COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 4

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 juillet 2002
(Séance de 14 heures 30)

Présidence de M. Pascal Clément, président, et de
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des Finances
de l'économie générale et du plan

SOMMAIRE

 

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- Audition, conjointe avec la commission des Finances, en présence de la presse, de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur le projet de loi d'orientation et de programmation de sécurité intérieure



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La Commission a procédé, conjointement avec la commission des finances, à l'audition de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur le projet de loi d'orientation et de programmation de sécurité intérieure.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, a salué la présence à ses côtés de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, soulignant que sa présence témoignait du rôle assigné aux collectivités locales dans la politique de sécurité. Il a présenté le projet de loi, adopté ce jour en Conseil des ministres, comme l'armature de la politique de sécurité intérieure dans notre pays pour les cinq années à venir, soulignant que les deux volets d'orientation et de programmation, matérialisés par deux annexes détaillées, étaient indissociables. Il a ajouté qu'il traduisait le caractère prioritaire que le Gouvernement entendait donner à la lutte contre l'insécurité. A cet égard, il a souligné que l'insécurité était une préoccupation majeure pour les Français et jugé qu'elle ne reposait pas sur un simple fantasme ou un sentiment diffus, la délinquance ayant augmenté de 40 % depuis vingt ans et de 16 % depuis cinq ans. Il a précisé que 4 millions de crimes et de délits avaient été enregistrés en 2001, tandis que, durant les cinq dernières années, les atteintes aux personnes avaient progressé de 30 % et les dégradations et destructions de biens privés de 19 %.

Il a rappelé que l'objectif du Gouvernement n'était pas de contrôler l'augmentation de la délinquance, mais d'en interrompre la progression avant d'en amorcer le recul, pour éviter que l'exaspération de nos concitoyens ne devienne telle qu'aucun républicain sincère ne puisse ensuite y faire face. Considérant que la République, avec ses valeurs et ses moyens, se devait d'apporter à ce problème une réponse complète, efficace et rapide, il a jugé que le projet de loi permettrait de le faire en dépassant l'éternelle oscillation entre la condamnation aveugle de la délinquance et la recherche stérile et sans fin d'explications sociologiques à son développement.

Il a ajouté que le caractère multiforme du phénomène interdisait de se contenter, comme par le passé, d'une simple augmentation des effectifs et des moyens des forces de sécurité, qui, pour être nécessaire et inscrite d'ailleurs dans le projet de programmation, ne saurait constituer une fin en soi, mais a souligné que le combat devait être mené sur tous les fronts. A cet égard, il a indiqué que les six articles et les deux annexes du projet de loi formaient un texte ambitieux, clair et ramassé, susceptible d'ouvrir un débat lisible qui placera chacun devant ses responsabilités.

Puis, le ministre a fait remarquer que les dispositions proposées permettraient, en premier lieu, de construire une nouvelle architecture du dispositif de lutte contre la délinquance, fondée sur une ligne hiérarchique claire, avec, à sa tête, le Conseil de sécurité intérieure, présidé par le chef de l'Etat, qui devrait se réunir tous les mois pour définir les objectifs, donner l'impulsion, favoriser la coordination et mettre en place l'évaluation. Il a ajouté que le ministre de l'intérieur serait chargé de mettre en _uvre la politique ainsi définie, réunissant sous son autorité la police et la gendarmerie, afin d'assurer un emploi optimal des forces et de faire naître un véritable esprit d'équipe, sans que les traditions et les qualités spécifiques de chaque service ne soient pour autant reniées. Soulignant que la délinquance ignorait les barrières administratives, il a jugé qu'il convenait de mettre fin aux intérêts corporatistes pour organiser de nouveaux moyens : le renforcement, au niveau national, des offices centraux de police judiciaire, qui interviennent notamment contre le trafic des êtres humains, des stupéfiants ou des armes ; la création, sur le modèle de ce qui existe à l'étranger, d'un office chargé de la recherche des malfaiteurs en fuite - au nombre de 4 000 aujourd'hui - qui font l'objet d'un mandat d'arrêt ; la transformation de la cellule interministérielle de lutte contre la délinquance itinérante en office central, pour lutter contre de véritables bandes organisées qui agissent maintenant sur tout le territoire.

Il a observé que cette organisation centrale trouverait sa déclinaison locale, au plus près du terrain, dans les conférences départementales de sécurité, réunissant responsables de la police, de la gendarmerie, des douanes et des services fiscaux, sous la présidence conjointe du préfet et du procureur de la République, qui seraient chargées d'appliquer, dans chaque département, les objectifs fixés par le Conseil de sécurité intérieure et le ministère de l'intérieur. Il a précisé que ce dispositif serait complété par la création des groupements d'intervention régionaux (GIR), qui devraient permettre de répondre aux problèmes particuliers posés par les réseaux de délinquants et l'économie souterraine.

Il a complété cette présentation de la nouvelle architecture de la politique de sécurité intérieure en précisant que le Gouvernement, marquant, à cet égard, un très profond changement, confierait aux maires deux nouveaux pouvoirs : d'une part, d'information sur l'état de délinquance et, d'autre part, de coordination de la prévention. Il a ainsi précisé que les maires seraient informés, obligatoirement, par le commissaire ou le commandant de brigade, des statistiques de la délinquance, de la commission d'un crime ou délit grave en temps réel, ainsi que des moyens que l'État met à disposition de la sécurité sur le ressort du territoire de leur commune. Il a ajouté que les maires, qui connaissent mieux que quiconque les spécificités du terrain et les attentes de la population, présideraient, à cet effet, des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. S'agissant des nouveaux pouvoirs ainsi reconnus aux élus, il a jugé souhaitable de faire un sort au fantasme de la « municipalisation » des forces de l'ordre, qui n'appartient pas à la tradition de notre pays et ne correspond pas à son intérêt, les élus ne demandant pas d'ailleurs un droit de commandement opérationnel sur ces forces.

En outre, le ministre a indiqué que l'institution d'une nouvelle architecture de la politique de sécurité devait être accompagnée par un changement des méthodes, trop souvent calées sur des situations anciennes.

À ce titre, il a jugé indispensable de donner à la police de proximité, qui a pris corps dans la loi d'orientation pour la sécurité du 21 janvier 1995, les moyens nécessaires à l'exercice de ses missions, ce qui implique que les forces mobiles, composées des agents des compagnies républicaines de sécurité et des escadrons mobiles de gendarmerie, soient engagées non seulement au service de l'ordre public mais aussi de la sécurité publique, que leur capacité de disponibilité soit renforcée et que le mouvement de fidélisation soit poursuivi au travers d'une réduction des déplacements et d'une nouvelle organisation des casernements, notamment dans la région parisienne. Il a précisé que ces mesures permettraient de mieux équilibrer le développement de la police de proximité et l'action judiciaire des forces de sécurité, la mise en _uvre de la première ne devant pas se faire au détriment de la seconde.

Il a fait remarquer que cette politique serait renforcée par l'augmentation du nombre des officiers de police judiciaire et par l'extension de leur compétence territoriale au niveau du département, les délinquants ayant manifestement compris le profit qu'ils peuvent tirer de la complexité de l'organisation administrative, judiciaire et policière.

Le ministre a également annoncé la rénovation et la modernisation des services territoriaux, grâce à la création de directions interrégionales, seules susceptibles de donner une vue synthétique de l'économie souterraine, et à une meilleure répartition des zones de compétence de la police et de la gendarmerie nationale, ce qui implique l'abrogation des protocoles confiant à cette dernière certaines zones relevant normalement du ressort de la première. Il a relevé que la rationalisation de l'organisation reposait également sur une meilleure répartition des effectifs, qui devrait tenir compte des besoins et non plus résulter de l'histoire, alors que le maillage territorial de la gendarmerie date, par exemple, de 1850. Il a souligné qu'un échelon nouveau de communautés des brigades serait créé, en vue de mutualiser, sur la base de la réunion de trois brigades, les moyens et le commandement de certaines brigades actuelles, qui ne peuvent isolément, au grand mécontentement des élus et de la population, organiser des permanences de nuit. Il a précisé que les brigades seraient conservées en l'état mais mises en réseau, de telle sorte que des patrouilles de nuit puissent être plus fréquemment organisées. Pour rompre avec la tendance consistant à imposer un schéma idéologique centralisé, il a annoncé l'engagement de concertations départementales sur cette question. Tout en réaffirmant la volonté du Gouvernement d'agir, il a insisté sur la souplesse et la concertation qu'impliquerait cette réforme d'organisation, ajoutant qu'elle ne devait pas constituer un alibi pour masquer une diminution des effectifs, ce qui a fait échouer toutes les réformes précédentes, mais s'accompagner, au contraire, d'une progression des emplois facilitant la modernisation et la réorganisation des services. Il a souligné que cette réforme s'accompagnerait de l'automatisation ou du transfert des gardes statiques à d'autres catégories de personnels, tandis qu'une réflexion serait engagée sur la dévolution à l'administration pénitentiaire des transferts de détenus ou de leur garde en milieu hospitalier.

Le ministre a complété son propos en précisant que serait créée une réserve civile de la police et que la coopération européenne et internationale serait renforcée, les frontières n'apparaissant vraiment efficaces que pour les seules forces de l'ordre.

Puis, il indiqué que la seconde partie de l'annexe consacrée aux orientations annonçait l'apport de nouveaux moyens juridiques aux services de la sécurité intérieure, pour lutter notamment contre : la « cyber-criminalité » ; le vol de portables constitutif, au même titre que le vol de voiture, d'une délinquance de proximité traumatisante ; la délinquance des mineurs ; le proxénétisme et les réseaux modernes d'esclavagisme, phénomène contre lequel il n'existe pas de solution simple qui exonérerait la société de toute responsabilité.

Il a ensuite considéré que la question du stationnement des gens du voyage, qui exaspère souvent les riverains, devrait trouver des réponses, ce qui exige que des discussions avec certains pays d'émigration soient engagées, mais aussi, par exemple, que les voitures acquises frauduleusement puissent être confisquées. Il a cependant tenu à se garder de tout amalgame, soulignant que certains rassemblements, notamment à vocation religieuse, ne soulevaient aucun problème. Il a, par ailleurs, envisagé que de nouvelles incriminations destinées à sanctionner les actes agressifs de mendicité ou le rassemblement de groupes hostiles dans les halls d'immeubles soient créées, ajoutant que toutes les mesures nécessaires au respect de l'autorité des agents publics, des décisions de justice et de l'action des forces de l'ordre devraient être prises.

Enfin, le ministre a souligné que l'ensemble de ces orientations s'appuieraient sur une enveloppe de 5,6 milliards d'euros supplémentaires pour la période 2003-2007 et sur la création de 7 000 emplois dans la gendarmerie et 6 500 dans la police, les deux priorités que constituent le renforcement des capacités d'investigation et la sécurité de proximité bénéficiant, respectivement, de 2 000 créations d'emplois dans la police et 4 800 dans la gendarmerie et de 1 000 postes nouveaux dans la police et 400 dans la gendarmerie. Il a ajouté que deux articles seraient consacrés à la modernisation de la gestion immobilière, la police bénéficiant d'une augmentation de 93 % de ses autorisations de programme par rapport à 2002 et la gendarmerie d'une hausse de 81 %, étant précisé que le logement des gendarmes relève d'une nécessité de service. Il s'est engagé, par ailleurs, à résoudre les problèmes d'interconnexion des réseaux de transmission, aujourd'hui distincts, de la police et de la gendarmerie et à favoriser l'externalisation de l'entretien du parc automobile des services. Enfin, il a promis de rendre publique chaque mois l'évolution de la délinquance, mais aussi le résultat des services de police et de gendarmerie, tandis qu'une réflexion sur le moyen équitable de récompenser celles et ceux qui seront plus productifs, quelle que soit leur place dans la hiérarchie, devrait être engagée. Il a conclu son intervention en soulignant que seule une évaluation rigoureuse des résultats permettrait de déterminer les mérites réels du projet de loi.

M. Christian Estrosi, rapporteur, s'est félicité de ce que le projet de loi présenté par le ministre de l'intérieur ne laisse de côté aucun des problèmes qui portent aujourd'hui atteinte au pacte républicain, puisqu'il donne aux forces de l'ordre des moyens juridiques et financiers sans précédent, tout en prévoyant de les organiser de manière plus adaptée aux évolutions de la délinquance et de leur assigner des objectifs extrêmement précis. Il a jugé qu'il répondait, de ce fait, parfaitement aux difficultés et aux désagréments qu'affronte aujourd'hui la société française. Evoquant la mise en place des groupements régionaux d'intervention, dont il a rappelé qu'ils s'inscrivaient dans un mouvement de rénovation des actions visant à démanteler les réseaux d'économie souterraine et à mettre fin à la prééminence de caïds locaux, il a souhaité savoir s'il était possible de porter à la connaissance du Parlement les premiers résultats de leur action. S'agissant, par ailleurs, des difficultés juridiques invoquées dans certains départements ou régions par les services des impôts et des douanes en matière de transmission d'informations aux forces de police et de gendarmerie, il a demandé au ministre s'il pourrait accepter un amendement au projet de loi sur ce point.

Après avoir fait observer que les polices municipales n'étaient évoquées que de manière restreinte à l'article 1er du projet de loi, il a souhaité connaître la position du ministre sur la possibilité de compléter leurs compétences pour répondre aux attentes des administrés, de même qu'il s'est demandé quand seraient pris les décrets d'application de la loi du 15 avril 1999. Il a également demandé si les programmes immobiliers en cours de la gendarmerie pourraient bénéficier des dispositions inscrites dans le projet de loi ou si seuls seraient concernés ceux dont le principe aurait été décidé après la promulgation de la loi. Il a estimé, enfin, que le complément nécessaire à ce projet de loi très ambitieux était la mise en _uvre d'une politique pénale nouvelle allant à l'encontre de celle qui a prévalu jusqu'alors, marquée par des différences très importantes d'un parquet ou d'une juridiction à l'autre et entraînant, par là même, des modalités d'intervention non unifiées de la part des forces de police et de gendarmerie.

Rappelant que les Français avaient fait de la lutte contre l'insécurité une priorité, M. Alain Moyne-Bressand, rapporteur pour avis de la commission de la Défense nationale et des forces armées, a estimé que le projet de loi montrait qu'ils avaient été compris, comme ils avaient eux-mêmes compris les projets du Gouvernement. Il a relevé que l'état des lieux présenté par le ministre de l'intérieur faisait apparaître certes des forces, mais également des faiblesses dans le dispositif existant et s'est donc réjoui du caractère ambitieux, mais réaliste du projet de loi, qui se caractérise par des moyens, une autorité et une fermeté de nature à atteindre les objectifs recherchés. Il a, par conséquent, assuré le ministre de l'entier soutien des députés de la majorité. Evoquant ensuite le problème de la simplification administrative, il a rappelé qu'aujourd'hui, les brigades de gendarmerie, de même que les commissariats de police d'ailleurs, étaient surchargés de demandes multiples de compte rendus, de rapports ou d'études dont le poids est pénalisant pour leur activité. Il a relevé, à ce propos, l'insuffisance du taux d'encadrement de la gendarmerie, notamment par rapport aux autres armées et a souhaité savoir de quelle manière le projet de loi entendait favoriser l'émergence d'une meilleure capacité de contrôle et d'encadrement dans ce corps.

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis de la commission des Finances, de l'économie générale et du plan, a tout d'abord salué la force du projet de loi présenté par le ministre de l'intérieur, qui prévoit d'importants moyens matériels et humains, engage des réformes et pose le principe d'une évaluation de la politique menée. Il a souhaité savoir quel serait l'avenir des adjoints de sécurité et des gendarmes adjoints, les annexes du projet ne loi n'y faisant pas allusion. Estimant que l'article 5 du projet de loi relatif à l'évaluation de la politique de sécurité intérieure était trop succinct, il a demandé des précisions sur les objectifs de cette évaluation et sur l'organisme qui sera chargé de la conduire. Il s'est aussi interrogé sur la possibilité de prévoir que les résultats de l'évaluation fassent l'objet d'une présentation au Parlement.

Il a ensuite demandé au ministre s'il serait favorable à un amendement qui permette d'inscrire, dans l'annexe I du projet de loi, l'aggravation des sanctions financières pour stationnement irrégulier des gens du voyage et la confiscation des véhicules volés.

Enfin, il a souhaité savoir quels seraient les effectifs de la réserve civile, dont la constitution est annoncée dans l'annexe I et quelles seraient les circonstances dans lesquelles elle pourrait être mobilisée.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des Finances, a salué la démarche consistant à prévoir que la politique de sécurité intérieure serait évaluée régulièrement. Rappelant que la mission d'évaluation et de contrôle de la commission des Finances avait, en relation avec la Cour des comptes, procédé, en 1999, à une analyse approfondie de la gestion des effectifs et des moyens de la police nationale, et que le rapport de MM. Roland Carraz et Jean-Jacques Hyest, parlementaires en mission, avait conclu à la nécessité de revoir l'organisation de la police et de la gendarmerie, il a observé que dans les deux cas les résultats avaient été décevants. Soulignant que le rapport de la MEC avait dénoncé les horaires pratiqués par les policiers et appelé de ses v_ux un meilleur contrôle, il a souhaité savoir ce qui était envisagé pour assurer la transparence sur cette question. Il a également demandé s'il serait vraiment possible de recruter le grand nombre de policiers et de gendarmes annoncé et demandé dans quel budget seraient inscrits les crédits destinés aux gendarmes.

M. Pascal Clément, président, a souhaité savoir comment serait organisé la coordination au sein des groupes régionaux d'intervention entre les forces de la police et de la gendarmerie.

M. André Vallini a dénoncé les conditions d'examen des projets de loi inscrits à l'ordre du jour de la commission des Lois durant la session extraordinaire, qui ne permettent pas aux parlementaires de travailler sérieusement. Evoquant les propos du ministre dans son intervention générale, il a d'ailleurs observé que, de son aveu même, de nombreuses questions, telles que le statut des adjoints de sécurité ou les missions imparties aux polices municipales, n'avaient pu - faute de temps - trouver de réponses dans ce projet de loi, ce qui démontre la précipitation excessive du Gouvernement.

En réponse aux propos de M. André Vallini, M. Jean-Jacques Descamps a, au contraire, salué la rapidité du Gouvernement, qui doit combler dans l'urgence cinq ans d'inaction en matière de sécurité. Il a néanmoins engagé le ministre à renforcer davantage la réglementation du stationnement des gens du voyage, jugeant indispensable de restaurer l'autorité de l'Etat. Il a ainsi estimé que les propositions autorisant la confiscation des véhicules manifestement volés étaient justifiées, bien qu'elles risquent de se heurter au nomadisme des gens du voyage.

S'insurgeant à son tour contre les délais impartis à la commission pour procéder à l'examen du projet de loi, délais dont l'extrême rapidité a même été reconnue par le ministre, M. Christophe Caresche a estimé que, quelle que soit leur appartenance politique des uns et des autres, on ne pouvait que reconnaître que de telles conditions nuisaient à la qualité du travail législatif. S'agissant du contenu du projet, il a observé, pour s'en féliciter, que de nombreuses propositions s'inscrivaient dans le sillage de l'action menée par le précédent Gouvernement. Il a également exprimé sa satisfaction en constatant que, contrairement aux souhaits réitérés du rapporteur du projet de loi sous la précédente législature, le Gouvernement n'avait pas donné suite à la proposition d'une municipalisation de la police. Il a néanmoins regretté que le projet s'en tienne à des généralités et ne propose aucune mesure précise.

Après une intervention du président de la commission des Lois demandant à l'orateur de limiter son intervention compte tenu du nombre de parlementaires désirant interroger le ministre et des contraintes horaires liées à la tenue de la séance publique, M. André Vallini a émis une vive protestation sur la façon dont étaient menés les débats au sein de cette commission et dénoncé l'attitude partiale de son président. Il a ensuite invité les députés socialistes, qui l'ont suivi, à quitter la réunion.

M. Daniel Garrigue a souhaité interroger le ministre sur les dispositions relatives à la qualification d'officier de police judiciaire ; il a ainsi évoqué les difficultés des maires et de leurs adjoints pour se faire reconnaître les prérogatives liées à cette qualité, alors même que nombre d'entre eux sont amenés à intervenir sur le terrain. Il a également fait état du déséquilibre existant entre police et gendarmerie, les gendarmes étant beaucoup moins nombreux à obtenir la qualification d'OPJ. Il a ensuite plaidé pour une meilleure collaboration entre les polices municipales et la police nationale, qui passerait notamment par la reconnaissance au chef de la police municipale de la qualité d'officier de police judiciaire.

Considérant qu'après l'inquiétante augmentation de la délinquance observée au cours de ces dernières années les Français ne comprendraient pas que le Gouvernement fasse preuve d'un quelconque attentisme en la matière, M. Thierry Mariani s'est réjoui de la célérité avec laquelle le ministre de l'intérieur a élaboré ce projet de loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure. Il a ensuite interrogé le ministre sur une éventuelle réforme des indicateurs de mesure de la délinquance. Par ailleurs, il a souhaité savoir si les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance se superposeraient aux conseils communaux de prévention et aux contrats locaux de sécurité ou si l'ensemble de ces structures seraient fusionnées en leur sein.

Après avoir fait part de ses craintes quant à l'adoption par le Gouvernement d'une politique exclusivement « sécuritaire » en matière de lutte contre la délinquance, M. André Gerin a déploré la stigmatisation de certaines catégories de la population et notamment, celle manifestée à l'encontre des jeunes. Evoquant les dispositions proposées par le Gouvernement tendant à permettre le placement en détention provisoire des mineurs de 13 ans, auxquelles il a précisé qu'il demeurait résolument défavorable, il a considéré que la réponse au problème de la délinquance des mineurs ne saurait passer exclusivement par des mesures répressives, sans volet préventif. Après avoir fait état de son expérience de rapporteur pour avis sur les crédits de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse sous la précédente législature, il a affirmé que la prison renforçait la dangerosité des délinquants et jugé qu'il était donc souhaitable de privilégier le développement de mesures alternatives à l'incarcération. Puis, réagissant aux propos tenus par le ministre sur les « zones de non-droit », il a estimé qu'il serait préférable d'évoquer l'existence de « zones de sans-droits », regroupant des personnes que leur situation de précarité et de pauvreté prive de la possibilité de faire respecter leurs droits les plus élémentaires. Faisant ensuite référence à la volonté affichée par le Gouvernement de lutter contre la délinquance organisée, il a émis le souhait que les efforts du Gouvernement permettent effectivement l'interpellation des commanditaires, et non pas uniquement des seuls exécutants de second ordre. A cet égard, il a déploré avec vigueur la faiblesse des moyens alloués à la police judiciaire, qu'il a qualifiés de dérisoires. Puis il a conclu son intervention en interrogeant le ministre sur les éventuelles mesures de revalorisation salariales qui pourraient être prises en faveur des agents de la police de proximité.

Après avoir évoqué les très nombreuses évaluations de l'activité de la police et, notamment, celle conduite en 1999 par des parlementaires et la Cour des comptes, M. Michel Bouvard a jugé que le temps était désormais venu de mettre en _uvre les réformes nécessaires. A cet égard, il a émis le souhait que les membres de la commission des Finances soient, en application des dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, davantage associés à leur élaboration. Il a fait référence, en particulier, à la réforme du temps de travail des agents et des modalités de calcul des repos compensateurs, qui constituent un facteur de rigidité certain dans la gestion du personnel. Puis, s'agissant de l'augmentation des moyens immobiliers de la police et de la gendarmerie évoquée par le ministre, il a indiqué que les responsables des collectivités locales concernées, s'ils étaient disposés à contribuer à leur financement, souhaiteraient cependant que l'Etat s'acquitte enfin des très nombreux loyers impayés dus au titre de l'hébergement des personnels de la gendarmerie. Par ailleurs, il a précisé que la sectorisation du commandement de la gendarmerie, d'ores et déjà entreprise dans sa circonscription, n'avait pas abouti à des résultats très concluants en termes de délais de réponse aux sollicitations des citoyens. Faisant ensuite référence aux centres commun de coopération policière et douanière, il a souhaité savoir si le ministre entendait renforcer les moyens mis à leur disposition et, notamment, le nombre d'agents des services des douanes, qui sont particulièrement à même de lutter contre la contrefaçon et le trafic de stupéfiants qui se développent considérablement dans les régions frontalières.

Après s'être exprimé en faveur d'un renforcement des pouvoirs détenus par les maires au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, M. Gérard Hamel s'est interrogé sur la composition de ces instances, souhaitant qu'elles comptent des représentants locaux de la gendarmerie et de la police. En effet, il a jugé que l'absence de ces derniers réduirait ces conseils à des « coquilles vides », alors qu'ils sont les seuls organes susceptibles d'être opérationnels, les conférences départementales de sécurité n'ayant qu'un rôle d'évaluation et de transmission de l'information.

Après avoir salué la rapidité avec laquelle ce projet de loi avait été élaboré, M. Gérard Léonard s'est félicité que, à l'instar de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 dont il était le rapporteur, ce texte privilégie une approche globale de l'insécurité, qu'il tienne compte de l'évolution de la délinquance, précise un calendrier de mise en _uvre des mesures proposées et prévoie de rendre effectives certaines dispositions de la loi de 1995 qui ont été privées d'effet faute de texte d'application. Interrogeant ensuite le ministre sur les moyens envisagés pour renforcer la lutte contre la délinquance internationale, il a souhaité que soit engagée une réflexion sur l'avenir d'Europol.

Après s'être félicité de la « révolution copernicienne » opérée par le Gouvernement en matière de sécurité intérieure, M. Bernard Carayon s'est interrogé, d'une part, sur les moyens qui seront consacrés à la lutte contre l'immigration clandestine et le trafic de stupéfiants et, d'autre part, sur les conditions de rémunération des indicateurs.

Mme Brigitte Bareges a interrogé le ministre sur la possibilité d'une participation de l'Etat au financement des investissements engagés par les communes pour tenir compte de l'augmentation des effectifs des polices municipales.

M. François Grosdidier a salué l'action du ministre en matière de lutte contre l'insécurité et souhaité que l'examen, à l'automne prochain, d'un projet de loi sur la sécurité permette de clarifier le statut des policiers municipaux ainsi que la réglementation qui leur est applicable en matière d'usage d'armes. Enfin, soulignant l'importance des problèmes posés posées par l'accueil des gens du voyage, il a insisté sur l'urgence de demander aux préfets d'engager des discussions en vue d'une révision des schémas départementaux prévus à cet effet.

M. Xavier de Roux a souligné l'importance du rôle joué par le maire en matière de sécurité, notamment dans les villes de taille moyenne, et jugé nécessaire de préciser le contenu des nouveaux conseils locaux de sécurité.

M. Manuel Aeschlimann s'est félicité du rôle de coordination dévolu aux maires au sein de ces instances et a souhaité connaître l'opinion du ministre sur les initiatives susceptibles d'être prises localement en matière de sécurité, telles que la mise en place d'une surveillance électronique des sorties d'écoles ou l'édiction d'arrêtés restreignant la circulation des mineurs après vingt-deux heures.

En réponse aux différents intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes :

-  Un premier bilan de l'action des groupements d'intervention régionaux, qui réunissent effectivement des policiers et des gendarmes, ainsi que des représentants d'autres administrations impliquées dans la lutte contre la délinquance, sera établi avant la fin du mois de juillet. Des problèmes juridiques semblent entraver, en leur sein, la communication d'informations confidentielles détenues par les agents du Trésor public, des douanes et des impôts : il serait donc opportun que des mesures soient prises pour remédier à cette difficulté, le formalisme ne devant pas nuire à l'efficacité des actions entreprises. Sous cette réserve, il demeure que les résultats obtenus par les GIR sont, dans l'ensemble, très positifs, notamment pour lutter contre l'économie souterraine et les trafics organisés ; des populations trop longtemps délaissées réalisent aujourd'hui, grâce à eux, qu'elles ne sont plus oubliées par l'Etat.

-  Le rôle et les prérogatives des élus locaux en matière de sécurité seront renforcés. Les maires présideront les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance ; les sanctions prévues en cas d'infraction à leurs arrêtés seront majorées.

-  Les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance se substitueront aux conseils communaux de prévention de la délinquance et aux comités de pilotage des contrats locaux de sécurité. Ils garantiront l'information des maires sur l'état de la délinquance et leur permettront de coordonner les actions engagées en matière de prévention des crimes et des délits.

-  La question des polices municipales n'est pas évoquée directement par le projet de loi, mais elle est sous-jacente au renforcement programmé des compétences des élus locaux. Leur rôle et leur place pourront également faire l'objet d'un large débat dans le cadre du projet de loi qui sera présenté au Parlement à l'automne : le Gouvernement fera preuve, à cette occasion, d'une très grande ouverture. Le clivage établi entre la police et la gendarmerie nationales, d'une part, et les polices municipales, d'autre part, est archaïque.

-  Les maires sont officiers de police judiciaire. Il n'est pas souhaitable, cependant, qu'ils exercent effectivement le rôle opérationnel attaché à cette qualité.

-  Le nombre des officiers de police judiciaire sera augmenté, leur statut revalorisé et leur compétence territoriale élargie. Les prérogatives des gardiens de la paix seront également revues à la hausse.

-  Le Gouvernement entend bien définir une politique pénale plus cohérente et plus ferme que celle qui prévalait jusqu'à présent. Le garde des Sceaux aura l'occasion de présenter prochainement au Parlement ses orientations en la matière.

-  Répression et prévention ne doivent pas être opposées. Le Gouvernement précédent n'a cessé de parler de prévention sans agir concrètement et en occultant totalement la question de la répression. Le nouveau Gouvernement est convaincu que la répression est la meilleure des préventions.

-  L'encadrement des unités de gendarmerie est effectivement inférieur à celui qui prévaut dans les autres corps d'armée ainsi que dans la police. Il devra être renforcé de façon substantielle.

-  La formation fait aussi partie des domaines sur lesquels un effort important est nécessaire. Une bonne formation conditionne l'efficacité des actions et la sûreté des procédures engagées par la police et la gendarmerie.

-  Les adjoints de sécurité et les gendarmes adjoints sont une force d'appoint indispensable. Leurs emplois seront pérennisés, sous une forme qui reste, toutefois, à définir, ce qui explique que ce dossier ne soit pas abordé de façon plus précise dans le projet de loi. Le Gouvernement pourrait décider soit de reconduire les contrats en cours, soit de les fondre dans un nouveau corps exerçant des missions spécifiques. En toute hypothèse, le nombre de postes existant ne sera pas diminué et les emplois qui seront créés dans les cinq ans à venir s'ajouteront aux effectifs actuels.

-  Les horaires de travail dans la police doivent faire l'objet d'une transparence accrue. Tout ce qui va dans le sens de l'opacité nuit à l'efficacité. Il demeure que la police est soumise à des contraintes spécifiques, notamment en termes de travail de nuit et durant les week-ends : ces sujétions doivent être prises en compte, ce qui n'est pas toujours le cas lorsque des comparaisons sont établies avec d'autres administrations.

-  Des mesures seront prises pour revaloriser le rôle de l'ensemble des policiers. Il serait aussi souhaitable que le mérite soit mieux récompensé, ce qui supposerait de réviser la grille indiciaire qui encadre les rémunérations. Cette problématique concerne la fonction publique dans son ensemble.

-  La constitution de communautés de brigades est nécessaire pour tenir compte des évolutions des territoires et de la délinquance. L'exigence de proximité ne sera pas affectée dès lors qu'une communauté de brigades ne pourra pas couvrir un territoire de plus de 20 000 habitants.

-  Les dispositions prévues par l'article 3 du projet de loi pour faciliter la construction des casernes et des gendarmeries pourront s'appliquer aux « programmes engagés ». La définition précise de cette dernière notion reste cependant à établir.

-  Le dossier de la rétribution des informateurs sera abordé de façon ouverte et pragmatique. La collecte de renseignements est essentielle, en particulier en matière de lutte contre le terrorisme. Une démocratie doit se défendre.

-  L'évaluation prévue par le projet de loi permettra de vérifier que les moyens prévus sont bien inscrits dans les lois de finances des cinq années à venir et que les réformes budgétaires annoncées, notamment dans le sens de la déconcentration des crédits, sont suivies d'effet. Ce travail devra être confié à une instance extérieure aux services concernés : le choix de cet organisme n'a pas encore été fait.

-  Les crédits de la gendarmerie demeureront inscrits au budget du ministère de la défense. Le statut militaire de ce service n'est pas remis en cause. Cependant, le ministère de l'intérieur sera compétent pour la définition des missions et l'emploi des forces de gendarmerie.

-  Le système actuel de comptabilisation des crimes et des délits sera conservé. L'indice utilisé est fiable et il ne serait pas juste de modifier l'outil statistique sous prétexte que les résultats qu'il révèle ne sont pas satisfaisants. Le Gouvernement a décidé, cependant, de rendre publiques les statistiques de la délinquance selon une périodicité mensuelle, par souci de transparence.

-  Il n'est pas justifié de reprocher au Gouvernement de céder à une « tentation sécuritaire ». La seule tentation à laquelle celui-ci risque de céder, c'est de donner aux Français la sécurité qu'ils sont en droit d'exiger.

-  Le terme de « zone de non droit », qui fait peur à certains, recouvre pourtant une réalité concrète. Celle-ci est plus inquiétante que le mot lui-même.

-  En renforçant la sécurité des Français, le Gouvernement ne stigmatise pas certaines catégories de la population : il améliore, au contraire, la situation des plus faibles, qui sont les premières victimes de l'insécurité.

-  Le problème posé par les occupations illégales de terrains, privés et publics, par des gens du voyage est réel. Cette infraction n'est aujourd'hui appréhendée que sous l'angle du stationnement irrégulier, qui relève de la compétence des tribunaux civils, alors qu'elle devrait faire l'objet de sanctions pénales. Il conviendrait également d'instaurer une procédure permettant de confisquer les véhicules manifestement volés qui sont parfois utilisés par les gens du voyage. Des dispositions seront prévues à cet effet dans le projet de loi que le Gouvernement présentera au Parlement à l'automne.

-  Le dossier de la coopération dans les zones transfrontalières entre les autorités de police et les autorités douanières, laissé en jachère par le Gouvernement précédent, a d'ores et déjà été relancé. Les contacts bilatéraux établis ont été fructueux et permettront de conférer un contenu réel au « droit de suite ».

-  700 policiers supplémentaires viendront renforcer les effectifs dédiés à la protection des frontières, à la maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l'immigration clandestine.

-  Le Gouvernement était et demeure résolu à agir vite dans le domaine de la sécurité, ce qui explique que ce projet de loi soit examiné en urgence dans le cadre de la session extraordinaire. Ce choix est justifié par l'exaspération des Français face à la progression de la délinquance. Le fait que 5 millions de Français accordent leur suffrage au Front national est un motif d'inquiétude suffisant pour ne plus perdre de temps. Il est regrettable que les députés socialistes n'en aient pas conscience et qu'ils aient préféré se livrer à une man_uvre médiatique en quittant cette audition avant son terme.

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