COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 26 septembre 2002
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-René Fourtou, Président de Vivendi Universal, et M. Jacques Espinasse, Directeur général adjoint, Directeur financier

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La Commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a procédé à l'audition de M. Jean-Marie Fourtou Président de Vivendi Universal et M. Jacques Espinasse, Directeur financier.

Le Président Pierre Méhaignerie a présenté le contexte de cette audition en rappelant le dépôt de propositions de résolution tendant à la constitution de commissions d'enquête et la demande de création d'une mission d'information, déposées pendant l'été, concernant la situation de Vivendi Universal et de Vivendi Environnement, et ses conséquences pour nombre de collectivités locales, et au-delà, pour l'économie du pays.

M. Jean-René Fourtou a déclaré qu'il était parfaitement conscient de la nécessité d'une telle audition. Il a également rappelé qu'il n'avait accédé à la présidence de Vivendi Universal que le 3 juillet dernier, cédant alors à des sollicitations qu'il n'avait pas refusées, alors qu'il avait d'autres projets personnels. La mission apparaissait au départ plutôt comme s'apparentant à une activité de consultant qui aurait eu à faire le tri entre les activités très variées du groupe. Mais instantanément, la trésorerie de l'entreprise s'est révélée très dégradée, la situation devenant même critique avec les perspectives de décisions des principales agences de notation, en particulier celle de Moody's d'abaisser la note de Vivendi Universal au niveau des junk bonds (« obligations pourries »), entraînant le remboursement avancé de prêts. La tension ainsi créée sur les échéances de remboursement des banques et les délais de règlement des fournisseurs faisaient littéralement de la faillite du groupe une question d'heures. Des négociations de dernière minute avec les banques ont permis d'éviter une telle issue, mais cet épisode met en évidence le rôle colossal des agences de notation et leur influence déterminante. Une fois le défaut de paiement évité, grâce à un prêt d'un milliard d'euros non sécurisé, il restait toutefois à consolider une situation financière grandement fragilisée après le premier trimestre de 2002 par des dépréciations d'actifs industriels de 11 milliards d'euros, et de 3 milliards d'euros pour les actifs financiers, aboutissant à des pertes, avant même opérations exceptionnelles. Des négociations ont abouti, courant août, à l'obtention d'un prêt de 3 milliards d'euros, cette fois sécurisé. En parallèle a été annoncé un vaste programme de cessions d'actifs de 10 milliards d'euros sur deux ans, dont la moitié à réaliser dans les neuf mois, la cession des activités d'édition aux États-Unis étant considérée par les banques comme prioritaire. Le marché ayant ainsi obtenu rapidement les assurances qu'il souhaitait, il n'y a plus de crainte quant à la cessation de paiement ; il a été dès lors possible d'examiner plus en détail l'endettement du groupe afin de le réduire. La situation était surprenante et inattendue. L'endettement de Vivendi Environnement se monte à 15 milliards d'euros, ce qui est acceptable compte tenu de son portefeuille d'actifs et du cash flow généré par son activité. Les 19 milliards d'endettement correspondant au reste des activités du groupe posent davantage problème, d'autant que la solution d'une remontée de dividendes de Cegetel, filiale la plus rentable, mais détenue à 40 % seulement, est rendue impossible par le pacte d'actionnaires : la « clef du coffre » n'appartient pas à Vivendi. Ce constat étant fait, le nouveau plan de cessions d'actifs prévoit 12 milliards d'euros de cessions sur 18 mois, dont 5 à 6 milliards pourront être réalisés d'ici la fin de l'année. Pour résorber les 10 milliards d'euros d'endettement de Vivendi Universal jugés excessifs, quelles cessions effectuer ?

La tâche ne paraît pas insurmontable, puisque le portefeuille d'actifs du groupe est d'une extraordinaire diversité, allant d'une firme d'embouteillage de jus d'orange en Chine à un restaurant à New-York... ce qui s'explique par l'histoire de la construction du groupe Vivendi, et aboutit à un imposant total de 70 lignes. Sont ainsi permises des cessions à hauteur de 12 milliards d'euros, sans sacrifice d'actifs stratégiques ailleurs que dans l'édition. Ainsi, seront conservés les participations actuelles dans Vivendi Environnement et dans Cegetel, le « noyau » central de Canal +, y compris les studios, les activités d'édition musicale, Universal occupant le premier rang mondial, les jeux, secteur où le groupe est en deuxième position mondiale, les studios Universal, les parcs, et les chaînes de télévisions américaines. Parmi les cessions un moment envisagées, celle de Cegetel n'était pas possible, étant donné la configuration du pacte d'actionnaires, celle des activités sises en Californie - Vivendi Entertainment - aurait remis en cause la participation des actionnaires américains au groupe, tout comme celle de l'édition musicale. Ainsi, la seule activité immédiatement cessible - compte tenu de la complexité du groupe -, avec l'assurance d'une vente rapide à un prix intéressant puisque plusieurs repreneurs étaient en compétition, était Vivendi Universal Publishing. Au total, la trésorerie a été redressée, un plan crédible de cessions d'actifs annoncé, la gestion des actifs conservés étant la priorité du moment : Cegetel d'une part, puisque l'accord entre actionnaires est échu lundi dernier et que des opérations de cessions et d'acquisition se préparent dans le secteur, et Canal + d'autre part, qui doit faire l'objet très prochainement d'un plan de réorientation tout en sachant que la situation d'ensemble de la société est tributaire de diverses négociations, dont celle en cours, sur la cession des droits de transmission de matchs de football.

M. Hervé Novelli a d'abord constaté qu'au-delà de la récente crise de trésorerie qui a affecté Vivendi Universal au cours de l'été, certains éléments structurels posent des problèmes plus larges. D'une part, on peut s'interroger sur le pouvoir très important et parfois dangereux des agences de notation dont les décisions peuvent aboutir à des conséquences de vie et de mort sur certaines entreprises, pouvoir duquel on peut d'ailleurs rapprocher celui de la Banque de France, concernant les PME. D'autre part, s'agissant de la gouvernance, le problème est celui du pouvoir de contrôle des administrateurs des sociétés. Il semble que cela soit une habitude du capitalisme à la française d'avoir toujours recours aux mêmes personnes pour occuper ces fonctions, personnes qui font parfois une confiance aveugle à un seul individu en lui apportant leur caution stratégique.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s'est d'abord interrogé sur l'avenir de Vivendi Universal. Il est souhaitable de disposer d'informations un peu plus précises sur la manière dont les 12 milliards de cession d'actifs vont être réalisés, afin de réduire l'endettement du groupe. D'ailleurs, combien coûte au groupe cet endettement en ce moment ? En outre, est-il possible d'isoler les foyers de pertes ? Il semble que le groupe souhaite se recentrer sur un ensemble Communication-Téléphonie-Loisirs : quelle est la taille critique souhaitable pour un tel recentrage et quels sont les concurrents directs ? Concernant la crise de trésorerie, il est manifeste que de nombreuses erreurs ont été faites, qui semblent mettre en évidence des lacunes du contrôle interne à l'entreprise et une insuffisante diffusion de l'information. Est-ce un signe d'une gestion par trop solitaire de la présidence de l'époque et quels enseignements peut-on en tirer ? Enfin, s'agissant de Vivendi Environnement, il est affirmé que le niveau d'endettement de cette filiale est soutenable, compte tenu de la bonne santé de l'entreprise. Pour autant, n'y a-t-il pas un risque que cette situation financière ait des répercussions sur les contrats qui lient Vivendi Environnement aux collectivités locales ? Enfin, d'une manière plus générale, il convient de s'interroger plus avant sur les moyens de prévenir de telles crises de trésorerie, par exemple par la mise en place de comités d'audit.

M. Henri Emmanuelli s'est interrogé sur les garanties qu'ont exigées les banques pour accorder le prêt de 3 milliards d'euros évoqué par le Président Jean-René Fourtou. En outre, des provisions de l'ordre de vingt milliards de francs avaient été « remontées » de Vivendi Universal vers Vivendi Environnement, afin de garantir la reconstitution des réseaux. Il semble que celles-ci aient été remplacées par des garanties et absorbées par la maison-mère. N'y a-t-il pas là un risque pour l'entretien des réseaux ?

M. Jacques Pélissard a souligné l'inquiétude des collectivités locales quant à l'avenir de Vivendi Environnement. Le Président Fourtou a récemment expliqué que la situation financière de Vivendi Universal ne lui permettait pas de reprendre la majorité de Vivendi Environnement. Dès lors, n'y a-t-il pas un risque que les 40 % du capital détenus par Vivendi Universal passent entre les mains de capitaux étrangers ?

M. François Goulard, après avoir remercié M. Jean-René Fourtou pour la clarté de ses propos, a indiqué que de grossières fautes de gestion avaient été commises. Cependant, est-il nécessaire de succomber à la tentation bien française de légiférer dès qu'un problème se pose ? Est-il nécessaire de modifier le cadre législatif pour affirmer le contrôle et éviter les situations problématiques ?

Le Président Pierre Méhaignerie s'est demandé si les préconisations du rapport de M. Daniel Bouton auraient permis d'éviter les errements qu'a connus Vivendi Universal et a, lui aussi, estimé qu'il fallait légiférer avec beaucoup de prudence.

En réponse aux intervenants, M. Jean-René Fourtou a apporté les précisions suivantes :

-  les agences de notation ont effectivement un pouvoir considérable, aussi bien sur les entreprises que sur la dette des pays souverains. Certes, ces agences sont indispensables et permettent d'éviter de nombreuses turpitudes. Il serait néanmoins utile de revoir les procédures afin d'assurer des possibilités d'appel et de débats contradictoires S'agissant de Vivendi, la situation était la suivante : l'agence avait délégué deux jeunes gens extrêmement compétents, avec lesquels le dialogue a été parfaitement possible, et d'ailleurs fructueux. Mais au-delà de telles considérations, il ne paraît pas logique de confier un tel rôle de justicier à un nombre aussi restreint de personnes dont les décisions peuvent créer un traumatisme considérable pour les entreprises ;

- concernant la gouvernance, les entreprises sont confrontées à une nécessaire prise de conscience plutôt qu'à un problème de lois ou de règles. Les nouvelles générations savent qu'il ne faut pas laisser le choix des administrateurs au management. Ces administrateurs doivent pouvoir se réunir hors la présence du président, afin d'évaluer notamment la stratégie et d'effectuer une revue des risques. Malheureusement, quelles que soient les règles, des problèmes subsisteront, car certains présidents privilégient toujours une gestion opaque et solitaire. Les préconisations du rapport de M. Daniel Bouton vont dans le bon sens, même si elles n'ont pas de concrétisation législative, car elles permettent l'évolution des comportements ;

- si le sujet de la gouvernance des sociétés est très important, il n'est pas sûr que de nouvelles lois soient nécessaires. Aux Etats-Unis, on légifère moins. En France, il est actuellement difficile à un chef d'entreprise de prendre la mesure de l'ensemble des règles qui s'imposent à lui. Il n'est pas nécessaire d'en rajouter pour parvenir à une meilleure professionnalisation des administrateurs ;

- les participations financières du groupe sont particulièrement hétéroclites. Dans le groupe Canal + lui-même, il y a non seulement la chaîne de télévision mais aussi Canal + Technologies, des studios et des implantations à l'étranger particulièrement hasardeuses, en Italie, en Pologne, au Benelux ou en Scandinavie. Ces implantations absorbent quelque 700 millions d'euros de cash cette année. Telepiù, en Italie, perd 400 millions d'euros par an. La cession d'actifs à l'étranger permettrait donc de gagner du cash-flow. Il convient aussi de se désengager des investissements opérés dans le secteur de la téléphonie non française (Pologne, Hongrie, Kenya), même si le développement du mobile au Maroc peut être une chance, de même que dans le secteur de l'édition. On saisit mal, par exemple, la justification de certaines participations financières aux États-Unis. Au total, le nombre de lignes d'investissement est impressionnant. On y compte même un palais à Venise ;

- les cessions envisagées n'empêcheront pas le groupe de garder des positions très fortes. La valeur de l'entreprise est en effet très supérieure à sa dette. Et si l'on tient compte de l'actif net, le cours de l'action devrait plutôt se situer aux alentours de 30 euros qu'à 12 euros comme actuellement ;

- s'agissant des systèmes d'information interne, il convient d'indiquer qu'ils étaient rendus peu clairs car la trésorerie était fondée sur un système mensuel très complexe et qui posait des problèmes de raccordement.

M. Jacques Espinasse, directeur financier, a rappelé que le coût de l'endettement atteignait 4 à 5 % du montant total de la dette.

L'entreprise a été prise à revers par le marché, lorsque celui-ci a pris conscience de l'importance des investissements sans financements appropriés. La dette était trop courte et trop éloignée du cash-flow. Les titres d'auto-contrôle ont coûté 4,5 milliards d'euros, ce qui est à l'évidence excessif. Il n'y a pas eu de refinancement de la dette, ni d'émission d'obligations, comme celle de 2 milliards d'euros envisagée un moment. La complexité des comptes, dans le contexte aggravant de l'affaire Enron, a perturbé les marchés. Le thermomètre boursier a alors réagi très vite, sans préavis, alors que la dette existait auparavant. Il est fréquent, pour les grandes entreprises, qu'une partie de la dette soit financée par du papier commercial, les montants en cause pour Vivendi Universal - 2 à 3 milliards d'euros - étaient normaux et cette source s'est donc tarie. La spirale est alors devenue rapidement infernale. Les banques se sont affolées, ont eu un comportement moutonnier, et ont donc envisagé le pire, parfois sans recul. Le 10 juillet a été négociée une ligne de crédits non sécurisée d'un milliard d'euros. Quatre banques françaises en assuraient 80 % alors que les investissements étaient massifs aux États-Unis. Le passage de 1 à 3 milliards a nécessité de faire appel aux banques anglo-saxonnes. Cela a créé de la complexité, dans la mesure où celles-ci prêtent sur cash-flow futurs, alors que les banques continentales acceptent de prêter sur cessions d'actifs. Le passage à un prêt de 3 milliards d'euros change la donne. Les prêts, en tout état de cause, sont accompagnés de nantissements et de garanties évidemment très importants. Le groupe, on le conçoit aisément, est sous surveillance pour 3 milliards d'euros. Les nouveaux prêts conduisent d'ailleurs à des renégociations avec les anciens prêteurs, lesquels demandent des garanties accrues. Le résultat est évidemment d'une grande complexité. En contrepartie, l'entreprise est probablement l'une des plus contrôlée de France. Elle l'a été par Arthur Andersen, Salustro et Ernst & Young ayant audité l'entreprise, puis une mission a été confiée à PWC. Des points particuliers ont été analysés tels que la trésorerie ou la rémunération des dirigeants. La révision des travaux des auditeurs est, comme il se doit, sous le contrôle de la COB.

La nouvelle direction tient à affirmer aux banquiers et aux marchés que les comptes sont fiables, sincères et qu'aucun des documents écrits ne fait apparaître la moindre preuve de fraude, de falsification des comptes ou de malversation. La situation actuelle est le résultat de rêves de développement. Ces rêves ont été sanctionnés par les marchés.

S'agissant de Vivendi Environnement, le dispositif date de 1997. Les provisions sont externalisées. Elles ont été transférées sur une société de réassurance irlandaise et portent sur un milliard d'euros. L'engagement implique le versement, échelonné dans le temps, de 224 millions d'euros, par tranches de 15 millions. Ces engagements seront tenus. La société est solide grâce à ses fonds propres. Les inquiétudes n'ont pas lieu d'être. D'ailleurs, la distribution de l'eau n'est pas une activité libre. Elle est très contrôlée. La participation de Vivendi Universal, de près de 40 %, n'empêche pas Vivendi Environnement d'être une société autonome. Sa solidité lui permet de suivre un rythme d'investissement très important, afin de saisir les opportunités liées à l'évolution des marchés de l'eau à l'étranger. Ses actifs sont excellents et son cash-flow important. Peut-être pourrait-on simplement regretter maintenant que les deux entreprises n'aient pas été séparées auparavant.

Il n'est pas actuellement envisagé de remonter dans l'actif de Vivendi Environnement, qui constitue une société indépendante. Les engagements de conservation des titres pris antérieurement seront respectés. Les questions relatives à l'environnement, comme d'ailleurs à l'édition, se caractérisent en France par une forte sensibilité, qui ne peut être sous-estimée. En tout état de cause, aucune discussion n'est en cours dans la perspective d'une cession de la participation détenue dans Vivendi environnement. Le seul problème de cette dernière peut être lié au rythme d'investissements, qui est rapide.

Il est difficile de considérer qu'il ait pu y avoir des fautes de gestion caractérisées de la part de l'équipe précédente. En effet, le contexte général de l'entreprise s'est rapidement révélé très difficile, et, si les stratégies de recherche de synergies entre contenants et contenus se sont avérées irréalistes, il n'empêche qu'elles ont été partagées par tous les acteurs des marchés, comme l'indique, par exemple, le fait que le portail Internet Vizzavi ait pu être valorisé à plus de 20 milliards d'euros avant même d'exister, quand sa cession n'a pu finalement être réalisée que pour environ 140 millions d'euros. C'est sur une vague d'optimisme très partagée que M. Jean-Marie Messier a, en pratique, dérapé.

M. Eric Woerth a souhaité savoir quel pourrait être le périmètre de Vivendi Universal à l'horizon de un ou deux ans, et si l'on ne courrait pas maintenant le risque d'un excès de prudence, après un excès d'acquisitions. Quel signe pourrait par ailleurs être adressé aux petits porteurs de titres Vivendi Universal ? Peut-on préciser le rôle particulier, mentionné dans la presse, de l'un des deux commissaires aux comptes de l'entreprise ?

M. Philippe Auberger a demandé si, conformément aux exigences de la SEC et de la législation américaine, le président Fourtou avait déjà engagé sa signature sur les comptes de l'entreprise. Il a ensuite souhaité savoir:

- si les administrateurs n'auraient pas dû voir leurs craintes éveillées plus tôt, notamment à la suite des pertes subies par les établissements financiers qui avaient garanti l'opération de mise sur le marché d'une partie des titres de Vivendi Environnement ;

- dans quelles conditions une revue des risques était réellement utile et indépendante de l'équipe de direction, en se référant notamment à sa pratique récente au sein de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Faudrait-il aller jusqu'à mandater des auditeurs extérieurs pour ce faire ?

- pourquoi le pôle de l'édition ne pourrait-il pas être scindé, de façon à en préserver la partie française ? En effet, en l'absence d'un acheteur français solide autre que Hachette, qui ne pourrait sans doute pas être accepté par les autorités chargées de réguler la concurrence, le risque est grand de voir le pôle édition entrer dans un portefeuille étranger.

M. Hervé Mariton s'est interrogé sur l'importance des activités du groupe réalisées hors de France, et a demandé comment il convenait de comprendre le terme « écrit », utilisé par M. Jacques Espinasse, quant à l'absence de malversations ou de fausse présentation intentionnelle des comptes.

M. François d'Aubert a remercié le président Fourtou de se prêter aussi volontiers aux demandes d'informations de la Commission, dans la mesure où Vivendi Universal constitue une entreprise privée dans la gestion de laquelle la Représentation nationale ne peut, en principe, s'immiscer.

M. Philippe Auberger a, pour sa part, indiqué que la Caisse des dépôts et consignations avait été conduite à constituer 400 millions d'euros de provisions au titre de ses participations dans Vivendi Universal, et que cela pouvait, à soi seul, justifier quelques questions.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que la demande d'audition avait été formulée par la Commission au cours de son examen des deux propositions de résolution de création de commission d'enquête sur la gestion de Vivendi Universal, et qu'il lui paraissait normal d'entendre l'équipe dirigeante, dans cette perspective.

M. François d'Aubert a ensuite demandé :

- comment évaluer les risques résultant des plaintes déposées par de petits actionnaires ?

- pourquoi , comme l'a indiqué M. Philippe Auberger, ne pas procéder à la scission du pôle édition ?

- Vivendi Universal dispose-t-elle d'un actionnaire de référence ?

- les fonds de pensions, et, a fortiori, des « hedge funds », ont-ils joué un rôle particulier dans les difficultés de Vivendi Universal ? Celles-ci ne risquent-elles pas de faire perdre une partie de leur légitimité aux dispositifs de stock-options, et de retarder encore la création de fonds de pension en France ?

M. François Scellier s'est interrogé sur une éventuelle volonté de certains d' « abattre » M. Jean-Marie Messier, et sur ce qu'il serait advenu de l'entreprise, si celui-ci avait pu demeurer encore six mois à sa tête. Plus généralement, il s'est demandé s'il n'y avait pas lieu de regretter que de trop nombreuses entreprises soient aujourd'hui gérées par des financiers plutôt que par des entrepreneurs.

M. Jean-Jacques Descamps a relevé qu'il lui paraissait indubitable que le dossier Vivendi Universal se caractérisait par une erreur manifeste à la fois de direction et de stratégie. Les dirigeants ont déjà été sanctionnés. Qu'en est-il des administrateurs qui ont suivi le développement des difficultés du groupe ? Par ailleurs, ne risque-t-on pas de voir apparaître un actionnaire de référence américain, avec la présence concomitante, parmi les actionnaires, de la famille Bronfman et de M. Barry Diller ?

Le Président Pierre Méhaignerie a demandé de quelles informations la direction de Vivendi Universal disposait sur l'identité et les objectifs des acquéreurs des titres détenus par la banque JP Morgan, dont le Conseil des marchés financiers avait récemment annoncé que la participation, en tant qu'intermédiaire, venait de dépasser le seuil de 10%.

En réponse au Président Pierre Méhaignerie, M. Jacques Espinasse a indiqué que, selon les informations disponibles, sous réserve de leur confirmation prochaine, la situation constatée ne laisse pas apparaître d'action de concert : une centaine d'actionnaires ont racheté des titres, dont une dizaine de sociétés françaises. La part de capital détenue par des actionnaires américains est d'environ 24 %, parmi lesquels des fonds de pension.

Répondant aux différents intervenants, M. Jean-René Fourtou a apporté les précisions suivantes :

- il n'y a pas d'actionnaire de référence au sein du groupe Vivendi. Les actionnaires américains, y compris les fonds de pensions, détiennent directement ou indirectement 24 % du capital. Les plus gros actionnaires sont, si l'on fait la somme des participations directes et indirectes, la Caisse des dépôts et consignations (entre 5 et 6 % du capital) et la famille Bronfman (environ 5 %), encore qu'un de ses membres ait vendu des parts ;

- le découpage de l'activité de Vivendi relève de la gageure, tant les différentes briques qui la composent sont interdépendantes. Vivendi est la première firme de divertissements et loisirs européenne et la quatrième mondiale. Il n'est ni prévu, ni exclu que Vivendi prenne le contrôle de Cegetel. Pour le moment, la priorité va au désendettement, à la résolution de la crise de liquidités et, par la suite, à la construction d'un projet susceptible de tirer l'ensemble du groupe ;

- parmi les petits actionnaires, les salariés sont les plus touchés. La situation pose un vrai problème et mérite qu'on l'examine sérieusement.

M. Jacques Espinasse a poursuivi en répondant que les dissensions au sujet des modes de comptabilisation, largement relayées par la presse, relèvent d'un conflit interne aux commissaires aux comptes sur la question de savoir s'il fallait appliquer les normes américaines ou les normes françaises. La COB a imposé l'application des normes françaises, ce que Vivendi a fait. Il est regrettable et injustifié que cette question complexe ait été mise sur la place publique.

Puis M. Jean-René Fourtou a ajouté que :

- en signant les comptes, le président et le directeur financier de Vivendi respecteront effectivement la législation américaine relative aux groupes cotés aux États-Unis ;

- en privilégiant une approche trop technique des dossiers au détriment d'une discussion plus ouverte sur l'avenir du groupe, le conseil d'administration n'a pas été capable de mesurer les risques encourus ;

- il est difficile de scinder l'ensemble de l'édition entre un pôle français et un pôle étranger. La cession des activités d'édition à l'étranger concerne du reste d'autres pays, comme par exemple l'Espagne. En revanche, on peut imaginer une scission entre activités d'édition classiques et activités d'édition liées à l'éducation, en constituant une société mondiale centrée sur ce secteur et facilitant ainsi les synergies. Il est clair qu'une acquisition par le groupe Hachette qui conduirait ce groupe à détenir 90 % de l'édition scolaire française poserait une réelle difficulté par rapport aux règles de concurrence françaises et européennes. Il faut trouver un compromis entre l'intérêt de l'actionnaire de Vivendi Universal, l'avenir de Vivendi Universal Publishing et celui des salariés ;

- le principe d'une audition n'est pas ressenti comme une pression politique mais comme un dialogue nécessaire ; il est légitime que les députés veuillent être informés, le conseil d'administration gardant son entière liberté et sa complète responsabilité pour prendre une décision au service de ses actionnaires.

M. Jacques Espinasse a indiqué que tous les engagements étaient pris par écrit et que toutes les acquisitions devaient obtenir l'accord du conseil d'administration.

M. Jean-René Fourtou a confirmé que des acquisitions éventuelles ne pourraient être réalisées avant longtemps. S'agissant des plaintes, elles viennent essentiellement des États-Unis, même si elles sont de plus en plus nombreuses en Allemagne et en France. Dans la mesure où l'entreprise n'a pas fait faillite, les plaignants espèrent sans doute pouvoir en obtenir une quelconque indemnisation. Il y a souvent beaucoup d'abus dans ce domaine. La Commission des opérations de bourse réalise actuellement une enquête sur toutes les déclarations orales qui auraient pu prêter à confusion. Ses conclusions n'ont pas encore été rendues publiques. Le rôle des fonds de pension dans la chute du cours de l'action est certain. Les plus dangereux de ces fonds sont les hedge funds : associés aux agences de notation, ils sont au c_ur de mouvements incontrôlables, dépourvus de tout moyen de régulation. Il est évident que si Vivendi Universal n'avait pas changé rapidement de président, le groupe serait allé au dépôt de bilan, le changement de président s'est traduit par l'appui retrouvé de fonds très importants. Il y avait déjà huit à dix mois que les actionnaires américains contestaient la gestion de M. Jean-Marie Messier. Dans un premier temps, les Français l'ont soutenu, ce qui a entraîné un véritable clivage franco-américain, les votes s'opérant par nationalité, pour ou contre M. Jean-Marie Messier, sans véritable souci de l'entreprise. Finalement, toutes les voix se sont tournées contre l'ancien Président directeur général.

M. Jean-René Fourtou a précisé qu'il a été appelé à lui succéder par ceux qui défendaient encore Jean-Marie Messier, condition qu'il avait posée pour accepter ce poste. Si les stock options ont alimenté les rêves de richesse des managers, ces rêves se sont effondrés avec la crise, mais cet effondrement est la conséquence normale de la responsabilité des dirigeants.

M. Jacques Espinasse a indiqué qu'il existait deux sortes d'options : les options de souscription d'actions et les options d'achat d'actions. Vivendi Universal avait mis en place un système d'achat d'actions qui se traduisait par l'inscription des titres correspondants dans sa trésorerie. Comme en période de crise, les options n'ont pas été suivies d'achats, il a fallu détruire les titres, ce qui a entraîné un poids pour la trésorerie et des pertes pour les actionnaires. Le système des options d'achats a, depuis, été remplacé par un système de souscription.

Pour ce qui est de la répartition de l'activité du groupe entre l'Amérique du Nord et l'Europe, M. Jean-René Fourtou a rappelé que le secteur de la musique réalisait 42 % de son chiffre d'affaires avec l'Amérique du Nord, 41 % avec l'Europe et 17 % avec le reste du monde. Les activités de « Vivendi Universal Entertainment » sont concentrées aux États-Unis pour 70 %, l'Europe n'en représentant que 21 %. La part d'activité de Canal + en Europe atteint 93 % du total contre seulement 2 % en Amérique du Nord. L'activité « jeux » est nord-américaine à hauteur de 62 % et européenne pour 27 %. Au total, le groupe media-divertissement réalise 45 % de ses activités avec l'Amérique du Nord, 44 % avec l'Europe et 11 % avec le reste du monde. Aujourd'hui, le fonctionnement du Conseil d'administration est redevenu normal, même si une prochaine assemblée générale sera chargée de constituer un nouveau conseil d'administration, qui devra néanmoins garder un noyau d'anciens administrateurs. Mais la société est remise sur ses rails.

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