COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 28 octobre 2003
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Michel Bouvard, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Défense, sur les stratégies de réforme du ministère

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La Commission a procédé à l'audition de Mme Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Défense, sur la Stratégie Ministérielle de Réforme du ministère de la Défense.

Mme Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Défense, a tout d'abord rappelé que la Défense était la seule grande administration de l'État à avoir conduit avec succès, au cours de ces dernières années, une véritable révolution : celle de la professionnalisation. Cette réforme a été accomplie dans un calendrier, exigeant, de cinq ans. Pourtant, le ministère n'a pas reçu les moyens prévus dans la loi de programmation militaire 1997-2002 pour assurer son accompagnement. En effet, les prélèvements successifs opérés par le précédent gouvernement représentent l'équivalent d'une annuité complète (20 %) de ses dépenses d'équipement. Pourtant, au prix d'efforts considérables et d'une amputation des programmes d'armement, la professionnalisation a atteint ses objectifs. Une centaine de régiments de l'armée de terre ont été dissous, tandis que la Marine, l'armée de l'air et la délégation générale pour l'armement (DGA) réduisaient d'un tiers leurs moyens. Le ministère de la Défense a été le seul à faire un tel effort, étant ainsi en première ligne de la réforme de l'État.

D'importantes opérations de restructuration ou de réorganisation ont été entreprises au cours des mois passés :

- le changement de statut de DCN, devenu une entreprise ;

- le projet d'adaptation de GIAT Industries pour en faire une entreprise participant à la concurrence internationale ou à d'éventuels regroupements européens ;

- et l'aménagement de l'implantation territoriale de la gendarmerie, illustrée notamment par la création de communautés de brigades.

Par ailleurs, quatre chantiers concernant les personnels devraient aboutir en 2004 : la réforme des retraites militaires, la révision du statut général des militaires qui devrait déboucher sur un projet de loi déposé avant juin 2004, la réforme des réserves et la place et le rôle des civils dans l'armée professionnelle.

S'agissant de la réforme des structures, la mission du ministère de la Défense est claire : assurer la défense de la France, participer à la sécurité des Français et perpétuer la mémoire du monde combattant. Cette mission n'est pas appelée à évoluer, mais ses modalités d'exécution doivent être modernisées. En effet, la performance opérationnelle et la performance administrative vont de pair. Si la programmation militaire a défini les priorités opérationnelles et garanti leur financement, elle doit s'accompagner de la recherche permanente d'une amélioration des processus administratifs.

À cette fin, la stratégie du ministère de la Défense s'articule autour de trois principes que sont la clarification des responsabilités, la mutualisation des moyens et le recentrage de l'action du ministère sur ce qui relève de son intervention directe ou exclusive.

Chacun, dans son domaine de compétences, doit exercer des responsabilités clairement identifiées. C'est dans cet esprit qu'ont été élaborées les propositions du ministère pour la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001, notamment en ce qui concerne le renforcement du rôle du chef d'état-major des armées et du secrétaire général pour l'administration (SGA).

S'agissant de la conduite des programmes d'armement, les responsabilités des différentes autorités avaient besoin d'être mieux définies. Les conclusions d'une étude récente sur cette question vont commencer à être mises en oeuvre au début de l'année 2004.

En ce qui concerne les relations entre les établissements publics placés sous la tutelle de la Défense et les services qui l'exercent, un contrat d'objectifs et de moyens sera établi avant la fin de l'année. Les cadres dirigeants civils ou militaires verront leur rémunération mieux refléter leurs responsabilités réelles et les résultats qu'ils ont obtenus.

Le deuxième axe de la stratégie ministérielle repose sur la mutualisation des moyens, qui doit conduire à mieux maîtriser les ressources humaines et financières destinées à assurer des besoins communs aux armées. Sept chantiers vont se concrétiser dès 2004.

- la mutualisation de 1'approvisionnement des rechanges aéronautiques, et celle de l'approvisionnement en vivres, y compris en opérations extérieures, avec la récente mise en place de l'économat des armées, dont la création générera une économie de 12 millions d'euros en 2004 ;

- le regroupement des 16 services d'archives au sein d'un service unique ;

- l'affirmation de l'autorité du SGA pour assurer la cohérence de l'informatique d'administration et de gestion ;

- la centralisation de la gestion des réseaux informatiques au sein d'une direction unique ;

- le regroupement de la fonction immobilière sous l'autorité du SGA ;

- la création d'un service constructeur unique, au lieu des trois existants.

Cette démarche s'accompagnera d'un externalisation de la gestion des logements domaniaux et des logements de la gendarmerie, ainsi que de l'amplification des cessions d'immeubles devenus inutiles à la Défense. Enfin, les cinq corps administratifs de catégorie A (environ 1.100 agents) seront fusionnés, en 2004, en un corps unique. En outre, le nombre des corps techniques sera réduit de 10 %. Il est souhaitable, à terme, que soient fusionnés les corps identiques du ministère et des établissements publics.

Le troisième axe de la stratégie ministérielle vise à recentrer l'action du ministère sur ce qui relève de son intervention directe ou exclusive. Il a, en effet, intérêt à faire appel à des entreprises lorsque leur expérience est certaine et leur intervention moins onéreuse. Par exemple, il n'est pas normal que plusieurs centaines de gendarmes soient employés à la gestion immobilière. Ce n'est pas le sens de leur engagement et, quelle que soit leur bonne volonté, il existe pourtant, sur le marché, de véritables professionnels.

Dans les mêmes conditions, la gestion des 25.000 véhicules de la gamme commerciale sera externalisée. De même, l'externalisation expérimentale de la formation initiale des pilotes d'hélicoptères devrait être engagée. Aujourd'hui, une partie du parc opérationnel des hélicoptères est utilisée pour cette formation. Il est donc prévu, sur un cahier des charges précis, d'acheter les heures de vol nécessaires à la formation. Ainsi, le potentiel des hélicoptères opérationnels sera préservé. Cet été, lors de la participation du ministère à la lutte contre les incendies, les hélicoptères ont consommé en deux mois tout leur potentiel annuel.

L'engagement en faveur de l'externalisation, comme des modes de financements innovants est pragmatique et non pas idéologique. Une telle démarche doit répondre aux objectifs opérationnels, tout en améliorant la gestion et l'organisation des structures.

Pourtant, le ministère est confronté à certaines difficultés dans sa démarche. En 2003, sur un montant de 650 millions d'euros au titre de l'externalisation, 20 % correspondait au versement de la TVA, laquelle n'est pas récupérable. De même, le changement de statut de DCN a conduit à verser 119 millions d'euros de TVA en 2003, que le budget de la Défense a pré-financé. L'avance du coût des opérations extérieures a également été faite. La gestion du budget de fonctionnement est, de ce fait, tendue.

Le ministère ne peut vendre des terrains qui ne seraient pas dépollués. De plus, les entreprises n'ont pas le droit de procéder à certaines formes de dépollution, du fait de la dangerosité de certains travaux. Ceci freine la politique de cessions immobilières.

La stratégie de réforme pour 2004 est un engagement collectif de la Défense dans la réforme de l'État. Dans le même temps, les forces armées et l'ensemble des personnels du ministère auront à répondre à de nombreux défis opérationnels, puisque 15.000 hommes sont aujourd'hui en opérations extérieures dans les Balkans, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire ou en République centrafricaine. Il convient de prendre en compte cette réalité, y compris sur le plan budgétaire. Le ministère de la Défense sait proposer des économies, atteignant 250 millions d'euros dans le projet de budget pour 2004. De plus, un départ en retraite sur deux de personnels civils n'a pas été remplacé, permettant de réduire le montant des crédits du titre III.

M. François d'Aubert, Rapporteur spécial des crédits de la Défense, a salué la volonté du ministère de se moderniser. C'est en effet le ministère qui s'est le plus réformé ces dernières années, notamment dans le cadre de la professionnalisation des armées. Il est possible de réformer par la restructuration mais également par la fixation d'indices de performance et d'efficacité. À cet égard, quels sont les indices les plus pertinents ? En particulier, comment le ministère entend-il traiter les indices relatifs à la disponibilité des différents armements ? Il serait par ailleurs utile que les trois armées disposent d'indices d'efficacité identiques dans certains domaines.

S'agissant de la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, il est actuellement envisagé de créer une seule mission. Pourquoi le choix de trois missions différentes n'a-t-il pas été retenu ? En outre, pourquoi les crédits de la gendarmerie ne font-ils pas l'objet d'une identification sous forme d'un programme ? Par ailleurs le programme de soutien administratif central ne doit pas devenir un programme fourre-tout. Enfin, comment vont être définis les responsables au sein de chaque programme ? En particulier quels seront les pouvoirs d'arbitrage du chef d'état-major des armées par rapport aux chefs d'états-majors des trois armées ?

Des progrès importants ont été réalisés en matière d'économie budgétaire, en particulier dans le domaine de la communication, encore qu'une partie des suppressions correspond à des postes non pourvus. Ceci pourrait être complété par un effort d'économie supplémentaire sur le nombre de revues. En matière de patrimoine immobilier, la commission des Finances a présenté un amendement visant à augmenter les ventes en 2004. Il apparaît en effet nécessaire d'aller plus loin dans cette voie. Comment le ministère compte-t-il réduire le délai entre le moment de la vente et celui de son encaissement effectif par les armées ? S'agissant de l'externalisation, les opérateurs auraient besoin de connaître le coût global actuel de l'école de pilotes d'hélicoptères de Dax. En matière de financements innovants, les projets annoncés l'année dernière ont-ils avancé ?

Enfin, la loi de programmation militaire doit être appliquée dans son intégralité. À cet égard, deux programmes suscitent des inquiétudes. Le programme de l'armée de terre prévoyait la livraison de quarante chars Leclerc au 1er janvier 2004, or jusqu'à présent seulement huit à neuf chars ont été livrés. En outre, alors que le programme VBCI se caractérise par des retards financiers importants, une demande d'étude complémentaire pour une tourelle à deux hommes a été formulée, ce qui risque de modifier complètement le programme. Une fois que la DGA et l'armée de terre ont fait un choix, elles devraient s'y tenir.

M. Marc Le Fur, Rapporteur spécial des crédits de la sécurité intérieure, a félicité le ministère pour les efforts de réforme engagés, en particulier le redécoupage police-gendarmerie, la montée en puissance des communautés de brigades et l'externalisation du parc immobilier de la gendarmerie. Quelle est la place de la gendarmerie dans la future nomenclature résultant de la loi organique relative aux lois de finances ? Quelle logique est privilégiée : la création d'une mission interministérielle avec la gendarmerie comme élément central de la sécurité ou la dilution de la gendarmerie au sein des programmes des différentes armées ? La loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure a ouvert la possibilité d'un partenariat public-privé, ce qui a des effets positifs en termes de délais de réalisation. À quelle date les décrets d'application de cette loi doivent-ils être publiés ?

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. François Cornut-Gentille a souligné qu'en dépit des efforts réalisés sur le titre V, il apparaissait difficile de dégager des marges en raison du coût élevé de l'entretien des matériels. Existe-t-il des marges sur le titre III ? Dans quelle mesure le format des armées peut-il évoluer ?

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a souhaité savoir quels efforts pouvaient encore être envisageables concernant les effectifs, pour permettre un déplacement de crédits du titre III vers le titre V. En particulier, peut-on imaginer aller au-delà, soit dans la durée, soit dans le périmètre retenu, de la décision de ne remplacer que la moitié des départs en retraite pour les personnels civils ? Un prolongement de cette orientation pourrait-il être imaginable pour les effectifs militaires, ou pour ceux couverts par la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002, adoptée dans un contexte budgétaire qui, depuis, a sensiblement évolué ? Dans le même sens, dans quels termes se posera la question de l'évolution des effectifs dans le cadre des contrats d'objectifs et de moyens prévus en 2004 ? Enfin, quel est l'état de la réflexion du ministère sur les indicateurs de performance exigés par la loi organique ?

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. Joël Hart a souligné les bonnes conditions de travail de la mission de suivi des crédits mise en place, de manière originale, au sein de la commission de la Défense nationale. Cette « commission restreinte » entend, au moins une fois par trimestre, les représentants de l'administration des ministères de l'Économie et de la Défense, ce qui lui permet à la fois de se voir, certes, confirmer certaines inquiétudes, mais aussi d'infirmer certaines idées reçues.

S'agissant plus particulièrement de l'armée de terre, se pose la question de l'évolution de ses moyens, si l'on considère que 15 % de ses effectifs sont actuellement stationnés à l'étranger dans le cadre notamment des opérations extérieures, que le recours aux hélicoptères militaires dans le cadre de la lutte contre les incendies les a beaucoup sollicités, que l'armée de terre est également mobilisée pour concourir au plan « Vigipirate », ou, à l'instar des autres armées, qu'elle avait également été sollicitée pour le sommet d'Évian. Ces opérations ont un coût élevé. Les choix français en matière d'armement sont parfois remis en cause par des décisions prises ultérieurement au plan communautaire ou par des États membres de l'Union européenne. Le cas du programme d'hélicoptère NH 90, dont la version initialement retenue devrait être transformée en conséquence du choix des autorités espagnoles, constitue une illustration parlante du fait que la gestion des budgets militaires se caractérise, même pour des opérations qui peuvent a priori être planifiées, par d'importants impondérables. Cette incertitude affecte la construction même des budgets de la Défense.

Rappelant qu'avaient initialement été présentées à la mission de la commission des Finances sur la mise en œuvre de la loi organique deux options très différentes, M. Michel Bouvard, Président, a souhaité connaître la justification du choix d'une mission unique pour l'ensemble de la fonction « Défense ». De même, comment s'articulera l'évolution des statuts et des corps, par rapport à la logique nouvelle d'organisation par métiers, qui doit prévaloir ? Quelle souplesse de gestion peut en être réellement attendue ?

En réponse, Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que :

- des indices d'efficacité sont en train d'être mis en place. Toutefois, même si l'on constate, d'ores et déjà, une amélioration des indices caractérisant le niveau de disponibilité des matériels, trois années seront sans doute nécessaires pour parvenir à un niveau de disponibilité de référence, d'ailleurs variable suivant les types d'équipement. À titre d'illustration, la disponibilité optimale est plus grande pour les hélicoptères que pour les avions, en raison des différences de contraintes de maintenance ;

- s'agissant des indices d'efficacité, il est vrai que, notamment dans le domaine aéronautique, peuvent exister des différences de coûts entre les travaux effectués en interne et les mêmes travaux réalisés dans le civil. C'est la raison pour laquelle a été demandé un audit sur la SIMMAD, demandant des comparaisons de coûts ;

- le choix et la définition des indicateurs plus spécifiquement liés à la mis en œuvre de la loi organique se poursuivent selon le calendrier prévu. Une liste des indicateurs de performance devrait pouvoir être communiquée au Parlement au début de l'année 2004 ;

- pour éviter la pérennisation de distorsions liées à des normes différentes d'utilisation des appareils au sein du même ministère, la mise en place d'un contrôle de gestion cohérent pour l'ensemble de celui-ci a été confiée au SGA ;

- en ce qui concerne la question de la détermination des missions et des programmes du ministère, la défense des Français apparaît comme un tout indissociable. En particulier, la distinction entre opérations intérieures et extérieures paraît inadéquate et artificielle. Ainsi, qu'il s`agisse de la Côte d'Ivoire ou du Libéria, les opérations menées sont également destinées à aider nos compatriotes résidant dans ces pays. Il en va de même pour la lutte contre les trafics en tous genres dans les Balkans, ou pour la lutte contre le terrorisme menée à l'étranger ;

- l'idée d'une éventuelle mission spécifique pour l'oeuvre de mémoire en faveur des anciens combattants n'a pas non plus été retenue, car cette dernière apparaît intimement liée à la défense elle-même, en particulier compte tenu des évolutions découlant de la professionnalisation des armées. Les Français doivent être sensibilisés à l'esprit de défense : il faut éviter à tout prix qu'ils soient conduits à estimer que, compte tenu de la professionnalisation, la Défense nationale n'est plus qu'une affaire de professionnels. La seconde justification du choix d'une mission unique tient à l'objectif de mutualiser au maximum les moyens, ce qui serait difficilement compatible avec une segmentation des fonctions, conduisant à une multiplication inutile des services ;

- le traitement des crédits de la Gendarmerie doit tenir compte du fait que les gendarmes sont des militaires, susceptibles d'être sollicités dans des situations très diverses, y compris des crises de haute intensité, à l'instar du groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), qui intervient avec une fréquence moyenne de trois fois par semaine. Il en est de même de l'action des gendarmes dans le cadre des différents plans « vigies », ou des opérations extérieures en cours. Deux cents gendarmes sont actuellement déployés en Côte d'Ivoire, pour soutenir les forces armées classiques. Gendarmerie et activités militaires plus traditionnelles sont donc, en réalité, souvent imbriquées, de sorte qu'il y aurait un paradoxe à vouloir à tout prix procéder à un traitement séparé de la force armée que constitue la Gendarmerie ;

- la définition actuellement retenue pour le « programme support » permet de placer l'ensemble des responsabilités des fonctions support sous l'autorité unique du SGA, de façon à permettre une rationalisation et une réduction des dépenses considérées. Certaines incohérences actuelles, par exemple dans le domaine informatique, montrent bien l'intérêt d'un tel schéma ;

- les programmes retenus dans le cadre de la loi organique sont au nombre de sept, avec, dans chaque cas, une ou deux autorités responsables seulement. Ainsi, le programme de prospective se trouve-t-il sous l'autorité du ministre ; celui consacré à la préparation des forces sous celle du chef d'état-major des armées, qui assure la coordination des programmes ; le programme de préparation des forces est, naturellement, sous l'autorité de ce même chef d'état-major ; le programme de soutien administratif est confié au SGA ; le programme de « conduite des programmes d'armement » implique le chef d'état-major et le délégué général pour l'armement, qui procèdent aux arbitrages nécessaires ; la responsabilité du programme consacré au lien entre la Nation et son armée incombe au SGA, pour l'administration, enfin, le programme « mémoire, reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » est de la responsabilité du SGA, sous l'autorité du secrétaire d'État.

M. Charles de Courson a indiqué que lui et les autres membres de la mission de la commission des Finances chargée d'assurer le suivi de la mise en oeuvre de la loi organique avaient été quelque peu étonnés par le choix d'une mission unique, qui lui paraissait constituer une « totale hérésie », d'autant qu'il n'existe à l'évidence pas qu'une seule mission pour l'ensemble du ministère de la Défense. Il suffit, pour s'en convaincre, de se reporter aux quatre grandes fonctions stratégiques définies dans le rapport annexé à la loi du 27 janvier 2003 relative à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 : dissuasion nucléaire crédible ; prévention des crises; projection-action ; protection des personnes et du territoire.

Au demeurant, le choix plus satisfaisant opéré par le ministère de l'intérieur, retenant le principe de trois missions - aide aux collectivités locales, sécurité intérieure, gestion de certaines fonctions régaliennes notamment dans les départements -, pose un problème de cohérence avec celui du ministère de la Défense consistant à maintenir l'ensemble de la Gendarmerie nationale dans la mission unique du ministère. Un arbitrage interministériel sera donc vraisemblablement nécessaire sur ce point.

Enfin, les sept programmes qui viennent d'être présentés apparaissent excessivement déséquilibrés en termes de montants respectifs.

M. Charles de Courson a estimé, à titre personnel puisque la mission de la commission n'a pas encore arrêté sa position, que le choix d'une troisième option retenant une mission unique, plus ou moins intermédiaire entre les deux initialement évoquées devant la mission, risquait de manquer de lisibilité. Il serait paradoxal que la loi organique aboutisse à moins de clarté que la situation actuelle.

M. Marc Le Fur a relevé que, si l'importance des opérations extérieures ne devait pas être mésestimée en ce qui concerne la gendarmerie nationale, pour autant les citoyens étaient sans doute plus directement sensibles à la mission de sécurité intérieure qui lui était confiée, évaluée notamment par des indicateurs tels que le taux d'élucidation. Par ailleurs, la question du statut militaire ne paraît pas du tout interférer, a priori, avec la problématique de la nomenclature des missions et des programmes.

La Ministre a indiqué que le taux d'élucidation de la gendarmerie nationale est supérieur à celui de la police nationale.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. René Galy-Dejean a demandé où se trouvaient les services de renseignement dans les programmes, et s'ils feraient l'objet d'un regroupement.

Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que le ministère de l'Intérieur avait des missions très clairement identifiables et qui ne se recoupent pas. Tel n'est pas le cas du ministère de la Défense qui a, depuis 1820, une mission unique qui est de protéger le territoire national et les Français, même si plusieurs forces y concourent. S'agissant de la gendarmerie, la structure budgétaire proposée devrait permettre au Parlement de disposer d'une information aussi exhaustive qu'actuellement. À l'intérieur de chaque programme, se trouveront les identifications nécessaires. Il n'est pas dans l'intérêt de la Gendarmerie de la distinguer du reste de l'armée, même si nos concitoyens y voient d'abord une mission de sécurité intérieure. Face à une situation de crise, l'ensemble des forces doivent être mobilisées de la même manière, y compris les forces de Gendarmerie. Il faut que le Parlement s'attache davantage à appréhender en quoi la défense contribue à la sécurité intérieure de notre pays. La nomenclature budgétaire n'est pas la seule solution en la matière et les réflexions doivent être approfondies sur ce sujet.

M. Charles de Courson a souligné que les sept programmes envisagés étaient très déséquilibrés, avec un poids financier variant de 1 à 10 voire de 1 à 15. Il pourrait être pertinent de prendre en compte les missions stratégiques, rappelées dans la loi de programmation, et ensuite de les décliner.

M. Michel Bouvard, Président, a indiqué que la Gendarmerie contribuait à la sécurité intérieure du pays et qu'il conviendrait peut-être de créer une mission globale sur ce sujet. Cependant la création de missions interministérielles reste une question délicate pour les ministères.

Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que le ministère de la Défense avait donné son accord pour la création de missions interministérielles en matière de recherche et d'interventions extérieures.

M. François d'Aubert a rappelé que les armées étaient de plus en plus chargées de missions de service public, comme celle de la protection des côtes. Ces missions ne relèvent pas de la mission de Défense à proprement parler. Il s'est interrogé sur la prise en compte de cette évolution dans le cadre de la réforme budgétaire.

En réponse, Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que :

- ces missions de service public ont toujours un lien avec la Défense. Par exemple la protection des côtes est liée à la lutte contre le terrorisme même si elle a une incidence certaine sur la lutte contre la pollution.

- le renseignement sera intégré dans le programme n° 1 en ce qui concerne la DGSE et la DPSD. En revanche, la DRM sera rattachée au programme n° 3 ;

- les cessions immobilières ont représenté 45 millions d'euros en 2003. Elles permettent de dégager des marges de manœuvre budgétaire. Cependant, l'obligation de dépolluer constitue une véritable limite à la cession de terrains. L'intervention du législateur serait tout à fait indispensable pour assouplir cette contrainte qui rend pour l'instant impossibles certaines cessions ;

- l'école de formation des pilotes d'hélicoptères de Dax représente un budget de 42 millions d'euros dont 18 millions d'euros au titre de la masse salariale et 24 millions d'euros au titre du fonctionnement ;

- s'agissant des financements innovants, la situation est bloquée dans l'attente de la publication des ordonnances et des décrets d'application de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure ;

- dans le cadre de la loi de programmation militaire, 44 chars Leclerc doivent être livrés en 2003. 9 ont déjà été réceptionnés. Le reste est pour l'instant bloqué en raison de la situation délicate de GIAT-Industries ;

- s'agissant du VBCI (véhicule blindé de combat d'infanterie), le programme, commencé avant l'arrivée du Gouvernement pose un certain nombre de problèmes. Le choix qui avait été fait était celui d'une tourelle pour une place. L'armée de terre fait des études complémentaires pour adapter sur les dispositifs existants des tourelles à deux places. Le coût de l'opération doit rester modéré.

M. François d'Aubert a rappelé que ces études complémentaires représentaient un budget de 15 millions d'euros.

Mme Michèle Alliot-Marie a poursuivi ses réponses :

- des efforts importants seront réalisés en 2004 par le ministère sur le titre III. Ces efforts sont d'autant plus importants que sont en outre réintégrés des personnels de DCN et de Giat-Industries. Ces efforts devraient permettre un réajustement au niveau du titre V. La poursuite de l'externalisation permettant d'autres réductions d'effectifs est un objectif à moyen terme ;

- s'agissant de la déconcentration des personnels civils, le ministère a engagé une réflexion en étroite collaboration avec les personnels, une grande importance étant accordée au dialogue social ;

- s'agissant des primes au mérite, il conviendra de porter une attention particulière au problème des indicateurs. Celui-ci ne soulève pas de difficulté particulière pour le personnel civil. Pour le personnel militaire, en revanche, des difficultés pratiques risquent d'apparaître ;

- 30.000 militaires sont actuellement en dehors de la métropole, dont 15.000 sur des théâtres d'opérations. Cela est suffisant pour les besoins actuels mais pourrait ne plus l'être en cas d'aggravation de la situation stratégique mondiale. Actuellement, notre pays remplit totalement son rôle et ses missions et le niveau de disponibilité des troupes est très satisfaisant, contrairement à nombre de nos partenaires européens qui doivent faire d'importants efforts en ce sens. Dans l'immédiat il n'est pas envisagé de modifier les structures dessinées dans le modèle d'armée 2015 ;

- concernant le coût supplémentaire induit par la coopération européenne pour l'hélicoptère Tigre, il existe un double effet : d'une part, la volonté d'intégrer l'Espagne dans ce dispositif, oblige à des concessions ; d'autre part, le coût global baisse grâce à l'augmentation du nombre de matériels produits. Mais la France n'accepte de tels changements que si elle y trouve un intérêt ;

- le Parlement sera saisi au premier semestre 2004 d'un projet de loi afin de moderniser le statut des militaires, pour prendre en compte la professionnalisation des armées, les nouvelles règles issues de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites et, plus globalement, des évolutions sociales. On constate une technicité croissante du matériel qui oblige à une qualification accrue du personnel. Quant au personnel civil, un rapport sur l'évolution de son statut vient d'être remis.

M. Olivier Dassault a d'abord tenu à saluer le « tour de force » de la Ministre : elle réussit à respecter ses engagements, malgré une conjoncture très difficile et un investissement accru dans le domaine de la sécurité civile. S'agissant de la réforme de l'État plus précisément, l'idée de motiver les personnels civils d'encadrement par des primes individualisées est excellente. Quel sera le rythme du remplacement du parc des hélicoptères Gazelle de Dax ? A ce propos, la sous-traitance de la formation des pilotes, si elle peut être utile à court terme, semble peu efficace à moyen terme. Il convient en toute hypothèse de renouveler le parc. Enfin, une certaine inquiétude circule quant au nombre d'heures de formation des pilotes de l'air (180 heures pour les pilotes de chasse et 400 heures pour les pilotes de transport) qui est en forte baisse depuis quelques années.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. Antoine Carré s'est interrogé sur le retard de la mise en place du fonds de démantèlement des sites nucléaires de Pierrelatte et de Marcoule et sur les hypothèses concernant son financement.

M. Charles de Courson a rappelé l'opinion très répandue selon laquelle l'armée française était suradministrée, les structures de direction étant trop nombreuses. La Ministre partage-t-elle ce diagnostic ?

Mme Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Défense, a confirmé qu'un programme de remplacement de l'hélicoptère Gazelle est effectivement en cours mais que celui-ci avait pris du retard. En 2004, la gendarmerie sera la principale bénéficiaire du renouvellement du parc d'hélicoptères. Concernant l'entraînement des pilotes, la France était passée en dessous des normes OTAN, l'objectif aujourd'hui est de revenir à niveau dès 2004. Le projet de loi de finances pour 2004 prévoit une progression significative en ce sens. L'entraînement est une condition d'efficacité et de sécurité.

Concernant le fonds de démantèlement des sites nucléaires, une intervention financière des industriels du secteur est prévue.

Le ministère de la Défense travaille à la réduction de la place des structures par rapport à l'opérationnel. Cette rationalisation suscite d'ailleurs parfois des réactions négatives des élus locaux. Le processus actuel reste néanmoins marginal par rapport aux grandes restructurations intervenues ces dernières années.

M. Michel Bouvard, Président a tenu à remercier Mme la Ministre ainsi que les membres de la commission de la Défense qui ont assisté à cette réunion. Le dialogue existe bien entre les différentes commissions ; il doit se poursuivre en particulier dans le cadre de la mise en place de la loi organique.

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