COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 10

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 19 novembre 2002
(Séance de 9 heures)

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président

SOMMAIRE

 

pages

- Proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France (n° 341) (rapport)


2

- Information relative à la Commission

6

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Bernard Roman, la proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France (n° 341).

Après avoir exprimé sa fierté de rapporter, dans la première séance réservée à un ordre du jour proposé par le groupe socialiste, un texte accordant le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales aux étrangers résidant en France, M. Bernard Roman, rapporteur, a fait valoir que cette proposition de loi constitutionnelle s'inscrivait dans l'objectif, affiché récemment par le Président de la République et le Premier ministre d'améliorer l'intégration des étrangers en situation régulière, ajoutant qu'il contribuait également à renforcer la cohésion sociale dans notre pays. Rappelant que les 3,2 millions d'étrangers résidant en France, parmi lesquels plus de 80 % disposent d'un titre de séjour d'une durée de validité de dix ans, étaient venus, pour la plupart, à la demande des autorités de l'époque, il a estimé que la proposition de loi permettrait de satisfaire à l'exigence républicaine de solidarité, en développant le processus d'intégration, aujourd'hui limité aux nouveaux arrivants, et renforcerait la démocratie de proximité, au coeur de la réflexion actuelle.

Observant que le Parlement avait déjà délibéré sur cette question, il a rappelé qu'une proposition de loi constitutionnelle accordant aux étrangers le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales avait été adoptée, le 3 mai 2000, par l'Assemblée Nationale, sans que la procédure ne puisse aller à son terme en raison de l'opposition du Sénat, qui dispose, en matière constitutionnelle, d'une possibilité de blocage. Rapportant les récentes déclarations des responsables de la majorité actuelle affirmant leur volonté d'avancer sur cette question, il a estimé qu'il était maintenant nécessaire de transformer ces paroles en actes concrets, faisant valoir que le texte permettrait de poursuivre un travail engagé depuis le début de la cinquième République pour mettre en place une « citoyenneté de résidence ».

Le rapporteur a considéré que, au delà des débats idéologiques sur les relations entre nationalité et citoyenneté, il était nécessaire de prendre en compte ces étrangers qui ne souhaitent pas prendre la nationalité française, tout en désirant participer à la vie de la cité. Il a rappelé que cette citoyenneté de résidence existait déjà sur le plan civil, puisque les étrangers peuvent, depuis 1981, diriger une association et ont, depuis 1982, la possibilité d'être administrateur dans des structures publiques telles que les caisses de sécurité sociale, les offices publics des HLM et les offices publics d'aménagement et de construction, et ont acquis progressivement le droit de siéger comme parents d'élève dans les instances des établissements scolaires. Précisant également que le droit d'élire des représentants du personnel leur avait été accordé en 1946, celui d'être éligibles sans conditions dans les instances de l'entreprise résultant des lois Auroux, il a enfin rappelé que, en matière syndicale, les étrangers pouvaient, depuis 1968, adhérer à un syndicat et être délégué syndical et avaient, depuis 1975, le droit de participer aux élections prud'homales.

Évoquant l'association des étrangers à l'exercice de la démocratie locale, il a observé que, dans certaines communes, ces derniers pouvaient participer à la vie de la cité à travers les structures de concertation et de consultation prévues par le code général des collectivités territoriales, comme les conseils de quartier. Il a tenu, néanmoins, à rappeler que le juge administratif avait systématiquement censuré les délibérations de communes organisant les élections de « conseillers associés » représentant les résidents étrangers, de même que les délibérations prises par les conseils municipaux en leur présence, alors même qu'ils n'avaient qu'un rôle purement consultatif. Il a, ensuite, évoqué la disposition, adoptée par l'Assemblée Nationale lors de l'examen du projet de loi relatif à la démocratie de proximité, prévoyant expressément que la consultation des habitants de la commune est ouverte à toute personne concernée par les décisions communales.

Observant que la question du droit de vote des étrangers se posait avec une acuité particulière depuis la révision constitutionnelle du 25 juin 1992 autorisant le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants communautaires aux élections municipales, il a fait valoir que cette dernière conduisait à distinguer deux types d'étrangers, selon qu'ils appartiennent ou non à l'Union européenne, ce qu'il a considéré comme une rupture manifeste du principe d'égalité. Après avoir constaté que la France était, avec le Luxembourg, la Grèce et l'Autriche, le seul pays européen à ne pas avoir avancé dans ce domaine, il a cité le cas de l'Irlande, de la Suède, du Danemark et des Pays-Bas, qui accordent le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales aux étrangers après une période plus ou moins longue de résidence. Il a également évoqué le programme de gouvernement conclu par le SPD et les Verts en Allemagne, qui prévoit l'octroi du droit de vote pour tous les étrangers après un an de résidence. Après avoir souligné la place privilégiée de la France dans l'histoire de la démocratie, il a regretté que celle-ci soit la lanterne rouge de l'Europe sur cette question essentielle.

Observant que le débat se posait aujourd'hui dans des termes différents, en raison de l'ouverture de la société française, il a fait valoir que la proposition de loi permettrait de renforcer le processus d'intégration, estimant néanmoins qu'une réflexion sur les moyens d'assouplir la procédure de naturalisation et d'améliorer la lutte contre les discriminations devait être menée. Il a cité, à cet égard, la question de la double peine, rappelant que celle-ci ferait l'objet d'une proposition de loi inscrite à l'ordre du jour dans le cadre d'une autre séance réservée à un autre ordre du jour fixé par l'Assemblée, conformément à l'article 48 de la Constitution.

En conclusion, le rapporteur a indiqué qu'il présenterait deux amendements afin d'aligner le régime du droit de vote et d'éligibilité des résidents communautaires sur celui des résidents non communautaires, observant que ces modifications permettraient de se conformer pleinement au principe d'égalité.

Après avoir rappelé que le précédent Gouvernement n'avait pas eu le courage d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat la proposition de loi constitutionnelle présentée par les députés « verts » et adoptée par l'Assemblée nationale le 3 mai 2000, M. Thierry Mariani a contesté les arguments du rapporteur selon lesquels la France serait le pays de l'Union européenne le plus restrictif en matière de droit de vote des étrangers non communautaires. Il a illustré son propos en précisant que plusieurs pays, dont l'Espagne, n'avaient accordé le droit de vote aux élections locales aux personnes étrangères que sous réserve de réciprocité, tandis que d'autres, comme le Danemark, en subordonnaient l'exercice à la maîtrise de la langue. Rappelant ensuite que le processus de construction de l'Union européenne était fondé sur une communauté d'intérêts et de valeurs entre les différents pays membres, il a jugé pleinement légitime d'accorder des droits supplémentaires aux seuls étrangers originaires d'un pays communautaire résidant dans l'un des pays membres. Puis, après avoir souligné son indéfectible attachement au lien entre la nationalité et la citoyenneté, il a conclu son propos en se félicitant du dépôt de la proposition de loi constitutionnelle qui devrait permettre à l'ensemble des formations politiques représentées à l'Assemblée nationale de clarifier leurs positions respectives en cette matière.

Jugeant que les nombreuses hésitations des élus socialistes en matière de droit de vote des étrangers devaient rendre la position du rapporteur inconfortable, M. Jean Leonetti a rappelé que la première proposition sur ce sujet figurait parmi les 110 propositions de leur candidat à l'élection présidentielle de 1981 et a observé qu'aucune mesure concrète n'avait pourtant été prise depuis lors. Puis, réagissant aux propos du rapporteur sur l'existence d'une « citoyenneté de résidence », il a fermement contesté cette notion, insistant sur son attachement au lien entre nationalité et citoyenneté et estimant inopportun d'accorder la citoyenneté à des personnes dont le séjour sur le territoire de la République peut être temporaire, voire précaire. Il a ajouté que la conception française de la nationalité et de la citoyenneté était fondée sur le partage d'une communauté de destin et observé que la possibilité offerte aux étrangers d'accéder à la nationalité française constituait le meilleur moyen de garantir leur participation à la vie publique dans le respect des valeurs républicaines. Considérant que l'amélioration du processus d'intégration des étrangers dans la communauté nationale constituait le véritable défi à relever, il a souligné qu'elle supposait, notamment, le renforcement de la lutte contre les discriminations et le développement d'une véritable politique de naturalisation s'appuyant, le cas échéant, sur la mise en place d'un « contrat d'intégration ». Il a conclu en soulignant que le dispositif proposé aurait également pour regrettable effet d'affaiblir l'intérêt de l'appartenance à l'Union européenne puisque les citoyens communautaires ne bénéficieraient plus d'avantage spécifique par rapport aux étrangers ressortissants d'un État non membre, résidant sur notre territoire.

M. Étienne Blanc a exprimé sa préférence pour une politique d'intégration totale des étrangers, par le biais des procédures d'acquisition de la nationalité, plutôt que pour une intégration partielle et incomplète, telle que proposée par le rapporteur, se limitant à l'octroi du droit de vote. Il a indiqué qu'une telle proposition allait, en outre, à l'encontre des règles de droit international, fondées sur le principe de réciprocité et ajouté que la suppression de ce principe ferait perdre à la France un réel pouvoir d'influence et de négociation. Il a, enfin, exprimé ses réserves sur la proposition émise par le rapporteur de supprimer, par coordination avec le dispositif, l'article 88-3 de la Constitution relatif au droit de vote des ressortissants communautaires , observant que la rédaction actuelle de l'article comprenait, outre une condition de réciprocité, une restriction tout à fait pertinente destinée à interdire les fonctions exécutives locales aux ressortissants communautaires, restriction qui ne figure pas dans la proposition de loi constitutionnelle du groupe socialiste.

Évoquant le cas de l'ambassadeur d'un pays étranger en France, qui a acquis la nationalité française lorsqu'il était étudiant pour avoir le droit de voter, M. Alain Marsaud a plaidé pour une politique de l'intégration qui passe par les procédures d'acquisition de la nationalité française ; faisant référence à l'exposé des motifs de la proposition de loi, il s'est déclaré peu convaincu par l'argument selon lequel les jeunes immigrés de la deuxième génération attendraient que l'on reconnaisse le droit de vote à leurs parents avant de s'impliquer eux-mêmes dans le débat civique.

M. Jean-Luc Warsmann, président, s'est étonné que le groupe socialiste demande à l'Assemblée nationale de se prononcer sur une nouvelle proposition de loi constitutionnelle sur le droit de vote des étrangers aux élections locales alors qu'il n'a jamais tenté, lorsqu'il était au pouvoir, d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat la proposition adoptée en mai 2000.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a ensuite apporté les précisions suivantes :

-  La majorité et l'opposition ont des conceptions différentes de la République et, partant, des visions diamétralement opposées sur la place qu'il convient d'accorder aux étrangers en France. S'il peut être justifié de limiter l'accès aux élections européennes aux étrangers ressortissants d'un pays membre de l'Union européenne, une distinction entre catégories d'étrangers n'a pas lieu d'être pour les élections locales. La distinction entre deux catégories d'étrangers, les résidents communautaires et les autres, conduit à faire de ces derniers des citoyens de seconde zone, ce qui est inacceptable. La proposition de loi concerne trois millions deux cent mille personnes, à qui l'on donne le droit actuellement de participer à la vie économique et sociale de la Nation, mais pas celui de prendre part à la définition de leur destinée locale.

-  Un grand nombre d'étrangers résidant en France participent à la vie de la Nation et souhaiteraient pouvoir voter aux élections locales, sans pour autant acquérir la nationalité française.

-  Il convient de bien distinguer notions de citoyenneté et de souveraineté ; le Conseil constitutionnel a ainsi établi une différence entre les élections nationales et les élections locales, lesquelles ne participent pas de l'exercice de la souveraineté. Il est possible de faire participer les étrangers aux élections locales, sans pour autant porter atteinte à la conception française de la souveraineté nationale.

-  Il ne faut pas davantage confondre la citoyenneté de résidence avec la citoyenneté de passage. Le groupe socialiste propose de mettre en œuvre un statut de « citoyen de résidence » pour les étrangers régulièrement et durablement installés en France. Ce statut pourrait être acquis au terme de cinq ans de résidence régulière.

-  La France est en retard par rapport à ses partenaires de l'Union européenne. Onze États sur quinze ont progressé en matière de droit de vote des étrangers aux élections locales. Des avancées ont eu lieu, d'ores et déjà, en Espagne et au Portugal : sous réserve d'accords de réciprocité, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut y être accordé aux résidents étrangers. En Finlande, depuis 1981, tous les étrangers scandinaves sont électeurs ou éligibles aux élections municipales et régionales et ce droit a été étendu, en 1996, aux autres résidents étrangers, sous réserve d'une résidence ininterrompue dans le pays de deux années. En Allemagne, l'octroi du droit de vote aux étrangers aux élections locales fait partie des engagements du Chancelier Schröder.

-  La proposition de loi constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale en mai 2000 n'a pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat, parce qu'elle ne pouvait, en tout état de cause, aboutir, compte tenu de l'hostilité de la seconde chambre. Dès lors le Gouvernement a privilégié des textes susceptibles d'être définitivement adoptés. Le groupe socialiste a décidé de reposer la question du droit de vote et d'éligibilité des étrangers aux élections locales parce qu'il souhaite réaffirmer clairement sa position en la matière et parce que les prises de position de certains membres éminents de la majorité, comme M. Philippe Douste-Blazy, peuvent causer des évolutions en la matière, d'autant que le Président de la République a mis l'accent sur la nécessité de développer une véritable politique d'intégration.

-  Si l'Assemblée procède en séance publique à l'examen de l'article de la proposition de loi, des amendements pour exclure les étrangers de l'accès à des fonctions exécutives pourraient être débattus. Par ailleurs, il n'y a plus lieu de maintenir, à l'article 88-3 de la Constitution, une condition de réciprocité pour autoriser l'accès au droit de vote des étrangers communautaires, puisque tous les pays de l'Union accordent désormais le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales.

À l'issue de la discussion générale, la Commission a décidé de ne pas procéder à l'examen des articles, et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusion.

*

* *

Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Xavier de Roux, rapporteur pour le projet de loi constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt européen.

--____--


© Assemblée nationale