COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 34

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 mai 2004
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Xavier de Roux, vice-président

SOMMAIRE

Proposition de loi présentée par M. Christophe Caresche et plusieurs de ses collègues, relative au renforcement de la responsabilité individuelle des dirigeants et mandataires sociaux dans les sociétés anonymes ainsi qu'à la transparence et au contrôle de leur rémunération dans les sociétés cotées (n° 1304) (M. Christophe Caresche, rapporteur).

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Christophe Caresche, la proposition de loi relative au renforcement de la responsabilité individuelle des dirigeants et mandataires sociaux dans les sociétés anonymes ainsi qu'à la transparence et au contrôle de leur rémunération dans les sociétés cotées (n° 1304)

M. Christophe Caresche, rapporteur, a tout d'abord remercié le président Pascal Clément, qui a en effet pris l'initiative de créer voici deux ans la mission d'information sur la réforme du droit des sociétés, dont les travaux ont conduit à l'élaboration de la proposition de loi déposée par les membres du groupe socialiste. Rappelant que cette mission avait rendu des conclusions largement consensuelles sur un certain nombre de points, il a regretté que la proposition de loi déposée par le président Pascal Clément et plusieurs membres du groupe ump, publiée plus de quatre mois après la fin des travaux de la mission, n'ait toujours pas été inscrite à l'ordre du jour. Il a expliqué que l'opposition s'était donc attelée à la rédaction d'un texte, jugeant nécessaire d'apporter des réponses au constat alarmant dressé par la mission, concernant notamment la rupture du contrat social, le climat de défiance qui s'était installé aussi bien dans l'entreprise que sur les marchés et les pratiques contestables des mandataires sociaux, notamment en matière de rémunération.

À cet égard, le rapporteur a rappelé que les rémunérations des dirigeants et mandataires sociaux, qui représentaient l'un des symptômes les plus manifestes des dysfonctionnements actuels, avaient connu une envolée non seulement aux Etats-Unis mais également en France, sans que les résultats des entreprises suivent systématiquement le même mouvement. Il a ainsi rappelé que, d'après l'économiste Thomas Piketty, entre 1997 et 2002, les cinq plus grosses rémunérations des entreprises françaises, publiées dans les rapports annuels, avaient augmenté de 50 %. Évoquant également les pratiques en matière d'indemnités - golden hellos et golden parachutes -, dont l'actualité la plus récente, telle que la fusion entre Sanofi-Synthélabo et Aventis, montrait qu'elles pouvaient atteindre des montants énormes, il a jugé que c'était la cohésion sociale au sein de l'entreprise qui était touchée, du fait de l'écart toujours croissant entre les plus hautes et les plus basses rémunérations.

Il a par ailleurs observé qu'au-delà même du problème spécifique des rémunérations, actionnaires et salariés subissaient de plein fouet les conséquences de choix stratégiques aléatoires ou de fautes de gestion, qui pouvaient conduire à la ruine des premiers et au licenciement des seconds. Soulignant la nécessité de rétablir la cohésion sociale dans l'entreprise, M. Christophe Caresche a mis en doute la capacité des chefs d'entreprise à réagir face à cette crise, notamment au vu des auditions menées par la mission, qui ne lui avaient pas donné le sentiment que ces derniers aient pleinement pris la mesure des problèmes. Il a rappelé que les dirigeants sociaux avaient systématiquement plaidé en faveur de l'autorégulation, alors même que celle-ci avait montré ses limites. Il a estimé que, s'il n'était pas question d'entraver la réactivité et l'initiative des dirigeants et mandataires, qui avaient besoin de liberté et de marges de manœuvre et que, s'il ne s'agissait pas non plus de revenir à une économie administrée, il était toutefois nécessaire de renforcer le volet responsabilité de notre droit des sociétés, corollaire indispensable de la liberté. À cet égard, le rapporteur a fait valoir que celle-ci n'était pas effective, certains - tels que Mme Colette Neuville, présidente de l'association des actionnaires minoritaires - allant jusqu'à parler d'un régime d'irresponsabilité. Il a rappelé que si, en matière pénale, l'abus de bien social permettait de mettre effectivement en cause la responsabilité des dirigeants sociaux, il en était tout autrement en matière civile, alors même que le principe de cette responsabilité civile était inscrit dans la loi. Il a expliqué qu'il n'était pas appliqué du fait d'une jurisprudence restrictive de la Cour de cassation, et souligné les effets pervers de cette interprétation de la loi, notamment le traitement pénal d'affaires relevant pourtant de la responsabilité civile.

Il a indiqué que, à l'encontre de cette jurisprudence, la proposition de loi tendait à redonner corps au principe de la responsabilité civile des dirigeants et mandataires sociaux : elle prévoit à cette fin la prise en charge, par la société, des frais de procédure, la nomination d'un administrateur ad hoc chargé de représenter la société et la nullité des contrats souscrits par les dirigeants sociaux pour s'assurer en matière de responsabilité civile, dont les primes représentent un montant de 300 millions d'euros par an. En matière de rémunération, M. Christophe Caresche a expliqué que la proposition de loi prévoyait le vote annuel, par l'assemblée générale, non pas d'un plafond, mais de l'écart entre la plus haute et la plus basse rémunération au sein de l'entreprise, ainsi qu'une plus grande transparence dans la publication des rémunérations, incluant en particulier les avantages indirects dont bénéficiaient les mandataires sociaux. Il a indiqué que la proposition de loi visait également à supprimer les pouvoirs en blanc donnés à la direction par les actionnaires en vue des assemblées générales, ainsi que, par cohérence, l'exigence d'un quorum lors de la deuxième convocation de l'assemblée générale, mesures dont il a estimé qu'elles étaient susceptibles de rencontrer un large consensus puisqu'elles responsabilisaient les actionnaires. Il a enfin souligné que la proposition de loi accroissait l'information destinée aux sections syndicales et aux comités d'entreprise.

Il a conclu son propos en souhaitant que la proposition de loi, en tant que conclusion législative d'un travail commun à tous les groupes, suscite une large adhésion.

M. Alain Marsaud a demandé au rapporteur de lui confirmer que la proposition de loi était destinée à s'appliquer à toutes les sociétés anonymes, cotées et non cotées, et notamment à celles dont le chef d'entreprise détient la totalité du capital.

M. Arnaud Montebourg, faisant valoir que la proposition de loi s'appuyait sur des constatations unanimes de la mission d'information sur la réforme du droit des sociétés, ainsi que sur un diagnostic largement partagé par les observateurs extérieurs, a exprimé sa conviction qu'une majorité pouvait être dégagée sur un tel texte, qu'il a qualifié de régulateur, en ce qu'il organise la discussion interne et renvoie aux organes de droit commun de la société anonyme l'examen des décisions de gestion significatives. Après avoir souligné que la proposition de loi ne s'inspirait ni des principes de l'économie administrée, ni des procédures très strictes de régulation mises en œuvre dans des pays anglo-saxons, comme celles prévues par la loi américaine « Sarbanes-Oxley » de juillet 2002, il a considéré qu'elle permettait d'organiser la transparence dans le capitalisme financier, favorisant son accession à l'âge de la maturité. Il a conclu en appelant la majorité à engager le débat sur le contenu des articles de la proposition de loi.

Le rapporteur a confirmé que toutes les sociétés anonymes entraient dans le champ de la proposition de loi, arguant de ce que le principe de la responsabilité civile des dirigeants sociaux concernait tous les dirigeants qui commettaient, non pas des erreurs, mais des fautes de gestion. Il a regretté que le président Pascal Clément n'ait pas joint à la discussion la proposition de loi dont il était le premier signataire, ce qui aurait pu donner l'occasion d'un débat plus riche encore.

M. Xavier de Roux a noté que le Président de l'Assemblée nationale n'avait été informé que le 3 mai de la décision du groupe socialiste d'inscrire à l'ordre du jour de la séance d'initiative parlementaire du 11 mai la proposition de loi de M. Christophe Caresche. Tout en relevant deux points communs entre ce texte et celui de la proposition de loi déposée par M. Pascal Clément, il a rappelé que M. Christophe Caresche n'était pas le rapporteur de celle-ci et que le délai disponible n'était guère favorable à un examen approfondi du texte en discussion. Il a donc proposé à la Commission de ne pas présenter de conclusions et précisé que, lors de l'examen de la proposition de loi en séance publique, l'Assemblée serait appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles.

M. Arnaud Montebourg a rappelé que les députés socialistes avaient déploré à l'époque la faiblesse de la teneur des propositions issues de la mission d'information face à l'ampleur du constat sur les pratiques des sociétés et de leurs dirigeants. Il a considéré que depuis lors le débat avait progressé dans l'opinion publique et qu'il était temps, compte tenu de la proposition de loi socialiste et la proposition de loi du président de la commission des Lois déposée un mois après, de le faire aboutir par des propositions concrètes. Il a précisé que la proposition de loi discutée aujourd'hui ne reprenait pas l'amendement présenté par M. Philippe Houillon lors de l'examen du projet de loi sur la sécurité financière et consistant à faciliter l'action en réparation du préjudice subi personnellement par les actionnaires. Observant que la proposition socialiste s'inscrivait dans une logique tournée vers l'intérêt social de l'entreprise et de ses salariés, il a souhaité que l'examen de ce texte en séance ne se limite pas à une discussion générale mais porte également sur les articles qu'il contient.

À l'issue de ce débat, la Commission a décidé de ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi.

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