COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 1er août 2002
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Communication de M. le Président sur le rôle des rapporteurs spéciaux et sur les relations de la Commission avec la Cour des comptes

2

- Examen des propositions de résolution de M. Jean-Pierre Brard, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique d'acquisitions d'entreprises de Vivendi Universal, sur la capacité de Vivendi Environnement de remplir ses missions de service public après sa cession partielle, et sur l'avenir de ce secteur d'activité de Vivendi Universal ainsi que sur les conséquences fiscales du montage de cession (n° 5) et de M. Philippe Houillon, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les dysfonctionnements qui ont entraîné l'effondrement du cours boursier de Vivendi Universal, sur la fiabilité des mécanismes de contrôle internes et externes et sur les moyens propres à les améliorer (n° 22).

- Examen de la proposition de résolution M. Jean-Pierre Brard, tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux conséquences sur le service rendu aux usagers et sur l'emploi dans l'entreprise, de la stratégie, de la gestion et de l'endettement de France Télécom, ainsi qu'aux initiatives de l'État actionnaire (n° 25).

- Informations relatives à la Commission

3

6

11

Le Président Pierre Méhaignerie a fait une communication sur les missions des rapporteurs spéciaux, leurs relations avec la Cour des comptes et sur le programme de travail de la rentrée. En premier lieu, la Commission doit avoir comme objectif principal de promouvoir une véritable culture de l'efficacité de la dépense publique. C'est la philosophie générale de la loi organique du 1er août 2001. Elle implique de se livrer à un travail d'évaluation de la dépense publique, et non plus de se cantonner à une simple analyse de la légalité de cette dépense. Ceci conduit à un travail en profondeur, de la part de chacun des rapporteurs spéciaux. Les questionnaires, envoyés au nom de la Commission, ont d'ores et déjà été orientés vers l'analyse des missions, des programmes et des indicateurs. Il convient que chacun s'astreigne à aller davantage vers ce travail d'évaluation au stade des rapports spéciaux.

La mission d'évaluation et de contrôle (MEC) qui a cherché à mettre en place un tel objectif de recherche de l'efficience de la dépense publique, sera reconstituée pour fonctionner après la période budgétaire. Les rapports spéciaux permettront sans doute de dégager quelques thèmes. Il n'est pas possible d'en traiter plus de trois ou quatre, au grand maximum, chaque année. Ce contrôle doit déboucher sur des propositions concrètes, dont il incombe à chaque rapporteur spécial d'assurer le suivi. La MEC sera reconstituée sur la base de ses règles de fonctionnement précédentes, c'est-à-dire un co-président de la majorité et un co-président de l'opposition, une représentation égalitaire de chacun des groupes et une association systématique des rapporteurs ou de représentants des autres commissions intéressées.

La Cour des comptes, dont le Bureau de la Commission a rencontré les représentants, s'est montrée très désireuse de continuer à poursuivre sa participation à ces travaux et même de proposer une liste de sujets sur lesquels elle-même travaille. Il n'y a pas nécessairement adéquation entre ces propositions et les décisions de la Commission mais, dans toute la mesure du possible, la recherche de thèmes sur lesquels la Cour a déjà effectué des travaux est souhaitable. Il est indispensable, en outre, que les rapporteurs spéciaux fassent des propositions précises qui peuvent déboucher sur des amendements de suppression des crédits ou sur des observations que la Commission peut adopter, tendant à demander des réaffectations de crédits ou des suppressions à moyen terme. Cette seconde méthode est moins brutale, mais doit être alors suivie d'effets : le Gouvernement aura une année pour se conformer aux observations de la Commission. Il y aurait une fatigue de la MEC, comme du travail des rapporteurs spéciaux, s'il n'y a pas de suites concrètes.

Conformément aux nouvelles dispositions du code des juridictions financières, les référés de la Cour des comptes sont systématiquement envoyés à la Commission. Certains de ces référés sont classés « confidentiels » par la Cour et ne peuvent donc pas faire l'objet de copie, ni a fortiori de diffusion.

Le contrôle sur pièces et sur place doit être développé. Ce contrôle a désormais un fondement dans la loi organique, et les cas d'entrave qui se sont parfois produits, par exemple au sujet du contrôle du BAPSA ou de l'AFPA, peuvent désormais être sanctionnés.

Il est souhaitable que chaque rapporteur spécial effectue au moins un contrôle sur pièces et sur place, accompagné de l'administrateur en charge du budget et en rende compte dans son rapport spécial.

La Cour des comptes a indiqué que les rapporteurs spéciaux pourraient rencontrer, s'ils le souhaitent, les membres de la Cour. Pour une raison fonctionnelle, le Premier Président a cependant souhaité en être informé. De la même manière, des rapprochements avec le Conseil économique et social, dont les travaux sont souvent intéressants, peuvent être envisagés, comme des saisines du Conseil de la concurrence.

Les délais de réponse aux questionnaires sont désormais prévus par la loi organique, et dans toute la mesure du possible, il est indispensable que les réponses parviennent à temps. Il convient que les rapports spéciaux n'atteignent pas des volumes trop importants. Il est nettement préférable de « cibler » le contrôle. Il faut sortir de la culture selon laquelle le « bon » budget est nécessairement un budget en augmentation, mais au contraire développer des analyses d'efficience et des suggestions de meilleur emploi des crédits.

La loi organique donnera à chaque parlementaire, à partir de 2005, la possibilité de réaffecter les crédits. Il convient donc de repenser les rapports spéciaux dans cette perspective.

Compte tenu de la suppression des taxes parafiscales au 31 décembre 2003 au plus tard, chaque rapporteur spécial aura la charge de l'analyse des taxes qui subsisteraient dans le budget 2003 et des moyens de trouver des recettes, en compensation de leur disparition. Pour les comptes spéciaux du Trésor, c'est également chaque rapporteur spécial qui aura la compétence des comptes qui rentrent dans le champ des crédits budgétaires dont il a la charge, ce qui préfigurera la situation de 2005. Le rapport sur le Trésor ne comportera donc que les comptes spéciaux du Trésor gérés par le ministère de l'Économie. Des missions d'information pourront être décidées par la Commission pour commencer à fonctionner au mois de janvier, même si leur création peut intervenir plus tôt. Afin de ne pas disperser les efforts, la reconstitution de groupes d'études a été limitée à l'organisation mondiale du commerce, à l'économie sociale et aux professions libérales.

Le Président Pierre Méhaignerie a ensuite donné des indications sur le calendrier de travail de la rentrée. En particulier, une réunion conjointe avec la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, aura lieu pour auditionner MM. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, à l'issue du Conseil des ministres qui examinera ce projet le 9 octobre, à 11 h 30.

*

* *

La Commission a ensuite procédé, sur le rapport de M. Patrice Martin-Lalande, Rapporteur, à l'examen de la proposition de résolution de M. Jean-Pierre Brard, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique d'acquisitions d'entreprises de Vivendi Universal, sur la capacité de Vivendi Environnement de remplir ses missions de service public après sa cession partielle, et sur l'avenir de ce secteur d'activité de Vivendi Universal, ainsi que sur les conséquences fiscales du montage de cession (n° 5), et de M. Philippe Houillon, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les dysfonctionnements qui ont entraîné l'effondrement du cours boursier de Vivendi Universal, sur la fiabilité des mécanismes de contrôle internes et externes et sur les moyens propres à les améliorer (n° 22).

Le Rapporteur a tout d'abord indiqué que les conditions juridiques de recevabilité des deux propositions de résolution demandant la création d'une commission d'enquête n'étaient pas parfaitement satisfaites. En effet, si la réponse du Garde des sceaux, datée du 22 juillet, indique qu'aucune enquête pénale n'était en cours à cette date, la presse a rapporté depuis lors le dépôt de plaintes ultérieures par des actionnaires minoritaires de Vivendi Universal. Par ailleurs, ni Vivendi Universal, ni Vivendi Environnement ne constituent des services publics ou des entreprises publiques, même si la seconde est, directement ou par le biais de ses filiales, délégataire ou concessionnaire de distribution d'eau.

Sur le fond, l'interrogation des auteurs des résolutions paraît légitime, qu'il s'agisse de l'effondrement du cours du titre Vivendi Universal supporté par ses actionnaires, et en particulier ses nombreux salariés actionnaires, des conséquences dommageables éventuelles des difficultés de cette entreprise sur sa filiale Vivendi Environnement et sur ses activités de service public de distribution de l'eau, ou encore des dysfonctionnements potentiels ou réels en matière de transparence de l'information comptable et financière et de régulation des marchés financiers.

Mais, sur ces points, le Parlement est loin d'être sous-informé. Les commissions des finances et de la production ont d'ores et déjà procédé à l'audition du président de la Commission des opérations de bourse (COB). La commission de la production a également auditionné le 23 juillet le président du directoire de Vivendi environnement, M. Henri Proglio. De son côté, la COB a indiqué avoir engagé une enquête sur l'information financière publiée par Vivendi Universal. Enfin, le gouvernement est attentif aux conséquences des difficultés de la gestion de Vivendi Universal sur le devenir de Canal Plus, et a annoncé le dépôt, d'ici la fin de l'été, d'un projet de loi relatif à l'amélioration de la sécurité financière, prévoyant notamment la fusion de la COB et du CMF (Conseil des marchés financiers) au sein d'une instance de régulation financière unique et plus puissante. Le Parlement sera donc amené à débattre de cette importante question dès l'automne, soit dans un délai inférieur à celui dans lequel une éventuelle commission d'enquête pourrait rendre son rapport. Le Rapporteur a également souligné qu'en tant que rapporteur spécial des crédits de la communication, il pourrait contribuer à éclairer la commission dans le cadre des travaux préparatoires à la discussion du projet de loi de finances pour 2003.

Enfin, la solennité des travaux d'une commission d'enquête et la publicité qui ne manquerait d'être faite autour de ceux-ci pourraient encore dégrader la perception par les marchés et les actionnaires de la situation financière de Vivendi Universal et rendre plus difficile le redressement de l'entreprise par sa nouvelle direction.

Pour ces différentes raisons, la création d'une commission d'enquête ne paraît donc pas constituer l'instrument le mieux adapté pour répondre aux préoccupations légitimes et confirmées de l'Assemblée nationale sur les thèmes évoqués par les deux propositions de résolution. Il semble donc préférable, du moins dans les circonstances actuelles, de renoncer à la procédure de la commission d'enquête, lourde et présentant un risque de déstabilisation pour les entreprises considérées. Il conviendra, en revanche, de veiller à ce que les autres instruments d'information à la disposition de l'Assemblée nationale et de sa commission des Finances soient convenablement utilisés.

Le Rapporteur s'est en conséquence prononcé pour le rejet des deux propositions de création de commission d'enquête.

M. Jean-Pierre Brard a souligné la légitimité des deux propositions de résolution, en rappelant qu'on ne peut pas poser de limite aux investigations du Parlement, sauf s'il existe des procédures judiciaires en cours, ce qui n'est pas le cas s'agissant de Vivendi. La constitution d'une commission d'enquête se justifie par la gravité des conséquences de la gestion de Vivendi. Notamment, Vivendi Universal a transféré près de 18 milliards de dettes sur Vivendi Environnement, mettant ainsi l'apurement de cette dette à la charge des 8.000 communes qui ont délégué la distribution de l'eau au groupe Vivendi. Dans ses déclarations sur la dérégulation de l'économie et le comportement de certains capitaines d'industrie, le président de la banque centrale américaine s'est lui-même prononcé en faveur d'une moralisation du capitalisme. Le Rapporteur semble négliger les conséquences de la gestion de certaines entreprises sur les petits actionnaires, comme le montre l'exemple d'Eurotunnel et de France Télécom dont les salariés, après s'être endettés pour acquérir des actions, sont aujourd'hui dans une situation financière très difficile.

Dans l'hypothèse où la Commission n'adopterait pas la création d'une commission d'enquête, M. Jean-Pierre Brard a proposé une solution de substitution en demandant la création d'une mission d'information.

Tout en partageant les conclusions du rapporteur, M. Philippe Auberger a estimé que la Commission devrait constituer une mission d'information sur le gouvernement d'entreprise et la sécurité des marchés financiers. Il importe en effet de vérifier si les sociétés appliquent correctement les dispositions introduites par la loi sur les nouvelles régulations économiques, et notamment la séparation des fonctions de président de celles de directeur général et la limitation du cumul des mandats. De même, il ne serait pas inutile que la Commission réfléchisse à la sécurité des marchés financiers avant d'examiner le projet de loi que le Gouvernement est en train de préparer.

M. Didier Migaud a estimé que les propositions de résolution soulèvent des problèmes de fond qui mériteraient d'être examinés par une formation plus large que la commission des Finances, et regretté que le Rapporteur ne retienne pas la proposition de création d'une commission d'enquête. Il a réitéré la demande de création d'une mission d'information faite par M. Henri Emmanuelli, élargie au fonctionnement des organismes de contrôle et à la situation des épargnants.

M. François Goulard s'est déclaré favorable à la proposition du Rapporteur. Une commission d'enquête ou une mission d'information sont inopportunes : elles risqueraient d'interférer avec les travaux législatifs que la Commission mènera en examinant prochainement le projet de loi annoncé par le Gouvernement. A l'occasion de l'examen de ce texte, la Commission pourra organiser toutes les auditions qu'elle souhaite. Par ailleurs, le transfert de la dette de Vivendi Universal sur Vivendi Environnement ne peut pas avoir des conséquences sur le prix de l'eau, fixé de manière contractuelle.

M. Gilles Carrez, rapporteur général, a appuyé la proposition du Rapporteur. Il a rappelé que la Commission a d'ores et déjà pris l'initiative d'auditionner le président de la Commission des opérations de bourse (COB), et que d'autres auditions pourraient être organisées à l'occasion de l'examen du projet de loi en préparation. Après cet examen, la Commission pourra étudier l'opportunité de poursuivre ses travaux.

M. Patrice Martin-Lalande, Rapporteur, a rappelé si l'on ne peut être hostile à ce que le Parlement se penche sur la gestion de certaines entreprises, la commission d'enquête ne constitue pas l'outil adéquat pour ce faire. Répondant à M. Jean-Pierre Brard, il a fait observer que, dans son intervention liminaire, il a fait état des conséquences de la crise de Vivendi sur les petits porteurs, et notamment sur les salariés du groupe. Il a enfin proposé que la Commission auditionne M. Jean-René Fourtou, président de Vivendi, afin notamment de vérifier la faisabilité d'une mission d'information.

Le Président Pierre Méhaignerie a estimé que la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information constituerait un signe de précipitation dommageable aux intérêts des petits porteurs et des salariés. Il a donné son accord pour auditionner le président de Vivendi au mois de septembre. Suite à cette audition et après avoir entendu le Gouvernement sur le prochain projet de loi, la Commission pourra, si besoin est, envisager de créer une mission d'information.

La Commission a ensuite rejeté les deux propositions de résolution.

*

* *

La Commission a enfin examiné, sur le rapport de M. Nicolas Perruchot, Rapporteur, la proposition de résolution de M. Jean-Pierre Brard, tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux conséquences sur le service rendu aux usagers et sur l'emploi dans l'entreprise, de la stratégie, de la gestion et de l'endettement de France Télécom, ainsi qu'aux initiatives de l'État actionnaire (n° 25).

M. Nicolas Perruchot a indiqué que la proposition de résolution étant juridiquement recevable, c'est essentiellement sur le plan de l'opportunité qu'il convient de l'analyser.

L'avenir financier de France Télécom est un enjeu essentiel pour l'Etat qui est à la fois actionnaire majoritaire, tuteur et garant du service public. Cette question concerne aussi les 1,6 million d'actionnaires particuliers.

Cependant, les commissions permanentes de l'Assemblée disposent de tous les moyens utiles pour surveiller l'évolution financière de France Télécom. Les rapporteurs spéciaux sont dotés de pouvoirs étendus pour assurer le contrôle sur les comptes des entreprises publiques. Dès lors, la création d'une commission d'enquête ne semble pas nécessaire.

De plus, celle-ci ne semble pas non plus opportune. Dans un contexte de très grande instabilité des marchés financiers, émettre des doutes sur la validité des comptes et sur l'avenir financier de l'entreprise ne peut conduire qu'à encourager la spéculation et la baisse du titre France Télécom.

Le Ministre de l'Économie, M. Francis Mer, lors de son audition par la Commission de la Production et des Echanges, le 17 juillet dernier, a rappelé la confiance de l'Etat actionnaire dans la stratégie poursuivie par l'entreprise. Il n'apparaît pas opportun que l'Assemblée Nationale manifeste une défiance particulière à l'égard de France Télécom, d'autant qu'il faut relativiser la gravité de la situation financière de l'entreprise.

En premier lieu, de telles difficultés sont le lot de l'ensemble des grandes entreprises de télécommunications en Europe, comme l'atteste la situation de l'entreprise allemande Deutsche Telekom, qui affronte, elle aussi, une conjoncture délicate.

De plus, la baisse des cours du titre France Télécom fait suite à une période de surévaluation de celui-ci. La capitalisation boursière ne fait que traduire les dernières transactions boursières et ne reflète en rien la valeur réelle de l'entreprise.

France Télécom présente de bons résultats financiers, certes occultés par un endettement très important. Le chiffre d'affaires consolidé atteint 43 milliards d'euros en 2001. Il est en progression de 27,8% par rapport à celui de l'exercice 2000. La forte croissance du chiffre d'affaires reflète le développement rapide des activités internationales, dont la valeur a été multipliée par plus de quatre en deux ans. À périmètre constant, la croissance du chiffre d'affaires est de 8,5 % par rapport à 2000.

Certes, l'endettement de l'entreprise a augmenté de façon considérable. Avec un déficit en 2001 de 8,3 milliards d'euros, l'endettement était de 60,7 milliards d'euros au 31 décembre 2001, et pourrait atteindre plus de 70 milliards d'euros à la fin de l'année. Cependant, cette situation financière résulte, pour partie, d'une stratégie d'expansion internationale, qui a représenté un montant total de dépenses d'environ 70 milliards d'euros. Or, cette stratégie s'est révélée indispensable pour maintenir la rentabilité de l'entreprise dans un marché des télécommunications en mutations rapides.

En outre, plusieurs éléments permettent d'espérer une amélioration de la conjoncture. Malgré le ralentissement de l'économie, les télécommunications poursuivent leur croissance, en particulier dans le domaine de la téléphonie mobile et de l'Internet. A l'horizon 2005, le marché mondial des télécommunications devrait continuer à croître, à un rythme proche de 8 % par an en valeur.

De plus, l'entreprise France Télécom présente de nombreux atouts permettant une amélioration prochaine de sa situation. L'activité du téléphone fixe a connu une érosion relative, malgré l'ouverture à la concurrence des appels locaux depuis le 1er janvier 2002. L'entreprise a su diversifier ses services et proposer de nouveaux tarifs.

Les premières estimations concernant le premier trimestre 2002 montrent que les parts de marché du téléphone fixe sur les communications locales tendent à se stabiliser. De même, le volume du trafic longue distance a cessé de diminuer à la mi-2001. L'activité du mobile est en pleine mutation et le rachat de la société Orange permet à France Télécom d'être le numéro deux en Europe et le leader en France. La société compte ainsi 39,3 millions de clients, soit une progression de 28,8 % en un an. Enfin, en ce qui concerne l'activité Internet, Wanadoo, leader en France et au Royaume-Uni, totalise plus de 6 millions de clients actifs en Europe.

Au total, avec l'intégration du groupe polonais TPSA depuis le 1er avril 2002 le nombre de clients servis par le groupe France Télécom a franchi la barre des 100 millions de clients pour atteindre 107,3 millions à la fin juin 2002.

Il semble que le redressement soit en cours, puisque le chiffre d'affaires du premier semestre 2002 est estimé à 22,4 milliards d'euros, en progression de 10 %. Ces différents résultats témoignent qu'en dépit des turbulences des marchés financiers, France Télécom bénéficie d'une croissance robuste et a les moyens de résorber son endettement à moyen terme. L'entreprise a d'ailleurs lancé en mars dernier un plan de désendettement sur la période 2002-2005. Ce plan prévoit la résorption de la dette grâce à la progression soutenue de l'excédent brut d'exploitation et à la cession d'actifs non stratégiques de ventes immobilières. Il faut donc laisser à France Télécom le temps nécessaire pour assainir sa situation financière et récolter les fruits de ses investissements.

Si M. Jean-Pierre Brard émet des doutes sur la qualité du service rendu aux usagers et sur la situation de l'emploi au sein de France Télécom, ses inquiétudes ne sont nullement fondées. Le service rendu aux usagers n'est pas menacé par l'endettement. Au contraire, l'ouverture à la concurrence a incité France Télécom à baisser ses tarifs et à proposer de nouveaux services. Entre 1996 et 2001, les ménages ont vu les tarifs locaux baisser de 60 %, et les tarifs nationaux de 11 %. D'ailleurs, l'usager français connaît une situation particulièrement favorable, car l'ouverture à la concurrence n'a pas conduit à une hausse des tarifs, comme dans certains pays comme l'Italie et la Belgique. Certes, l'abonnement mensuel a été porté, depuis le 20 juillet dernier, de 12,55 euros à 13 euros. Cependant, cette hausse, qui ne fait que suivre le rythme de l'inflation, reste limitée. Le prix de l'abonnement demeure l'un des plus faibles en Europe. À titre de comparaison, il est de 14,80 euros au Royaume-Uni, et 16,20 euros en Belgique.

L'ouverture à la concurrence ne s'est nullement traduite par une baisse de la qualité du service, l'entreprise ayant pris des engagements permettant de garantir l'universalité du service rendu aux usagers. À cet égard, les travaux entrepris pour achever la couverture du territoire en téléphonie mobile, ou bien encore la baisse des tarifs de l'ADSL peuvent être cités. Enfin, la prochaine mise en place de la portabilité des numéros de portables constitue un service supplémentaire pour les usagers.

La situation de l'emploi dans l'entreprise ne semble pas justifier la création d'une commission d'enquête. Certes, l'effectif global de France Télécom a baissé, cependant, cette évolution est commune à l'ensemble du secteur des télécommunications.

La politique de l'emploi de l'entreprise se caractérise par une volonté de rajeunissement des effectifs et des redéploiements vers de nouveaux secteurs. Depuis cinq ans, l'entreprise mène une politique de redéploiement de personnels vers les métiers prioritaires que sont la clientèle ou le multimédia. Plus de 13.800 personnes ont changé de poste en 2001. Cette politique s'est accompagnée d'un effort de reconversion du personnel qui a concerné 5.474 personnes. La politique de rajeunissement des effectifs se traduit par 1.576 embauches en CDI effectuées en 2001, qui concernent en majorité des jeunes de moins de 30 ans.

Par ailleurs, l'entreprise a accueilli 3.830 jeunes en contrats d'apprentissage ou d'alternance. Le nombre de contrats a augmenté de 22,1% en 2001, traduisant ainsi l'attachement de l'opérateur à l'emploi des jeunes.

Le Rapporteur a conclu que la création d'une commission d'enquête ne paraît ni utile, ni opportune. France Télécom est une entreprise rentable, qui a connu de profondes mutations et qui devrait, grâce à ses investissements, améliorer bientôt sa situation financière. Le Rapporteur a donc proposé de rejeter la proposition de résolution.

Après avoir approuvé la conclusion du Rapporteur, M. François Goulard a cependant souligné la différence entre la situation de Vivendi et celle de France Télécom : alors que Vivendi est un groupe privé, dans la gestion duquel le Parlement n'a aucune légitimité à intervenir, France Télécom est une entreprise publique gérant un service public, en grande partie monopolistique. Si l'action de Vivendi perd de la valeur, seuls ses actionnaires en subissent les conséquences. En revanche, lorsque France Télécom augmente ses tarifs, ce sont tous les abonnés qui en subissent l'effet. Il n'y a pas lieu de créer une commission d'enquête : il faut laisser l'exécutif remplir son rôle d'actionnaire. Cependant, l'appréciation générale du Rapporteur sur la situation de l'entreprise apparaît trop optimiste voire euphorique. L'incertitude sur l'avenir de l'entreprise est grande : l'action de la direction de France Télécom est contestable, l'expansion à l'étranger ne peut pas constituer un but en soi, même s'il peut être nécessaire d'atteindre une taille critique. Sur le fond, on ne peut qu'être réservé sur certaines actions menées par la direction de France Télécom.

M. Patrice Martin-Lalande a évoqué le problème du haut débit, sur lequel l'ADSL est sur le point d'acquérir une situation monopolistique. France Télécom s'efforce de combattre toute concurrence sur le secteur rentable du marché, sans laisser la place à une solution alternative pour le reste du territoire. L'opérateur principal est cependant prêt à s'occuper aussi des zones moins rentables, mais à condition que les collectivités locales participent au financement des opérations nécessaires. La couverture du territoire par les relais de téléphones portables est loin d'être assurée : l'ART estime que 20 % du territoire ne sont pas couverts, ce qui pénalise à la fois la population résidente et les personnes qui traversent ces zones blanches. Le Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) de Limoges a, certes, prévu un effort de rattrapage, mais aucune décision concrète n'est intervenue depuis sa réunion. L'itinérance pose un certain nombre de problèmes, mais permettrait au moins d'assurer le service sur l'ensemble du territoire.

M. Marc Laffineur a souscrit aux inquiétudes exprimées par M. François Goulard sur la pertinence de la gestion de France Télécom et a convenu qu'il fallait mettre un bémol quant aux appréciations trop positives du Rapporteur.

Après avoir réaffirmé l'intérêt légitime du Parlement pour France Télécom, M. Louis Giscard d'Estaing s'est interrogé sur la sincérité des comptes de l'opérateur public, en particulier sur le traitement qui sera fait, dans l'avenir, du montant en sur-valeur correspondant à l'acquisition d'Orange. La décision du CIADT relative à la couverture du territoire a entraîné un effet d'annonce qui ne s'est traduit ni au niveau des opérateurs ni au niveau de l'État. Ce dernier devrait inscrire les crédits budgétaires nécessaires. Il est souhaitable que la Commission entende M. Michel Bon, président-directeur général de France Télécom.

M. Denis Merville a estimé que le Rapporteur avait fait preuve de trop d'optimiste et fait remarquer que les collectivités locales rencontrent des difficultés croissantes lorsqu'elles doivent travailler avec France Télécom. Il a approuvé l'idée de l'audition proposée.

M. Pierre Hériaud, après s'être déclaré d'accord avec la conclusion générale du Rapporteur, a rappelé que les 70 milliards d'euros d'acquisition d'actifs s'étaient traduits par un endettement du même montant et que ces actifs ont perdu beaucoup de leur valeur, tandis que le volume de l'endettement perdure. Un déficit représentant 20 % du chiffre d'affaires n'est certainement pas un signe de bonne santé. Pour se redresser, il faudrait que l'entreprise atteigne 20 % d'excédent brut d'exploitation. Il a donc, à son tour, jugé le Rapporteur trop dithyrambique.

En réponse, le Rapporteur a signalé que France Télécom s'était engagé à consacrer 76 millions d'euros, jusqu'à la fin 2003, afin de diminuer les zones blanches, mais il ne faut pas oublier que certaines zones géographiques posent des problèmes techniques réels. Si des améliorations sont toujours souhaitables et nécessaires, les communications téléphoniques sont globalement de très bonne qualité dans notre pays. L'acquisition d'Orange a coûté 43 millions d'euros mais elle a permis à France Télécom de devenir le deuxième opérateur européen. Le groupe a aussi réalisé des investissements de téléphonie mobile à l'étranger, notamment aux Pays-Bas, au Liban et en Jordanie, investissements lourds mais prometteurs pour l'avenir. En outre, France Télécom a conservé ses parts de marché en téléphonie fixe sur le marché domestique alors que d'autres opérateurs historiques, comme Deutsche Telekom, voyaient leur situation fortement menacée. Quoique la valeur de son action, soit, certes, actuellement très basse, France Télécom a une réelle capacité à rebondir.

Le Président Pierre Méhaignerie a reconnu que l'optimisme du Rapporteur demandait à être plus mesuré et que la situation et l'activité de France Télécom mériteraient d'être plus précisément connues, ce que l'audition de son président est effectivement à même de permettre. De même, la direction de Vivendi et celle d'EDF seront entendues au mois de septembre, éventuellement le 25 septembre.

Le précédent ministre de l'Industrie avait déclaré que l'État n'avait plus à intervenir dans la couverture du territoire par la téléphonie mobile, cette dernière devant être assurée par les opérateurs. Cette déclaration a eu pour conséquence de bloquer toute amélioration. Il convient que le Rapporteur spécial fasse rapidement le point sur ces questions et en informe les membres de la Commission de manière détaillée.

M. Philippe Auberger a indiqué que la Caisse des dépôts et consignations a engagé des dépenses en faveur du développement du haut débit et s'est demandé si le même type d'actions ne pourrait pas être mené en faveur de la téléphonie mobile.

La Commission a ensuite rejeté la proposition de résolution.

*

* *

Informations relatives à la Commission

La Commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a nommé M. Michel Bouvard, rapporteur spécial pour le budget du Travail et M. Michel Vaxès, rapporteur spécial pour le budget de la Mer.

--____--


© Assemblée nationale