COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 8

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 12 novembre 2002
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, et de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République (n° 369)




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La Commission a procédé à l'audition de M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, et de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République (n° 369).

Avant de présenter le contenu du projet de loi constitutionnelle et les modifications apportées par le Sénat, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a rappelé les objectifs et la méthode adoptés par le Gouvernement.

Il a, tout d'abord, indiqué que ce dernier avait jugé souhaitable, pour engager la réforme de la décentralisation, de procéder, en premier lieu, à une modification de la Constitution, qui fixe des perspectives, avant que de présenter, en second lieu, au cours de l'année 2003, sur le fondement des débats qui se déroulent actuellement dans les régions et permettent à tous ceux qui le souhaitent de s'exprimer sur l'évolution de la décentralisation, une première série de textes organiques et ordinaires, destinés à mettre en application les orientations nouvelles qui seront inscrites dans la Constitution. Évoquant les débats qui ont eu lieu au Sénat, il a relevé qu'ils avaient fait apparaître des attentes, qui ne pourront être immédiatement satisfaites par le texte constitutionnel, mais le seront ultérieurement par les projets de loi organique ou ordinaire à venir.

S'agissant du contenu du projet de loi constitutionnelle, le ministre a d'abord souligné qu'il consacrait l'existence et le rôle des régions, reconnaissait l'organisation décentralisée de la République et en tirait les conséquences fondatrices sur la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, ce qui implique l'application du principe de subsidiarité. Il a ajouté que le texte, conformément aux souhaits exprimés depuis plusieurs années, ouvrait aux collectivités territoriales une capacité d'expérimentation déjà mise en pratique par de nombreux acteurs locaux dans des domaines toutefois exclusivement réglementaires. Il a précisé que, corrélativement, une capacité d'expérimentation était reconnue à l'État, ce qui lui permettrait de conduire plus sûrement sa réforme globale. Puis, il a fait observer que le projet de loi garantissait l'autonomie financière des collectivités territoriales, rappelant que, depuis une vingtaine d'années, la question de la part que la fiscalité locale doit représenter dans le total des ressources des collectivités restait posée. Enfin, il a souligné que le cadre juridique de l'outre-mer serait renouvelé, conformément aux vœux du Président de la République et aux attentes de nombreux élus d'outre-mer, sur la base, notamment, d'une clarification des deux grandes catégories de collectivités locales, visées respectivement aux articles 73 et 74 de la Constitution.

Le ministre a, ensuite, présenté les modifications apportées par le Sénat. Relevant que l'article 1er n'avait pas été modifié, que l'article 1er bis apportait une modification rédactionnelle utile, il a insisté sur l'extension du champ d'application de l'article 3, relatif aux textes soumis en premier lieu au Sénat, aux projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France. S'agissant de l'article 4 du projet de loi, il a observé que le Sénat avait précisé l'énumération des collectivités territoriales prévue dans le premier alinéa de l'article 72 et donné valeur constitutionnelle au principe selon lequel aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre, même si, pour l'exercice d'une compétence qui nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles à organiser les modalités de leur action commune. Puis il a indiqué que le Sénat avait limité la portée de l'article 5 relatif au droit de pétition, en prévoyant que les électeurs ont le droit de demander, et non d'obtenir, l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante d'une collectivité d'une question relevant de sa compétence. Enfin, il a indiqué que le Sénat avait adopté un amendement du Gouvernement procédant à une réécriture de l'article 6, afin, notamment, de préciser que toute création de nouvelle compétence est accompagnée de ressources déterminées par la loi et d'affirmer que la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à compenser les inégalités entre collectivités territoriales.

Présentant les modifications apportées par le Sénat concernant la partie du projet de loi relative à l'outre-mer, Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, a indiqué que les débats avaient permis une clarification et une amélioration notable du texte, notamment par l'introduction d'un article 72-4 et par la nouvelle rédaction de l'article 72-3, qui concourent à préciser les conditions d'un changement de régime d'une collectivité existante et à encadrer le régime de la collectivité d'outre-mer dont l'existence résulterait d'une fusion de deux collectivités. Elle a, en revanche, regretté l'exclusion de La Réunion du dispositif de l'article 73, mais s'est félicitée des amendements portant modification de l'article 74, qui permettent de répondre aux souhaits exprimés, notamment, par les Polynésiens.

Après avoir observé que l'article 4 adopté par le Sénat reconnaissait expressément aux groupements un droit à l'expérimentation, le Président Pascal Clément s'est interrogé sur la portée de la notion de collectivités « chefs de file », se demandant si, par une interprétation a contrario, cette qualité était déniée aux groupements qui ne sont pas explicitement mentionnés. Il a souhaité savoir si les dispositions relatives à l'expérimentation, aux référendums locaux et aux droits de pétition s'appliquaient également aux collectivités situées outre-mer et s'est enquis des modalités du contrôle juridictionnel spécifique pour les actes des assemblées territoriales intervenant dans le domaine de la loi. Il a également souhaité connaître les modalités de la participation des collectivités d'outre-mer aux compétences régaliennes de l'État. Enfin, il a demandé des précisions sur la notion de « consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités », que le Sénat a maintenu à l'article 8 du projet de loi constitutionnel, alors qu'il l'a supprimée ailleurs.

Après avoir souligné que la réforme de la décentralisation, du vote du projet de loi constitutionnelle jusqu'à celui des lois d'habilitation, allait s'étaler sur plusieurs mois, M. Marc-Philippe Daubresse a interrogé les ministres sur la date à laquelle les grands principes des lois organiques à venir seraient rendus publics. Prolongeant la question posée par le Président Pascal Clément, il a souhaité que l'on réfléchisse à d'éventuels transferts de compétences aux groupements de communes, notamment aux communautés urbaines, faisant valoir que ces structures intercommunales pouvaient gérer des budgets supérieurs à un milliard d'euros. Observant que l'expérimentation pouvait avoir un caractère soit national, soit local, il s'est demandé si une loi organique différencierait ces deux types d'expérimentations.

Tout en indiquant que le groupe socialiste était favorable à la décentralisation, Mme Ségolène Royal a souligné la nécessité d'avoir connaissance de l'ensemble des textes organisant les transferts de compétences et de ressources envisagés, avant le vote de la réforme constitutionnelle, rappelant que le président de la République avait formulé la même exigence à l'occasion de la révision constitutionnelle sur la justice. Après avoir souligné que les premières lois de décentralisation n'avaient pas un caractère constitutionnel, elle a estimé que la majeure partie des dispositions proposées ne relevait pas de la loi fondamentale, ainsi que l'a d'ailleurs jugé le Conseil d'État dans son avis. Citant les propos du Premier ministre faisant notamment de la révision constitutionnelle le fondement de l'ensemble de la réforme, elle a critiqué le décalage existant entre les ambitions affichées par le Gouvernement et le flou du texte proposé, estimant que cette imprécision présentait un réel danger.

Tout en reconnaissant que la décentralisation constituait une réponse à la demande de démocratie exprimée par les Français et était un moyen de combattre leur désintérêt pour la politique, M. Jacques Brunhes a estimé que la réforme constitutionnelle proposée modifiait profondément l'architecture de la République, en mettant en cause son caractère unitaire et solidaire. Il a regretté la précipitation avec laquelle le Parlement légiférait sur cette question, alors même que l'enjeu est crucial, et s'est inquiété de l'absence d'informations sur le contenu des lois organiques à venir. Après avoir estimé que le projet de loi avait été rédigé à la hâte, sans concertation réelle, les assises des libertés locales revêtant avant tout un caractère formel, il a critiqué l'imprécision des dispositions proposées. Il a également regretté la rapidité de l'examen du projet de loi au Sénat, observant que des amendements adoptés par la commission des Lois avaient été retirés en séance publique, sans que la commission ne soit à nouveau réunie. Il s'est ensuite inquiété des compétences restant à l'État à l'issue des transferts envisagés. Il a enfin souhaité savoir si la question du corps électoral néo-calédonien serait réglée dans le cadre de la révision constitutionnelle, estimant qu'il serait souhaitable d'organiser un référendum sur cette question.

M. Xavier de Roux a estimé que seuls les quatre premiers alinéas du nouvel article 72 proposé par l'article 4 et les dispositions relatives au référendum contenues dans l'article 5 relevaient d'une loi constitutionnelle, les autres dispositions proposées, notamment celles relatives au droit de pétition, ayant davantage leur place dans une loi organique. Il s'est ensuite interrogé sur la portée du nouvel article 37-1 de la Constitution, qui autorise l'existence de dispositions expérimentales dans la loi et le règlement.

Mme Anne-Marie Comparini a salué l'ouverture de ce débat sur la décentralisation et a jugé surprenant que l'on puisse contester le fait qu'il débute par une réforme de la Constitution. Elle a cependant souhaité avoir des précisions sur la façon dont seront régulées les relations entre les collectivités locales, dans le contexte d'une décentralisation accrue. Tout en considérant qu'il n'était pas souhaitable qu'une collectivité puisse exercer une tutelle sur d'autres, elle a regretté l'affaiblissement du concept de « chef de file », particulièrement attendu dans des domaines tels que les transports ou le développement économique. Abordant, par ailleurs, le volet financier de la réforme, elle s'est interrogée sur la possibilité pour les collectivités locales de percevoir une fraction de certains impôts nationaux, tels que la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ou la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). A cet égard, elle a souhaité savoir si cette orientation soulevait effectivement des problèmes au regard du droit communautaire, comme l'a récemment indiqué le comité des finances locales.

M. Bernard Roman a fait part de ses réserves sur les dispositions du projet de loi qui consacrent, pour la première fois sous la Ve République, une certaine prééminence du Sénat sur l'Assemblée nationale. Il a rappelé que le général de Gaulle et son premier ministre de l'époque, M. Michel Debré, avaient veillé, en 1958, à ce qu'il n'en soit pas ainsi. Il a jugé cette orientation d'autant plus choquante qu'elle ne s'accompagne d'aucune contrepartie en ce qui concerne la durée du mandat des sénateurs ou leur représentativité. Par ailleurs, il a souhaité savoir si le droit à l'expérimentation prévu par le projet de loi pourrait s'exercer aussi bien aussi au niveau national que local.

M. Guy Geoffroy a considéré qu'il n'était pas possible de déduire de l'article 3 du projet de loi, qui ne fait que prévoir que certains projets de loi seront soumis en premier lieu au Sénat, une quelconque prééminence d'une assemblée sur une autre, observant que cette disposition ne changeait rien aux compétences respectives des deux chambres.

M. Émile Zuccarelli a jugé que le débat qui s'est développé sur ce qui relève, respectivement, de la Constitution ou de la loi organique, était révélateur du manque d'homogénéité du texte du Gouvernement. Il a fait référence, en particulier, à la précision selon laquelle l'organisation de la République française est décentralisée. Il a également fait part de ses réserves sur l'articulation proposée entre la décentralisation et l'expérimentation, jugeant qu'une expérimentation trop extensible pourrait conduire à la coexistence de régimes juridiques excessivement différents. Il a, par ailleurs, contesté l'application du principe de l'expérimentation au domaine législatif, jugeant suffisant de confier aux collectivités locales le pouvoir de déterminer les modalités d'application de la loi. Observant que ceux qui réclamaient le droit d'adapter les normes nationales ne savaient généralement pas sur quelles matières ils seraient susceptibles d'exercer cette compétence, il a jugé qu'ils recherchaient surtout des « effets d'affichage » et s'est inquiété de la répercussion particulièrement préjudiciable de ces initiatives sur le texte même de la Constitution.

Mme Christiane Taubira s'est interrogée sur la portée réelle du principe de l'expérimentation en ce qui concerne l'outre-mer, et notamment sur les perspectives de généralisation qui sous-tendent l'expérimentation. Elle a insisté sur le fait que cette expérimentation devrait pouvoir être mise en œuvre y compris sur des enjeux propres aux DOM, comme par exemple les problèmes de navigabilité des fleuves en Guyane, et non pas uniquement sur des questions susceptibles de concerner l'ensemble du territoire français.

M. Philippe Vuilque a observé qu'il existait souvent un décalage entre la perception qu'ont les Français, d'une part, et les élus, d'autre part, des problèmes institutionnels. De ce point de vue, il a jugé que la réforme engagée par le Gouvernement en matière de décentralisation, qu'il a qualifiée d'« occasion manquée », ne parviendrait pas à combler ce décalage. Il a estimé que le dossier de la modernisation de la vie politique aurait dû être considéré comme prioritaire et s'est prononcé en faveur de nouvelles réformes concernant, notamment, le Sénat, le mode de scrutin des conseils généraux et le cumul des mandats.

M. Jean Leonetti a constaté que le projet de loi présenté par le Gouvernement ne conduisait pas à la disparition à terme, défendue par certains, des départements. Il s'est félicité de ce choix, considérant que les départements participaient pleinement à l'épanouissement de la citoyenneté locale. Il a cependant estimé qu'il ne fallait pas sous-estimer les inconvénients d'une stratification des différents niveaux de collectivités et s'est demandé si la reconnaissance d'un chef de file en fonction des domaines d'intervention ne serait pas un moyen de résoudre cette difficulté.

M. André Chassaigne a fait part de sa crainte que ce projet de loi ne fasse qu'accentuer les inégalités déjà très fortes qui existent entre des territoires, dont le niveau de développement est sensiblement différent. Il a jugé particulièrement important que l'État assume ses responsabilités en matière de péréquation.

M. Jacques-Alain Bénisti a relevé qu'en matière de péréquation, le Sénat avait modifié l'article 6 du projet de loi, qui fait désormais référence à la « compensation », et non plus à la « correction », des inégalités entre collectivités territoriales. Il a jugé préférable, sur ce point, de rétablir le texte initial du Gouvernement, tout en soulignant que les modalités d'application de cette disposition relevaient bien de la loi organique.

En réponse aux intervenants, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a apporté les précisions suivantes :

-- S'agissant de la méthode retenue par le Gouvernement pour procéder à cette nouvelle étape de la décentralisation, le choix a été fait de procéder d'abord à la révision de la Constitution, pour permettre à chacun de s'exprimer en organisant parallèlement des consultations régionales et nationales, avant de présenter les projets de loi organique et ordinaire nécessaires à la prise en compte des souhaits exprimés ; si ce choix n'est pas le plus simple, notamment en termes de communication, la solution inverse aurait été incohérente.

-- S'agissant de l'intercommunalité, le Gouvernement, contrairement aux vœux exprimés par une minorité de sénateurs, n'a pas souhaité constitutionnaliser les établissements publics de coopération intercommunale, non par méfiance à leur égard mais parce que ces groupements sont encore en pleine évolution, tant en ce qui concerne leurs structures que le mode de désignation de leurs représentants. Si le projet de loi adopté par le Sénat en première lecture n'autorise pas ces groupements à organiser les modalités d'une action commune à plusieurs collectivités, il en fait, en revanche, des supports pour l'expérimentation. En outre, le projet de loi constitutionnelle ne rend pas impossible tout transfert supplémentaire de compétences au profit des structures intercommunales : celui-ci pourra éventuellement être prévu par la loi, l'étendue des compétences de ces groupements tenant, en tout état de cause, à la volonté exprimée en ce sens par les communes qu'ils rassemblent.

-- L'article 2 du projet de loi constitutionnelle ne concerne nullement les collectivités territoriales ; il tend à permettre au législateur et au Gouvernement - qui, en vertu de la Constitution, dispose d'un pouvoir réglementaire autonome - de procéder à des expérimentations, ce qui, en l'absence de révision constitutionnelle, serait impossible. La décentralisation étant avant tout une réforme de l'autorité publique, il serait regrettable de reconnaître un pouvoir d'expérimentation aux collectivités territoriales sans en doter simultanément l'État ; l'expérimentation peut, en effet, se révéler un préalable indispensable à la mise en œuvre de réformes complexes ou de grande ampleur. A titre d'exemple, il sera désormais envisageable de prévoir, dans une loi, l'expérimentation de nouvelles modalités d'organisation judiciaire dans quelques tribunaux d'instance. Cette expérimentation - dont le Sénat a précisé qu'elle aura un objet et une durée limités - pourra avoir pour objet un territoire ou un contenu et se fera sous le contrôle du Conseil constitutionnel qui arbitrera entre droit à l'expérimentation et respect du principe d'égalité.

-- S'agissant du concept de collectivité chef de file, la rédaction adoptée, à l'article 4, par le Sénat affirme, dans un premier temps, le principe de l'absence de tutelle d'une collectivité sur une autre, et définit, dans un second temps, la possibilité d'y déroger ponctuellement, la loi pouvant charger une collectivité d'organiser les modalités d'une action commune à plusieurs d'entre elles.

-- En ce qui concerne le rôle et la place du Sénat sous la Ve République, il convient de rappeler que c'est la Constitution de 1958 qui a restauré le bicamérisme.

-- Il n'entre pas dans les projets du Gouvernement d'introduire la question de la réforme des modes de scrutin dans la présente révision constitutionnelle.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, a ensuite apporté les précisions suivantes :

-- La méthode retenue par le Gouvernement pour procéder à cette réforme n'est pas assimilable à celle adoptée par le précédent Gouvernement sur la réforme de la justice. En effet, les lois organiques concernaient alors des questions annexes à celles traitées dans le projet de loi constitutionnelle, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, la révision constitutionnelle énonçant des droits qui seront organisés et mis en œuvre dans des textes organiques. Ces derniers préciseront notamment les critères d'expérimentation - nécessité de réversibilité, d'évaluation et de volontariat - ainsi que les conditions d'organisation des référendums locaux. De même que le code pénal a donné corps aux principes très généraux inscrits dans la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, ce sont les dispositions organiques qui concrétiseront le projet de loi constitutionnel qu'il est, au demeurant, paradoxal de qualifier de flou et de dangereux à la fois. D'une façon générale, la révision constitutionnelle rendra nécessaires d'autres réformes, par exemple en matière fiscale, dont le contenu sera déterminé par la teneur de la réforme constitutionnelle adoptée.

-- Alors que la réforme de 1982 n'avait été précédée d'aucune concertation préalable dans les collectivités, les assises des libertés locales, actuellement organisées dans les régions, permettront de définir, non le contenu de la réforme constitutionnelle, mais les transferts de compétences susceptibles d'être opérés ainsi que le champ d'application du principe de subsidiarité. Elles seront également l'occasion de faire apparaître les interrogations suscitées par la réforme constitutionnelle, auxquelles il conviendra de répondre dans les textes subséquents. Dans ces conditions, il est nécessaire de clore ces assises avant d'examiner les dispositions organiques ; à l'inverse, si le Gouvernement présentait d'ores et déjà ces dernières, il pourrait lui être reproché de ne laisser aucune marge de manœuvre dans leur élaboration. D'une façon générale, le Gouvernement a engagé le débat sur la réforme constitutionnelle dans un esprit d'ouverture, comme l'atteste le nombre élevé d'amendements sénatoriaux sur lesquels il a émis un avis favorable.

- Inscrire les établissements publics de coopération intercommunale dans la Constitution aurait peut-être conduit à en faire un échelon obligatoire, alors qu'ils reposent sur le volontariat des collectivités. En outre, en faire des collectivités territoriales de plein exercice les contraindraient à respecter les dispositions de la charte européenne de l'autonomie locale de 1988, qui impose notamment l'élection au suffrage universel direct des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Or, même si une telle évolution est souhaitable, l'imposer trop rapidement risquerait de porter atteinte au développement de l'intercommunalité, en suscitant des réticences de la part des communes.

-- Dès lors que le régime de la TVA est défini au niveau européen, il n'est pas possible de confier compétence en la matière aux régions ; en revanche, ces dernières peuvent se voir reconnaître le pouvoir de fixer le taux de la TIPP, dont l'Union européenne ne fixe que les taux minima.

-- Actuellement, la définition des règles applicables en matière d'expérimentation est d'origine jurisprudentielle, ce qui conduit à une relative insécurité juridique. C'est pourquoi, afin de préserver et d'encadrer cette procédure, il est préférable de l'inscrire dans la loi constitutionnelle.

-- D'ores et déjà, il arrive que le Sénat soit saisi le premier d'un projet de loi, ce qui n'entraîne nulle prééminence sur le fond. La présente réforme ne fait, par conséquent, qu'inscrire une pratique, qui dépend actuellement de la seule volonté du Gouvernement, dans le droit. Elle la limite, en outre, à deux domaines, qui correspondent aux compétences reconnues au Sénat par l'article 24 de la Constitution, qui dispose que celui-ci assure la représentation des collectivités territoriales de la République et ajoute que les Français établis hors de France y sont représentés.

-- Le mécanisme de péréquation ne visera nullement à compenser les inégalités conjoncturelles, nées de la mise en œuvre d'une mauvaise gestion dans une collectivité, mais seulement à corriger les inégalités structurelles, liées à la situation géographique ou historique, héritée notamment de pratique excessivement centralisatrice du passé, par exemple en matière de transport ferroviaire ou aérien.

Mme Brigitte Giradin, ministre de l'outre-mer, a enfin apporté les précisions suivantes :

- Au-delà de leurs spécificités reconnues par les articles 73 et 74 de la Constitution, les collectivités situées outre-mer relèvent, au même titre que celles de métropole, des dispositions de droit commun figurant au titre XII de la Constitution. Dès lors, ces collectivités pourront, bien évidemment, mettre en œuvre des expérimentions en matière législative et réglementaire mais celles-ci ayant pour objet, le cas échant, d'être généralisées à l'ensemble du territoire, elles semblent donc moins bien adaptées à la prise en considération des spécificités de l'outre-mer que ne l'est la procédure permettant à ces collectivités d'adapter les dispositions législatives en vigueur. C'est pourquoi, le Gouvernement s'en est remis à la sagesse du Sénat sur l'amendement présenté par M. Jean-Paul Virapoullé, tendant à exclure l'île de la Réunion du bénéfice de l'application des dispositions relatives au pouvoir d'adaptation des règles en matière législative au profit de l'application des seules dispositions relatives à l'expérimentation. Le projet de loi constitutionnelle renforce considérablement la portée des possibilités d'adaptation dans les départements et régions d'outre-mer. Il autorise trois sortes d'assouplissements. S'inspirant de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, il autorise les adaptations nécessitées par les caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. En outre, il permet au législateur d'habiliter la collectivité qui le souhaite à fixer elle-même ces adaptations. Enfin, la nouvelle rédaction de l'article 73 de la Constitution prévoit que les collectivités concernées pourront être habilitées à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, y compris dans certaines matières relevant du domaine de la loi.

- Afin de renforcer la démocratie outre-mer, la rédaction de l'article 73 de la Constitution proposée par le projet de loi innove en prévoyant que le consentement des électeurs inscrits dans le ressort des collectivités concernées doit être recueilli préalablement à la création, par la loi, d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre mer ou à l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités. L'article 72-4 permettra, pour sa part, de consulter des électeurs d'une partie d'une collectivité située outre-mer sur leur volonté de changer de statut.

- Le projet de loi permettra aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 d'être associées à l'exercice de compétences régaliennes, aux côtés de l'État qui doit demeurer, en tout état de cause, le seul maître d'oeuvre en ces matières. A titre d'illustration, la Polynésie française bénéficie, d'ores et déjà, de la possibilité de prendre des dispositions de portée générale dans des matières qui relèvent, en métropole, de la compétence de l'État, mais elle n'a pas la compétence pour s'assurer du contrôle de leur application. Cette situation, qui n'est pas satisfaisante, ne devrait plus prévaloir après la mise en œuvre de la présente réforme constitutionnelle.

- L'accord de Nouméa du 5 mai 1998 évoque, non sans une certaine ambiguïté, la possibilité de modifier les règles relatives à la composition du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Le précédent Gouvernement avait proposé, dans le cadre du projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française, adopté par l'Assemblée nationale le 10 juin 1999, de substituer à un corps électoral dit « glissant » celui qualifié de « bloqué ». Le nouveau Gouvernement n'a pas l'intention de poursuivre dans cette voie compte tenu, notamment, du recours intenté contre la République française devant la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, fondé précisément sur les modalités de détermination du corps électoral. Dans un tel contexte, il serait, en effet, particulièrement malvenu et maladroit de restreindre davantage l'accès au corps électoral néo-calédonien alors même qu'aucun caractère d'urgence n'est attaché à cette réforme qui, en tout état de cause, ne trouverait lieu de s'appliquer qu'à partir de 2008.

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