COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 42

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 15 juin 2004
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

Examen de la proposition de loi présentée par MM. Pascal Clément et Bernard Accoyer relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 (n° 1654) (M. Alain Marsaud, rapporteur)

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Alain Marsaud, la proposition de loi présentée par MM. Pascal Clément et Bernard Accoyer, relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 (n° 1654).

Rappelant que l'Assemblée nationale avait débattu l'année dernière de façon approfondie de la question de l'immigration à l'occasion du vote de la loi sur la maîtrise de l'immigration et le séjour des étrangers en France et la nationalité, M. Alain Marsaud, rapporteur, a indiqué que le régime des mesures d'éloignement du territoire avait, à cette occasion, été aménagé en faveur de ceux qui ont construit leur vie en France et qu'un équilibre avait été recherché entre la protection due à ces étrangers et à leurs familles et les exigences de l'ordre public. Il a rappelé que l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France avait été modifié à cette fin pour offrir à certaines catégories d'étrangers une protection quasi absolue contre l'expulsion afin d'empêcher, d'une part l'éloignement de personnes qui sont en France depuis l'enfance et pour lesquelles une mesure d'éloignement constituerait une forme de bannissement, d'autre part l'éloignement d'étrangers qui provoquerait l'éclatement de familles stables. Le rapporteur a toutefois indiqué que cette protection était écartée dans certaines hypothèses d'une extrême gravité, relevant d'une violation flagrante des fondements de l'État et de la cohésion sociale, c'est-à-dire en cas de comportements : de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État ; ou liés à des activités à caractère terroriste ; ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine, ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes. Le rapporteur a indiqué que c'était cette dernière exception que la proposition de loi déposée le 8 juin dernier par MM. Pascal Clément et Bernard Accoyer tendait à modifier.

Revenant sur les premiers mois d'application de ce texte, le rapporteur a indiqué que, depuis le 1er janvier 2004, dix arrêtés ministériels d'expulsion avaient été pris, dont sept au titre d'activités terroristes et islamistes. Après avoir relevé une décroissance très nette du nombre d'arrêtés pris par le ministre de l'Intérieur dès 2003, puisque leur nombre avait été divisé par deux par rapport à l'année précédente, le rapporteur a précisé que l'un de ces arrêtés avait été suspendu par le tribunal administratif de Lyon et qu'il concernait M. Abdelkader Bouziane, imam à Vénissieux, pris courant février 2004 en raison des liens de l'intéressé avec des éléments très déterminés de la mouvance intégriste islamiste. Observant que cet arrêté n'avait pas été mis immédiatement à exécution, notamment pour des raisons tenant à l'obligation de trouver un pays d'accueil, le rapporteur a rappelé que, postérieurement à cet arrêté, M. Bouziane avait tenu des propos considérés comme attentatoires à la dignité des femmes, sans qu'ils puissent toutefois être assimilés à une provocation à la discrimination à raison de l'origine ou de la religion tombant sous le coup de l'article 26 de l'ordonnance de 1945.

Évoquant les initiatives parlementaires ayant vu le jour pour permettre à l'autorité administrative de lutter efficacement contre des comportements contraires aux valeurs qui fondent la République, le rapporteur a fait état de la proposition qu'il avait déposée avec MM. Michel Voisin et Thierry Mariani, tendant à modifier l'article 25 bis de l'ordonnance du 20 novembre 1945 pour donner à l'administration le moyen d'expulser les étrangers proches de personnes liées à des activités terroristes ; il a également fait état de l'intention de M. André Gerin de déposer une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur ce sujet.

Présentant l'objet la proposition de loi de MM. Pascal Clément et Bernard Accoyer, dont le groupe ump a demandé l'inscription à l'ordre du jour, le rapporteur a indiqué qu'elle tendait à modifier le premier alinéa du I de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, et plus précisément la dernière des exceptions qu'il comporte, relative aux actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Il a indiqué qu'elle tendait à rendre possible l'expulsion d'un étranger bénéficiant d'une protection quasi absolue en cas de comportement constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes. Il a noté que la formulation proposée pouvait ainsi inclure des provocations contre des personnes, non seulement à raison de leur origine ou de leur religion, mais aussi à raison de leur sexe, de leurs convictions politiques, voire de leur apparence physique. Il a ajouté que cette provocation devrait être explicite et délibérée, c'est-à-dire qu'elle ne devrait pas relever d'un simple procès d'intention de l'administration ou d'un simple dérapage verbal de la part de l'auteur. Il a souligné que, comme c'est le cas aujourd'hui, l'expulsion ne pourrait être ordonnée qu'à deux conditions : d'une part, que le comportement de l'étranger rentre dans l'une des trois hypothèses visées au premier alinéa du I de l'article 26, ce qui lui fait perdre le bénéfice de la protection absolue ; d'autre part, que l'expulsion constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique, conformément à l'article 25 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Il a donc proposé à la Commission d'adopter le texte sans modification.

Le président Pascal Clément a fait observer que cette proposition de loi, qui n'est pas destinée à traiter l'affaire Bouziane puisque l'expulsion de celui-ci était motivée par ses liens avec des éléments de la mouvance fondamentaliste, permettait de donner une portée plus grande à une disposition privant les étrangers de la protection absolue que leur offre l'ordonnance du 2 novembre 1945. Il a rappelé que la proposition s'inscrivait dans le mouvement général de la législation française tendant à sanctionner plus durement les propos provocateurs tenus à l'encontre de certaines personnes ou certains groupes de personnes. Il a enfin souligné que les auteurs de la proposition avaient choisi la voie de la simplicité en ne modifiant qu'un seul article de l'ordonnance de 1945.

M. Jérôme Lambert a estimé que les signataires de la proposition de la loi ne pouvaient faire abstraction de l'affaire de l'imam de Vénissieux et s'est interrogé sur la portée de la rédaction proposée, qui permettait l'expulsion des auteurs d'une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence sans pour autant permettre l'expulsion de ceux qui commettaient une violence.

Le rapporteur a rappelé que l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 devait être rapproché de son article 25 bis, qui subordonnait l'expulsion des étrangers bénéficiant d'une protection particulière à l'existence d'une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique.

Suivant son rapporteur, la Commission a adopté sans modification l'article unique de la proposition de loi.

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