COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 43

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 mars 2005
(Séance de 16 h 15)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Communication de M. le Président sur les enquêtes de la Cour des comptes

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- Communication, en application de l'article 146 du Règlement, de M. Jean-Yves Chamard, rapporteur spécial, sur les enseignants qui ne sont pas en face-à-face pédagogique

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- Examen de la proposition de loi (n° 2061), adoptée par le Sénat, tendant à créer un conseil des prélèvements obligatoires (M.  Philippe Rouault, Rapporteur)

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La Commission des finances a tout d'abord débattu du traitement des enquêtes remises par la Cour des comptes.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que les enquêtes de la Cour des comptes sont prévues par l'article 58 de la loi organique. Il y a deux ans, la Commission en a demandé une première sur la convention collective des personnels de l'audiovisuel public, puis M. Patrice Martin-Lalande a fait un rapport après cette enquête. Depuis lors, plusieurs d'entre elles sont parvenues à la Commission et des demandes sont en cours de traitement, notamment sur la desserte aérienne de l'outre-mer. Ces enquêtes sont à la disposition de ceux qui les ont demandées, c'est-à-dire, d'abord, du Rapporteur spécial concerné. Toutefois, la publication dans la presse relative aux enseignants montre qu'à l'évidence elles circulent : il n'y a d'ailleurs pas lieu, en général, de les dissimuler. Pour autant, il convient que ce travail donne lieu à des conclusions de la Commission ou du Rapporteur spécial. Dès lors, il convient de suggérer que lorsqu'une enquête est restituée, en principe huit mois après la demande, par la Cour des comptes, l'information de cette réception soit donnée à la Commission, sans pour autant que le contenu de l'enquête ne soit alors diffusé. La primeur en serait réservée au Rapporteur spécial. Passé un délai de quinze jours à trois semaines, le Rapporteur spécial indiquera ce qu'il souhaite faire : soit une mise à disposition de l'enquête à tous ceux qui en feraient la demande, comme un rapport du gouvernement, soit une présentation en Commission, soit encore, si on pressent qu'il y a des risques d'exploitation orientée, la décision pourrait être prise après discussion au Bureau de la Commission.

M. Alain Rodet a regretté que le Premier président de la Cour des comptes organise un colloque en avril prochain, dans les locaux du Conseil économique et social, sur la responsabilité et les finances publiques en invitant le Rapporteur général et des anciens ministres et parlementaires mais aucun membre de l'opposition. La magistrature d'influence qu'exerce la Cour des comptes gagnerait à être plus précautionneuse.

Le Président Pierre Méhaignerie a répondu qu'il n'était pas partie prenante à ce colloque, mais que cette observation serait relayée.

M. Augustin Bonrepaux a regretté ne pas connaître la liste exacte des enquêtes demandées à la Cour des comptes. Il s'est interrogé sur l'utilité résiduelle de la MEC, si tous les sujets d'importance font l'objet de telles demandes d'enquête à la Cour. Il a rappelé que s'il estimait utile l'enquête sur les personnels du ministère de l'éducation, il aurait également souhaité une enquête sur les dépenses militaires et une MEC sur ce sujet.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé son intérêt constant pour le rôle de la MEC, qui effectue des travaux approfondis, mais a noté que le calendrier ne permettait pas de traiter plus de trois thèmes par an, et que l'audience est assez restreinte. La liste des enquêtes demandées à la Cour des comptes est arrêtée par le Bureau de la Commission des finances et donc connue.

M. Didier Migaud a estimé qu'il fallait veiller à ce que la MEC s'occupe de sujets d'importance. Par ailleurs, il a jugé légitime que chaque commissaire soit informé des demandes d'enquête auprès de la Cour des comptes et de la disponibilité des résultats de ces enquêtes.

Le Président Pierre Méhaignerie a réaffirmé que les résultats des enquêtes seront en principe diffusés aux commissaires qui le souhaitent quinze jours à trois semaines après leur réception et l'analyse du rapporteur spécial. Les risques de fuite sont malheureusement inévitables.

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Puis la Commission a entendu une communication, en application de l'article 146 du Règlement, de M. Jean-Yves Chamard, Rapporteur spécial des crédits de l'enseignement scolaire, sur les enseignants qui ne sont pas en face-à-face pédagogique.

M. Jean-Yves Chamard, Rapporteur spécial, a indiqué que le rapport de la Cour des comptes récemment révélé par la presse sur la gestion des personnels détachés dans des fonctions autres que d'enseignement ou demeurant sans affectation a été adressé au Président de la commission des Finances à la suite d'une demande de la commission, le 6 novembre 2003, en application de l'article 58 alinéa 2 de la loi organique relative aux lois de finances. La commande de ce rapport avait pour objet d'établir un diagnostic clair de la situation de ces personnels, afin de répondre aux mécontentements exprimés dans l'opinion publique et chez les parents d'élèves de voir un nombre important de classes sans professeurs, alors que, parallèlement, des milliers de professeurs demeurent sans affectation ou sans classe. Cette commande était également justifiée par le coût de notre enseignement scolaire : en effet, le coût d'un élève du second degré est de 25 % plus élevé que pour la moyenne des pays de l'OCDE. Or, les enquêtes internationales montrent que nos résultats scolaires se situent globalement dans cette moyenne.

Il est tout à fait regrettable que la diffusion de ce rapport à la presse n'ait pas fait l'objet d'une information et d'une concertation préalables. Cela a conduit à en faire une restitution partielle, provoquant du même coup un tollé parmi les organisations syndicales et la colère du ministère de l'Éducation nationale, qui a dénoncé les « amalgames ». Mais cela a eu, au moins, le mérite de poser publiquement le problème.

Selon ce nouveau rapport de la Cour, sur les 97.500 équivalents temps plein (ETP) des premier et second degrés n'exerçant pas devant des classes de l'enseignement scolaire, 56.000 sont rémunérés sur le budget de l'enseignement scolaire et 41.000 sur d'autres budgets, soit en tout 12,1 % des effectifs enseignants. Il convient de préciser que la Cour ne tient pas compte de l'absentéisme en général et des divers types de congés, qui représentent, à eux seuls, 15.000 ETP.

Certaines de ces situations sont justifiées (certaines activités pédagogiques, les décharges de direction d'écoles, certaines missions administratives...), mais beaucoup semblent en revanche contestables au regard des exigences réglementaires ou de gestion. La difficulté réside dans le fait que, comme le note la Cour, l'addition de multiples marges de manœuvre de faible importance apparente, dispersées, aboutit au bout du compte à un volume qui, en soi, devient « considérable ». Sans nul doute, les effets d'annonce s'en ressentent-ils : ils ne retiennent que les « totaux ».

Quatre catégories sont distinguées par l'enquête. En premier lieu, les enseignants sans classes, mais ayant des activités pédagogiques (18.000 ETP). On observe à cet égard que le nombre de conseillers pédagogiques, qui s'élève à 3.350 ETP, n'a cessé de croître au cours des vingt dernières années (+ 787 entre 1983 et 2004) sans que, relève la Cour, « les motifs de cette augmentation continue n'apparaissent clairement ». On compte par ailleurs, outre les décharges de direction d'école (7.050 ETP), des réemplois au Centre national d'enseignement à distance (650 ETP) et des décharges au profit de l'Union nationale du sport scolaire - qui ne correspondent pas toujours à des heures de travail effectives -, 550 ETP en surnombres disciplinaires, 1.400 en réadaptation et 1.000 en décharges non statutaires.

Les enseignants temporairement hors du système éducatif correspondent à 21.000 ETP, dont 14.000 en disponibilité et 7.100 en service détaché hors enseignement auprès d'organismes divers. Concernant les disponibilités, la Cour rappelle que « lorsque la répartition inadéquate des effectifs conduit à d'importants recrutements de contractuels, la mise en disponibilité massive d'enseignants, en nombre supérieur aux contractuels recrutés faute de ressource disponible, n'est sans doute pas la voie de la plus stricte économie ». S'agissant des détachés, elle note que les détachements de droit ne représentent qu'une fraction infime du total (1,2 %) et que la grande masse de ces détachements (60 %) est classée dans une catégorie « divers », indifférenciée.

La troisième catégorie correspond aux enseignants exerçant en dehors du secondaire ou du ministère de l'Éducation nationale (26.500 ETP). Ces personnels restent néanmoins gérés par le secondaire, ce qui entraîne, pour la Cour, « une assez vraisemblable source de surcoûts » sur le long terme.

Enfin, la quatrième catégorie est constituée des enseignants sans classe et sans activité pédagogique. C'est cette catégorie qui est la plus susceptible d'être critiquée. Elle représente à elle seule au minimum 32.000 ETP et une charge annuelle de l'ordre de 1,5 milliard d'euros. Elle est notamment constituée, en ETP, de 9.500 remplaçants inoccupés, 1.900 surnombres disciplinaires, 1.000 remplaçants incapables d'enseigner, 700 enseignants en réadaptation, ainsi que de nombreuses décharges diverses, dont beaucoup sont jugées par la Cour, soit « obsolètes ou aux justifications mal contrôlées », soit simplement non statutaires. Le nombre des remplaçants incapables d'enseigner et des enseignants en réadaptation est à relier avec la politique de recrutement et de gestion des ressources humaines du ministère. S'agissant des remplaçants inoccupés, on note de fortes disparités selon les académies, le taux variant de 7,7 % à Rennes à 46,3 % à Bordeaux et 94,8 % en Guyane. On compte, à côté des 1.400 ETP de décharges syndicales, 1.700 décharges au profit de l'Union nationale du sport scolaire, qui sont payées sans être systématiquement effectuées. On dénombre aussi 4.000 décharges non statutaires et 7.800 décharges statutaires, hors UNSS. Enfin, cette catégorie regroupe 3.100 ETP affectés à des fonctions administratives et 900 mises à disposition et prêts.

Si le rapport de la Cour apporte beaucoup d'informations, il ne permet pas d'identifier et de chiffrer clairement, parmi ces emplois, ceux qui sont utiles, ceux qui ne le sont pas, et ceux dont l'utilité est discutable. C'est sur ce point qu'il faut approfondir la réflexion.

On peut tirer de ce rapport cinq conclusions principales. D'abord, l'enseignement scolaire et, plus généralement l'Education nationale, comportent à l'évidence de nombreuses sources de dépenses peu justifiées ou, selon l'expression du Premier Président de la Cour des comptes, des « marges de manœuvre ». Ce secteur pourrait donc donner lieu a priori à de substantiels redéploiements budgétaires, à condition de pouvoir bien identifier les suppressions, redéploiements ou créations d'emplois souhaitables.

Deuxièmement, ce rapport souligne l'extrême complexité de certains sujets et, par conséquent, démontre bien l'indispensable mission de la Cour des comptes dans sa fonction d'assistance au Parlement, mission sans laquelle celui-ci ne peut pleinement être éclairé et remplir son rôle. Il est nécessaire, dans le cadre de la mise en œuvre de la LOLF, qu'on en prenne toute la mesure.

Troisièmement, la culture de la performance instillée par la LOLF devrait sans doute permettre, dans les années à venir, de mieux distinguer les emplois utiles de ceux qui le sont moins et qui pourraient, dans l'intérêt de l'État comme des personnels concernés, être redéployés ou transformés ; une précision, à cet égard, dans les indicateurs de performance, est nécessaire.

Quatrièmement, le ministère, conscient des problèmes généraux soulevés par la Cour, a déjà pris des mesures pour y remédier, comme l'élargissement des zones de remplacement ou un suivi plus fin des affectations. Il s'est donné pour objectif de faire passer le taux de rendement net des remplacements de 74 % en 2004 (taux qui était à 66 % en 2002) à 78 % en 2005. Le dispositif prévu dans le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école permettant aux enseignants d'effectuer des remplacements de leurs collègues absents pour de courtes durées pourra y contribuer. Il est cependant indispensable d'améliorer aussi le taux de rendement brut, qui reflète davantage la réalité, dans la mesure où il prend en compte les surnombres disciplinaires, le personnel indisponible (en raison d'une impossibilité provisoire d'enseigner, de missions académiques ou de prêts à divers organismes) et des quotités de service disponibles inférieures à 33 % de l'obligation réglementaire de service.

Enfin, ce rapport constitue un premier pas important pour clarifier la situation des enseignants sans classe, mais il serait souhaitable d'aller plus loin, à la fois dans l'investigation et dans l'action. Il conviendrait de demander au gouvernement de préciser clairement, parmi les personnels faisant l'objet du rapport de la Cour : le nombre d'ETP ou d'emplois, catégorie par catégorie, dont l'utilité est faible ou nulle, et qui pourraient être supprimés ou redéployés ; le nombre d'ETP ou d'emplois, catégorie par catégorie, pleinement justifiés, qu'il convient de conserver tels quels, en précisant leur bien-fondé ; et le nombre d'ETP ou d'emplois dont l'utilité, le bien-fondé juridique ou le rattachement au budget de l'enseignement scolaire sont discutables et, pour chaque type, une méthode d'évaluation permettant de déterminer dans quelle mesure ils gagneraient à être maintenus, transformés ou supprimés. Il serait en outre souhaitable que le gouvernement apporte quatre précisions complémentaires : la justification et la répartition par organisation de toutes les mises à disposition syndicales ; la durée et l'issue de toutes les situations d'enseignants incapables d'enseigner et en réadaptation ; le nombre de décharges UNSS qui sont payées sans être effectuées, ainsi que le coût global correspondant ; et les possibilités de mieux gérer les remplacements par zones géographique et par matière. Ces éléments pourraient être versés au prochain débat d'orientation budgétaire et pris en compte dans le cadre de l'élaboration du prochain projet de loi de finances.

Cette remise à plat objective s'avère d'autant plus nécessaire que les avis demeurent encore assez largement partagés. Ainsi, une récente enquête d'opinion commandée par le ministère et réalisé à la fin du mois de février montre, par exemple, que si 63 % de l'opinion publique et 62 % des parents approuvent le dispositif de remplacement des professeurs absents prévu par le projet de loi, 70 % des enseignants, eux, y seraient hostiles.

Le Président Pierre Méhaignerie a demandé quelle devrait être l'échéance des réponses.

M. Jean-Yves Chamard, Rapporteur spécial, a souhaité qu'elles arrivent avant l'été prochain, afin d'en tirer les conséquences pour le budget 2006. Une autre cause du surcoût de l'enseignement secondaire est la multiplication des options à faibles effectifs.

Le Président Pierre Méhaignerie a suggéré que le Rapporteur spécial transmette le rapport de la Cour et ses propres travaux aux organisations syndicales, pour leur demander leur avis.

M. Jean-Yves Chamard a approuvé cette demande en notant l'utilité de la transparence dans ce débat. Si le coût de l'enseignement primaire est dans la norme des pays de l'OCDE, celui du secondaire ne l'est pas, et même les syndicats ne contestent pas ce constat. Certains proposent de transférer une partie des crédits affectés au secondaire à l'enseignement supérieur, dont le coût est en revanche au dessous de la moyenne des pays de l'OCDE.

M. Jean-Jacques Descamps a fait la distinction entre les enseignants qui enseignent ailleurs que dans l'Éducation nationale et ceux qui n'enseignent pas. Pour les premiers, il s'agit de décider qui paie, et pour les seconds, il convient de juger de leur utilité réelle, pour éventuellement en réduire le nombre. Or, le diagnostic ne lève pas toute la confusion entre ce qui est normal et ce qui est extraordinaire.

Il y également lieu de s'interroger sur les dysfonctionnements de la gestion des ressources humaines au ministère de l'Education nationale, le nombre des agents qui gêrent des situations dérogatoires et le coût global de ce système. Le lecteur non spécialiste a besoin d'une synthèse claire, afin de savoir quelles économies réelles sont possibles.

M. Augustin Bonrepaux a salué ce travail intéressant auquel il est au regret de n'avoir pas pu participer davantage. Ce thème pourrait donner lieu à d'autres travaux. Le rapport de la Cour des comptes ne couvre pas tout le fonctionnement de l'Education nationale ; cependant il soulève de réels problèmes. Il en est ainsi de certaines dispositions réglementaires qui ne sont pas appliquées, notamment en ce qui concerne les décharges syndicales ; il faut corriger cette situation. En ce qui concerne les fonctionnaires affectés à des tâches administratives, les propositions de la Cour des comptes sont à prendre avec précaution : les directeurs ne sont pas tous déchargés de leur fonction éducative et il n'est pas certain qu'il soit pertinent de regrouper les directeurs en les coupant complètement des fonctions pédagogiques. La Commission des finances devra étudier ce problème de plus près. Permettre aux professeurs d'enseigner plus fréquemment deux disciplines pourrait éventuellement être envisagé. Le Rapporteur spécial devra procéder à des auditions, interroger les syndicats, les parents d'élèves, l'administration. Il ne faut pas faire de procès anticipé à l'Éducation nationale. La Commission des finances pourra porter un jugement lorsque le travail du Rapporteur spécial aura été achevé, et proposer des solutions pour que les crédits de l'Education nationale soient mieux utilisés.

Le Président Pierre Méhaignerie a souhaité que la Commission puisse avoir l'opinion des organisations syndicales. Dans la ville de Vitré, il a pu constater de nombreux problèmes concernant les remplacements, ou des surnombres en philosophie ou en allemand, matières où, parfois, les enseignants n'effectuent aucun cours. En éducation physique et sportive, la moitié des professeurs n'effectue pas les trois heures UNSS. Il est arrivé que certains professeurs de français refusent de faire des remplacements, au motif que cela n'était pas prévu dans leur statut. Or le manque de postes est une revendication souvent avancée. Il incombe aux députés de dire la vérité à l'opinion publique.

M. Charles de Courson s'est félicité, au nom du groupe UDF, de ce travail, qui n'est qu'une première étape. La presse, en relayant ce rapport, a mis en cause, de façon inappropriée, les enseignants, mais le vrai problème réside dans la gestion des effectifs. Il y a 32.000 enseignants sans classe, ni activité pédagogique. Il convient d'étudier cette situation par catégorie.

Environ mille enseignants sont dans l'incapacité d'enseigner. Dans la mesure où il s'agit de situations durables, il faut appliquer la réglementation en les plaçant au besoin en congé de longue maladie, puis envisager leur reconversion.

Les enseignants en surnombres disciplinaires constituent une deuxième catégorie. Les sureffectifs d'enseignants en allemand, en sciences et techniques et en philosophie traduisent une mauvaise gestion. En outre, les taux diffèrent beaucoup d'une académie à l'autre. A cet égard, on peut s'interroger sur la cohérence des recrutements. Dans certaines matières rares, comme l'hébreu, l'arabe, le corse, certains professeurs n'enseignent pas du tout. Les conséquences de ces situations n'ont pas été tirées. La polyvalence des professeurs serait une solution à ce problème : ceux-ci pourraient enseigner à la fois deux, voire trois matières. C'est particulièrement justifié dans les matières rares.

Quant aux enseignants en réadaptation, la plupart d'entre eux pourraient sans doute être employés à des tâches administratives. Concernant les mises à disposition et les prêts, la Cour des comptes recense un certain nombre d'anomalies. Leur prise en charge par le budget de l'Education nationale n'est pas toujours justifiée. Le Rapporteur spécial devrait en demander les justifications : en effet, elles dépendent parfois de « copinages ». Il conviendrait de demander toutes les lettres d'autorisation signées par les ministres successifs, et pour celles qui n'auraient pas été signées par eux, de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière. Par ailleurs, le paiement de traitements sans service fait n'étant pas prévu par le droit budgétaire, il est possible, dans ces cas, d'engager au besoin la responsabilité du comptable public.

Concernant les enseignants affectés à des fonctions administratives, on peut déplorer certaines confusions dans le rapport de la Cour des comptes. Si ces postes ne constituent pas un problème en soi, le taux d'encadrement très élevé de l'Education nationale mérite toutefois d'être examiné de près, au regard des taux qui peuvent exister dans d'autres administrations. Par ailleurs, les règles de décharge ne sont pas homogènes sur le territoire national. En outre, le Rapporteur devra s'interroger sur l'existence d'éventuelles tolérances, au-delà des décharges syndicales proprement dites.

Certaines décharges statutaires, hors UNSS, sont obsolètes. Dans certains cas, on a maintenu des décharges alors même qu'on a recruté du personnel pour les compenser, par exemple dans les laboratoires de sciences. Ce ne sont pas, ici encore, les professeurs qui sont en cause, mais les directeurs d'établissement, lesquels doivent vérifier que les heures de décharge sont bien effectuées.

Le problème des remplaçants est préoccupant. La Cour des comptes cite des centaines de cas de remplaçants inoccupés. Il conviendra d'analyser comment les dysfonctionnements dans la gestion des personnels ont évolué dans le temps, ce, d'autant qu'ont été recrutés parallèlement de nombreux contractuels, dont beaucoup ont été progressivement intégrés dans la fonction publique. Le Rapporteur spécial devra demander qu'un travail fin soit effectué pour aboutir à une gestion optimale. Certains remplacements sont prévisibles, notamment ceux qui résultent des formations. Quant aux remplacements dont l'évolution est imprévisible, comme ceux liés aux congés maladie, on pourrait faire face à l'urgence en embauchant des contractuels.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que l'option consistant à faire appel aux enseignants retraités pour effectuer de courts remplacements était aussi une bonne solution, souvent pratiquée à l'étranger.

M. Charles de Courson a relevé que cela était déjà possible et que ces personnes étaient alors embauchées comme contractuels. Malheureusement, cette opportunité demeure très insuffisamment utilisée. Il serait utile que le Rapporteur spécial calcule, sur une ou deux académies, le taux de remplacement optimal. A ce sujet, la Cour des comptes indique que celui-ci est de 6 % mais ceci doit être confirmé et précisé pour permettre une optimisation de la gestion des remplacements, le problème étant souvent l'affectation territoriale des enseignants. Cette évaluation d'un taux optimal permettrait d'estimer la quantité de postes ETP récupérables par une bonne gestion.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. Guy Geoffroy a souligné que le travail de la Cour des comptes apporte des informations précises mais ne tire pas de conclusions, ni de propositions « toutes faites » : on ne peut pas, sur la base de ce document apporter de réponses ni tranchées, ni globalisantes. Deux attitudes extrêmes sont condamnées par cette enquête: refuser le débat soulevé par ces chiffres en dénonçant un procès d'intention et critiquer l'ensemble du monde enseignant, soupçonné de ne pas travailler suffisamment. La réalité « révélée » par ce document est que 13 % des enseignants recrutés et formés pour être devant les élèves n'y sont pas. Des raisons, justifiées, peuvent être apportées pour certaines situations, mais tel n'est pas toujours le cas. Or, une des grandes difficultés à laquelle va être confrontée l'Education nationale au cours des prochaines années sera le remplacement de 50 % du corps enseignant. Pour ce faire, 25 % des étudiants qui rentrent aujourd'hui à l'université devraient se destiner à l'enseignement. Aujourd'hui, ce taux n'est que de 10 %. Des solutions doivent donc être trouvées dans la gestion des enseignants, dans l'évolution de leur statut et dans l'organisation générale du système éducatif. S'agissant des enseignants déchargés de leurs obligations d'enseignement, on peut s'interroger sur le caractère absolu de cette décharge et sur l'utilité d'une poursuite partielle d'une activité d'enseignement, par exemple, pour garder le contact avec la réalité éducative. Certains délégués syndicaux mettent un point d'honneur à assurer, partiellement, une activité enseignante, mais tous ne le font pas. La vraie question est celle des enseignants employables, mais qui n'enseignent pas. Elle pose un problème de gestion des ressources humaines. Le rapport de la Cour des comptes appelle clairement à une plus grande fluidité et à une plus grande souplesse de notre système éducatif, aujourd'hui trop rigide.

Ce document justifie à la fois une certaine prudence et beaucoup de rigueur : il convient d'être très prudent dans la dénonciation gratuite et illusoire d'une supposée inactivité de certains enseignants, dénonciation qui risque de dénaturer la relation entre la société et le monde éducatif. Par contre, la plus grande rigueur doit être déployée dans la dénonciation des abus auxquels le système conduit. Il faut y remédier. Cette action ne constitue néanmoins qu'un fusil à un coup : une fois les abus corrigés, on ne disposera plus de marges de manœuvre pour relever les défis de l'Education nationale qui sont la nécessité de recruter un nombre suffisant d'enseignants et celle d'assurer quotidiennement l'intégralité des heures face aux élèves. A ce propos, les moyens de remplacement développés par la loi Fillon, actuellement en discussion au Parlement, doivent pouvoir être utilisés, même si l'absence est inférieure à quinze jours, ce qui correspond à une revendication des parents d'élèves.

M. Jean-Yves Chamard, Rapporteur spécial, a relevé qu'il existe un certain consensus au sein de la Commission, tout du moins sur le diagnostic. Après le constat fait par la Cour des comptes, il convient de questionner le ministère et les organisations syndicales ; ensuite, il faudra élaborer des propositions dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006, ces propositions pouvant faire l'objet d'une certaine unanimité. Il faut souligner qu'en aucun cas il ne s'agit de l'enseignant en tant qu'individu qui est mis en cause, mais bien des modalités de la gestion du ministère, souvent poussées par certains syndicats. Ainsi, un décret prévoit depuis quarante ans la possibilité de la bivalence, mais il n'a jamais était utilisé en raison d'une forte pression syndicale.

Le Président Pierre Méhaignerie a ensuite demandé à la Commission l'autorisation de publication d'un rapport d'information, en application de l'article 146 du Règlement. Il annexera l'enquête de la Cour.

M. Didier Migaud s'est déclaré hostile à cette publication tant que les réponses du ministère ne permettront pas d'éclairer les informations brutes contenues dans le rapport.

La Commission a alors autorisé la publication du rapport d'information.

M. Jean-Louis Dumont a souhaité situer dans une perspective politique la communication de la Cour des comptes. La nomenclature retenue aurait-elle été la même si le signataire de la demande avait été Augustin Bonrepaux et non Pierre Méhaignerie ? La publication de la communication de la Cour des comptes n'est pas inenvisageable, à terme, pour peu qu'elle soit complétée par une analyse des différents groupes politiques. Cette communication souligne en tout état de cause l'insuffisante gestion des ressources humaines à l'Education nationale.

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Puis la Commission a examiné, sur le rapport de M.  Philippe Rouault, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à créer un Conseil des prélèvements obligatoires (n° 2061).

M. Philippe Rouault, Rapporteur, a estimé que ce texte, d'apparence modeste, n'en aurait pas moins des effets importants en termes de qualité de l'information de la Commission des finances sur l'évolution des prélèvements obligatoires, et au-delà, sur la qualité de l'expertise française en matière de finances publiques.

L'examen de la proposition de loi n'est pas une « revanche » du Parlement sur le Conseil constitutionnel, même si chacun se rappelle sa décision du 29 décembre dernier, censurant l'article 112 de la loi de finances pour 2005, qui instituait un Conseil des prélèvements obligatoires en lieu et place de l'actuel Conseil des impôts. Cette censure suscite des interrogations, mais plutôt que de s'attarder sur ce contretemps, il est préférable de se focaliser sur le présent et de se féliciter de cette occasion de discuter spécifiquement de ce sujet, hors de l'urgence qui caractérise l'examen de la loi de finances. La proposition de loi a été adoptée le 8 février dernier par le Sénat. Déposée par MM. Jean Arthuis et Philippe Marini, elle reprenait intégralement le texte de l'article 112 de la loi de finances, issu des travaux de la commission mixte paritaire, et le Sénat n'y a adjoint qu'un amendement du gouvernement : parmi les directeurs d'administration centrale pouvant assister, sans voix délibérative, aux réunions du Conseil des prélèvements obligatoires, il convenait de substituer au directeur de la Prévision et de l'analyse économique le directeur général du Trésor et de la politique économique, pour tenir compte de la réorganisation récente de l'administration centrale de Bercy.

Le Conseil des impôts a été créé par un décret du 22 février 1971, et les dispositions qui le régissent sont aujourd'hui codifiées dans la partie réglementaire du code des juridictions financières. On pourrait ne voir dans le « basculement » de cette institution de la partie réglementaire vers la partie législative du code qu'une mesure d'affichage, ou bien un empiètement du législateur sur le domaine du règlement. Il n'en est rien : non seulement ce texte contient bien des mesures qui ressortissent au domaine de la loi, mais, mieux encore, il confère à l'institution concernée une dimension nouvelle qui justifie qu'on donne davantage de lustre au Conseil des impôts, tout en prenant largement appui sur l'existant, étant donné la qualité du travail accompli. Plusieurs dispositions, non détachables du reste du texte, justifient le caractère législatif du futur Conseil des prélèvements obligatoires : en premier lieu, ce Conseil pourra être saisi par chacune des commissions des Finances des deux assemblées, ce qui n'est pas possible dans la configuration actuelle.

L'indépendance des membres est notoirement renforcée, sur un plan matériel, mais surtout sur le plan des principes, dans une formulation solennelle qui n'est pas superflue si l'on veut bien considérer les implications politiques, juridiques et administratives que comporte l'analyse critique de notre système de prélèvements obligatoires. La soumission au secret professionnel des membres et des rapporteurs doit aussi être soulignée. Les règles de nomination des membres du Conseil, qui sont aussi un gage d'indépendance, seront mieux garanties par une loi, ne serait-ce que parce que quatre membres du Conseil seront nommés par les autorités parlementaires. De même, les pouvoirs d'accès à l'information des membres et des rapporteurs, du fait de leur caractère sensiblement étendu, trouvent bien leur place dans un texte de niveau législatif. Enfin, la détermination du régime du secret opposable aux demandes d'information du Conseil des prélèvements obligatoires, relevant du domaine des libertés publiques, ne peut qu'être réglée par une disposition législative. Au demeurant, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 décembre dernier, n'a pas condamné en lui-même le « changement de dimension juridique » de l'institution. On peut raisonnablement penser en effet, ne serait-ce qu'à raison des prises de position publiques de son Président et de traits récents de sa jurisprudence, que le Conseil constitutionnel ne se serait pas privé de dénoncer le non-respect du partage entre les domaines de la loi et du règlement, s'il avait trouvé matière à soulever ce moyen.

Au-delà de ces motifs formels, une raison de fond motive la démarche du législateur, aujourd'hui comme à l'automne dernier : plus que jamais, le besoin existe de mieux appréhender la richesse prélevée sur les contribuables. Non pas parce que ce prélèvement, mesuré en pourcentage de la richesse nationale produite annuellement, aurait augmenté dans des proportions considérables : il est resté, en France, à peu près le même qu'il y a vingt ans, autour de 44 % du PIB. Mais derrière cette stabilité de façade se sont produits de très importants changements dans la structure des prélèvements obligatoires. Ceux-ci sont aujourd'hui plus nombreux, plus morcelés, différemment répartis. Selon l'INSEE, en 2003, les « impôts au sens strict » représentaient 62,2 % des prélèvements obligatoires, et les cotisations sociales 37,8 %. S'ajoute à cela le fait que des impôts financent une part croissante de la protection sociale, qui accapare 47,5 % du total des prélèvements, contre 24,9 % en moyenne dans les pays non fédéraux de l'OCDE en 2001. Les impôts financent aussi la contribution française au budget de l'Union européenne et, toujours pour une part croissante, les collectivités territoriales. Un certain « régionalisme fiscal » est devant nous. En somme, l'horizon fiscal s'élargit, le champ des prélèvements obligatoires devient plus complexe : il est tout à fait opportun de mettre sur pied une instance à même d'analyser cette situation en toute objectivité, et si, comme on le pressent, elle y décèle des tendances dommageables ou des réformes nécessaires, elle pourra guider les décisions qu'il appartiendra au Parlement de prendre. La commission des Finances aura le loisir de choisir à l'avenir des thèmes d'études très précis à soumettre au Conseil des prélèvements obligatoires.

Concrètement, l'élargissement du champ d'action de l'actuel Conseil des impôts doit se traduire de façon visible par le passage de sa composition de 11 à 17 membres, sous l'effet de la présence, au sein du Conseil des prélèvements obligatoires, d'un inspecteur général des affaires sociales, d'un deuxième professeur des universités et de huit personnalités qualifiées désignées par les ministres de l'Économie et des finances, des Affaires sociales et de l'Intérieur, ainsi que par chacun des présidents des deux assemblées et par le président du Conseil économique et social. Cette composition doit être la garantie d'un travail encore plus riche et plus complet qu'aujourd'hui. Il n'est pas question de créer un comité supplémentaire, mais bien de substituer une structure nouvelle à une structure existante. Il faut par ailleurs préciser qu'en aucune manière, contrairement à ce qui a pu être prétendu, en particulier au cours des débats au Sénat, la réforme proposée ne constitue une démarche de « représailles » contre le dernier rapport du Conseil des impôts sur la concurrence fiscale et l'entreprise. On voit mal d'ailleurs quelle « sanction » on pourrait trouver dans cette proposition de loi, qui, au contraire, s'appuie largement sur l'institution actuelle en reprenant le principe d'une présidence assurée par le Premier président de la Cour des comptes et en s'inscrivant dans une forme de continuité en termes de méthodes de travail. La date d'entrée en vigueur du texte, soit le 1er octobre prochain, a été choisie afin de permettre au Conseil des impôts de publier son 23e rapport et à ses membres d'achever leur mandat de deux ans. En outre, le Conseil lui-même avait exprimé publiquement, dans son rapport de 2000, le souhait de disposer de moyens renforcés, pour que soient améliorés l'information du citoyen-contribuable et la qualité, comme le volume de l'expertise fiscale indépendante en France.

En conclusion, M. Philippe Rouault, Rapporteur, a fait valoir que, bien que n'ayant déposé aucun amendement, il reconnaissait le caractère perfectible du texte. Mais à la satisfaction, personnelle, de modifier à la marge tel ou tel point de cette proposition de loi, a été préféré, après mûre réflexion et après une concertation approfondie avec les auteurs de la proposition, le souci de favoriser son adoption rapide dans le respect du vote émis sur le projet de loi de finances pour 2005. Après une recension de toutes les améliorations possibles, s'est imposée la conclusion qu'une adoption conforme de ce texte était la meilleure solution, compte notamment tenu d'un calendrier parlementaire chargé et récemment raccourci par la perspective d'une suspension des travaux au mois de mai. En conséquence, le Rapporteur a préconisé l'adoption, en l'état, de la proposition de loi.

M. Didier Migaud a souligné que le texte n'était ni intéressant, ni consensuel, ni urgent. Cette proposition de loi n'a sans doute pas pour objectif de prendre une revanche sur une décision du Conseil constitutionnel, mais elle constitue une réaction suite à un rapport du Conseil des impôts qui a déplu. L'élargissement de la composition du Conseil ne constitue pas une garantie d'indépendance. Au contraire, ces personnalités seront nommées par des personnes politiques, qui ont d'ailleurs toutes aujourd'hui la même couleur politique. Cette réforme présente, de ce fait, un réel risque de déstabilisation.

M. Philippe Rouault, Rapporteur, a rappelé que le texte renforçait, au contraire, les compétences du Conseil en élargissant son champ d'action à l'ensemble des prélèvements obligatoires et des charges sociales. De plus, les règles concernant le secret professionnel et l'interdiction de recevoir des consignes politiques garantissent l'indépendance des membres.

Le Président Pierre Méhaignerie a indiqué qu'il enverrait un courrier aux Présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat afin que, parmi les personnalités nommées, figure un membre proche de l'opposition. Cette proposition de loi corrige une faiblesse du dispositif actuel qui était que les personnes qui ont une expérience de terrain ne prennent pas part à la réflexion du Conseil des impôts. Cette nouvelle proposition permettra de donner une plus grande place aux praticiens.

M. Didier Migaud a noté que l'éventuelle nomination d'une personnalité proche de l'opposition n'était pas suffisante et que la critique tenant à la composition du Conseil des impôts est infondée : la composition actuelle permet de laisser une place à des praticiens tels que des magistrats de la Cour de cassation, confrontés quotidiennement aux problématiques de la fiscalité. Par ailleurs, rien ne garantit que les personnes nommées auront une expérience de terrain.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que cette réforme devrait permettre une plus grande représentativité du Conseil des prélèvements obligatoires et constituerait, par conséquent, un véritable enrichissement.

Puis la Commission a adopté, sans modification, l'article unique de cette proposition.

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