COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 38

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 décembre 2003
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. François Goulard, Vice-Président,

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de loi (n° 966) de M.  Jean-Christophe Lagarde, tendant à créer un crédit d'impôt pour investissement des entreprises pour favoriser l'intégration des personnes handicapées

- Communication de M.  Hervé Mariton, Rapporteur spécial, sur la valorisation du patrimoine autoroutier

- Informations relatives à la Commission

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En préalable, M.  Augustin Bonrepaux a indiqué que M.  Éric Besson aurait pu être désigné rapporteur sur sa proposition de résolution (n° 1281) tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser les conditions de négociations menées par le Gouvernement dans le cadre de l'affaire dite « Executive Life » et à apprécier les risques, notamment financiers, pris dans ce cadre par le Gouvernement.

M.  Philippe Auberger a souhaité savoir si l'article 141 du Règlement de l'Assemblée nationale fait obstacle à la création d'une commission d'enquête, alors même qu'une procédure judiciaire est en cours à l'étranger.

M.  François Goulard, Président, a indiqué que la question n'était pas encore tranchée. Sa candidature au rapport sur la proposition de résolution déposée par M.  Éric Besson est présentée dans un souci de cohérence avec sa désignation comme rapporteur de la proposition de résolution déposée sur le même thème par M.  Gilbert Gantier. De plus, une procédure judiciaire vient également d'être ouverte en France, au moins sur un aspect de ce dossier.

M.  Louis Giscard d'Estaing a confirmé qu'une enquête existait sur le CDR.

M.  Philippe Auberger a estimé nécessaire d'éclaircir le point crucial, pour le devenir des propositions de création d'une commission d'enquête, de savoir si une enquête préliminaire équivaut à une poursuite judiciaire.

M.  François Goulard, Président, a indiqué que le Garde des Sceaux avait répondu au Président de l'Assemblée nationale qu'une « information judiciaire pour abus de biens sociaux au préjudice de la société Altus Finance [était] en cours devant le tribunal de grande instance de Paris : cette information porte sur la cession par le groupe MAAF à une filiale d'Altus Finance de la société Financière de Banque et Union Meunière et de la société Immobilière de Port-Royal à un prix surévalué en rémunération d'une opération de portage qui aurait été accomplie par la MAAF pour Altus Finance au moment de la reprise de l'activité d'assurance de la société Executive Life ». Une information judiciaire est donc bien en cours devant la justice française, et l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 paraît donc susceptible d'être appliqué.

La Commission a ensuite procédé, sur le rapport de M. Maurice Leroy, à l'examen de la proposition de loi de M. Jean-Christophe Lagarde, tendant à créer un crédit d'impôt pour investissement des entreprises pour favoriser l'intégration des personnes handicapées (n° 966).

M. Maurice Leroy, Rapporteur, a rappelé que l'année 2003 qui s'achève avait été proclamée « Année européenne des personnes handicapées » par le Conseil de l'Union européenne, et que le Président de la République avait fait, dès 2002, de l'amélioration du sort de nos concitoyens vivant avec un handicap, l'une des trois grandes causes de son quinquennat. Mais il faut dépasser le stade de la proclamation et des incantations, pour examiner ce qu'il en est réellement de la situation des personnes handicapées dans notre pays. Car ces personnes ont besoin d'autre chose que de beaux discours ; ce qu'il leur faut aujourd'hui, c'est être, en fait comme en droit, pleinement intégrées à la société en marge de laquelle elles sont trop souvent maintenues. Il s'agit de quelque cinq millions de personnes, selon l'estimation couramment effectuée sur la base des critères les plus larges, et récemment reprise dans un rapport du Conseil économique et social commandé par le Premier ministre, présenté par Mme Marie-Claude Lasnier et adopté en juin dernier. Il s'agit surtout - et tel est l'objet de la proposition de loi de M. Jean-Christophe Lagarde - de la population active vivant en situation de handicap, soit environ 860.000 personnes.

Fin 2002, sur ces 860.000 personnes, 630.000 occupaient un emploi, soit un taux de chômage proche de 27 %, contre 9,1 % pour l'ensemble de la population active française. Parmi ces 630.000 personnes, on comptait 110.000 travailleurs en milieu protégé, 20.000 travailleurs indépendants et 500.000 employés en milieu ordinaire, dont 150.000 dans le secteur public et 350.000 dans le secteur privé. On objectera beaucoup de bonnes et de moins bonnes raisons pour expliquer ce sous-emploi des travailleurs handicapés : défaut de qualification, incapacité matérielle à accueillir une personne souffrant de tel ou tel type d'incapacité psychique ou motrice... Mais c'est là un raisonnement spécieux, car précisément l'accès à la formation initiale et à la formation professionnelle est, lui aussi, difficile pour la personne handicapée. Quant à prétexter l'impossible aménagement des locaux, c'est prendre le problème à l'envers. On mettra également en avant les nombreux dispositifs reposant sur telle obligation légale ou telle incitation financière pour expliquer que beaucoup est fait en France dans ce domaine, et à un coût élevé pour la collectivité publique. Mais à quoi bon égrener les dispositifs et aligner les chiffres si c'est pour s'en contenter, et refuser de voir la triste situation dans laquelle sont laissés bon nombre de nos concitoyens handicapés ?

Le rapport écrit reprendra ces dispositifs et ces chiffres, et notamment ceux avancés par M. Paul Blanc, dans un rapport d'information publié l'an dernier au nom de la commission des Affaires sociales du Sénat, qui évalue à 35 ou 40 milliards d'euros l'effort financier annuel de la nation en faveur de ces personnes, toutes aides, prestations et dépenses fiscales confondues. À ce stade, peuvent être soulignés deux aspects du droit existant qui illustrent parfaitement le bien-fondé de la démarche de M. Jean-Christophe Lagarde. D'une part, la loi du 10 janvier 1987, dans la lignée de la loi d'orientation du 30 juin 1975, a inscrit dans le code du travail une obligation d'emploi des travailleurs handicapés en milieu ordinaire, dans le secteur privé comme dans les trois fonctions publiques, à hauteur de 6 % des effectifs. Les établissements de 20 salariés et plus peuvent s'acquitter de cette obligation de quatre manières : l'embauche effective, la passation de contrats de sous-traitance avec des établissements de travail protégé, la conclusion d'un accord de branche, d'entreprise ou d'établissement prévoyant la mise en œuvre d'un programme pluriannuel en faveur des bénéficiaires de l'obligation d'emploi, ou enfin le versement d'une contribution au Fonds de développement pour l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés, géré par l'association pour la gestion de ce fonds, l'AGEFIPH. Comme le note M. Jean-Christophe Lagarde, quinze ans après sa publication, et après de premiers résultats encourageants, cette loi qui devait favoriser l'accès à l'emploi en milieu ouvert ne présente pas un bilan satisfaisant, tant s'en faut : le secrétariat d'État aux personnes handicapées reconnaît lui-même que le taux d'emploi direct de travailleurs handicapés dans les entreprises assujetties à l'obligation d'emploi plafonne depuis plusieurs années autour de 4 %, et qu'en outre quelque 37 % des entreprises assujetties, satisfaisant à leur obligation par d'autres voies, n'emploient aucun travailleur handicapé et ne recourent à aucune forme de sous-traitance. Pourtant, un sondage publié en 2002 montrait que 87 % des entreprises ayant recruté des personnes handicapées se disaient satisfaites de leur choix.

D'autre part, il faut insister sur la question de l'accessibilité des personnes handicapées aux locaux professionnels, qui est au fond le cœur de la proposition de loi, et son principal intérêt en termes « d'effet de levier » pour la promotion de l'insertion professionnelle des handicapés. Le Rapporteur a mentionné sur ce point l'article R. 232-1-8 du code du travail pour déplorer, devant la clarté de ce texte, son non-respect, dont témoignent tant de rapports, mais aussi la simple observation quotidienne à laquelle chacun peut se livrer. Les entreprises sont pourtant éligibles, dans ce domaine, à des aides financières spécifiques. Les nombreuses missions de l'AGEFIPH comprennent en effet l'aide à l'aménagement des situations de travail et l'aide à l'accessibilité des locaux professionnels. Non plafonnées et cumulables entre elles, elles prennent deux formes : une aide financière au titre des adaptations techniques qui peut aller jusqu'à 80 % du coût de l'adaptation ou de l'aménagement envisagé, et une contribution aux charges supplémentaires d'encadrement qui peut aller jusqu'à 50 % du coût de celles-ci, et qui est limitée à un an au maximum. Ces subventions, tenant compte de l'obligation légale de l'employeur, sont calculées en fonction de l'opportunité du projet. L'AGEFIPH n'y a consacré que 31 millions d'euros en 2002, un montant qui semble bien dérisoire au regard des enjeux.

Devant le peu de résultats produits par un arsenal juridique et financier à première vue impressionnant, une action volontariste est évidemment nécessaire. La proposition de loi de M. Jean-Christophe Lagarde y répond en grande partie. On ne peut se contenter de discours incantatoires. Le remarquable rapport du Conseil économique et social, s'agissant de l'insertion professionnelle en milieu ordinaire, se borne à dresser un constat, lucide et plutôt sévère, de nos lacunes en ce domaine, avant d'appeler à une meilleure coordination des diverses structures administratives et sociales, et à une nouvelle impulsion politique. Mais quel contenu donner à celle-ci ? S'il s'agit du prochain projet de loi, tant annoncé et tant attendu, qui doit réformer la loi de 1975, le problème risque de demeurer entier. En effet, cette ambitieuse réforme est essentiellement construite, comme la plupart des allocations existantes, autour de l'aide à la personne elle-même, abstraction faite de la problématique de l'insertion professionnelle. La grande idée du droit à la compensation individuelle du handicap financée par la future Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie est une très bonne chose. Mais en matière d'accès à l'emploi, si l'on en croit les récentes déclarations de Mme Marie-Thérèse Boisseau, la secrétaire d'État aux personnes handicapées, la principale perspective est celle d'une modulation plus forte des aides de l'AGEFIPH et des pénalités pour non-respect des obligations légales des employeurs, en fonction de l'attitude des entreprises à l'égard des travailleurs handicapés. Dès lors, la proposition de loi de M. Jean-Christophe Lagarde viendrait opportunément conforter ce dispositif. Car rien ne peut rivaliser, en termes d'efficacité, avec l'incitation fiscale des employeurs, si l'objectif poursuivi est celui d'une amélioration tangible de l'insertion professionnelle. On peut aisément imaginer en particulier combien un crédit d'impôt va encourager le lancement de travaux d'aménagement des locaux des entreprises, qu'il s'agisse de l'accès aux bâtiments ou de la circulation à l'intérieur de ceux-ci. De même, l'incitation fiscale ne manquera pas de faciliter l'achat de matériels spécifiques à l'occupation d'un poste de travail par une personne handicapée, des matériels souvent onéreux en raison de leur coût de conception et de fabrication, ou de l'étroitesse du marché auquel ils sont destinés.

Qualifiant le crédit d'impôt proposé de simple et lisible, M. Maurice Leroy, Rapporteur, l'a néanmoins jugé perfectible, et a annoncé le dépôt d'amendements à caractère technique pour en préciser les modalités, afin de mieux le centrer sur son objet, d'en faire bénéficier toutes les entreprises, et de mieux l'articuler avec le futur projet de loi ; il s'est dit ouvert à toutes suggestions en souhaitant que le débat s'engage sur cette proposition. En cette fin d'année européenne des personnes handicapées, il en va de la crédibilité de la « volonté politique » que chacun reconnaît comme nécessaire sur ce sujet.

M. Hervé Novelli a indiqué que cette proposition de loi était fondée sur un motif très louable. Elle doit néanmoins être mise en perspective avec la communication faite par la secrétaire d'État aux personnes handicapées, lors du dernier conseil des ministres, sur la réforme de la législation en faveur des personnes handicapées. À cette occasion, les grandes lignes du prochain projet de loi, dont l'ambition est d'instaurer un droit à la compensation du handicap, ont été présentées. Les deux maîtres mots de ce texte sont compensation et accessibilité. Un dispositif fiscal particulier est ainsi prévu, dont l'objectif consiste à favoriser l'embauche de personnes handicapées en pénalisant les entreprises qui ne remplissent pas les obligations auxquelles elles sont soumises en matière d'emploi des personnes handicapées et en favorisant les entreprises méritantes. Par conséquent, l'objet de la proposition de loi serait satisfait par l'avant-projet de loi. Par ailleurs, il serait souhaitable que, sur le sujet de l'accessibilité, M. Jean-Christophe Lagarde et Mme Marie-Thérèse Boisseau travaillent de concert afin d'intégrer dans le texte élaboré par le Gouvernement les dispositions de la proposition de loi qui ne figurent pas dans l'avant-projet de loi.

M. Michel Bouvard a souligné la particularité de la situation actuelle où sont présentés concomitamment un avant-projet de loi et une proposition de loi portant sur le même thème. À cet égard, il serait plus constructif de compléter le texte présenté par le Gouvernement par voie d'amendement. Par ailleurs, le constat sur l'action du Fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées ne peut qu'être partagé : lorsque l'on rapproche les résultats de la collecte du Fonds du nombre d'entreprises ne remplissant pas leurs obligations en matière d'embauche des personnes handicapées, il apparaît qu'un certain nombre d'entreprises se sont « évaporées ». Par conséquent, avant de voter une loi nouvelle, il serait souhaitable de veiller à ce que le dispositif en vigueur fonctionne correctement. Le mécanisme du crédit d'impôt ne permettra pas nécessairement de remédier à la situation actuelle. Il conviendrait plutôt d'alourdir les pénalités pesant sur les entreprises ne respectant pas leurs obligations.

M. Alain Rodet a indiqué que la proposition de loi devrait être enrichie par des dispositions relatives à l'embauche de personnes handicapées par les collectivités publiques.

M. Augustin Bonrepaux a demandé s'il était prévu que la proposition de loi soit inscrite dans une niche parlementaire. Quel est le contenu exact du texte gouvernemental ? Des informations différentes circulent à ce sujet. Il serait souhaitable que les députés de l'opposition ne soient pas tenus à l'écart de ce débat.

M. Gérard Bapt a demandé quelle était la date à laquelle le débat aurait lieu à l'Assemblée nationale. Par ailleurs, il est regrettable que le secteur public ne soit pas visé dans cette proposition de loi, d'autant plus que c'est dans ce secteur, et non dans le secteur privé, que les obligations en matière d'emploi des personnes handicapées sont le moins bien respectées. Paradoxalement, le constat du faible nombre, voire de l'absence, d'emplois occupés par des personnes handicapées est particulièrement vérifié dans les Directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales. Il s'agit d'un problème culturel.

M. François Goulard, Président, a précisé que trois possibilités étaient offertes à la Commission : adopter la proposition de loi assortie, le cas échéant, d'amendements, la rejeter ou ne pas émettre d'avis. Si le rejet de la proposition est de mauvais aloi, son adoption est rendue difficile par la présentation prochaine d'un projet de loi aux dispositions voisines, dont l'Assemblée sera saisie, et sur lequel il serait préférable d'agir par voie d'amendements. Il serait donc souhaitable qu'en application de l'article 94 du Règlement, la commission des Finances, n'émette pas de conclusions sur la proposition de loi.

M. Maurice Leroy, Rapporteur, a indiqué que le groupe UDF défendrait la proposition de loi au cours d'une « niche » parlementaire et que le débat aurait lieu le mardi 13 janvier 2004 au matin. Cette proposition de loi n'a pas pour objet de traiter tous les problèmes relatifs au handicap. Son objectif est de promouvoir l'accessibilité, et non seulement l'employabilité, qui fait l'objet de l'avant-projet de loi, grâce à un dispositif fiscal incitatif. Les propositions formulées dans le texte gouvernemental sur l'insertion professionnelle vont dans le bon sens, mais rien n'est prévu sur l'accessibilité des locaux. La proposition de loi a son utilité dans la mesure où les possibilités d'amender les textes présentés par le Gouvernement sont parfois restreintes par les arbitrages rendus, en amont, au niveau ministériel.

M. Augustin Bonrepaux a souligné que la proposition de loi devait constituer un moyen d'encourager le Gouvernement à présenter rapidement son projet de loi. Il faut laisser au Parlement sa capacité d'initiative. En conséquence, il convient de voter cette proposition.

M. Maurice Leroy, Rapporteur, a ajouté que la portée de l'arrêt « Perruche » avait été modifiée grâce à une proposition de loi, qui avait ensuite été reprise par le Gouvernement.

Sur la proposition de M. François Goulard, Président, la Commission, en application de l'article 94 du Règlement, a décidé de ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi.

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La Commission a ensuite entendu une communication de M.  Hervé Mariton, Rapporteur spécial des crédits de l'Équipement et des transports terrestres, sur la valorisation du patrimoine autoroutier.

M.  Hervé Mariton, Rapporteur spécial, a souhaité faire état du travail qu'il a entrepris sur cette question d'autant plus cruciale que le CIADT qui se réunit demain doit décider du financement des grands projets d'infrastructures de transports dont notre pays devrait se doter à horizon 2020. Le patrimoine autoroutier apparaît, en outre, comme une ressource potentielle. De nombreuses auditions ont été conduites avec le Gouvernement, l'administration, les sociétés d'autoroutes et les établissements bancaires. Il en ressort que le patrimoine autoroutier de l'État doit absolument être mieux valorisé, non seulement afin d'améliorer la structure financière de ces entreprises (comme celle de l'ensemble des entreprises de transport en France), mais également afin de pouvoir mener une véritable politique d'infrastructures. Cette dernière question est assez complexe et les propositions qui sont avancées dans ce débat sont particulièrement variées, à l'image de l'amendement déposé par le sénateur Jacques Oudin sur le projet de loi de finances pour 2004 visant à créer un nouvel établissement public de financement. Que l'on affecte des dividendes ou le produit d'une privatisation, le principe d'une affectation garantie au secteur des transports demeure fragile. De nombreuses questions se posent. Faut-il préférer la chronique des dividendes ou une privatisation plus ou moins rapide, plus ou moins complète ? La valeur d'une entreprise autoroutière diffère selon que l'actionnaire est public ou privé. Quelle stratégie l'État souhaite-t-il définir pour permettre la poursuite du développement des sociétés d'autoroutes ? Les flux de dividendes sont assez tardifs et assez modestes jusqu'à la fin des années 2010. La privatisation doit-elle répondre à la solution des intérêts patrimoniaux de l'État, notamment en matière de désendettement des autres activités de transport ? La relation entre la structure du capital des sociétés d'autoroutes et leur appartenance au secteur public n'a rien d'évident. Le comportement actuel des marchés porte à croire que c'est le bon moment pour privatiser.

L'ouverture du capital d'ASF s'est faite dans de bonnes conditions, même si l'affectation de son produit est plus controversée. Parmi les sociétés privatisables, les sociétés d'autoroutes apparaissent mûres pour l'ouverture de leur capital. Les calculs financiers sont finalement convergents autour de 8 milliards d'euros, tant pour l'évaluation du produit d'une privatisation que pour celle du montant actualisé des dividendes. Il est probable que le taux d'actualisation défendu par le ministère de l'Équipement est un peu faible, alors que celui défendu par le ministère des Finances est peut-être un peu élevé. Certains arguments avancés dans ce débat pour défendre la nature régalienne de cette activité sont parfois assez caricaturaux. L'État ne saurait intervenir dans l'ensemble des secteurs économiques de la Nation. Le débat doit désormais basculer de l'idéologie vers le pragmatisme, notamment chez ceux qui avancent l'« argument de souveraineté » pour défendre la place de l'État dans le secteur autoroutier. Ce dernier recouvre d'ailleurs des activités qui se sont beaucoup développées depuis quelques années. Y a-t-il une épaisseur industrielle dans les sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) ou bien ces entreprises doivent-elles se contenter de faire ce qu'on leur dit ? Il y a, à l'évidence, une vertu au développement d'une offre nouvelle d'activité, à l'image des parkings et des centres commerciaux. D'autre part, est-on capable de vendre à bon prix et le moment est-il le plus opportun ? Le risque est réel, si l'on reportait les choix à plus tard, de revendre les SEMCA dans des conditions moins favorables qu'aujourd'hui. La période actuelle est notamment attractive en raison du niveau encore très bas des taux d'intérêt et du comportement des marchés à l'égard de ce type d'investissement. Les dividendes sont, dans l'immédiat, sans rapport avec les besoins et le resteront probablement jusqu'en 2019. Or, l'État a besoin d'argent et il est opportun de vendre au moins une partie du capital des SEMCA. Enfin, le débat sur l'affectation de cette somme au financement des infrastructures de transport est au cœur de toutes les préoccupations. Il n'est pas nécessairement plus facile d'affecter dans le temps les recettes de dividendes que d'affecter immédiatement une recette de privatisation, avec ou sans établissement public désigné à cet effet. Aucune solution ne surclasse l'autre. Une piste de compromis pourrait être de transformer la dette des sociétés autoroutières en la restructurant par le biais d'un refinancement permettant de dégager un montant de capital pouvant être utilisé pour le financement d'autres projets d'infrastructures.

M. Michel Bouvard a jugé l'exposé du Rapporteur spécial à la fois franc et net. Il alimente utilement le débat qui doit, à l'évidence, avoir lieu au Parlement sur les investissements de transports. Les propos tenus n'auraient certainement pas pu l'être il y a cinq ans, à l'époque où la pratique de l'adossement des sociétés d'autoroutes était généralisée. Mais aujourd'hui, il convient de définir la stratégie de l'État en matière de transports. Les sociétés d'autoroutes doivent assurément en être un des éléments. Or cette stratégie doit prendre en compte la nécessité du développement de la multi et pluri-modalité dans une perspective d'aménagement du territoire, même si les cadres des politiques nationales d'aménagement du territoire ont dû être resserrés, sous la pression de l'Union européenne.

Les sociétés d'autoroutes doivent être partie prenante de la politique en faveur de la pluri-modalité. D'ailleurs, la société AREA intervient en faveur du développement d'autoroutes ferroviaires alpines. À l'évidence, les surplus de recettes des sociétés d'autoroutes peuvent servir à améliorer la gestion des flux de trafic dans certaines zones, par exemple au travers de la constitution de courtes jonctions dans des sites péri-urbains. L'intervention de sociétés d'autoroutes dans le développement du réseau de fibres optiques mérite d'être également soulignée.

Sur l'affectation des résultats, il convient de se souvenir qu'après l'attribution du produit supposé des licences UMTS, l'affectation du produit de la privatisation des ASF a été particulièrement discutée. La méthode était très contestable. Il était annoncé tantôt un surplus de recettes pour Réseau ferré de France, tantôt pour le réseau autoroutier. Si un tiers des recettes de la privatisation devait être destiné au secteur ferroviaire, cela n'a pas été le cas en pratique. En tout état de cause, les recettes de privatisation ne sauraient être destinées à la seule réduction du déficit. Les infrastructures et la politique multimodale doivent en bénéficier. Dans ces conditions, les préconisations du Rapporteur spécial ne paraissent pas devoir être suivies, à l'exception peut-être de la poursuite de la privatisation des ASF puisque l'État a déjà vendu la moitié de la société mais qu'il reste actionnaire majoritaire. L'État doit garder des éléments de maîtrise de la politique des transports.

M. Augustin Bonrepaux a considéré que la politique de privatisation souhaitée n'est pas claire : la majorité du capital des sociétés d'autoroutes restera-t-elle publique ? La question est centrale au moment où l'on peut s'interroger sur les responsabilités que souhaite conserver l'État en matière d'aménagement du territoire. Dans cette perspective, il convient de rappeler que s'il n'avait pas été majoritaire dans la société des Autoroutes du Sud de la France, certaines opérations effectuées dans l'Ariège, par exemple, n'auraient pas été réalisées. Les collectivités locales actionnaires de sociétés d'autoroutes doivent pouvoir, grâce à leurs bénéfices, obtenir des résultats en matière d'aménagement du territoire.

Le désengagement de l'État est préoccupant. Des éléments comme le transfert des routes nationales aux départements semblent confirmer pourtant que le mouvement est engagé. La conjoncture budgétaire délicate ne peut le justifier. Il faut se souvenir que l'affectation de la taxe sur le gazole à RFF n'a pas conduit à des progrès en matière d'équipement ferroviaire. C'est pourquoi il est permis de s'interroger sur la pertinence de la vente d'éléments de patrimoine public. On ne peut à chaque période de difficulté budgétaire procéder à des ventes au coup par coup.

La majorité souhaite, à juste titre, développer les rôles d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale. Il serait donc logique de retenir comme prochain thème de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) de la vente des sociétés d'autoroutes. Un audit sur ces ventes et un examen sur leurs conditions de réalisation mériteraient d'être lancés. Il serait souhaitable de mener des travaux parallèles sur la gestion du patrimoine de l'État. Il conviendrait d'évaluer ce patrimoine et d'examiner les investissements que permettent certaines réalisations.

M. Alain Rodet a considéré que les propositions du Rapporteur ne visent que le court terme et ne répondent qu'à des préoccupations de tactique financière. On peut craindre que les options retenues ne soient marquées du sceau de l'imprévoyance et se révèlent même coûteuses à terme.

M. Hervé Mariton, Rapporteur spécial, a répondu aux différents intervenants en apportant les précisions suivantes :

- dans le débat investissement/réduction du déficit, l'idée selon laquelle il convient de privatiser pour investir n'est même pas retenue par les plus optimistes ;

- en matière d'information, le Rapporteur spécial a effectué son travail. Il a posé des questions au Gouvernement, aux établissements financiers et aux sociétés d'autoroutes. Une abondante quantité d'informations a été rassemblée. Elles sont aujourd'hui à la disposition des membres de la Commission ;

- l'État est encore majoritaire dans la majorité des sociétés d'autoroutes. Les positions exprimées par M. Augustin Bonrepaux ont le mérite d'être cohérentes avec celles qu'il a exprimées lors de la privatisation partielle des ASF.

M. François Goulard, Président, a indiqué qu'il serait utile que le Rapporteur spécial présente un rapport d'information, avant l'été prochain, sur la valorisation du patrimoine autoroutier, afin d'éclairer l'Assemblée nationale à la veille de l'examen du projet de loi de finances pour 2005.

M. Hervé Mariton, Rapporteur spécial, s'est déclaré prêt à mener ce travail, tout en considérant qu'il convenait de préciser davantage le champ du rapport.

M. François Goulard, Président, a estimé qu'il fallait, effectivement, aller au-delà d'une enquête sur la valorisation du patrimoine autoroutier pour aborder les questions d'utilisation dudit patrimoine.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a nommé :

M. François Goulard, rapporteur sur la proposition de résolution (n° 1281) de MM. Éric Besson et plusieurs de ses collègues, tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser les conditions des négociations menées par le Gouvernement dans le cadre de l'affaire dite « Executive Life » et à apprécier les risques, notamment financiers, pris dans ce cadre par le Gouvernement.

M. Maurice Leroy, rapporteur sur la proposition de loi (n° 966) de M.  Jean-Christophe Lagarde, tendant à créer un crédit d'impôt pour investissement des entreprises pour favoriser l'intégration des personnes handicapées.

M. Hervé Mariton, rapporteur d'information sur la valorisation du patrimoine autoroutier, en application de l'article 146 du Règlement.

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