COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 51

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 11 mai 2005
(Séance de 11 h 45)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de M. Thierry Breton, Ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie

2

La commission des Finances a procédé à l'audition de M. Thierry Breton, Ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, sur le projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que la présentation de ce projet correspond bien à la demande explicite de la Commission d'éviter des textes trop hétérogènes.

M. Thierry Breton, Ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, a indiqué que ce projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie a pour ambition de mettre en place, près de deux ans après le vote de la loi de sécurité financière, une stratégie de croissance des entreprises, en modernisant leur fonctionnement et en leur facilitant l'accès à des outils de financement modernes. Pour autant, il ne s'agit pas d'oublier les leçons apprises à l'occasion de l'explosion de la bulle Internet. L'entreprise n'est pas, et ne doit pas être enfermée dans un colloque singulier avec ses actionnaires, mais construire une relation de confiance avec ses clients - ce sera l'objet du texte que présentera M. Christian Jacob sur la modernisation des relations commerciales -, mais aussi avec ses salariés. C'est le rôle de la participation et de l'intéressement, qui s'appuient en France sur une longue tradition, mais qui ne sont pas encore répandus dans les entreprises de plus petite taille.

L'objet principal du texte est d'orienter l'épargne des Français vers les entreprises. L'État a plusieurs outils à sa disposition pour accomplir cet objectif. S'agissant des outils fiscaux, leur discussion aura lieu, comme il est naturel, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances. Mais il est aussi d'autres leviers d'action, et le présent projet en comporte deux.

Il s'agit d'abord de conforter la confiance dans l'investissement en actions, en renforçant la transparence des marchés et en s'assurant que l'autorité de contrôle a tous les moyens de remplir sa mission. Il s'agit, ensuite, de rendre la croissance économique possible sur les marchés, en accompagnant de manière progressive les entreprises dans leurs obligations, à mesure qu'elles abordent des marchés plus matures.

Les introductions en bourse ont redémarré et permis la levée de 38 milliards d'euros en Europe en 2004, contre 9 milliards en 2003. En France, Euronext a connu une cinquantaine d'introductions, dont 42 sur les marchés parisiens, pour 5,5 milliards d'euros. Mais ce sont trop souvent l'État et les entreprises publiques qui animent le marché. Le nombre d'introductions d'entreprises « de croissance » reste trop faible : l'an dernier, 31 introductions ont eu lieu sur le second marché et sur le marché libre, pour lever 140 millions d'euros, tandis que, sur l'Alternative Investment Market londonien, 300 introductions ont permis de lever 6,7 milliards, dont 4 milliards en actions nouvelles. Les marchés ne sont pas totalement comparables, car le London Stock Exchange est plus étroit que la Bourse de Paris, et l'Alternative Investment Market cote plus de fonds que d'entreprises au sens commun du terme, mais le décalage reste impressionnant. Euronext, entreprise privée, a réagi en réorganisant sa cote par la fusion des anciens « premier », « second » et « nouveau » marchés dans une « Euroliste » unique, tout en garantissant l'animation du marché des petites capitalisations par la sélection d'analystes chargés de les suivre. Le législateur a accompagné cette réforme en réorganisant, dans la loi de finances pour 2005, les curseurs fiscaux en fonction d'un critère de capitalisation : ce sont désormais les capitalisations inférieures à 150 millions d'euros qui sont exonérées d'impôt de bourse. Euronext a également lancé un nouveau marché non réglementé, mais plus organisé que le marché libre : Alternext. La première introduction y aura lieu le 18 mai prochain.

Le rôle d'un État moderne est d'accompagner la mutation des marchés en fournissant un environnement juridique adapté. Les pouvoirs publics ont récemment homologué le règlement général de l'AMF, qui permet à Alternext de commencer à fonctionner à droit constant. Mais le présent projet de loi lui permettra de se développer dans un cadre juridique taillé sur mesure, grâce à la réforme de l'appel public à l'épargne, notion spécifique à la France.

Les directives européennes, par exemple, ne connaissent et ne régissent que les marchés réglementés, sur lesquels sont admis à la négociation les titres des sociétés dites « cotées ». Le droit français protège, quant à lui, les épargnants quel que soit le marché, dès lors que le placement a fait l'objet d'une publicité, d'un démarchage ou de l'intervention d'un intermédiaire financier. Le monolithisme de cette notion faisait problème : en raison de la protection toujours plus importante des marchés réglementés, les obligations imposées aux entreprises faisant appel public à l'épargne ont été progressivement alourdies. Il en est résulté un véritable effet de seuil entre le financement de gré à gré et l'accès au marché boursier : cette marche d'escalier est un blocage malvenu, à un stade crucial de la croissance de nos entreprises.

Le projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie tend donc à organiser une démarche progressive d'accès aux marchés financiers, au moyen de deux mesures. La première consiste à élargir, de manière limitée, les exceptions à l'appel public à l'épargne, afin que les entreprises bénéficient d'un sas d'apprentissage des règles de fonctionnement d'un marché, en ajoutant deux nouvelles exceptions, dans le même esprit que celles déjà existantes. Seraient ainsi exemptées les petites opérations, de l'ordre de moins de 2,5 millions d'euros, celles qui précisément, aujourd'hui, ne peuvent être réalisées en raison des coûts de placement du régime d'appel public à l'épargne. De telles opérations sont en réalité davantage destinées à solliciter des personnes déjà proches de l'entreprise, plutôt que le grand public. Symétriquement, les opérations pour lesquelles le « ticket d'entrée » est supérieur à une certaine quotité, par exemple 50.000 euros, seraient elles aussi exemptées, le public capable de débourser une telle somme pouvant être considéré comme averti. Le premier accès au marché serait ainsi facilité, en « solvabilisant » deux segments : le financement de proximité et le marché de gros.

Le deuxième axe de la réforme est sans doute le plus important : il s'agit d'établir une gradation dans les obligations découlant de l'appel public à l'épargne. Les marchés réglementés sont fréquentés par le grand public des actionnaires individuels, et la protection doit donc y être maximale. En revanche, il est légitime que les émetteurs qui recourent aux marchés non réglementés aient moins de contraintes. L'article 8 du projet de loi prévoit donc que les obligations d'information financière pourront être « déclinées » par le règlement général de l'AMF selon les marchés considérés : il y aura un appel public à l'épargne « de base » et un appel public à l'épargne spécifique aux marchés cotés. Parallèlement, un marché organisé qui, comme Alternext, recherche un label de qualité, pourra obtenir un corpus de règles intermédiaires, lui permettant d'attirer une base solide d'investisseurs en restant adapté au public des jeunes émetteurs.

C'est donc une « respiration » intelligente de la notion d'appel public à l'épargne qui est proposée au Parlement. Mais l'orientation de l'épargne vers les entreprises grâce au développement des marchés ne se fera pas sans conforter la confiance. C'est pourquoi les articles suivants mettent en place une série de mesures pour mettre les marchés réglementés aux meilleurs standards européens. Ainsi, les règles relatives au prospectus diffusé lors de l'émission des titres sont revues, notamment pour prévoir un résumé, plus accessible aux investisseurs, ainsi qu'une mise à jour tenant compte de faits significatifs ayant touché l'émetteur.

Parmi les mesures permettant de renforcer la confiance des investisseurs, figurent notamment l'extension du champ de compétence de l'AMF en matière d'injonction et de sanction ; un meilleur encadrement des recommandations d'investissement portant sur des titres cotés, y compris lorsqu'elles émanent de journalistes financiers ; le renforcement des règles relatives à l'information périodique des investisseurs ; une coopération accrue entre l'AMF et ses homologues européennes.

Ces dispositions viennent compléter celles du DDAC sur les marchés financiers que le Sénat a adopté en première lecture, et que l'Assemblée nationale examinera peu après le présent projet. Il met en place deux nouvelles procédures sur les marchés réglementés : la tenue par les entreprises et leurs correspondants de listes d'initiés, qui ont accès à des informations privilégiées, et la mise en place d'une obligation de déclaration de soupçon des opérations d'initiés par les intermédiaires financiers qui reçoivent un ordre suspect.

Le renforcement du pouvoir de sanction de l'AMF est essentiel au bon fonctionnement des marchés financiers. Le droit français actuel prévoit que l'AMF doit faire la preuve, avant de sanctionner une manipulation de marché, que celle-ci a eu un impact effectif sur le cours d'un titre ou sur le bon fonctionnement du marché. Or, un comportement condamnable ne parvient pas forcément à ses fins. Le droit européen considère, quant à lui, que le manquement est punissable dès lors que les comportements fautifs sont avérés. Cette conception est de nature à accroître l'efficacité de l'AMF, qui a présentement beaucoup de mal à sanctionner les manipulations de cours, et qui pourra désormais sanctionner les tentatives de délits d'initiés. Enfin, le projet de loi réorganise le champ d'application des délits et manquements boursiers sur les marchés : les abus de marché seront désormais sanctionnés, même sur les marchés non réglementés, grâce aux sanctions administratives de l'AMF.

Pour compléter cet arsenal élargi, le Gouvernement réfléchit à confier à l'AMF un pouvoir de transaction en matière de manquements et de délits boursiers. Parallèlement, il conviendra de relever le quantum des sanctions, aujourd'hui réduit quand bien même le comportement est grave, dès lors que les profits réalisés n'ont pas été importants. Une telle démarche renforcerait l'autorité de l'AMF, en lui permettant de punir rapidement un comportement fautif. Le Ministre de l'Économie a un dialogue très constructif avec le Garde des Sceaux sur l'éventualité de la mise en place d'une telle procédure. La consultation de la place, dans toutes ses composantes, émetteurs et investisseurs, et des professions juridiques est indispensable. Le Parlement devrait donc être saisi prochainement d'un texte conjuguant l'attractivité de cette procédure, sa sécurité juridique et le respect des prérogatives de la justice.

Au-delà de l'accès aux marchés, ce projet de loi comporte plusieurs dispositions susceptibles de diversifier le financement des entreprises et d'accompagner leur effort d'innovation et de recherche.

Ainsi, un régime adapté est-il proposé pour les financements apportés par les sociétés de revitalisation économique, qui ont vocation à se développer pour accompagner la mutation des territoires.

La réforme du droit des sûretés, qui va réintégrer dans le code civil les nombreuses innovations jurisprudentielles qui ont permis d'adapter les sûretés au monde moderne, permettra aux entreprises de mobiliser dans un cadre juridique plus sécurisé leurs actifs pour obtenir des financements au meilleur coût. Avec la réforme du soutien abusif votée dans le cadre de la loi de sauvegarde des entreprises, c'est un pas de plus pour débloquer l'accès aux financements des entreprises.

Pour ce faire, compte tenu de la longueur des dispositions à prendre, le Gouvernement demandera au Parlement de l'habiliter à légiférer par ordonnance. Cette habilitation permettra notamment au Gouvernement de réformer l'hypothèque. Il s'agit d'assouplir les conditions d'emploi de la sûreté réelle la plus pratiquée par les particuliers, mais aujourd'hui en perte de vitesse, et de rendre possible l'émergence de deux nouveaux produits : l'hypothèque rechargeable et le viager hypothécaire.

Ces réformes ont pour objectif d'élargir l'accès au crédit en abaissant son coût. Le droit français est très focalisé, en matière de prêts, sur la situation personnelle de l'emprunteur, tandis que d'autres pays fondent davantage leur analyse sur la situation « réelle », c'est-à-dire sur l'existence d'une garantie. Le système français a ses avantages, dans la mesure où il limite les accidents de parcours. Mais il a aussi ses défauts : les personnes qui ne peuvent apporter la preuve de revenus réguliers - les entrepreneurs notamment - sont souvent exclues du crédit. Il est donc important de garder une dose de prêts dits « réels » pour pouvoir répondre à toute la demande.

Quant au viager hypothécaire, il vise à ouvrir, dans des conditions sécurisées, le crédit aux personnes âgées, dont les besoins croissent avec l'espérance de vie.

D'une manière plus générale, cette réforme s'inscrit dans le cadre d'une démarche d'ensemble que le Gouvernement souhaite engager à partir de la rentrée pour débloquer l'accès au crédit. Il a été demandé au Comité consultatif du secteur financier d'engager une étude économique approfondie, afin de comprendre comment se rencontrent, dans ce secteur, l'offre et la demande, et d'analyser les points de blocage.

Dans un registre différent, le projet de loi comporte une mesure législative indispensable au bon fonctionnement de l'Agence de l'innovation industrielle voulue par le Président de la République, et qui aura pour mission de participer, aux côtés d'industriels, au financement de grands projets mobilisateurs d'innovation industrielle. L'Agence sera créée par décret, sous la forme d'un établissement public à caractère industriel et commercial, à directoire et conseil de surveillance. En revanche, il est nécessaire de déroger à la loi de démocratisation du secteur public pour élargir le conseil de surveillance à un représentant de l'Assemblée Nationale, un représentant du Sénat et six personnalités qualifiées.

Enfin, le dispositif sera complété par une mesure complémentaire destinée à encourager les entreprises à profiter des bons résultats qu'elles ont engrangés en 2004 pour participer à l'effort d'investissement sur l'avenir. En effet, la France est en retard sur ses objectifs de Lisbonne, non pas tant, d'ailleurs, sur la composante publique de la recherche que sur celle effectuée par les entreprises, les PME en particulier, qui peinent à trouver le financement nécessaire. En outre, les liens entre recherche publique et recherche privée ne sont pas assez développés.

C'est pourquoi il est proposé une mesure exceptionnelle, qui comporte deux volets, répondant à chacune de ces préoccupations. Avec un plafond commun de 2,5 % de leur impôt sur les sociétés, pour l'encouragement de la recherche dans les PME, les entreprises auront la possibilité de déduire de leur impôt 2004 le quart des sommes apportées à des PME innovantes lors d'une augmentation de capital, directement ou par l'intermédiaire de fonds de capital-risque. Pour ce qui a trait aux partenariats entre les entreprises et les laboratoires de recherche, les entreprises pourront déduire 65 % des sommes qu'elles verseront à un centre de recherche pour le financement d'un projet de recherche.

Le projet de loi adapte également, sur deux points, la gouvernance de l'entreprise.

Il s'agit d'abord de rendre possible la participation aux conseils d'administration sous forme de conférence téléphonique, en allant un peu plus loin que le régime actuel qui autorise, depuis 2001, la visioconférence. Il s'agit ensuite de faciliter la tenue de conseils plus fréquents, voire précipités lorsque l'urgence l'exige, ainsi que de diversifier les conseils d'administration en intégrant plus facilement des administrateurs issus d'autres régions, voire d'autres pays. Il est toutefois prévu qu'au moins une réunion par an devra se tenir intégralement sous la forme classique, afin d'examiner les comptes et la proposition de dividende.

La deuxième disposition abaisse les quorums nécessaires pour la première convocation de l'assemblée générale. Les quorums actuels n'étant jamais réunis, cette première réunion est devenue une formalité qui coûte du temps et de l'argent, pour aboutir au résultat contre-productif que les assemblées se tiennent finalement sans quorum. Un quorum réaliste renforcerait la motivation des entreprises pour le réunir dès la première convocation, et serait donc le gage d'une meilleure participation.

Une autre disposition permettra d'appliquer aux dirigeants d'entreprises publiques des règles similaires à celles applicables aux entreprises privées en matière de limite d'âge. L'âge de référence restera fixé à 65 ans, mais les textes législatifs et réglementaires régissant les établissements publics de l'État pourront prévoir d'y déroger, comme peuvent déjà le prévoir les statuts des sociétés commerciales.

Enfin, il paraît important de fluidifier, autant que possible, les rapports entre la sphère publique et la sphère privée. C'est dans cet esprit que le Gouvernement proposera un amendement tendant à réduire le délai au terme duquel un fonctionnaire est autorisé à rejoindre une entreprise dans un secteur qu'il a eu à connaître au titre de ses précédentes fonctions. Ce délai sera désormais fixé, comme dans la plupart des pays voisins, à deux ans. Cette disposition permettra de concilier le nécessaire respect des règles déontologiques et la souhaitable perméabilité entre la fonction publique et le secteur privé.

Le titre 1er consacré à la gouvernance des entreprises accueillera également des dispositions relatives à la rémunération des mandataires sociaux. Face à l'émotion légitime provoquée par un cas particulier récent, le Gouvernement, en accord avec la commission des Lois et son Président, a voulu réagir rapidement et réaffirmer le rôle des actionnaires en la matière. Un amendement du président Pascal Clément vise à améliorer l'information donnée aux actionnaires, dans le cadre du rapport annuel, sur les rémunérations - quelle qu'en soit la nature et y compris les rémunérations différées .- des mandataires sociaux. Le Gouvernement apporte son entier soutien à cet amendement qui permettra d'améliorer la transparence en la matière, gage d'une certaine sagesse, et souhaite compléter cette initiative par des dispositions visant à faire jouer aux actionnaires tout leur rôle, en toute sécurité juridique, en évitant toutefois la démagogie qui guette toujours, s'agissant de questions de cette sorte.

De même que la commission des Lois, le Gouvernement n'est pas favorable à un vote de l'assemblée générale sur la rémunération ordinaire du dirigeant, non plus qu'à un vote consultatif dont on identifierait mal la portée. En revanche, il souhaite que soient désormais soumises à l'assemblée générale, au titre des conventions réglementées, les éléments de rémunérations particulières des mandataires sociaux, y compris les retraites « chapeau » et les indemnités de départ. Par cohérence, il semble également nécessaire de revoir les règles permettant de maintenir un contrat de travail tout en exerçant un mandat social au sein de la même société car, à l'exception des mandataires sociaux représentant les salariés, le rôle des actionnaires et des organes sociaux doit être le même à l'égard de tous les mandataires sociaux.

Le dernier volet de ce projet de loi vise à développer l'intéressement des salariés aux résultats de l'entreprise dans le monde des PME. La participation est aujourd'hui obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés. De manière plus souple, les chefs d'entreprises peuvent négocier des plans d'intéressement avec les partenaires sociaux. Mais force est de constater que ceux-ci restent quand même réservés aux plus grandes entreprises : 61 % des entreprises de plus de 1.000 salariés ont un accord d'intéressement, mais ce taux est seulement de 20 % des entreprises ayant entre 50 et 100 salariés, et de 7,4 % entre 10 et 50 salariés.

Le titre IV du projet de loi tend à faire sortir l'intéressement de ses bases traditionnelles en renforçant les incitations à le mettre en place. Ainsi, le dirigeant d'une entreprise de moins de 100 salariés pourra désormais y accéder, ce qui n'est aujourd'hui le cas que pour les chefs d'entreprise dotés d'un contrat de travail, chose plus fréquente dans les grandes entreprises que dans les petites. Plus directement concerné lui-même, le chef d'entreprise sera incité à mettre en place un système bénéfique pour l'ensemble des salariés. C'est ce qui s'est produit avec les plans d'épargne entreprise lorsque le bénéfice en a été ouvert aux chefs d'entreprise par la précédente majorité. Pour prévenir les excès, il est toutefois prévu que le montant maximum de l'intéressement ne peut dépasser le salaire le plus élevé de l'entreprise.

Le projet tend également à aligner le régime de l'actionnariat salarié dans les sociétés non cotées sur celui des entreprises cotées : elles pourront également offrir un rabais de 20 à 30 % sur les actions distribuées aux salariés. Parallèlement, différentes mesures visent à renforcer l'information et la formation des salariés sur l'épargne salariale.

Pour aller plus loin, il sera proposé à l'Assemblée nationale d'intégrer au projet de loi une mesure permettant le versement d'une prime exceptionnelle d'intéressement sur les résultats 2004. Les entreprises pourront, si elles ont un accord d'intéressement, verser soit 15 % supplémentaires par rapport à l'intéressement versé en 2004, soit 200 euros par salarié, si cela est plus favorable, en conservant le régime social de l'intéressement. Un dispositif similaire sera également offert aux entreprises dans lesquelles il n'y a pas d'accord d'intéressement : le curseur sera alors fixé à 200 euros par salarié, dès lors que la négociation portera aussi sur l'opportunité de mettre en place un accord d'intéressement pour l'avenir. Ainsi, ces entreprises auront mis le pied à l'étrier, et sans doute un certain nombre d'entre elles y resteront accrochées.

Parallèlement, le Ministre délégué aux relations du travail, a commencé à réfléchir, avec deux parlementaires en mission, MM. François Cornut-Gentille et Jacques Godfrain, aux pistes lancées le 23 mars dernier par le Premier ministre pour rénover la participation. Compte tenu des réactions des parties prenantes, sans doute est-il important de conserver le principe du blocage de la participation, mais sans doute aussi faut-il ouvrir le libre choix au niveau de la négociation collective. Mais il faut également tenir parole : le Premier ministre ayant annoncé ce libre choix dès 2005, une mesure de déblocage ponctuelle figure dans le projet de loi.

Le Président Pierre Méhaignerie, a souligné qu'un certain nombre des points évoqués ne seraient traités qu'à l'occasion de la loi de finances, et a donc invité les députés présents à faire porter leurs questions et observations sur le contenu du projet de loi proprement dit. Il a également émis le souhait que les amendements du Gouvernement soient diffusés le plus tôt possible, car il ne serait pas de bonne méthode de n'en avoir connaissance que la veille, voire le jour de l'ouverture de la discussion en séance publique, fixée au mardi 31 mai.

M. Thierry Breton, Ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, a indiqué que les amendements, au nombre d'une demi-douzaine, étaient quasiment prêts, et seraient communiqués à la Commission, en tout état de cause, avant la suspension des travaux de l'Assemblée nationale.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a souhaité obtenir des précisions sur l'exécution du budget. Parmi les dépenses votées, 4 milliards avaient été gelés de façon à faire face à des événements imprévus ; or il semble que ceux-ci aient déjà suscité, hors OPEX, des dépenses estimées à 2 milliards. Le Ministre sera-t-il bien, comme il l'avait annoncé, « intraitable » sur la maîtrise des dépenses ? S'il l'est, il pourra compter sur le soutien résolu de la majorité de la Commission.

M. Thierry Breton, Ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, a dit partager en tous points l'analyse du Rapporteur général et a confirmé qu'il serait « intraitable » dans les arbitrages, dût sa popularité en souffrir...

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a remercié le Ministre et le Gouvernement d'avoir accepté de scinder le projet de loi dit Jacob, qui eût été, dans le cas contraire, trop long et trop hétéroclite. L'élargissement des exceptions à la procédure d'appel public à l'épargne est essentiel, car il crée un moyen terme entre financement de gré à gré et accès au marché réglementé. La transposition des directives « Prospectus » et « Transparence » vient à point nommé, près de deux ans après la loi sur la sécurité financière. Le recours aux ordonnances pour réformer le droit des sûretés est également bienvenu, car le développement du crédit hypothécaire permettra de relancer le financement du logement et l'accession à la propriété.

La relance de l'intéressement passe notamment par des incitations plus fortes dans les entreprises de moins de 100 salariés, et il faut se réjouir qu'un amendement du Gouvernement permette un abondement exceptionnel, compte tenu des excellents résultats des entreprises en 2004. Mais ne faudrait-il pas aller plus loin, et traiter également de la participation ? Le sujet mériterait, il est vrai, de par son importance, un projet de loi spécifique.

S'agissant enfin des rémunérations des dirigeants, il faut distinguer la question de la transparence, qui doit être absolue y compris pour les rémunérations stricto sensu, de celle des modalités de leur fixation. Il est raisonnable de prévoir que seules les rémunérations accessoires ou différées seront décidées par l'assemblée générale des actionnaires dans le cadre de conventions réglementées, mais le risque existe que certains éléments, par exemple ceux qui sont la contrepartie de clauses de non-concurrence, soient alors réintégrés dans la rémunération stricto sensu ; il convient donc que celle-ci soit connue des actionnaires, mais non pas votée par eux, car il y aurait alors danger de paralysie.

M. Tony Dreyfus, après avoir insisté pour que les amendements du Gouvernement soient connus aussitôt que possible et regretté que cette procédure ne permette pas de prendre l'avis du Conseil d'État sur les dispositions concernées, a jugé que le contenu du projet lui-même était par trop lisse, et donnait une impression d'inachèvement. Des précisions seraient notamment nécessaires sur les incitations données aux entreprises pour augmenter l'intéressement, ainsi que sur le déblocage des fonds de participation.

M. Philippe Auberger a approuvé les orientations du projet de loi, qui se situe dans la continuité de la loi de sécurité financière, mais s'est inquiété des conditions dans lesquelles intervient le réveil du marché financier des actions. Certaines entreprises consacrent en effet leurs résultats à racheter leurs propres actions, créant un phénomène d'attrition qui n'est pas forcément souhaitable. De plus, l'activité du marché est très liée à la mise sur le marché des entreprises publiques : le calendrier prévu sera-t-il tenu en ce qui concerne GDF, puis EDF ? L'épargne française est actuellement trop liquide, et a tendance à se porter sur les produits de taux plutôt que sur les actions, notamment pour des raisons fiscales, au nombre desquelles on peut identifier la suppression récente de l'avoir fiscal. Il est donc temps que la réflexion en cours sur la fiscalité de l'épargne dans son ensemble aboutisse.

Enfin, l'article 8 du projet de loi permet aux sociétés locales d'épargne, qui dépendent des caisses d'épargne, de procéder à des appels de fond. Quel est l'objet de cette disposition ? Une partie des sommes collectées sera-t-elle affectée au Fonds de réserve des retraites ?

M. Nicolas Perruchot a estimé que nombre des dispositions du projet de loi allaient dans le bon sens, notamment celles relatives à l'accès des PME à l'épargne, au renforcement des pouvoirs de l'AMF, à la gouvernance des entreprises et à l'intéressement. Il y a lieu d'être plus sceptique, en revanche, sur l'opportunité de créer une Agence de l'innovation industrielle. L'article 21, relatif aux tabacs, laisse hélas de côté le problème de fond posé par les achats croissants effectués au Luxembourg ou en Espagne, où les prix des cigarettes sont plus bas. Le manque à gagner, pour l'État, est estimé à quelque 2 milliards d'euros en année pleine. Quant aux dispositions relatives aux rémunérations des dirigeants d'entreprises, s'appliqueront-elles aussi aux entreprises publiques ? Et que se passera-t-il lorsqu'une assemblée générale refusera d'adopter une convention réglementée ? L'argent devra-t-il être rendu ?

M. Hervé Novelli a estimé que le problème principal est celui de l'orientation de l'épargne vers l'entreprise, et demandé si des mesures fiscales étaient envisagées, soit dans le cadre du projet de loi en faveur des PME, soit dans celui de la loi de finances pour 2006, afin de favoriser les investissements des personnes physiques dans les PME. Il s'est également enquis de l'intention éventuelle du Gouvernement d'étendre le champ du crédit d'impôt recherche pour parer à l'atonie de la recherche privée.

M. Jean-Pierre Balligand s'est dit perplexe quant aux conséquences de l'article 2, qui tend à abaisser à 20 % le quorum requis pour la tenue de l'assemblée générale des actionnaires. La vraie question, selon lui, est celle de savoir comment favoriser la participation des actionnaires individuels, étant donné que les investisseurs institutionnels ont d'autres moyens d'exercer leur contrôle. Les interrogations suscitées par les dispositions relatives à l'épargne salariale et à la participation ne sont pas moindres. Quelle cohérence y a-t-il à permettre le déblocage de la participation, lorsque l'on dit vouloir orienter l'épargne à long terme vers l'entreprise ? S'agit-il d'un infléchissement de la doctrine jusqu'ici en vigueur, ou d'une simple mesure ponctuelle destinée à stimuler la consommation ?

M. Jean-Jacques Descamps a dit partager cette dernière interrogation.

M. Thierry Breton, Ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, a apporté, en réponse aux différents intervenants, les précisions suivantes :

- le but du présent projet n'est pas de réformer la participation, sujet assez important et complexe pour faire l'objet, sans doute en 2006, d'un texte sui generis, lequel sera notamment alimenté par les réflexions de la mission confiée à MM. François Cornut-Gentille et Jacques Godfrain. Quant à l'intéressement, il bénéficie d'une mesure exceptionnelle cette année, en raison des résultats eux-mêmes exceptionnels enregistrés par les entreprises en 2004 ; elle devrait inciter celles qui n'ont pas encore de dispositif d'intéressement à en adopter un, et leurs salariés à le revendiquer ;

- le projet est moins complexe qu'il n'y paraît, et moins « lisse » que n'a bien voulu le dire M. Tony Dreyfus. Les amendements du Gouvernement ne seront guère nombreux, et seront communiqués sans tarder à la Commission : quatre porteront sur la transparence des rémunérations des dirigeants, un autre tend à ramener à deux ans le délai dans lequel un fonctionnaire est autorisé à rejoindre une entreprise dans un secteur dont il a eu à connaître dans l'exercice de ses fonctions ;

- le Gouvernement considère, comme M. Philippe Auberger, que la vocation d'une entreprise ne consiste pas à racheter ses propres actions, et les services du ministère réfléchissent actuellement à un dispositif qui permettrait de mieux encadre cette pratique ;

- tout est prêt pour l'ouverture du capital de GDF, mais celle-ci devra attendre le redressement des marchés, annoncé pour la fin de mai ou le début de juin 2005. Quant à celle d'EDF, les récents développements intervenus en Italie permettent de l'envisager pour la fin de l'année 2005. Les deux entreprises devraient ainsi être en mesure de trouver les fonds propres dont elles ont besoin pour leur développement ;

- l'Agence de l'innovation industrielle sera financée à hauteur de 2 milliards par les revenus des privatisations ;

- l'article 21 relatif aux tabacs ne vise pas à résoudre le problème fiscal évoqué par M. Nicolas Perruchot, et qui recevra une réponse dans un autre cadre, mais à éviter que soit contournée une législation destinée à protéger la santé publique ;

- les dispositions relatives aux rémunérations des dirigeants d'entreprises s'appliqueront naturellement aux entreprises publiques. Les assemblées générales auront à voter, sur proposition des commissaires aux comptes, des conventions réglementées portant sur toutes les rémunérations différées ou donnant lieu à contractualisation, hors rémunérations normales annuelles. Cette solution de bon sens est également celle qui offre la meilleure sécurité juridique. Une convention repoussée par l'assemblée générale ne pourra s'appliquer, et personne n'aura à rendre d'argent, puisque les sommes, par définition s'agissant de rémunérations différées, n'auront pas été versées ;

- le crédit d'impôt recherche fonctionne bien, mais peut-être n'est-il pas assez connu ni, donc, assez utilisé. Le Gouvernement l'a déjà augmenté, mais n'exclut pas de le faire à nouveau, si cela apparaissait nécessaire ;

- l'abaissement de 25 % à 20 % du quorum requis pour la tenue des assemblées générales n'a pas pour but de permettre à celles-ci de se réunir en petit comité, ce qu'elles font déjà, du reste, lors de la seconde convocation, après que la première a échoué. Il s'agit, en fixant un seuil réaliste, d'inciter les actionnaires à se déplacer dès la première convocation, afin de pouvoir délibérer valablement, sans perdre inutilement plusieurs semaines. Au demeurant, les assemblées qui, actuellement, réussissent à atteindre le quorum dès la première convocation sont généralement celles qui sont le mieux contrôlées par un petit nombre de gros actionnaires, ce qui n'est pas forcément un gage de démocratie.

M. Pierre Bourguignon a insisté pour que le Gouvernement dépose ses amendements dans les plus brefs délais et a demandé si un bilan avait été fait de la mesure d'exonération fiscale des dons que l'article 14 tend à proroger. On peut craindre en effet que son principal, sinon son seul effet ait été de permettre à des gens déjà fortunés d'échapper à l'impôt.

Usant de la faculté, reconnue par l'article 38 du Règlement, à tout député qui n'est pas membre d'une commission permanente d'y prendre la parole, M. Arnaud Montebourg a demandé au Ministre le nombre exact d'amendements qu'il entendait déposer : s'il en a annoncé une demi-douzaine, il n'en a énuméré que cinq. Le sixième ne serait-il pas celui qui consisterait à étendre, comme il en avait été question à propos du projet de loi Gaymard-Jacob, la procédure du « plaider-coupable », fort critiquée récemment, et à juste titre, par la Cour de cassation, au domaine de compétence de l'AMF ? Il y aurait tout lieu de craindre, si tel était le cas, un danger d'étouffement pur et simple des « affaires ».

M. Thierry Breton, Ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, a affirmé qu'aucun amendement en ce sens ne serait déposé par le Gouvernement. Celui-ci réfléchit en revanche à l'idée de donner à l'AMF un pouvoir de transaction, mais toute réforme d'ampleur de cette institution suppose naturellement une discussion préalable et approfondie avec l'ensemble des acteurs de la place.

M. Arnaud Montebourg a demandé si le Gouvernement envisageait quelque avancée, à terme rapproché, sur l'épineuse question de la responsabilité des administrateurs défaillants, qui fait l'objet d'une proposition de loi qui a recueilli un certain consensus en commission des Lois.

M. Thierry Breton, Ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, a répondu que le Gouvernement n'avait pas de projet en ce sens.

M. Jean-Louis Dumont s'est dit préoccupé, en tant que parlementaire frontalier, par l'ampleur des achats de cigarettes dans les pays voisins, où leur prix est plus bas. Le développement du crédit hypothécaire offre des perspectives intéressantes, mais le recours aux ordonnances est critiquable. Le Gouvernement associera-t-il la commission des Finances, au-delà de son Président et de son Rapporteur général, à leur rédaction ? Il serait bon, par ailleurs, que le Ministre de l'Économie donne, ce qu'il n'a pas encore fait depuis sa prise de fonctions, son opinion sur le financement du logement social, tant en ce qui concerne la construction neuve que la réhabilitation et l'accession à la propriété. Enfin, la possibilité de déblocage de l'épargne salariale pose la question du statut même de cette épargne.

Le Président Pierre Méhaignerie a observé que les commissions versées aux intermédiaires du logement social pouvaient paraître élevées et a souhaité que l'on plafonne le dispositif dit « Robien » pour parer au risque que soient construits des logements sans locataires.

M. Nicolas Perruchot a estimé que ce risque était déjà une réalité.

M. Thierry Breton, Ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, a souligné que l'exonération fiscale des dons n'était prorogée que jusqu'à la fin de l'année 2005 et que le bilan de la mesure serait dressé d'ici là. Les amendements du Gouvernement seront déposés ce jour même, et seront au nombre de six ou sept, dont aucun ne portera sur l'AMF, le Gouvernement poursuivant sa réflexion sur les moyens propres à améliorer la réactivité de la place de Paris. Le Parlement sera associé, naturellement, à la rédaction des ordonnances sur le droit des sûretés. Enfin, la question du logement social sera largement évoquée lors de la prochaine audition des Ministres en Commission, le 21 juin prochain.

--____--


© Assemblée nationale