvri. Cette munition peut tuer de deux manières : soit par impact direct sur le blindage, qui provoque une élévation de température mortelle, soit par l'exposition à l'effet d'aérosol qui se forme autour du point d'impact. Dans ce dernier cas, les études ont montré que les retombées ne duraient pas plus de trois à quatre minutes et que le danger était limité à un rayon d'une vingtaine de mètres du point d'impact. Les tempêtes de sable rencontrées lors de la guerre du Golfe ont fait naître des craintes de déplacements de particules d'uranium appauvri et d'ingestion ou d'inhalation par des personnes a priori non exposées. Les conclusions de l'étude confiée au professeur Salamon devraient lever ces craintes, même si un suivi de la descendance des militaires concernés devra être organisé.

Jugeant convaincant le travail du rapporteur, M. Axel Poniatowski a demandé, eu égard aux fortes préoccupations des familles de militaires, si des travaux scientifiques ou parlementaires avaient été conduits aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni et si leurs conclusions étaient connues.

M. Jean-Louis Bernard, rapporteur, a répondu que les forces américaines avaient eu à déplorer des morts et des blessés victimes de tirs fratricides d'obus à uranium appauvri. Les blessés, qui ont reçu des éclats de ces obus, font l'objet d'un suivi médical. S'agissant des autres militaires, les analyses n'ont pas révélé de traces d'uranium dans l'organisme.

L'existence du National Health Service a permis au Royaume-Uni de reprendre les dossiers médicaux de l'ensemble des vétérans de la guerre du Golfe. Les examens, très complets, ont abouti à la même conclusion. Il a même été constaté une moindre mortalité et une moindre morbidité, notamment par cancer et leucémie, chez les vétérans de la guerre du Golfe et du Kosovo. Le rapport de l'enquête médicale a été intitulé : « Le syndrome de la guerre du Golfe n'existe pas ».

Pour autant, plusieurs propositions de la mission d'information portent sur l'instauration de conditions plus favorables et bienveillantes pour l'examen des dossiers. Au cours de ses travaux, la mission d'information a noté des plaintes récurrentes de douleurs musculaires. Des prélèvements effectués sur le muscle deltoïde par l'équipe du professeur Gherardi ont repéré des traces de sulfate d'alumine au point d'injection des vaccins. Normalement, après les vaccinations, celui-ci s'élimine assez rapidement. Toutefois, la mission d'information a considéré qu'une relation de cause à effet était possible et elle a insisté pour que cette piste ne soit pas négligée. Les autres troubles évoqués par les militaires peuvent difficilement être rapportés à l'uranium appauvri. En revanche, les deux guerres mondiales, ainsi que la guerre d'Algérie, ont aussi conduit à une augmentation des pathologies. On sait que le stress est un facteur déterminant dans l'apparition des troubles. Il est cependant difficilement avouable par des militaires et, en l'état actuel, il est impossible à quantifier.

Se déclarant convaincu par les propos du rapporteur, M. François Huwart a cependant demandé si le fait que la France ait cessé de produire des munitions à uranium appauvri n'était pas de nature à laisser le doute subsister. Si cette arme est si efficace et si son innocuité est prouvée par les enquêtes épidémiologiques, pourquoi a-t-on arrêté d'en fabriquer ?

M. Jean-Louis Bernard, rapporteur, a rappelé que l'état actuel des travaux établissait l'absence de pathologie dont les forces seraient victimes du fait de leur contact avec l'uranium appauvri. En revanche, l'uranium appauvri n'est pas une matière facile à manier. Son emploi est coûteux. Son intérêt était de pouvoir pénétrer les nouveaux blindages des chars des armées du Pacte de Varsovie. Cette menace étant désormais très amoindrie, il n'était pas illogique de revenir à la fabrication de munitions en tungstène.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté, à l'unanimité, la proposition de résolution n° 829.

*

* *

Exécution crédits défense 2003 (rapport d'information).

La commission a examiné le rapport de la mission d'information présidée par M. Guy Teissier sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2003.

Après avoir remercié tous les membres de la mission pour leur participation active aux travaux conduits, M. Guy Teissier, rapporteur, a rappelé que le Parlement examinait actuellement les missions et les programmes présentés le 21 janvier dernier par le ministre délégué au budget, afin de préparer l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001. Ces travaux, qui définissent la nouvelle architecture budgétaire de l'Etat, visent à renforcer le contrôle parlementaire sur les dépenses publiques. C'est en s'inscrivant dans cette logique que le rapporteur a proposé, le 12 février 2003, de créer une mission d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense, afin de permettre à la commission d'exercer sa vigilance sur l'emploi des crédits votés par le Parlement pour l'année 2003. Cette démarche novatrice participe de la revalorisation du contrôle parlementaire sur les finances publiques, en replaçant le Parlement au cœur des institutions de la Cinquième République.

Les années précédentes ont été trop souvent marquées par une véritable remise en cause des dotations initiales votées par la représentation nationale, par le biais de mesures de régulation budgétaire récurrentes, l'annulation des crédits d'équipement ayant représenté, entre 1997 et 2002, jusqu'à 11 % des moyens votés en loi de finances initiale. Au regard de ces pratiques passées, beaucoup ont manifesté un certain scepticisme sur la réalité de l'effort réalisé par la loi de programmation militaire pour 2003-2008 et par la loi de finances initiale pour 2003 ; l'instauration d'un dispositif de contrôle par la commission de la défense a donc eu pour objectif de veiller, tout au long de l'année, à la bonne exécution et au bon emploi des crédits votés et de prévenir, autant que possible, les mesures de régulation.

Un bilan satisfaisant peut être tiré de l'exécution du budget de défense pour 2003 : les crédits n'ont fait l'objet d'aucune mesure de régulation, à l'exception d'un décret d'annulation de 8 millions d'euros au profit du ministère de l'écologie, à la suite du naufrage du Prestige, et les mises en réserve imposées en début d'année 2003 par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ont été intégralement levées au cours de l'année.

La consommation des crédits des différents titres est restée soutenue tout au long de l'année et est supérieure à celle constatée en 2002 pour presque tous les postes de dépenses, ce qui résulte de la hausse globale des moyens votés pour 2003. Une inflexion positive a pu être constatée s'agissant du titre III, puisque l'exécution de ce dernier est à l'équilibre en 2003 : à la différence des années précédentes, le ministère de la défense n'a pas été amené à demander des crédits supplémentaires pour sa gestion courante, grâce à une construction budgétaire initiale plus fiable et réaliste. Toutefois, les modalités de financement des opérations extérieures ont pesé significativement sur l'exécution du titre III. D'une part, la couverture des surcoûts de rémunérations n'est intervenue qu'en fin d'année, ce qui a imposé aux armées d'avancer tout au long de 2003 les moyens nécessaires et a lourdement pesé sur leur trésorerie. D'autre part, le financement des surcoûts de fonctionnement n'a été que partiel, ce qui a conduit à des reports de charge ainsi qu'à une moindre activité des armées au cours de l'année, ainsi qu'a pu le constater une délégation de la commission de la défense lors d'un déplacement au treizième bataillon de chasseurs alpins de Barby-Chambéry, celui-ci ayant été dans l'obligation d'annuler sa participation à un exercice prévu en Norvège. Au total, les reports de charges nets de titre III ont atteint 135 millions d'euros, dont une large part résulte des dépenses supplémentaires de fonctionnement issues des opérations extérieures.

L'exécution des crédits des titres V et VI s'avère quelque peu contrastée : la consommation des crédits de paiement est dans l'ensemble dynamique, atteignant 11,816 milliards d'euros, mais elle est marquée par des reports de charges nets importants, de l'ordre de 518 millions d'euros, contre 155 millions d'euros seulement en 2002. Ce fort accroissement des reports de charges n'est pas sans susciter des inquiétudes pour la gestion 2004. La consommation des autorisations de programme est en diminution par rapport à l'année précédente : elle s'élève à 13,232 milliards d'euros, contre 17 milliards en 2002. Cette baisse s'explique pour l'essentiel par le report en 2004 d'une commande globale de 59 avions Rafale, d'un montant de 3,114 milliards d'euros, ainsi que par le report des commandes concernant les canons Caesar et les hélicoptères Tigre. Le décalage de la commande de Rafale résulte de la prolongation des négociations avec l'industriel, Dassault Aviation ; il ne porte pas atteinte aux objectifs de court terme de la loi de programmation, mais concerne des avions qui doivent être livrés après 2008.

Au total, peuvent être retirés de l'exécution des crédits militaires pour 2003 des motifs de satisfaction, tels que le dynamisme d'ensemble de la consommation des crédits et l'absence de mesures de régulation, mais aussi des motifs d'inquiétude, notamment l'apparition de reports de charges nets importants.

Il a ensuite insisté sur l'étendue des questions abordées lors des auditions, ce qui a permis aux membres de la mission d'être rapidement informés des difficultés survenues dans le déroulement de certains programmes, mais aussi de débattre de plusieurs problèmes importants.

Par l'examen des indicateurs fournis par le ministère de la défense, ont pu être mis à jour les retards de livraisons de plusieurs matériels. Le cas le plus marquant est sans doute celui des chars Leclerc. En raison des mouvements sociaux survenus tout au long de l'année 2003 au sein de Giat Industries, seuls 23 chars Leclerc ont été livrés à l'armée de terre en 2003 sur les 45 exemplaires initialement prévus. Le non-respect de ses engagements contractuels par l'entreprise ne peut qu'être déploré, d'autant plus que la diminution des livraisons ne s'est pas traduite par une baisse des paiements versés par l'Etat.

S'agissant du programme d'hélicoptère Tigre, les deux exemplaires qui devaient être réceptionnés en 2003 ne le seront qu'en avril 2004, en raison de problèmes techniques affectant la stabilité des viseurs. Cet état de fait est particulièrement pénalisant puisque l'école franco-allemande de formation des pilotes a déjà été inaugurée et devait commencer à fonctionner dès le début de l'année 2004. Les livraisons de véhicules de gendarmerie et de gilets pare-balles n'ont pas entièrement atteint les objectifs fixés pour 2003, puisque sur les 2 000 véhicules attendus, seuls 1 705 ont été livrés, tandis que 26 171 gilets ont été réceptionnés, contre 30 000 prévus. Doivent également être relevés le report en 2004 de la commande des 59 avions Rafale ainsi que les retards d'engagement d'autorisations de programme pour les programmes NH 90 et Syracuse III.

L'importante question de l'entretien programmé des matériels (EPM) a été largement abordée au cours des travaux de la mission. La forte dégradation de la disponibilité des équipements constatée au cours des dernières années a imposé un effort considérable dans ce domaine : les crédits d'entretien ont été fortement accrus par les lois de finances de 2003 et 2004, tandis que les structures interarmées de maintenance, créées en 1999 et 2000, se sont progressivement développées. Toutefois, il convient de rester vigilant : la consommation des crédits d'EPM est relativement peu élevée en 2003, ce qui semble s'expliquer par un certain engorgement des structures interarmées et impose de résoudre leurs problèmes d'organisation. Par ailleurs, les dépenses de maintenance sont sans doute destinées à s'accroître au fil du temps, en raison du vieillissement de nombreux parcs de matériels, mais aussi de l'arrivée d'équipements nouveaux, dont le coût d'entretien sera sans doute plus élevé. Enfin, la bonne coopération des industriels, indispensable au rétablissement de la disponibilité des équipements, n'est pas toujours au rendez-vous ; les responsables de la défense ont notamment souligné les fortes augmentations de coûts imposées en 2002 et 2003 par des industriels en situation de quasi-monopole.

Les membres de la mission ont également pu constater la persistance de sous-effectifs significatifs, de l'ordre de 3 % ; un tel pourcentage représente plus de 13 000 postes civils et militaires et ne peut être négligé, notamment au regard de la forte sollicitation des personnels en opérations extérieures. De surcroît, les objectifs d'activité n'ont pas toujours été atteints, notamment s'agissant de la marine et de la gendarmerie ; cet état de fait peut s'expliquer par des facteurs ponctuels, tels que la forte mobilisation des gendarmes en 2003, mais il résulte également des tensions perceptibles sur les dépenses de fonctionnement.

La transformation de DCN en société nationale a entraîné des conséquences fiscales importantes, puisque l'entreprise est désormais soumise à l'application de la taxe sur la valeur ajoutée : afin d'assurer la neutralité fiscale de ce changement de statut pour la marine, 119 millions d'euros ont été ouverts par le collectif budgétaire de fin d'année. Ce financement doit être assuré durant toute la durée de la loi de programmation militaire et il conviendra d'y veiller. Toutefois, se pose la question de ce financement au-delà de 2008 : dans tous les autres pays européens, le régime de TVA prévoit l'exonération des navires militaires, et une révision du régime fiscal français doit être envisagée. Enfin, le mode de financement actuel des opérations extérieures ne paraît pas satisfaisant et, au regard des difficultés qu'il suscite pour les armées, il apparaît urgent de le réformer. Des réflexions ont été engagées en ce sens et on ne peut que souhaiter qu'elles aboutissent au plus vite.

Le rapporteur a conclu en soulignant que l'initiative lancée par la commission de la défense a rencontré l'adhésion de tous les ministres concernés et que les administrations impliquées ont pleinement collaboré avec les membres de la mission, tout d'abord par la transmission trimestrielle des indicateurs qui avaient été définis au préalable avec elles, mais aussi par l'instauration d'un dialogue ouvert et constructif lors des auditions réalisées elles aussi tous les trimestres. Lors de ces rencontres régulières, les membres de la mission ont pu exercer un contrôle précis de l'exécution des crédits militaires, en obtenant les éclaircissements nécessaires sur les données fournies, mais aussi en abordant des sujets qui, s'ils dépassaient un strict cadre budgétaire, avaient des implications considérables pour la défense. A ce titre, sans doute les travaux de la mission se sont-ils avérés positifs pour ses membres, mais aussi pour tous ses interlocuteurs, en constituant un cadre utile d'échanges et de débats et en mettant en lumière certains problèmes et dysfonctionnements. Plus largement, les auditions réalisées ont été l'occasion de mieux connaître le fonctionnement et l'organisation de chacun des acteurs impliqués et de permettre une certaine décrispation des relations entre finances et défense, qui sont souvent marquées par une incompréhension mutuelle et des malentendus.

M. Jean Michel a formulé quatre observations.

Les annulations de crédits militaires effectuées entre 1997 et 2002 ont été très nettement inférieures à celles opérées de 1993 à 1995. Ces dernières avaient alors atteint une telle importance que le vote du budget par le Parlement perdait toute signification.

L'augmentation des reports de charges constatée en 2003 semble marquer le retour d'un mal endémique, qui avait toutefois été peu à peu résorbé au cours des dernières années. Pour 2004, les reports de charges devraient atteindre 529 millions d'euros de crédits de paiement pour le titre V et 135 millions d'euros de crédits de paiement pour le titre III, dont 50 millions d'euros pour l'armée de terre, 10 millions d'euros pour l'armée de l'air, 30 millions d'euros pour la gendarmerie et 26 millions d'euros pour les crédits d'alimentation et les sommes dues à l'OTAN. Le financement de l'ensemble de ces charges devra être assuré lors de l'élaboration du budget 2005. Il convient de s'alarmer de cette accumulation de retards de financement et d'engager une diminution progressive de ces reports de charges.

Si les annulations de crédits sont moins importantes que par le passé, elles existent tout de même, par le biais de procédures particulières. Ainsi, 380 millions d'euros de crédits de titre V et 20 millions d'euros de crédits du titre III annulés le 26 novembre 2003 n'ont été rétablis que le 30 décembre, ce qui constitue une annulation de fait. Si l'on a pu observer une diminution de l'en-cours des autorisations de programme entre 1997 et 2002, passant de 14 milliards d'euros à 6,3 milliards d'euros, force est de constater une augmentation de cet en-cours en 2003, lequel atteint 7,8 milliards d'euros. En ce qui concerne les crédits de paiement, 1,5 milliard d'euros n'a pas été consommé en 2003, dont 900 millions d'euros en raison de la levée tardive des mises en réserve. Au total, compte tenu du montant des reports de charges, les factures en cours s'élèvent à deux milliards d'euros. La diminution de l'engagement des autorisations de programme affecte les programmes Caesar, Tigre et Rafale, la presse ayant fait état pour ce dernier d'une réduction du taux de livraison mensuel.

Les crédits transférés au commissariat à l'énergie atomique (CEA) sont considérables : ils représentent 1,27 milliard d'euros de crédits de paiement et 1,4 milliard d'euros d'autorisations de programme. La mission n'a pas contrôlé leur utilisation et il est souhaitable qu'elle s'y intéresse à l'avenir.

L'initiative prise par la constitution de cette mission a permis de mieux appréhender l'utilisation des crédits de la défense, dont on peut rappeler qu'ils représentent plus de 50 % des investissements réalisés par le budget de l'Etat. La mission devra affiner son travail et étendre la portée de son contrôle afin de remédier aux dysfonctionnements constatés.

M. Michel Voisin, président, a rappelé qu'entre 1989 et 1992, les annulations de crédits visant à bénéficier de ce qu'il était convenu d'appeler les « dividendes de la paix » avaient atteint une telle ampleur que la loi de programmation militaire pour la période 1992-1994 n'avait jamais pu venir en discussion au Parlement, tant la confusion était grande dans les comptes du ministère de la défense.

M. Guy Teissier, rapporteur, a souligné que les décisions qui avaient été prises à cette époque relevaient de la responsabilité du chef des armées, le président François Mitterrand.

L'étalement du programme Rafale constitue une préoccupation importante pour l'armée de l'air, qui souffre de ces retards. Si les prévisions de livraison sont inchangées pour 2004 et 2005, avec respectivement cinq et dix appareils, dix-sept appareils seraient livrés chaque année au lieu de dix-neuf prévus en 2006 et vingt-deux prévus en 2008. Le rythme moyen de livraison serait ramené de 2 à 1,5 appareil par mois, ce qui est regrettable. Les crédits délégués au CEA n'ont pas fait l'objet d'un examen particulier par la mission d'information, mais l'audition de la ministre de la défense, le 2 mars prochain, pourrait donner lieu à une question sur ce sujet.

M. Charles Cova a indiqué qu'il serait possible d'envisager la participation d'un représentant de la direction des applications militaires du CEA à l'une des réunions de la mission d'information.

La Commission a décidé à l'unanimité, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

--____--


© Assemblée nationale