COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 57

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 21 juin 2005
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Philippe SÉGUIN, Premier Président de la Cour des comptes, sur les résultats budgétaires 2004.

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La commission des Finances a procédé à l'audition de M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes accompagné de M. François Delafosse, Président de la première chambre et M.  Jean-Raphaël Alventosa, Rapporteur général de l'exécution budgétaire, sur les résultats de l'exécution budgétaire 2004.

M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes, a rappelé que la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit, en son article 58-3, que la mission d'assistance au Parlement confiée à la Cour des comptes par le dernier alinéa de l'article 47 de la Constitution comporte désormais le dépôt d'un rapport préliminaire, conjoint au dépôt du rapport du Gouvernement, prévu par l'article 48 de la LOLF, sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques, et relatif aux résultats de l'exécution de l'exercice antérieur.

Certes, la Cour rédigeait déjà un rapport préliminaire, mais qui n'avait pas de fondement législatif. Il s'agissait alors de fournir aux assemblées, à leur demande, des éléments d'information sur les conditions d'exécution de la loi de finances, alors même que le rapport conjoint au dépôt du projet de loi de règlement n'était déposé que plusieurs mois après la clôture des comptes. Le rapport « préliminaire » était, de fait, préliminaire au rapport sur l'exécution des lois de finances, souvent qualifié d'ailleurs de rapport « définitif ».

Les dispositions de la LOLF ont modifié en profondeur l'agencement des travaux destinés aux assemblées, en demandant désormais à la Cour de fournir trois rapports aux objets bien distincts : le rapport prévu à l'article 58-3, préliminaire au débat d'orientation budgétaire prévu à l'article 48 ; le rapport visé à l'article 58-4 sur les résultats et la gestion budgétaire, conjoint au dépôt de la loi de règlement et un compte rendu des vérifications sur les comptes, réalisé à l'occasion de la certification en vertu de l'article 58-5.

En conséquence, l'analyse financière de la situation de l'État et des administrations publiques relève du rapport préliminaire et pose les termes généraux du débat de politique budgétaire. Le contrôle des résultats, budgétaires et non budgétaires, à côté de celui de la régularité de l'exécution budgétaire et de la qualité de la gestion budgétaire dans les ministères - et désormais dans les missions et les programmes - relève du rapport sur l'exécution, ex-RELF, et plus précisément du rapport sur les résultats et la gestion budgétaire. C'est dans ce rapport que figure le suivi de la mise en œuvre de la LOLF, avec le contrôle de premier niveau de la performance et celui de la lisibilité des données fournies aux assemblées. Enfin, le contrôle de la comptabilité de l'État et le compte rendu des vérifications renvoient, évidemment, au rapport sur les comptes.

S'agissant du rapport préliminaire, plusieurs caractéristiques tempèrent son identité nouvelle. La réflexion est d'abord compliquée par le fait que, s'il a changé de contenu, l'intitulé du document reste le même. Le rapport est toujours préliminaire, mais ne s'applique pas au même événement : il s'analyse comme une contribution de la Cour au débat d'orientation budgétaire, et non plus comme une introduction au rapport sur la loi de règlement, aujourd'hui publié à quelques semaines d'intervalle. Il n'est même pas exclu que, l'année prochaine, le rapport préliminaire paraisse après le rapport sur les résultats et celui sur les comptes, la LOLF disposant que ces deux documents doivent être déposés en même temps que le rapport sur la loi de règlement, c'est-à-dire avant le 1er juin, alors que le débat d'orientation budgétaire a lieu dans le courant du mois de juin.

Enfin, pour la première fois, le rapport préliminaire est rendu public au moment de sa remise aux assemblées. Il est en effet apparu qu'il ne pouvait rester confidentiel : chacun y ayant accès dès sa distribution, sa publicité était réalisée dans de très mauvaises conditions, et permettait des commentaires plus ou moins improvisés. La Cour a décidé de le publier pour éviter les informations partielles ou de seconde main, ainsi que les interprétations intempestives fondées sur des fuites.

Le rapport comprend une mise en perspective des résultats dans le temps et dans l'espace. Il replace en effet les résultats de l'exécution de l'exercice antérieur dans le cadre d'une analyse rétrospective de moyen terme et développe des observations portant sur la dernière loi de finances initiale votée - déficits, grandes masses de crédits et de recettes - et sur le début de l'exécution en cours. Il ne s'interdit pas d'apprécier la portée des chiffres et des hypothèses de moyen terme fournies par l'exécutif. Il s'essaie à poser quelques questions sur les méthodes mises en œuvre pour piloter les questions budgétaires, sur la base des informations disponibles.

En ce qui concerne l'environnement de l'État, le rapport présente une analyse des résultats comparés de la France. Il rappelle également quelques interrogations sur les relations avec les grands partenaires publics : collectivités territoriales, organismes divers d'administration centrale, administrations de sécurité sociale, il annonce ainsi le rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale présenté à l'ouverture de la session ordinaire. Il s'agit, somme toute, de se préparer à mesurer la performance, maître mot de la LOLF, dans un domaine éminemment sensible et difficile : la politique budgétaire.

La Cour, conformément à l'article 58 de la loi organique, a soumis ses observations à la contradiction du ministre de l'Économie. À la fin du rapport sont présentées les observations de ce dernier, qui se félicite de la contribution de la Cour au débat sur la situation des finances publiques. Il s'agit d'un encouragement à persévérer sur la voie des réformes auxquelles invite la LOLF.

S'agissant de l'exécution du budget et de la situation des finances publiques, on doit noter plusieurs points positifs, mais aussi certains motifs de préoccupation.

L'exercice budgétaire 2004 a incontestablement marqué une rupture avec les quatre exercices précédents. Le déficit d'exécution s'est en effet réduit de manière significative, pour atteindre 43,9 milliards d'euros. L'ampleur de cette baisse ne doit pas être mésestimée, car elle a permis, en un an, de combler la moitié de la dégradation enregistrée entre 2001 et 2003, dans un contexte économique alors défavorable. Cette amélioration, prévue en loi de finances initiale, s'est par ailleurs amplifiée en gestion, le résultat étant de 20 % meilleur que l'objectif visé. La norme de stabilité des dépenses en volume a été respectée, mais il convient de tempérer ce résultat positif en examinant les modalités qui ont permis de l'atteindre.

Le premier sujet de préoccupation est la situation du solde primaire, c'est-à-dire du solde budgétaire après déduction des charges de la dette. En 2004, ce déficit primaire s'est établi à 5,86 milliards, ce qui est incontestablement mieux que les 19,3 milliards enregistrés l'année précédente. Mais cette amélioration paraît relativement timide, si on la replace dans une perspective pluriannuelle : c'est en fait la troisième année consécutive que ce solde primaire est négatif, donc que l'État est en déficit avant même d'acquitter les intérêts de sa dette. Ce simple fait constitue une rupture sur le moyen terme, après la longue amélioration qui a pris fin en 2000.

Il s'ensuit que les charges d'intérêt sont elles-mêmes partiellement financées par l'emprunt, l'endettement augmentant ainsi de façon autonome. En outre, dans l'hypothèse, actuellement vérifiée, où les taux d'intérêt de la dette sont supérieurs au taux de croissance de l'économie, la part de la dette dans le PIB tend à s'accroître naturellement. Seule l'apparition d'un solde primaire positif pourrait stopper ou inverser cette tendance ; ce n'est pas le cas. En d'autres termes, la situation budgétaire de l'État le conduit à s'endetter de façon importante chaque année pour assumer ses dépenses courantes : il vit ainsi à crédit quinze jours par an.

En outre, l'amélioration du solde budgétaire tient pour l'essentiel à une progression des recettes, expliquée par une amélioration de la conjoncture. Stimulée par une consommation des ménages soutenue, la croissance économique a en effet atteint 2,4 %, alors que la loi de finances initiale pour 2004 anticipait un taux de croissance de 1,7 % seulement. Sur la période, les ressources fiscales nettes ont ainsi augmenté de 10,9%. Sans l'effet de mesures nouvelles, et à périmètre constant, leur progression spontanée atteint 7,3 %, avec une dynamique particulièrement forte en fin d'année, la conjoncture bénéficiant donc activement au léger rétablissement observé.

Il est utile de préciser à cet égard que la lecture de l'évolution du solde budgétaire est compliquée par les modifications de périmètres, notables en recettes comme en dépenses. Ainsi, une part du dynamisme des premières tient-elle à la réintégration des recettes affectées au FOREC, à hauteur de 9,6 milliards. Ainsi également, la norme affichée de stabilité des secondes en volume masque-t-elle une progression sensible des prélèvements sur recettes et des dépenses fiscales. Ces deux types d'agrégats ne sont pas en effet comptabilisés comme des dépenses ; leur vive progression peut donc permettre d'accroître les moyens d'action de l'État sans remettre en cause la stabilité de la dépense en volume, cette dernière étant considérée stricto sensu.

Le cas des prélèvements sur recettes, qui ont connu une hausse de 15,4 % en 2004, du fait de la réorganisation des modalités de versement des concours de l'État, et qui ont progressé de moitié en cinq ans, illustre clairement ce constat. Cette forme de débudgétisation est neutre pour le solde global des administrations publiques, mais elle donne une image formelle de la progression des dépenses de l'État, qui ne reflète pas l'étendue d'interventions publiques empruntant d'autres circuits.

Si l'on neutralise les changements de périmètres réalisés, force est donc de reconnaître que les dépenses nettes du budget général ne s'inscrivent pas dans une stabilité en volume, mais dans une progression en valeur de quelque 3,6 %, pour atteindre 290,9 milliards d'euros.

La comparaison est, en ce domaine plus qu'en tout autre, utile pour tirer des enseignements de ce constat. Aussi faut-il rappeler qu'au cours de la même année, et malgré un contexte économique moins favorable, l'Allemagne a pu stabiliser le montant total de ses dépenses publiques, non en volume, mais en valeur.

En faisant abstraction de ces phénomènes de débudgétisation, les modalités selon lesquelles la dépense publique s'est opérée en 2004 méritent, par ailleurs, d'être commentées. En effet, contenir la dépense au niveau voté en loi de finances était possible de deux manières : soit en créant les conditions d'une remise en cause du coût de fonctionnement de l'État ; soit, à défaut de marges de manœuvre qui auraient ainsi pu être ménagées, en menant une action de régulation infra-annuelle. C'est manifestement cette voie qui a été suivie, non sans soulever certaines difficultés.

Le montant des crédits annulés a atteint 4,5 milliards d'euros en 2004. Ce volume est certes en retrait par rapport aux 6,9 milliards d'euros de l'année précédente. Mais il continue de refléter un besoin, qui est en soi préoccupant et qui est étroitement lié à la difficulté de maîtriser l'évolution structurelle de la dépense. Il faut en outre noter que, malgré leur légère contraction, les annulations ont répondu aux mêmes logiques que les années passées, et ont été supportées par quelques ministères, dont les plus dépensiers ont été largement dispensés. De tels choix, constants, remettent en cause la sincérité de prévisions qui ignorent la mise en réserve systématique, dès le début de la gestion, de crédits dont une partie sera annulée.

Qui plus est, cette diminution sensible des annulations de crédits n'a pu être obtenue qu'au prix d'une augmentation des reports de crédits et d'un blocage des dépenses militaires en capital en fin d'année, puisqu'un milliard d'euros de paiements ont été suspendus en décembre 2004 et reportés au début de l'exercice suivant. Ces décisions portent les reports du budget 2004 à un montant de 10 milliards d'euros, alors qu'ils s'établissaient à 9 milliards l'année précédente. Cette progression met fin à un mouvement continu de diminution des reports, mouvement qui était vertueux, en ce qu'il rapprochait la pratique budgétaire des principes imposés par la LOLF. Il faut en effet rappeler que, dès 2006, les reports ne pourront plus dépasser 3 % du montant des crédits initiaux de chaque programme, plafond qui a été nettement dépassé en 2004, mais qui ne pourra plus l'être dans un proche avenir.

Si le besoin de financement de l'État se réduit de 10 milliards en comptabilité nationale, des mouvements de natures diverses animent, en effet, les autres budgets publics. Ainsi, les organismes divers d'administration centrale, ou ODAC, voient leur excédent budgétaire s'accroître de 5 milliards pour atteindre 9,9 milliards. Mais les recettes de ces organismes intègrent des dotations en capital, versées depuis le budget de l'État pour un total de 4,2 milliards, ces mouvements dégradant d'autant le solde du budget de l'État. Par ailleurs, et pour la première fois depuis près de dix ans, les collectivités locales ont dégagé un solde négatif de 1,9 milliard d'euros, qui prolonge une dégradation déjà engagée en 2003, la progression de 7 % des recettes trouvant plus que sa contrepartie dans un accroissement de 8,5 % des dépenses, les facteurs de cette progression étant indifféremment le fonctionnement et l'investissement.

Enfin, les comptes sociaux sont de plus en plus déficitaires - 15,9 milliards en 2004 au lieu de 9,8 milliards en 2003 - sous l'effet notamment d'une progression de près de 5 % des dépenses de la branche maladie, ce qui représente une certaine décélération par rapport aux années antérieures, mais ne peut amener à conclure que la dépense est maîtrisée.

Ces diverses évolutions trouvent leur pleine concrétisation dans une évolution de 7,2 % de la dette publique, qui s'établit à ce jour au montant, jamais atteint auparavant, de 1 067 milliards d'euros. Dans cette progression, l'État et les ODAC portent une pleine responsabilité, mais la valeur de leur dette s'accroît de 76 milliards, soit nettement plus que leur besoin de financement. La différence s'explique en fait par le nouveau transfert de 32 milliards de dettes sociales vers la CADES, caisse classée parmi les ODAC. La dette des administrations publiques locales s'est, quant à elle, accrue de 2,4 millions d'euros par rapport à 2003, tandis que la réduction de la dette des administrations de sécurité sociale obligatoire résulte du transfert de dettes à la CADES. En définitive, à l'heure actuelle, la dette par actif des administrations publiques représente près de deux ans de son salaire net moyen.

Les comparaisons européennes montrent que, si l'évolution relative de la France reste proche, sur bien des points, de celle de l'Allemagne, ces deux États divergent du plus grand nombre de leurs partenaires ; ils représentent d'ailleurs, ensemble, les deux tiers du total des déficits publics notifiés par les États de la zone euro. La France, comme l'Allemagne, est en situation de déficit primaire de 0,8 point de PIB, quand la moyenne de l'Union européenne à quinze est en excédent de 0,4 point. Quant au déficit structurel, il s'établit à 3,5 % du PIB, niveau qui reflète une faible amélioration de 0,4 % selon la Commission européenne, et qui place la France nettement au-dessus de la moyenne des Quinze, laquelle est de 2,3 %.

Enfin, la dette publique a dépassé pour la première fois la moyenne de l'Union européenne à quinze - 65,6 % du PIB contre 64,7 % -, avec deux conséquences négatives. En premier lieu, le niveau des charges d'intérêt supportées augmente et tend vers la moyenne de l'Union européenne, soit 2,9 % du PIB. En second lieu, l'avantage relatif dont disposaient la France et l'Allemagne en matière de taux d'emprunt s'érode ; si les taux appliqués restent parmi les plus bas de la zone euro, ils bénéficient désormais aussi à d'autres États budgétairement plus vertueux.

L'assainissement des finances de l'État, incontestablement difficile, doit être poursuivi. Certaines pistes d'évolution paraissent s'imposer, tant il est clair que les résultats obtenus en 2004 sont assis sur une politique de régulation et non sur une politique de réexamen des interventions de l'État.

Tout d'abord, une plus grande prudence dans l'établissement des prévisions serait certainement pertinente. Il s'agirait d'asseoir les prévisions économiques à moyen terme sur le taux moyen de croissance observé en France en longue période, soit environ 2 %, plutôt que sur des taux de croissance potentiels, rarement atteints. Cette option, pragmatique, atténuerait le risque de devoir répondre par la régulation à une croissance atone, inférieure à des prévisions trop optimistes.

En second lieu, il faut absolument prendre en compte la pesanteur de certaines dépenses publiques, engagées dans une dynamique qui les amène à s'accroître d'année en année. C'est le cas des charges de la dette et des dépenses de personnel et de fonctionnement, qui représentent 61 % des dépenses du budget général, sont incompressibles à court terme et expliquent 80 % de l'augmentation des dépenses entre 1999 et 2004. Encore faut-il préciser que la progression aurait pu être plus forte encore : si la dette elle-même s'est accrue de 30,6 % au cours de cette période, les taux d'intérêt ont baissé simultanément, limitant la progression du service annuel de la dette à 3,4 milliards d'euros. Les dépenses d'intervention semblent stables, mais la prise en compte des débudgétisations conduit à tempérer cette analyse, pour mettre en évidence une progression de 22,6 % des interventions au cours de la même période. Ces évolutions illustrent le degré de contrainte qui pèse sur le budget, ainsi que la difficulté de maîtriser et, a fortiori, de réduire la dépense.

Cette pesanteur, qui prive le budget de l'État de réelles marges de manœuvre, produit ses pleins effets si l'on se place dans une perspective pluriannuelle. Les budgets futurs de la période couverte par le dernier programme de stabilité - 2006-2008 - devront en effet supporter la charge à retardement des mesures déjà prises et le poids des tendances lourdes de la gestion budgétaire. Ainsi, en recettes, diverses décisions d'allégements fiscaux - mesures de soutien à la consommation, baisse des droits de succession - sont déjà annoncées, qui constituent autant de dépenses fiscales, pour un coût évalué à 3,3 milliards en 2006. La non-reconduction de la soulte EDF, égale à 7,7 milliards en 2005, aura également un impact sur les recettes.

En dépenses, les charges d'intérêt devraient progresser, selon le programme de stabilité, de 2,3 à 2,5 milliards par an, pour atteindre 47 milliards en 2008. Encore cette prévision ne tient-elle pas compte du risque d'augmentation des taux d'intérêt, que fait planer l'aggravation de l'endettement : à terme, une hausse de 100 points de base alourdirait de 10 milliards la charge annuelle de la dette. Moins explosive, la progression des charges de personnel n'en est pas moins réelle : une estimation fondée sur l'observation des années passées montre en effet qu'elles s'accroissent de 3 % l'an en moyenne, soit plus qu'il n'est indiqué dans le programme de stabilité, Ainsi, à défaut d'évolutions structurelles, la seule progression des charges d'intérêt et des dépenses de personnel sera de 6 milliards par an.

La mission de la Cour n'est pas d'établir une politique budgétaire de rechange. Elle peut en revanche formuler des observations méthodologiques. Plusieurs actions mériteraient pour le moins d'être accentuées.

La première priorité devrait être de produire un excédent primaire, de façon à réduire le risque d'une croissance auto-entretenue de la dette. Pour ce faire, la stabilisation des dépenses en volume est inopérante lorsqu'elle s'accompagne d'une baisse des recettes fiscales.

Par ailleurs, il conviendrait d'évaluer l'efficacité des dépenses et de privilégier les plus utiles pour optimiser l'utilisation des deniers publics. La Cour peut prendre sa part dans la poursuite de cet objectif. Au vu du nombre important de ministères prioritaires et du volume des dépenses difficilement compressibles, qui conduisent à faire porter les recherches d'économies sur une part très faible du budget, l'exécutif devrait mener une stratégie ambitieuse de réforme de l'administration de l'État et de ses actions : modernisation des services publics, maîtrise de l'évolution de la masse salariale, réflexion sur les interventions, remise en cause des dépenses fiscales, etc....

Il serait enfin aussi illusoire que stérile de ne faire porter les réformes suggérées et l'effort de maîtrise des dépenses que sur l'État, dès lors que son budget ne représente que 40 % de la dépense publique. Ainsi, les objectifs fixés à l'assurance maladie sont systématiquement dépassés en exécution et les dépenses des collectivités territoriales ont progressé, au cours des vingt dernières années, à un rythme supérieur à 2 % du PIB, sans qu'un objectif d'évolution ait été fixé a priori. Pour sortir de cette situation, il est indispensable de développer une concertation accrue, afin de mieux partager les responsabilités au sein des administrations publiques. D'une façon générale, une information partagée et de qualité sur les perspectives et les enjeux des finances publiques serait de nature à permettre des débats éclairés sur les choix qui restent à faire.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s'est dit frappé de la convergence des analyses que font la Cour des comptes et la commission des Finances de la dégradation des finances publiques. Il est consternant que, malgré l'exécution exceptionnelle du budget 2004, qui a permis de réduire de quelque 13 milliards d'euros le déficit par rapport à l'exercice précédent, il subsiste un déficit primaire de 5 milliards d'euros. Il s'ensuit que la dette publique s'alimente d'elle-même, que l'endettement, rapporté au PIB, dépasse désormais la moyenne européenne et que la France devient ainsi plus vulnérable à une éventuelle hausse des taux d'intérêt.

On observe, en outre, que les reports, qui n'avaient cessé de se réduire depuis 2002, augmentent à nouveau d'un milliard, ce qui semble être l'effet mécanique de la régulation budgétaire telle qu'elle est pratiquée et de l'ouverture de crédits en loi de finances rectificative. Quant à la norme « zéro volume » imposée à la progression des dépenses, elle est contournée par la progression des dépenses fiscales, que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne permet malheureusement pas de regrouper dans la présentation de la loi de finances, ce qui pose pour le moins un problème de visibilité. Le FOREC est enfin budgétisé ; il faudra veiller à ce que le Gouvernement s'y tienne !

La Cour regrette à juste titre que la gestion de la dépense se fasse dans un cadre infra-annuel et non pluriannuel, mais le regroupement, dans un même ministère, du budget et de la réforme de l'État n'ouvre-t-il pas de nouvelles perspectives, au moment où viennent d'être élaborées les stratégies ministérielles de réforme et où le « noyau dur » de la LOLF, c'est-à-dire son article 7, va entrer en vigueur ?

Sans doute serait-il plus efficace de stabiliser la dépense en valeur et non plus en volume, mais comment faire, compte tenu de la rigidité des dépenses de personnel et des dépenses des « guichets sociaux » du titre IV ? Au reste, la dépense publique ne se limite pas, tant s'en faut, à celle de l'État : elle est aussi le fait des organismes de sécurité sociale et des collectivités locales. Or, en 2005, les régions ont augmenté, en moyenne, leurs dépenses de plus de 13 %, et leurs taux de taxe professionnelle de plus de 20 %. Le temps d'une approche plus normative de la dépense locale n'est-il pas venu ?

S'agissant de la régulation budgétaire, un amendement prévoyant la fixation, à titre indicatif, en annexe à la loi de finances, d'un taux unique de mise en réserve pour les crédits du titre II, d'une part, et hors titre II, d'autre part, a été adopté par l'Assemblée. Il serait intéressant de connaître l'avis de la Cour sur cette disposition, ainsi que sur l'idée consistant à fixer par avance, en loi de finances, les modalités d'affectation des éventuels surplus de recettes fiscales.

M. Didier Migaud a remercié le Premier Président de n'avoir pas recouru à la langue de bois pour présenter le rapport préliminaire de la Cour, et observé que la tonalité de son propos contrastait fortement avec l'enthousiasme suscité chez le Rapporteur général par l'exécution du budget 2004.

Les résultats affichés n'ont été obtenus qu'au prix de procédés budgétaires de court terme, dont quelques-uns sont illustrés par le rapport. Il serait d'ailleurs utile à la Représentation nationale, dans le cadre de la préparation du budget 2006, que la Cour dresse la liste complète des postes qui lui paraissent sous-dotés ou non dotés, ainsi que des dotations manifestement surestimées.

Ainsi que l'a souligné le Premier Président, fixer une norme d'évolution des dépenses n'a quasiment aucun sens s'il suffit de faire preuve d'un peu d'imagination pour la contourner : la preuve en est qu'elles ont augmenté de 3,6 % en valeur en 2004, alors qu'elles étaient censées rester stables en volume. Crédits d'impôt et réductions d'impôt semblent devenus la panacée d'un certain nombre de politiques publiques, ce qui fausse nombre de comparaisons. Le fait que non seulement le solde primaire, mais tous les indicateurs sans exception, se soient dégradés depuis 2002 sous l'effet des baisses d'impôts doit faire réfléchir, et il serait du plus grand intérêt que la Cour fournisse quelques éléments d'appréciation sur l'évolution des finances publiques en prenant comme point de départ l'audit effectué en juin 2002 par deux de ses membres.

S'agissant des dépenses des collectivités locales, le rapport préliminaire comporte des éléments très intéressants, qui montrent que le poste qui progresse le plus vite est celui correspondant aux compétences transférées aux départements. Il serait souhaitable que la Cour apporte quelques précisions supplémentaires à ce sujet, et son rapport de l'an prochain sera du plus grand intérêt, car il n'y a pas, jusqu'à preuve du contraire, de volonté délibérée des collectivités locales d'accroître la pression fiscale.

Enfin, on observe souvent, quelles que soient les majorités, un certain décalage entre les prévisions sur lesquelles se fondent le budget et la réalité. Quelles suggestions la Cour des comptes est-elle à même de faire pour que ce débat récurrent, où la sincérité des comptes est souvent mise en cause par l'opposition, perde de son acuité, et repose davantage, comme c'est généralement le cas dans les autres pays d'Europe, sur des analyses objectives ?

M. Philippe Séguin a répondu, s'agissant de la place de la réforme de l'État dans la structure gouvernementale, qu'il ne lui était pas apparu que son positionnement précédent ait été un facteur de grande efficacité...

Quant aux dépenses des collectivités locales, sans aller aussi loin dans la normativité que le suggère le Rapporteur général, il n'y aurait que des avantages à ce que l'État et les collectivités s'interrogent de concert sur leur contribution respective à la bonne administration du pays, de façon à éviter les doublons et les concurrences inutiles. D'une façon générale, on ne saurait conclure de l'évolution observée depuis les lois de 1982 à une sous-administration territoriale de la France, et quelques ajustements équitablement répartis permettraient sans aucun doute d'aboutir à une situation plus raisonnable... Concernant les mises en réserve, on peut se demander si la fixation de taux uniformes est bien conforme à l'esprit de la LOLF, qui consiste justement à définir des programmes spécifiques et identifiés. C'est une question qu'il sera difficile d'éluder.

La Cour a pris bonne note, par ailleurs, des suggestions de travaux d'approfondissement faites par M. Didier Migaud. Elles seront étudiées lorsque la Cour et la commission des Finances se rencontreront, avant la fin de l'année, pour arrêter la liste des « commandes » passées par celle-ci à celle-là pour 2006.

La meilleure façon, enfin, d'éviter les polémiques stériles nourries par le décalage entre les prévisions et la réalité serait de retenir, comme le font d'autres pays étrangers, des données objectives, telles que le taux de croissance moyen des sept, dix ou quinze dernières années. Cela permettrait d'élaborer des budgets plus crédibles, d'une part, et de consacrer davantage d'énergie à des débats plus utiles.

M. François Delafosse, Président de la première chambre, a souligné, s'agissant de la rigidité des dépenses de personnel, que la LOLF, grâce notamment aux plafonds d'emploi par ministère et à la gestion de la masse salariale par les responsables de programmes, est justement de nature à atténuer cette rigidité. Aussi est-il préoccupant que la mise en place de ces instruments prenne un tel retard. Quant aux dépenses sociales du titre IV, leur efficacité devrait faire l'objet d'une évaluation a priori et d'un suivi de leur exécution - mais ce n'est évidemment pas chose facile.

Le rapport conjoint au dépôt du projet de loi de règlement comporte d'importants développements sur les postes sur-dotés ou sous-dotés. Sont chroniquement sous-dotés les postes relatifs aux rémunérations, ainsi que les OPEX - pour 530 millions en 2004 ! -, tandis que sont généralement surévaluées les dépenses d'investissement, de construction et d'équipement pour l'enseignement supérieur, ainsi que la dotation du CEA - pour 360 millions - et la ligne budgétaire des rapatriés - consommée à moins de 50 %. On note également l'absence de toute ouverture de crédits en 2004 pour une dépense pourtant prévisible - la prime de Noël des allocataires du RMI - qu'il a donc fallu financer en loi de finances rectificative.

La débudgétisation du BAPSA portant sur 3,6 milliards d'euros, est sans doute l'exemple le plus manifeste de procédés budgétaires de court terme. Si la Cour n'a pas cherché à en dresser la liste exhaustive, c'est parce que, d'une part, la tâche est très difficile, mais aussi, et surtout, parce qu'elle a souhaité se concentrer sur les problèmes structurels à moyen et long terme.

M. Jean-Raphaël Alventosa, conseiller maître à la Cour des comptes, rapporteur général de l'exécution budgétaire, a insisté sur le fait que le tableau d'évolution des dépenses ne présente, si l'on peut dire, que « ce qui sort du tuyau » ; or le tuyau, et c'est bien là le problème, est modifié tous les ans...

Le regroupement, au sein de la structure du gouvernement, du budget et de la réforme de l'État offre une perspective intéressante : sachant que la LOLF, qui représente en quelque sorte la réforme de l'État vue de l'extérieur, compte 150 objectifs, et que les SMR, qui représentent la même réforme de l'État vue de l'intérieur, sont au nombre de 230, la convergence des deux approches apparaît possible à l'horizon de deux ou trois ans. Quant aux raisons profondes de la dégradation des comptes publics, elles sont à rechercher avant tout dans l'atonie de la conjoncture économique, qui n'est d'ailleurs pas propre à la France, mais à la zone euro en général. Sans relance de la croissance, il n'y a guère de perspectives d'amélioration.

Le Président Pierre Méhaignerie s'est étonné qu'il soit impossible d'avoir connaissance des montants de taxe d'habitation et de taxe professionnelle pris en charge par l'État. Cette situation interdit, de fait, tout véritable contrôle de la dépense locale par le contribuable local : si la prise en charge des dégrèvements par l'État cessait du jour au lendemain, chaque foyer fiscal des Alpes-Maritimes - pour prendre un exemple au hasard - devrait payer 400 euros supplémentaires ! Il faudrait que l'on puisse connaître le montant des dégrèvements pris en charge, au moins pour toutes les collectivités de plus de 10 000 habitants.

M. Michel Bouvard a demandé si la Cour des comptes était capable de calculer de combien il faudrait diminuer les effectifs de la fonction publique pour que les dépenses de personnel de l'État soient non pas réduites, mais simplement stabilisées.

S'agissant de la mise en place des nouveaux instruments de gestion des effectifs prévus par la LOLF, le nombre envisagé des périmètres ministériels, c'est-à-dire 15, n'est-il pas trop faible ? On peut douter, par exemple, que le regroupement de l'Éducation nationale et de la Recherche dans le même plafond facilite le travail parlementaire. Il serait intéressant, en outre, de savoir dans quelles proportions respectives les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement ont été touchées par les annulations de crédits en 2004. Il ressort en effet des propres travaux de la Cour des comptes que les dépenses d'investissement ont été sacrifiées ces dernières années, ce qui a les conséquences les plus fâcheuses pour la croissance et pour l'équipement du territoire. Concernant les OPEX, ne serait-il pas judicieux de leur consacrer un programme spécifique au sein du budget de la défense, de façon à mieux suivre les dépenses ?

Enfin, la Cour a-t-elle analysé les conséquences financières de la montée en puissance de l'intercommunalité, présentée à l'origine comme un facteur de rationalisation des dépenses et d'économies d'échelle ? Est-on bien certain que cet objectif ait été atteint ?

M. Charles de Courson a remercié le Premier Président d'avoir dit certaines vérités que la classe politique ne veut pas entendre. La situation des finances de la France est en effet celle de Fort Alamo... sans la cavalerie, en l'occurrence la croissance, seule planche de salut. Une stabilisation des dépenses en volume, cela voudrait dire 1,7 % de progression en valeur, et non pas 3,6 % ! Face à cet état catastrophique, la direction du budget ne fait que de l'ingénierie budgétaire, dissimulant les hausses derrière des débudgétisations qui interdisent de comparer les chiffres d'une année sur l'autre. Heureusement, la comptabilité nationale permet de prendre la vraie mesure des choses.

Ainsi, les 10 milliards de réduction du déficit sont, pour les deux tiers, une fiction, étant donné que l'on a créé le FFIPSA, pour y mettre les 3,6 milliards de déficit du BAPSA, que la dette du FOREC a été transférée à la CADES, et que les reports ont à nouveau progressé de 1 milliard, le budget de la défense étant naturellement le champ privilégié de ce procédé. Et la partie recettes n'est pas exempte de procédés de ce genre... La meilleure preuve que tout cela n'est qu'artifice est que le déficit inscrit en loi de finances initiale pour 2005 est supérieur au déficit d'exécution de 2004 !

On peut s'étonner, par ailleurs, que le rapport préliminaire de la Cour des comptes n'analyse pas la situation budgétaire de l'État au regard de ses engagements, notamment en matière de retraites. En 2004, en effet, et pour la seule fonction publique de l'État, ces engagements se sont accrus de 40 milliards d'euros, passant de 850 à 890 milliards d'euros. N'y a-t-il pas lieu de provisionner ces 40 milliards supplémentaires, et de corriger en conséquence le déficit réel du budget de l'État ?

On peut s'étonner aussi de ce que la Cour des comptes ait renoncé à dynamiter le concept de solde primaire, au bénéfice de celui de solde de fonctionnement. Lors de l'examen de la LOLF, en 2001, un amendement tendant à interdire à l'État, comme c'est déjà le cas pour les collectivités territoriales, tout déficit de fonctionnement, avait été repoussé. C'est regrettable, car le déficit de fonctionnement que l'on observe aujourd'hui est de 21 milliards
- qu'il conviendrait également, dans une comptabilité bien tenue, de provisionner.

Le rapport préliminaire de la Cour appelle implicitement, sachant que la réforme Fillon permettra d'économiser 10 milliards au maximum d'ici à 2020, à une nouvelle réforme des retraites de la fonction publique. Peut-elle en dire davantage sur son contenu souhaitable ?

Sachant d'autre part que les dépenses fiscales représentent quelque 20 % des recettes nettes, il existe assurément quelques gisements d'économies. Lesquels ? On peut penser, par exemple, aux dispositions relatives aux retraites outre-mer, qui coûtent quelque 1,6 milliard au budget de l'État... La Cour a-t-elle fait des études sur ce sujet, ainsi que sur l'efficacité des dépenses d'intervention, qui représentent 28 % du total des dépenses ?

M. Hervé Novelli a suggéré que, pour passer de la stabilisation des dépenses en volume à leur stabilisation en valeur, celles-ci soient réduites à due concurrence des dépenses fiscales identifiées par la Cour. Il est en effet permis de penser que les crédits ou réductions d'impôt présentent, par rapport aux dépenses publiques stricto sensu, la vertu de maximiser les anticipations des acteurs économiques, et donc, à terme, les rentrées fiscales. Quant au déficit de fonctionnement, qui représente environ le tiers du déficit du budget, soit 1 % du PIB, on peut observer qu'il est du même ordre de grandeur que les allégements de charges sociales consentis pour lutter contre le chômage - sans grande efficacité, au vu des résultats. La Cour peut-elle donner à la Commission son sentiment sur cette question ?

M. Philippe Auberger a considéré que la situation des finances publiques, certes peu brillante, pourrait être tolérée si l'économie elle-même et la situation de l'emploi n'étaient pas en crise. Le constat que les déficits ne servent à soutenir ni la croissance ni l'emploi appelle une réorientation de la politique budgétaire. Quelles seraient, en la matière, les recommandations de la Cour des comptes ?

M. Jean-Yves Chamard a considéré qu'il n'était pas normal que l'État soit juge et partie en matière de prévisions de recettes. Le Premier Président a suggéré que l'on retienne des données objectives, mais doivent-elles être normatives, ce qui supposerait une révision de la Constitution, ou simplement indicatives ? Et le problème posé par les variations de la conjoncture d'une année sur l'autre ne resterait-il pas entier ? Comment rendre suffisamment apparents les artifices comptables, justement dénoncés de toutes parts, pour que la tentation d'y recourir disparaisse ? Enfin, certaines mesures, comme la réforme du prêt à taux zéro, n'ont d'impact budgétaire que les années suivantes. Ne pourrait-on, afin d'assurer une meilleure visibilité, étendre aux dépenses de fonctionnement le système des autorisations de programme ?

M. Jean-Louis Dumont a souligné que toutes les observations faites appelaient des mesures propres à restaurer la crédibilité des responsables politiques, nationaux ou locaux, qui risque d'être entachée, aux yeux des citoyens, par le manque de sincérité des comptes publics.

M. Philippe Séguin a annoncé qu'un rapport public particulier consacré à l'impact financier de l'intercommunalité paraîtra dans le courant de l'automne 2005. On notera au passage un paradoxe : après des années de débats sur la question de savoir quel niveau d'administration était appelé à disparaître, la tendance qui semble se dessiner est l'apparition d'un niveau supplémentaire !

La comparaison faite par M. Charles de Courson entre les finances publiques du pays et Fort Alamo ne manque pas de pertinence, mais il faut savoir qu'à Alamo, la cavalerie n'a sauvé personne... L'efficacité des moyens mobilisés en faveur de la croissance et de l'emploi est certes difficile à évaluer, mais quelle que soit la façon dont on procède, il est certain que les résultats ne sont pas à la hauteur des sommes qui y sont consacrées.

Les recommandations présentées par la Cour des comptes portant sur des options retenues par le pouvoir politique, pouvoir auquel elle n'a pas vocation à se substituer. S'agissant de ses rapports avec le Parlement, la Cour s'oblige à une prudence encore plus grande, car si l'exécutif est - théoriquement - un, les assemblées comportent une majorité et une opposition, et elle ne saurait se laisser instrumentaliser ni par l'une ni par l'autre. Son objectif est de nourrir et d'éclairer le débat, non de rallier l'un ou l'autre camp ou de se substituer aux choix politiques.

M. François Delafosse a rappelé que les projections faites en matière de dépenses de personnel peuvent varier en fonction de nombreux facteurs, dont la valeur du point n'est pas le moindre. Quant aux périmètres ministériels, la première nécessité est qu'ils soient stables d'une année sur l'autre ; sans doute faut-il qu'ils ne soient pas trop larges, mais la Cour ne s'est pas encore penchée sur la question. Elle prend donc bonne note des remarques faites à ce propos.

Sur 4,5 milliards d'euros de crédits annulés en 2004, 2,9 milliards concernaient des dépenses ordinaires et 1,6 milliard des dépenses en capital. L'idée de consacrer aux OPEX un programme ad hoc n'est guère réaliste, car cela supposerait de restructurer complètement le budget de la défense. On peut se demander, au demeurant, quels objectifs et quels indicateurs pourraient être retenus pour un tel programme... Sans doute serait-il plus expédient d'inscrire une provision minimum.

La notion de solde primaire est trop communément acceptée pour être « dynamitée » comme le demande M. Charles de Courson, mais il est possible, en revanche, de populariser davantage celle de solde de fonctionnement.

Si les engagements de l'État en matière de retraites ne sont pas analysés dans le rapport préliminaire, c'est que celui-ci porte sur le budget, non sur les comptes de l'État. Et si les nouvelles normes comptables prévoient qu'ils figurent dans le hors-bilan plutôt que d'être provisionnés, c'est parce que l'on ne saurait les assimiler à un équivalent monétaire que l'État pourrait être amené à débourser. L'exercice consiste en effet à évaluer à droits constants ce qui est susceptible d'être versé aux retraités comme aux actifs. C'est relativement facile pour les premiers, car les droits sont acquis et n'évoluent plus, sinon d'une façon que les tables de mortalité et d'autres instruments permettent de prévoir assez bien. Pour les seconds, en revanche, il n'y a pas de droits acquis à la date de l'évaluation, et les carrières futures sont l'objet d'une grande incertitude, d'autant que la réforme des retraites peut avoir toutes sortes d'effets sur les choix des fonctionnaires. En outre, il s'agit de montants bruts, calculés sans tenir compte des recettes, c'est-à-dire des cotisations des actifs actuels et futurs. Le problème est donc moins celui du niveau des engagements que celui de l'équilibre du régime ; en d'autres termes, c'est un problème non pas comptable, mais budgétaire. Cela ne veut pas dire qu'il faille mésestimer l'importance des engagements hors bilan, mais qu'il faut les prendre pour ce qu'ils sont.

Quant aux éventuelles réformes à venir, la Cour a publié voici dix-huit mois un rapport particulier sur les pensions des fonctionnaires civils, notamment outre-mer. Elle ne prétend nullement, ici encore, se substituer au pouvoir politique...

M. Jean-Raphaël Alventosa a indiqué que, pour simplement stabiliser la masse des salaires et des pensions de la fonction publique de l'État, il faudrait ne remplacer que la moitié des départs à la retraite. Au bout de trois ans, l'économie obtenue serait comprise entre un quart et un tiers de point de PIB. Cela étant, la question est complexe et mériterait des approfondissements...

S'agissant des nouvelles règles de gestion des effectifs, le passage des emplois d'un programme à l'autre sera d'autant plus facile que la fongibilité s'opérera à un niveau plus élevé - celui de la mission, voire du ministère. Toute la difficulté est de s'assurer que le niveau en question assure la cohérence nécessaire.

Les deux notions de solde primaire ou de solde de fonctionnement ont leur justification. Il ressort du rapport que 4 % des dépenses de fonctionnement sont financées par l'emprunt, ce qui correspond à quinze jours de fonctionnement de l'État - au lieu de trois, voire de quatre semaines les années précédentes. S'agissant des dépenses fiscales, la lecture du 21e rapport du Conseil des impôts est riche d'enseignements. Enfin, il convient de sortir des vieilles querelles entre keynésiens et anti-keynésiens sur les relations entre budget et croissance. Tous les exemples européens montrent qu'un solde primaire positif est favorable à la croissance. C'est en ce sens que vont les recommandations de la Cour des comptes.

Le Président Pierre Méhaignerie a remercié la Cour des comptes et son Premier Président pour cet éclairage qui ne fait que renforcer la détermination de la commission des Finances. Il n'est toutefois pas certain que la conscience des enjeux soit bien partagée par tous les membres du Parlement ni même du Gouvernement ; aussi l'effort de pédagogie doit-il se poursuivre inlassablement, et la Commission sait pouvoir compter sur le concours de la Cour des comptes.

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