COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 63

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 7 juillet 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président,

puis de M. Charles de Courson, Secrétaire.

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France

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- Examen des conclusions de la Mission d'évaluation et de contrôle sur la journée d'appel de préparation à la Défense (M. Jean-Louis Dumont, Rapporteur)

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- Information relative à la commission

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La Commission des finances a tout d'abord procédé à l'audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France.

M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, a indiqué que, selon lui, la présentation devant la Représentation nationale d'un bilan annuel d'activité constitue un élément indispensable de contrôle démocratique du fonctionnement d'un organisme indépendant. Un bilan de l'activité de la Banque de Centrale Européenne est également effectué devant le Parlement européen.

Le premier aspect de la situation économique est aujourd'hui la force de la demande mondiale actuelle adressée à la Zone euro et à la France. La reprise est bien établie aux États-Unis, comme le montrent l'ensemble des indicateurs, et, cela, même si certaines données paraissent moins bonnes, tels les chiffres du chômage. La croissance y a été forte en 2003 et se poursuit en 2004. La reprise s'est également renforcée de manière spectaculaire au Japon, après une longue période de stagnation ; l'économie japonaise, il faut le noter, a su tirer parti de la croissance chinoise. Les autres pays d'Asie connaissent une croissance économique très élevée, ainsi d'ailleurs qu'une partie de l'Amérique latine.

La situation dans la Zone euro est différente : la reprise est présente, mais elle se produit avec un temps de décalage par rapport à l'Asie et aux États-Unis. L'an dernier le redémarrage de l'activité est intervenu à partir du second semestre, aboutissant à une progression trimestrielle du PIB de 0,4 % fin 2003, puis de 0,6 % en variation au premier trimestre de 2004. Cette croissance est tirée par la bonne tenue des exportations, en dépit de l'appréciation de l'euro, et par la reconstitution des stocks. En Allemagne, par exemple, les exportations, bénéficiant de la demande en Asie, constituent un moteur vigoureux de la croissance. Cependant, la hausse des prix reste relativement forte et pèse sur la confiance des consommateurs, d'autant plus que les ménages ressentent une inflation plus forte qu'elle ne l'est en réalité. Ceci s'explique d'une part, par des repères brouillés par le passage à l'euro, et, d'autre part, par l'inflation réelle affectant des produits qui touchent particulièrement les citoyens, comme le prix de l'essence à la pompe, par exemple. D'autres éléments de fragilité sont constatés : le maintien du taux de chômage à 9,8 % de la population active ; d'un endettement élevé des entreprises, ce qui explique que leurs dépenses d'équipement n'aient repris que timidement cette année. Enfin, la zone euro connaît un retard par rapport aux États-Unis en ce qui concerne les gains de productivité.

Au sein de cette zone, l'activité de la France apparaît plus dynamique, avec une croissance vigoureuse depuis la mi-2003, permise par une demande interne assez forte provenant en grande partie de la consommation privée ; on constate ainsi une légère réduction du taux d'épargne. L'investissement total devrait progresser de 0,7 % au premier trimestre 2004, alors qu'il s'est replié de 0,1 % dans la zone euro. L'indicateur de la Banque portant sur le climat des affaires s'établit depuis plusieurs mois au-dessus de sa moyenne de longue période ; le taux d'utilisation des capacités de production a progressé et les perspectives d'activités apparaissent favorables dans l'ensemble des secteurs industriels manufacturiers.

Des menaces pourraient peser sur la croissance à court terme dont la persistance de l'inflation à un niveau élevé (2,8 % contre 2,5 % dans la zone euro), il est vrai partiellement expliqué par des mesures considérées comme d'intérêt public comme la taxation du tabac ou par le prix du pétrole élevé. Les entreprises ont essayé de conserver leur personnel pendant la phase de décélération de l'activité et il n'y a pas, pour le moment, de reprise de la création d'emplois. La croissance à venir sur l'année 2004 sera donc plus modérée que celle des derniers mois. Mais on peut cependant espérer un taux de croissance annuel de 2 à 2,5 %, proche du potentiel de long terme.

Il n'y a donc pas lieu d'être pessimiste, car la reprise est équilibrée et les conditions existent pour qu'elle s'accélère à terme, en France en particulier. Cependant il faut rester très vigilants quant au rythme de l'inflation, afin de préserver la modération des coûts unitaires du travail. De façon générale, la persistance de l'inflation dans la zone euro provient de rigidités structurelles qui entravent le fonctionnement des marchés du travail et des biens, et en cela, la politique monétaire européenne de stabilité des prix a besoin du soutien des gouvernements, qui doivent poursuivre la réduction de ces rigidités structurelles.

Les pays de la zone euro doivent réduire le poids de la dépense publique. Ceci est vrai de la France en particulier, où la part des dépenses publiques par rapport au PIB atteint 54,7 % en 2003, contre une moyenne de 49 % dans la zone euro et 47 % pour les pays de l'Union européenne. Notre potentiel de croissance serait renforcé par une baisse de ce ratio à moins de 50 % du PIB dans un premier temps. Le poids des déficits publics pèse d'ailleurs négativement sur la confiance des consommateurs. Le niveau élevé de chômage est dû, dans une certaine mesure, à des rigidités structurelles qui doivent être corrigées. Enfin, le niveau de productivité doit être accru ; accorder plus d'attention à la recherche-développement pourrait y contribuer, en conduisant à diffuser de nouvelles technologies et en développant des actifs à haute valeur ajoutée. Une analyse sur l'état de la recherche-développement en France, effectuée par la Banque de France a montré que la dépense publique consacrée à la recherche dans notre pays n'est pas inférieure, au regard du PIB, à celle d'autres pays développés, comme les États-Unis ou le Japon. En revanche, le niveau de la recherche privée est insuffisant et un effort particulier est sans doute nécessaire pour orienter l'effort de recherche vers le développement d'activités à haute valeur ajoutée et vers l'élévation de la qualification générale de la main d'œuvre.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a souhaité obtenir cette étude de la Banque de France, établissant une comparaison internationale en matière de recherche. Par ailleurs, où en est le processus de restructuration du réseau, quels en sont les objectifs et l'échéancier ? S'agissant de la vente de l'or de la Banque de France, sur quels revenus peut-on compter pour équilibrer le budget en 2005 ?

M. Hervé Novelli a demandé si, compte tenu du ralentissement de la productivité en France par rapport à la productivité américaine, mis en évidence par une récente étude de la Banque de France, une réforme de la durée du travail en France est souhaitable.

M. Alain Rodet a souhaité connaître le sentiment de l'ancien vice-président de la Banque centrale européenne sur les récentes déclarations du ministre de l'économie et des finances sur la Banque centrale européenne. Force est de constater que la culture économique japonaise reste fortement étatique. La reprise économique au Japon ne résulte-t-elle pas des investissements publics massifs qui y ont été réalisés ces dernières années ? Quel est le risque de tensions inflationnistes en France ?

M. Augustin Bonrepaux s'est indigné de ne jamais avoir obtenu de réponse à sa question relative à la restructuration du réseau de la Banque dans la région Midi-Pyrénées. Sur les huit départements concernés, seules trois caisses devraient être maintenues, alors qu'un sort beaucoup plus favorable est réservé à d'autres régions. Pourquoi a-t-on sanctionné la région Midi-Pyrénées, et plus particulièrement le département de l'Ariège ?

M. Charles de Courson a demandé quelle était l'origine de la dégradation de la compétitivité de l'économie française. Par ailleurs, le régime de protection sociale, et plus particulièrement celui des retraites de la Banque de France, est le plus favorable de ceux actuellement en vigueur en France, juste devant le régime d'EDF, mais de peu. En particulier, les taux de cotisations patronales pour les retraites sont de 63 % pour les industries électriques et gazières et d'environ 70 % pour la Banque de France. Dans le cadre du système européen de banques centrales, est-il possible de maintenir ce régime, le seul parmi les régimes obligatoires en France, financé par semi-capitalisation ? Comment peut-on en sortir ?

M. Michel Bouvard a rappelé que les objectifs assignés à la Banque centrale européenne étaient la surveillance du taux d'inflation et de l'évolution de la valeur de la monnaie. Comment la problématique de la croissance économique est-elle traitée au sein du conseil des Gouverneurs ? Une modification de ces objectifs est-elle possible ? Où en est concrètement la restructuration du réseau de la Banque de France ? Quelles économies ont été d'ores et déjà réalisées ? Que va-t-il advenir du patrimoine immobilier correspondant aux succursales qui vont être fermées ? Quelle est la répartition des activités des agents de la Banque de France ?

M. Yves Deniaud a souhaité savoir quelles seront les perspectives économiques mondiales, et plus particulièrement américaines, après les élections aux États-Unis ? Comment l'Europe pourrait-elle réagir au tour de vis qui sera vraisemblablement donné à la politique économique américaine ? Comment introduire les notions de croissance économique et d'emploi dans les textes constitutifs du système européen de banques centrales européennes ? Quel est l'avenir du Comité de politique monétaire ?

M. Jean-Louis Dumont a souhaité savoir comment la Banque de France fait face à la recrudescence du nombre de dossiers de surendettement. De quelle façon ce dispositif s'articule-t-il avec le système de faillite personnelle créé par la loi du 1er août 2003 ? Quel traitement est réservé au patrimoine immobilier des comptoirs fermés ? Alors que les élus du département de la Meuse, toutes tendances politiques confondues, ont adressé des propositions d'affectation des locaux devenant vacants aux autorités de la Banque de France, ils n'ont jamais obtenu de réponse.

En réponse, M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, a apporté les précisions suivantes :

- s'agissant de l'organisation du réseau, la réforme décidée en novembre dernier est conforme au projet qui avait été présenté à la commission des finances. Depuis, des travaux préparatoires ont été menés, ayant notamment pour objet d'expliquer au personnel les raisons de la réforme et de recueillir les choix des agents. Trois phases sont prévues, dont les échéances sont fixées à l'automne 2004, puis à l'automne 2005 et, enfin, en 2006. D'ici à septembre prochain, 52 unités devraient être concernées, 29 succursales supprimées, et 29 bureaux d'information et d'accueil créés. Les principes de réforme, inspirés par la Commission des finances, sont la priorité accordée à la structure départementale et l'ouverture de bureaux d'accueil et d'information pour les surendettés dans les villes où les succursales sont fermées. Par ailleurs, des groupes de coordination ont été mis en place et des plans d'action régionale élaborés. Les travaux de mise en place des bureaux d'accueil et d'information sont achevés ; les locaux ont notamment été trouvés. Il s'agit, dans 13 cas, de bureaux installés dans les sous-préfectures. Pour les autres, des conventions sont en cours de signature avec les mairies, les caisses primaires d'assurance-maladie, les caisses d'allocations familiales ou les chambres de commerce et d'industrie ;

- au total, le plan de restructuration du réseau devrait se traduire par la suppression de 2.300 emplois, en équivalents temps plein. Les départs devraient avoir lieu sur la base du volontariat, tant pour les titulaires que pour les non titulaires.

Le Président Pierre Méhaignerie a demandé quelles étaient les raisons qui poussaient au volontariat.

M. Christian Noyer, Gouverneur de la France, a indiqué que plusieurs mesures d'incitation sont proposées : aides à la création d'entreprises, retraites anticipées, préretraites, et mi-temps de longue durée payés à 70 % du salaire. Ce dispositif semble adapté, puisque la demande s'élève à 2.400 équivalents temps plein, ce qui correspond à peu près aux objectifs initiaux. La réforme ne se traduit donc ni par le maintien de sureffectifs, ni par des départs excessifs : l'incitation paraît donc bien adaptée aux besoins. Longtemps, la Banque de France n'a pas procédé aux adaptations nécessaires, alors que son environnement subissait des bouleversements, comme l'introduction de paiements électroniques ou la modernisation des méthodes du refinancement par réseau. Aujourd'hui, les adaptations, qui se sont avérées indispensables, se déroulent dans les meilleures conditions possibles. Les sommes correspondant au plan de restructuration ont été provisionnées. Les économies engendrées devraient produire leurs effets à partir de l'année prochaine, lorsqu'auront été enregistrés 700 à 800 départs en équivalents temps plein. Parallèlement au plan de restructuration du réseau sont menés le second plan de restructuration des services en charge de la fabrication des billets et une politique de réduction des effectifs du siège de la Banque de France. Au total, les effectifs de la Banque devraient passer de 18.000 à 12.000 agents en une décennie.

Puis, M.  Christian Noyer a poursuivi ses réponses :

- la situation particulière de la région Midi-Pyrénées renvoie à la question du choix des implantations de caisses. Celle-ci est dictée pour l'essentiel par les besoins des utilisateurs que sont les banques et les convoyeurs de fonds : dans le sud-ouest, il semble que la concentration des sociétés de transports de fonds soit particulièrement importante autour de Toulouse et de Bordeaux, ce qui explique la répartition des caisses de la Banque de France ;

- concernant l'immobilier, la procédure est simple. Il faut d'abord fermer les succursales et transférer les personnels dans les nouveaux centres. Ensuite, la vente du patrimoine obéit à un principe clair : l'immeuble est d'abord proposé aux collectivités locales, le prix étant celui retenu par les Domaines afin d'assurer un prix de cession indiscutable. Si les collectivités locales ne sont pas intéressées à ce stade, une procédure d'appels d'offres par lots est enclenchée, les collectivités locales conservant alors, bien sûr, leur droit de préemption. Cette procédure traduit donc une priorité claire en faveur des collectivités locales, sans nuire à la valorisation du patrimoine immobilier de la Banque de France ;

- les réserves d'or constituent un élément des réserves de change, avec les réserves en devises, conformément au Traité sur l'Union européenne. Ces deux éléments constituent les actifs monétaires de la Banque de France en face du passif, constitué pour l'essentiel des billets en circulation. La lecture du bilan de la Banque de France est néanmoins complexe en raison de créances croisées avec les autres banques centrales de la zone euro. En cas de vente d'or, cela revient à acheter des devises. Dans le bilan de la Banque de France, les réserves en or semblent un peu fortes par rapport aux réserves en devises, et il serait donc utile de transformer une partie de cet or en devises. Une négociation a donc été menée avec les autres banques centrales pour que la Banque de France puisse mener cette opération, sous réserve d'un prix du marché de l'or convenable. Pour l'État, une telle vente augmente les placements en devises, donc les bénéfices de la Banque de France et, in fine, les dividendes versés par celle-ci au budget de l'État. Cette hausse des dividendes devrait, à échéance du programme de vente d'or, c'est-à-dire dans cinq ans, atteindre 200 millions d'euros par an. D'ici là, la Banque de France tente de modifier la structure de ses réserves de change afin d'en optimiser le placement. La Banque de France s'efforce donc de répondre à une demande du gouvernement qui est d'assurer un revenu supplémentaire de 100 millions d'euros, dès l'année prochaine ;

- s'agissant du Conseil de la politique monétaire, il convient de noter que la Banque de France est à la fois une entreprise et une institution indépendante. Un organe de gouvernance est donc nécessaire, organe qui doit être composé en partie de personnalités indépendantes nommées suivant une procédure solennelle. C'est ce qu'est le Conseil général aujourd'hui. Pour autant, la Banque de France conserve des prérogatives monétaires importantes qui ne se limitent pas à la transposition des décisions de la Banque centrale européenne : l'Euro-système reste une organisation largement décentralisée. Un conseil de la politique monétaire est donc tout à fait légitime. Remettre en cause cette organisation nécessiterait de réécrire la loi sans que cela ait de fortes conséquences positives ;

- concernant la retraite des agents de la Banque de France, rien ne saurait empêcher le Parlement de réformer les régimes spéciaux, réforme que la Banque de France ne pourrait que mettre en œuvre. Néanmoins, un changement du mode de cotisation aurait des conséquences sociales et politiques qu'il faudrait assumer.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a remarqué qu'un nouveau dispositif n'aurait vocation à s'appliquer qu'aux nouveaux entrants.

S'agissant de la situation économique, M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, a indiqué que la productivité avait récemment ralenti en raison d'une quasi-stabilité du niveau de l'emploi conjugué à un ralentissement de la croissance. Les années précédentes, la hausse de la productivité horaire avait accompagné une hausse du produit national brut mais, en raison de la baisse de la durée du travail, la productivité par tête avait baissé, toutes choses égales par ailleurs. La productivité horaire en France est néanmoins très bonne et supérieure à celle des États-Unis, par exemple. En effet, la France emploie moins de gens peu qualifiés. Malheureusement, en raison d'une durée moyenne du travail plus faible, la productivité par personne est moins élevée en France qu'aux États-Unis.

Le raisonnement est assez proche s'agissant de la compétitivité de la France. On constate en effet, ces dernières années, une évolution des coûts unitaires de production plus rapide qu'en Allemagne, où la croissance est tirée par les exportations alors qu'en France elle est tirée par la demande intérieure. Il convient donc d'être très attentifs à ce risque de dérapage des coûts de production, coûts qui ne se limitent pas aux seuls salaires.

Il convient de noter que la Banque centrale européenne prend déjà en compte la croissance dans son analyse économique. Il n'y a pas d'opposition, ni de choix à faire, entre l'inflation et la croissance. La stabilité des prix est une condition sine qua non de la confiance des consommateurs et de l'investissement des entreprises. Quand la croissance ralentit, les pressions sur les prix tendent à baisser également et la politique monétaire s'ajuste si nécessaire ; inversement, quand la croissance s'accélère, on observe rapidement une pression sur les prix et donc un resserrement de la politique monétaire. Les statuts de la Banque centrale américaine, qui ont été rédigés au début du XXème siècle, sont les seuls à additionner les objectifs de stabilité des prix et de croissance, à une époque où la doctrine économique n'était peut-être pas aussi développée qu'aujourd'hui. Toutes les autres banques centrales accordent une priorité à la stabilité des prix, qui est une condition indispensable à une croissance durable et soutenable. Cette stabilité des prix s'oppose aussi bien à l'inflation qu'à la déflation, qui appellent chacune des réactions vigoureuses. Ainsi, la première décision de la Banque centrale européenne fut de baisser les taux face à un risque de déflation. Néanmoins il serait illusoire d'attendre de la politique monétaire, essentiellement conjoncturelle, de doper artificiellement le potentiel de croissance. Le seul moyen d'augmenter la croissance potentielle d'une économie est de la rendre plus souple en développant des réformes structurelles.

L'économie américaine a été dopée par une politique budgétaire très expansive ; un ralentissement s'est fait sentir avec l'éclatement de la bulle des actifs mobiliers. La croissance économique outre-Atlantique est désormais stable et ne nécessite pas d'ajustements budgétaires. Pour autant, des déséquilibres persistent aux États-Unis : lourd déséquilibre du budget fédéral et déficit de la balance des paiements, en raison d'une capacité d'épargne interne inférieure aux investissements productifs. Le besoin de recourir à l'apport d'épargne extérieure est, de ce fait, préoccupant. Ces déséquilibres doivent être résorbés pour garantir une croissance équilibrée à long terme. Les taux d'intérêt sur les marchés à long terme en Europe ne devraient pas suivre l'augmentation des taux américains. Si les taux européens étaient supérieurs de 100 points de base aux taux américains jusqu'à présent, ils viennent de passer sous ces taux, sans les accompagner dans leur hausse. Ceci atteste de la crédibilité réelle de la Banque centrale européenne en matière de stabilité des prix. Il faut rappeler que depuis le début de l'union monétaire, la courbe des taux dans la zone euro s'est alignée sur celle des meilleures monnaies et non sur celle de la moyenne de la zone. En conclusion, la crédibilité de la Banque Centrale Européenne nous permet d'avoir aujourd'hui une courbe des taux adaptée aux besoins de notre économie.

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Puis la Commission a examiné, sur le rapport de M. Jean-Louis Dumont, les conclusions de la MEC sur la journée d'appel de préparation à la Défense.

M. Jean-Louis Dumont, rapporteur de la MEC, a tout d'abord rappelé que le service national n'est pas abrogé mais seulement suspendu. La direction du service national gère donc les 31 millions de dossiers des Français soumis aux règles de l'ancien code du service national. Par ailleurs elle doit être en mesure de rappeler sous les drapeaux certaines catégories de Français. La professionnalisation des armées doit s'accompagner du maintien du lien entre la Nation et l'armée, afin que cette dernière soit imprégnée des valeurs citoyennes et que les Français soient conscients de la nécessité de la défense nationale. La journée d'appel et de préparation à la défense (JAPD) s'inscrit dans un parcours de citoyenneté commencé au collège, qui se poursuit par le recensement dans les mairies avant la participation à la journée proprement dite. La mission s'est déplacée à Rennes, à Nantes et à Verdun pour mesurer, sur le terrain, les difficultés d'organisation de cette journée ainsi que les modalités de son déroulement. Les modules présentés aux jeunes ont beaucoup évolué depuis deux ans. Leur intérêt a été singulièrement renforcé. Un module consacré au secourisme a été introduit dans le programme afin de rappeler aux jeunes que l'esprit de défense passe aussi par l'engagement citoyen et la solidarité. Par ailleurs, la JAPD sensibilise l'ensemble de la jeunesse aux carrières militaires permettant ainsi de favoriser le recrutement et les engagements dans la réserve. La gendarmerie est particulièrement impliquée dans l'organisation de la journée. L'armée de terre a compris qu'elle permettait de sensibiliser les jeunes aux carrières militaires. En outre, la marine et l'armée de l'air s'impliquent elles aussi de plus en plus. La direction du service national a réalisé des gains de productivité très importants au cours des deux dernières années. Il est probable que ces efforts peuvent encore être accentués. Elle dispose d'un effectif de 2.950 équivalant temps plein.

Le Président Pierre Méhaignerie a jugé ce chiffre très élevé.

M. Jean-Louis Dumont, Rapporteur de la MEC, a indiqué que cet effectif pourrait sans doute être encore réduit de 200 personnes. Les coûts de fonctionnement ont été maîtrisés. Par exemple, le coût d'un repas servi à un jeune a été ramené à 6,5 euros. Globalement, le coût de la JAPD par jeune est passé de 162 euros en 2001 à 128 euros en 2003. La mission a formulé 20 propositions pour rendre la JAPD plus efficace et plus attractive pour les jeunes. Il convient tout d'abord de réduire les coûts de gestion en incitant fortement les communes à transmettre les listes de recensement par voie électronique. En effet, malgré les sollicitations de la direction du service national, de nombreuses mairies transmettent ces listes imprimées, ce qui induit un coût de traitement très important. En outre, il faut renforcer le caractère militaire de cette journée en faisant participer plus fréquemment les militaires formés spécifiquement à cette tâche, en renforçant la part des militaires au sein des effectifs de la direction du service national et en accueillant les jeunes uniquement sur des sites militaires. Les militaires sont en effet les mieux placés pour parler de l'esprit de défense. Il faut réduire les coûts de la journée en pérennisant l'effort de réduction des crédits consacrés aux repas et en diminuant les coûts de transport. À cette fin, la direction du service national développe des accords permettant aux jeunes résidant dans de grandes agglomérations d'utiliser les transports urbains. En revanche, il faut supprimer le remboursement forfaitaire de 8 euros versé aux jeunes qui ne peuvent pas justifier de leurs frais de transports. Il s'agirait là d'un effort citoyen : la JAPD doit être suffisamment attractive pour que cette incitation financière soit sans objet. Il faut généraliser le recueil de l'adresse électronique des jeunes, comme la direction du service national l'a entrepris, pour faciliter les contacts après la JAPD. Le courrier électronique pourrait aussi être un moyen de relancer les jeunes en difficulté qui ont refusé l'aide proposée, ou bien un moyen pour promouvoir le recrutement dans les armées à moindre coût.

Dans les présentations faites aux jeunes, l'information relative aux différentes possibilités leur étant offertes pour se mettre au service de la collectivité doit être renforcée. Le module de secourisme, en cours de généralisation, semble susciter l'intérêt des jeunes. En ce qui concerne le recrutement, il faudrait encore augmenter le nombre des visites de sites organisées pendant la JAPD, ou après celle-ci. Un effort significatif a été accompli depuis deux ans en ce sens. Les armées ont en outre du mal à recruter pour certains emplois techniques, alors même que les filières professionnelles correspondantes sont délaissées dans notre système éducatif. Les tests de détection de l'illettrisme sont efficaces mais le suivi des jeunes détectés en difficulté doit faire l'objet d'une mobilisation plus forte des services déconcentrés du ministère de l'Éducation nationale. La mise à jour des fichiers des jeunes ayant effectué la JAPD doit être renforcée. Il convient, par ailleurs, de s'interroger sur la mise en place d'un nouveau type de réserve citoyenne au bénéfice de la défense nationale et, plus généralement, de la sécurité publique. En ce qui concerne les perspectives de cette journée, il ne faut pas lui adjoindre une journée supplémentaire : le coût du logement et les difficultés d'encadrement rendent en effet cette perspective irréaliste. En revanche, il convient d'envisager la création d'une « journée citoyenne » pour les jeunes entre 20 et 25 ans, afin de les sensibiliser de nouveau à l'esprit de défense ainsi qu'aux possibilités qui leur sont offertes pour se mettre au service de leurs concitoyens.

M. Augustin Bonrepaux, co-président de la MEC, a indiqué être prêt à adopter l'excellent rapport de la MEC, qui répond à toutes les interrogations posées.

M. Pierre Albertini a souligné une dérive depuis la création de la JAPD qui visait à maintenir un lien entre l'armée et la Nation compte tenu de la suspension du service national. Depuis 2000 en effet, des missions à caractère social ont été raccrochées à cette journée. S'agissant de la lutte contre l'illettrisme, on peut ainsi constater que 8 à 15 % des jeunes peuvent être concernés selon le degré de maîtrise de la langue exigé, mais qu'il est difficile d'intervenir efficacement en la matière, après l'âge de 18 ans. On peut également s'interroger sur l'apprentissage du secourisme ou la détection des jeunes en grande difficulté sociale, qui sont des sujets très éloignés des objectifs initiaux de la JAPD. On peut dès lors se demander si l'ambivalence, voire la dénaturation de la JAPD, ne remet pas en cause la logique de réduction des coûts du dispositif.

M. Louis Giscard d'Estaing a rappelé que la JAPD se substitue aux anciens « trois jours » et au service national pour donner aux jeunes les moyens de comprendre les questions de défense et les outils militaires de la Nation. Des demandes émanant d'autres services ministériels ont abouti à mettre à la charge de l'institution militaire des missions hors de son champ de compétences. Cela pose un problème pour les intervenants, officiers d'active et de réserve, en raison à la fois de la baisse à venir des effectifs de réserve et de la nécessité de garantir des phases de récupération aux cadres d'active rentrant d'opérations extérieures, ce qui pose un problème lorsqu'une journée a lieu le samedi. Il y a donc une question de définition du concept même de JAPD. Pour autant, on ne peut que souscrire aux excellentes propositions de la MEC, s'agissant notamment de la moindre utilisation de sites civils.

M. Yves Deniaud, co-président de la MEC, a estimé que la réduction des coûts et le renforcement des aspects militaires de la JAPD devraient permettre d'assurer un meilleur recrutement professionnel des armées.

M. Charles de Courson, Président, s'est demandé s'il fallait conserver la JAPD.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Louis Dumont, Rapporteur, a rappelé qu'après les balbutiements initiaux, la JAPD est devenue un outil pédagogique de qualité. Les jeunes détectés en difficulté n'acceptent pas tous d'être aidés, mais un grand nombre d'entre eux disposera d'une nouvelle chance, notamment dans les missions locales.

La JAPD est le seul moment où tous les jeunes d'une même classe d'âge se retrouvent ensemble pour marquer leur appartenance à la Nation. Même si l'institution militaire ne constitue plus le creuset de la citoyenneté qu'elle était avec le service national, il lui revient de cultiver les valeurs républicaines, car la France ne saurait disposer d'une « armée de mercenaires ».

M. Charles de Courson, Président, a souligné que la conception que le Rapporteur se faisait de l'armée correspondait au concept de la « Nation en armes » de Jean Jaurès.

M. Jean-Louis Dumont, Rapporteur, a estimé qu'on peut attirer l'attention des jeunes à l'occasion de la journée. Dans le cadre de la JAPD, laquelle ne se déroule que dans 30 % des cas le samedi, 120 minutes sont consacrées à la Défense, 75 minutes à l'apprentissage des gestes de survie et une demi-heure aux premiers tests. Le nouveau programme de la journée fait donc une large place aux questions de défense. L'apprentissage des institutions et de l'esprit de défense est nécessaire au citoyen. Il est pour autant indispensable de soutenir l'intérêt des jeunes pour la JAPD, au-delà de la « carotte » que représente 8 euros. Il ne faut donc pas supprimer la JAPD mais lui donner plus de force, pour renforcer le parcours de citoyenneté et l'insertion sociale des jeunes.

M. Charles de Courson, Président, a relevé que la ministre de la Défense vient d'estimer souhaitable, dans un entretien de presse, de porter la JAPD à deux journées.

M. Jean-Louis Dumont, Rapporteur, a souligné le caractère dérangeant de certains constats et propositions de la MEC, sur ce sujet comme sur d'autres. Les ministres concernés, parfois poussés par leur entourage, sous cette majorité comme sous la précédente, peuvent être ainsi amenés à faire des propositions avant même que la MEC ne conclue ses travaux, pour tenter de montrer que le Parlement n'est pas le lieu où sont prises les décisions. Il s'agit d'une attitude très désagréable et peu respectueuse des travaux de la MEC, qui prouvent pourtant que l'on peut faire des économies et gagner en efficacité par un caractère plus opérationnel des dispositifs examinés. Ces remarques, qui s'appliquent en l'espèce, sont trop souvent constatées et doivent être regrettées.

Conformément à l'article 145 du Règlement, la Commission a autorisé la publication du rapport de la MEC.

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Information relative à la Commission

La Commission a nommé M. Yves Bur, Rapporteur pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005.


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