COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 47

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 6 juillet 2004
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

Audition de M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et de M. Dominique de Villepin, ministre de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur le traitement de la récidive des infractions pénales.

La Commission a procédé à l'audition de M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et de M. Dominique de Villepin, ministre de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, sur le traitement de la récidive des infractions pénales.

Le président Pascal Clément a tout d'abord relevé que, plus que jamais, la lutte contre la récidive était au cœur des préoccupations des Français, les affaires récentes démontrant la dimension insupportable prise par ce phénomène. Celles-ci, tout comme le taux moyen de récidive de 31 %, signifient clairement que, en la matière, l'arsenal législatif et la politique pénale sont nettement insuffisants. Dans ces conditions, s'interroger sur les moyens de traiter au mieux la récidive pénale constituait un véritable devoir pour la Représentation nationale car refuser à la police et à la justice les moyens de lutter contre ce fléau reviendrait à les empêcher d'accomplir leur mission de service public.

Certains députés, parmi lesquels MM. Christian Estrosi, Jean-Paul Garraud, Georges Fenech et Gérard Léonard ont souhaité contribuer à cette réflexion, dans le cadre d'un débat riche et ouvert. À partir de leurs travaux, la mission d'information de la commission des Lois s'est engagée dans une étude couvrant la totalité du processus judiciaire, allant des poursuites à la condamnation, puis de la condamnation à l'exécution de la peine et à la libération de l'intéressé. Créée le 7 avril dernier, la mission arrive maintenant au terme de ses travaux, après vingt-cinq auditions, menées sous la direction de son rapporteur, M. Gérard Léonard, qui ont montré que la dangerosité des délinquants et leur propension à la violence doivent être placées au cœur de l'action et de la décision judiciaires. Or, celles-ci sont insuffisamment prises en compte aujourd'hui, comme en attestent la faiblesse du suivi médical et psychiatrique en détention, ou l'absence de suivi de ces délinquants après leur libération.

Un tel constat ne peut que sincèrement inquiéter et appeler des remèdes : c'est dans ce but que la mission d'information proposera vingt mesures pour placer la lutte contre la récidive au cœur de la politique pénale. L'engagement du Gouvernement dans la lutte contre la récidive ne fait aucun doute. Il serait souhaitable qu'il se poursuive maintenant avec la commission des Lois, grâce au travail effectué par tous les parlementaires membres de la mission d'information.

M. Dominique de Villepin, ministre de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales a, en premier lieu, salué la qualité du travail effectué par la mission d'information sur un sujet de préoccupation majeure des Français. La montée des violences, notamment sexuelles, constatée aujourd'hui est intolérable, comme l'illustrent les récents drames en Alsace ou dans les Ardennes. Certes, grâce au travail d'enquête de la police et de la gendarmerie, les personnes susceptibles d'être les auteurs de ces faits ont été arrêtées, mais, pour les enfants martyrisés et les familles brisées, tout doit être fait pour éviter que de telles tragédies se renouvellent. Récemment, la réunion à Gif-sur-Yvette de près de trente associations de victimes a permis de mesurer les efforts à accomplir collectivement pour mieux prendre en compte les victimes tout au long de la chaîne pénale, que ce soit dans les commissariats, ou lors de la mise en œuvre des réparations prescrites par le juge.

Dans cette perspective, il faut protéger davantage la société, notamment contre la perversité de certains criminels déjà condamnés. Cette tâche difficile, à laquelle divers parlementaires ont contribué, notamment MM. Christian Estrosi, Gérard Léonard ou Jean-Paul Garraud, exige une détermination commune des forces de l'ordre et de la justice. L'audition conjointe du garde des Sceaux et du ministre de l'Intérieur témoigne de cette volonté à la fois d'un engagement commun sur le problème de la récidive, et d'une plus grande solidarité de l'ensemble de la chaîne pénale.

La lutte contre la récidive suppose d'abord de lutter plus efficacement contre la délinquance. À cet égard, la mobilisation des forces de l'ordre a permis de continuer de réduire la délinquance, de 3,7 % au premier semestre de cette année. De leur côté, magistrats et fonctionnaires de justice ont permis, avec des moyens constants, une accélération du traitement des dossiers depuis deux ans. Ces résultats devraient pouvoir être encore améliorés, en demandant aux services d'accorder une importance particulière à la qualité des procédures établies, et en tirant les effets attendus de la réforme des corps et carrières de la police nationale, qui devrait permettre de disposer, à terme, de plus de 40 000 officiers de police judiciaire (opj) qualifiés.

Au-delà, les bons résultats doivent s'inscrire dans la durée, en attaquant les « noyaux durs » de la criminalité. Les nouvelles priorités qui viennent d'être assignées aux services vont en ce sens. De même, la récidive doit-elle être traitée véritablement en tant que telle, car plus d'un tiers des délits est commis par des récidivistes, et près de la moitié par des délinquants mineurs. De surcroît, ce taux augmente régulièrement, depuis plusieurs années, attestant de l'inefficacité du dispositif pénal et de son application. L'action à mener doit en conséquence être guidée par trois objectifs : réduire les taux de récidive ; faire reculer le sentiment d'impunité, toutes les infractions devant pouvoir être sanctionnées ; enfin, restaurer l'autorité de l'État pour appuyer la mobilisation des forces de l'ordre.

Pour lutter contre la récidive, il convient naturellement de mieux en appréhender sa réalité, qui doit être abordée sous tous ses aspects : statistiques précises attendues de l'Observatoire de la délinquance ; attention renouvelée à la psychologie des criminels en série et aux hyperviolents, se fondant sur la tradition de la criminologie française, sur les travaux de l'Institut des hautes études de sécurité intérieure (ihesi) en liaison avec les équipes de recherche du ministère de la Justice et de l'université, sur le système d'analyse des liens de la violence associée au crime (salvac), ou encore sur la comparaison avec les expériences étrangères.

Le ministre a ensuite indiqué que la recherche de l'efficacité commandait l'évolution de certaines pratiques, et sans doute de la loi elle-même, dans le cadre d'une triple exigence de légitimité, qui impose que seul le juge se prononce sur la nécessité et la durée d'une peine d'emprisonnement ; de responsabilité, qui exige que les peines prononcées tiennent mieux compte de la dangerosité des délinquants ; d'équité enfin, qui suppose une gradation de la sanction en fonction de la gravité de la récidive et de la volonté du délinquant de persévérer ou non dans l'erreur.

Ces orientations doivent être suivies, parallèlement avec le ministère de la Justice, selon deux axes : une meilleure politique de traitement et de suivi des grands récidivistes et des délinquants « réitérants », qui devra faire l'objet de mesures prises à l'occasion des prochaines réunions des conférences départementales de sécurité ; la mise en œuvre d'actions plus efficaces, avec l'appui des groupes locaux de traitement de la délinquance (gltd), qui seront de nouveau réunis à cet effet par les procureurs de la République. Même si certaines juridictions souffrent d'une surcharge d'activité incontestable, dans les grandes villes et en Ile-de-France, la rapidité des jugements pour les délinquants récidivistes serait de nature à rassurer les Français et à prévenir ces comportements : aussi la suggestion de la Chancellerie de rendre exécutoires les jugements condamnant les multirécidivistes à des peines d'emprisonnement ferme, malgré un éventuel appel, doit-elle être soutenue.

Puis, le ministre a estimé que l'ensemble de la chaîne pénale devait être renforcé :

-  par une meilleure information des magistrats, sur la personnalité des prévenus et leur trajectoire. La démarche du garde des Sceaux, qui souhaite demander aux procureurs de retenir systématiquement l'état de récidive dès qu'ils en sont informés, et de permettre aux juridictions de jugement de pouvoir en tenir compte même si celui-ci n'a pas été visé dans l'acte de poursuite, doit être saluée. Elle suppose toutefois une vigilance accrue des opj sur le passé criminel des suspects lors de leur mise en garde à vue, ainsi que l'amélioration des moyens techniques nécessaires pour accélérer les possibilités de consultation, par les procureurs et les juges d'instruction, des fichiers stic pour la police et judex pour la gendarmerie, indépendamment du casier judiciaire dont l'utilisation semble parfois poser des difficultés. Ainsi pourra être évité l'écueil des peines automatiques, peu conformes à notre tradition juridique et aux principes constitutionnels, tout en permettant de prononcer des peines plus sévères pour les récidivistes ;

-  par une application rapide et effective de la loi pénale, fondée sur une coopération intelligente de l'ensemble des acteurs du système répressif, le ministre de l'Intérieur devant légitimement se préoccuper du bon fonctionnement de l'institution judiciaire et pénitentiaire, comme le garde des Sceaux de celui de la police et de la gendarmerie. À cet égard, la qualité du dialogue entre les collaborateurs des ministres ou entre les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales et le directeur des Affaires criminelles et des grâces témoigne de cet esprit ;

-  par une concertation accrue, qui permettra de connaître les suites données à l'engagement permanent des policiers et des gendarmes dans leur mission, de comprendre, par exemple, comment les condamnations pour vol ont diminué de 74 % entre 1984 et 2001 alors que les vols eux-mêmes ont augmenté de 10 %, ou d'éviter le risque de voir se développer une justice « privée » pour les contentieux échappant ainsi à la chaîne pénale ;

-  par une application des peines rendue plus responsable grâce à la prise en considération de la dangerosité des délinquants. En particulier, le prononcé des peines ne devrait plus pouvoir être assorti, sans limites, de sursis avec mise à l'épreuve, au risque de rendre impossible toute réinsertion, qui exige naturellement des sanctions. A contrario, les primo-délinquants pourront alors bénéficier d'un réel accompagnement de la part des services de probation aujourd'hui surchargés. En conséquence, la révocation du sursis devrait, après répétition d'actes de violences, être automatique. De même, l'octroi automatique des réductions de peines doit être réduit, que ce soit par la prise en compte de la dangerosité des délinquants en matière de libération conditionnelle ou de confusion des peines, par l'exclusion, acceptée, des faits de violence grave de la grâce présidentielle, ou par l'impossibilité de réduction des peines pour les cas les plus dangereux ;

-  par une préparation plus adaptée des détenus à leur libération, privilégiant, dans l'intérêt de tous, l'aide à la recherche d'emploi au cours de la période probatoire et par l'intégration, dans les objectifs des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, de l'accompagnement des détenus libérés.

Le ministre a ensuite souligné que la lutte contre la délinquance sexuelle devait constituer une priorité absolue, de nature à répondre aux attentes de l'opinion publique. Dans cette perspective, un fichier des délinquants sexuels a commencé à être mis en place, en collaboration avec la Chancellerie et il pourrait devenir la base d'un nouveau fichier européen géré par Europol, si les pays membres de l'Union en sont d'accord. Dans le même sens, il est urgent que le ministère de la Santé se mobilise pour organiser un véritable suivi psychiatrique des détenus libérés ayant commis des atteintes sexuelles, et que soient prises les dispositions législatives nécessaires pour trouver des solutions alternatives à la prison et à l'hôpital psychiatrique pour l'incarcération des pervers criminels.

Le ministre a conclu son propos en indiquant que le projet de loi sur la prévention de la délinquance comprendrait des dispositions en faveur de la lutte contre la récidive et que la réflexion gouvernementale serait poursuivie pour élaborer les mesures les mieux à même de répondre aux exigences légitimes des citoyens. En tout état de cause, dans des cas graves de récidive de certains mineurs, seule la sanction est efficace, qu'il s'agisse de la rétention ou de l'éloignement dans des établissements aménagés à cet effet, à l'instar de ceux que le ministre de la Justice est en train de mettre en place.

Soulignant l'opportunité d'avoir engagé des réflexions parallèles au sein du Parlement et du Gouvernement sur le traitement de la récidive des infractions pénales et remerciant les membres de la mission d'information pour le travail accompli, M. Dominique Perben, ministre de la justice, garde des Sceaux, a rappelé que l'étude la plus récente sur le taux de récidive l'évaluait à environ 30 % pour l'ensemble des condamnés pour délit, à 45 % pour le sous-ensemble des condamnés à des peines fermes, à 40 % pour les condamnés pour violences et 50 % pour les condamnés pour vol. Très préoccupantes, ces données justifient de privilégier des solutions pragmatiques et efficaces.

En premier lieu, il convient de se donner les moyens de faire en sorte que les peines soient effectivement exécutées pour que le condamné en ressente immédiatement les conséquences. Sur ce point, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité comporte plusieurs dispositions innovantes, qui n'ont pas pu encore donner toute leur mesure compte tenu de leur mise en application récente et qui reprennent les conclusions du rapport de M. Jean-Luc Warsmann rendu en 2003 sur les peines alternatives à la détention, l'exécution des courtes peines et la préparation des détenus à la sortie de prison. Bien que contestée, l'extension de la comparution immédiate constitue un élément important de dissuasion, en assurant le prononcé rapide d'une sanction. Concourent également à l'amélioration de l'effectivité des peines la diversification des sanctions et la mise en place des bureaux d'exécution des peines : ces derniers permettent en effet d'entamer l'exécution de la sanction dès l'audience et devraient être amenés à se développer, au vu des expériences encourageantes qui se sont déroulées à Bordeaux, Nantes et Orléans puisqu'il a été constaté que dans 80 % des cas, la peine a été acceptée par l'intéressé.

En second lieu, et ce point est particulièrement important, il convient d'améliorer la clarté et la cohérence des sanctions infligées par les tribunaux. Il est en effet choquant de constater, pour un même individu, l'accumulation de nombreuses peines de même nature, sans logique, ni portée pédagogique et sans que soit pris en compte son passé ; il est nécessaire à cet égard que les procureurs veillent systématiquement à la cohérence et à l'effet dissuasif des sanctions réclamées. À cette fin, la gamme des modes de poursuite à la disposition des parquets a été étendue pour permettre une réponse plus adaptée par type de contentieux. Ainsi, le développement de la composition pénale, celui de la comparution immédiate ou encore l'institution du « plaider-coupable » doivent permettre de mieux assurer l'effectivité de la peine. Des instructions ont été données aux parquets pour que soient systématiquement vérifiés les antécédents des personnes mises en cause afin d'en tirer les conséquences sur le quantum de peine requis. Il a également été demandé aux parquets de ne plus requérir que des peines fermes contre les personnes qui ont déjà été condamnées à deux reprises au moins. Lorsqu'une personne fait l'objet de poursuites, les parquets devront systématiquement rechercher si cette personne a fait l'objet d'une peine prononcée antérieurement pour que, si tel est le cas, la peine soit immédiatement mise à exécution.

En dernier lieu, il convient de promouvoir une politique pénale volontariste. À ce titre, il est souhaitable de réactiver, à l'échelle des parquets les plus concernés, les groupes locaux de traitement de la délinquance. Associant, pour un temps donné et un objectif déterminé, le procureur, les services de police, le représentant du maire et, le cas échéant, les bailleurs sociaux et les représentants de l'éducation nationale, ils permettent d'assurer un traitement ciblé des délinquants d'habitude.

Le ministre a ensuite rappelé les grandes lignes des dispositions relatives aux périodes de sûreté. En la matière, la loi n° 94-89 du 1er février 1994 a prévu des périodes de sûreté pour certaines infractions, telles que les crimes à caractère sexuel. Leur durée est de la moitié de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans ; elle peut, en outre, être portée jusqu'aux deux tiers de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu'à vingt-deux ans ; enfin, en cas d'assassinat d'un mineur de quinze ans et si l'assassinat a été précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie, la période de sûreté peut être portée à trente ans ou la réclusion criminelle à perpétuité n'être assortie d'aucune mesure d'aménagement, ce qui équivaut à la perpétuité réelle. Adaptées aux cas de crimes les plus odieux, ces dispositions sont régulièrement appliquées, comme en témoignent les jugements rendus contre, par exemple, Guy George ou les frères Jourdain. Face à l'actualité de ces derniers jours, le ministre a fait part de son souhait d'engager, en lien avec les ministres de l'Intérieur et de la Santé, une réflexion sur les relations entre la justice et la psychiatrie, la France n'étant pas en avance sur ces questions et les magistrats pouvant se trouver dans des situations délicates lorsque l'expertise psychiatrique conclut à l'absence de dangerosité de l'individu. Les interrogations en cours portent sur les soins à dispenser en prison et à l'extérieur ainsi que sur l'articulation entre le monde carcéral et les établissements psychiatriques. Certaines personnes ont effet davantage leur place dans ces derniers, car leur incarcération, outre qu'elle est source de perturbation pour le fonctionnement de l'établissement pénitentiaire, ne permet pas de leur dispenser les soins appropriés. À cet égard, un devoir de lucidité impose de reconnaître que la réponse à ce type de délinquants n'est pas dans la prison.

Après avoir indiqué que 800 postes de psychiatres étaient vacants dans le secteur public, alors même que près de 40 % des détenus souffraient de troubles mentaux, le président Pascal Clément a demandé aux ministres quelles étaient les initiatives que le Gouvernement entendait prendre afin de surmonter ces difficultés qui ont, notamment, pour conséquence de rendre inapplicables les mesures de suivi socio-judiciaire ordonnées à l'encontre des délinquants sexuels en application des dispositions des articles 131-36-1 et suivants du code pénal. Il a également interrogé le ministre de la justice sur le calendrier d'entrée en vigueur des unités hospitalières spécialement aménagées (uhsa), dédiées à la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques, dont la création est prévue par l'article 48 de la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002.

M. Gérard Léonard, rapporteur de la mission d'information sur le traitement de la récidive des infractions pénales, a tout d'abord tenu à saluer la présence conjointe des deux ministres attestant de la volonté du Gouvernement de lutter avec fermeté et détermination contre ce phénomène préoccupant tout en témoignant de l'importance qu'il accorde à la réflexion de la mission dont un grand nombre de ses propositions paraît d'ores et déjà recueillir l'accord du ministre de l'Intérieur.

Après avoir rappelé que le débat sur la question de la récidive avait été engagé à la suite du dépôt de la proposition de loi de M. Christian Estrosi tendant à instaurer des peines minimales en cette matière, il a indiqué que la mission avait procédé à plus de vingt-cinq auditions pendant trois mois et souligné que ses propositions n'étaient donc pas dictées par des considérations liées à l'actualité judiciaire ni avancées dans l'urgence et la précipitation.

Observant que la mesure de la récidive par les instruments statistiques disponibles était imprécise en raison de sa définition juridique particulièrement stricte, il a indiqué que les études réalisées en cette matière s'accordaient néanmoins à considérer que les condamnés pour vol et pour conduite en état alcoolique représentaient la majorité des réitérants. Puis, abordant la question de la prise en compte de la récidive depuis le jugement jusqu'à la libération du condamné, il a jugé celle-ci insuffisante puisque seulement 5,3 % des condamnations délictuelles et 2,6 % des condamnations criminelles avaient mentionné la circonstance aggravante de récidive en 2002 alors même que les taux moyens de récidive atteignaient, respectivement, 31 % et 4,7 %. Il a précisé que cette situation pouvait résulter soit du défaut d'harmonisation des pratiques judiciaires sur l'ensemble du territoire national en raison de l'absence d'une politique pénale claire en cette matière, soit du caractère incomplet des informations figurant au Casier judiciaire, le délai entre le jour du jugement et la saisine des données par le Casier judiciaire pouvant atteindre 18 mois dans certaines juridictions. Regrettant ce défaut d'information des magistrats qui leur interdit de relever la récidive puisqu'ils en ignorent l'existence, il a interrogé les ministres afin de savoir dans quels délais allait entrer en vigueur l'article 21 de la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure prévoyant l'accès direct des magistrats aux données figurant dans le fichier « stic ». Observant que les faits de violence commis contre les personnes avaient tendance à augmenter en dépit de la baisse générale de la délinquance constatée depuis deux ans, il s'est demandé si les règles de l'exécution provisoire des condamnations ne devraient pas être modifiées afin de permettre l'incarcération de droit des récidivistes violents, la juridiction saisie conservant toutefois le droit de ne pas ordonner cette mesure par une décision motivée.

Après avoir ensuite rappelé que le code de procédure pénale ne prévoyait aucune limitation quant au nombre de condamnations assorties du sursis avec mise à l'épreuve qu'un tribunal pouvait prononcer à l'encontre d'un même condamné, conduisant ainsi à la multiplication des sme sans aucune forme de suivi ce qui décrédibilise les sanctions prononcées et l'autorité de la Justice, il a souhaité savoir si les ministres seraient favorables à une réforme limitant le nombre de sme susceptibles d'être prononcés. Tout en déplorant que la dangerosité des condamnés, dont la récidive est un bon indicateur, soit insuffisamment prise en compte et évaluée dans notre système judiciaire et carcéral, il a évoqué les expériences menées aux États-Unis tendant à placer les condamnés les plus dangereux sous surveillance électronique mobile garantissant, en cas de besoin, la localisation de l'intéressé et a souhaité savoir si les ministres seraient favorables à ce que le débat soit engagé dans notre pays sur la mise en œuvre de dispositifs de surveillance de cette nature. Enfin, après avoir souligné que le traitement des récidivistes les plus violents ne relevait pas seulement de la justice mais également de la santé publique et regretté, à son tour, que 800 postes de psychiatres soient vacants, il a conclu son propos en indiquant que, sous réserve de leur adoption par la mission, les principales propositions qu'elle avançait feraient l'objet d'une proposition de loi.

M. Christian Estrosi a tenu en préambule à remercier le rapporteur de la mission d'information, ainsi que son président, car les travaux de la mission ont su établir un juste équilibre entre le débat, forcément passionnel, sur la récidive, et les contraintes juridiques, permettant ainsi de parvenir à des propositions très concrètes. Il a également exprimé sa satisfaction de voir auditionnés en même temps les deux ministres concernés, car le problème posé par la récidive est justement le bon fonctionnement, d'un bout à l'autre, de la chaîne pénale.

Rappelant les termes de la proposition de loi prévoyant des peines minimales en matière de récidive dont il avait été co-signataire, il a regretté qu'elle ait été trop souvent caricaturée, certains ayant entretenu une confusion délibérée avec les peines planchers dont la constitutionnalité est contestée. Il a jugé, au contraire, que l'instauration des peines minimales ne pose pas de problème constitutionnel, dans la mesure où il est prévu que les magistrats disposent du pouvoir d'écarter l'application d'une peine minimale. Insistant, en conséquence, sur la nécessité de responsabiliser davantage les magistrats dans le prononcé de la peine, il s'est réjoui que les propositions de la mission rejoignent cet objectif et s'est déclaré particulièrement attentif aux propositions législatives annoncées par le ministre de l'Intérieur sur ce thème. Reprenant l'état des lieux dressé par le ministre de la Justice, il a observé que l'ensemble des textes adoptés depuis 2002 avait permis de faire reculer de façon sensible la délinquance, mais déploré que cet arsenal législatif mis en place n'ait pas été suffisant pour s'attaquer au noyau dur que constitue la récidive. Il a plaidé en conséquence pour l'adoption rapide de mesures législatives permettant de lutter efficacement contre la récidive, grande ou petite. S'agissant des cas les plus graves, il a considéré que la condamnation à perpétuité, assortie de durées incompressibles, ne donnait pas satisfaction aujourd'hui puisqu'il était toujours possible de prononcer des mesures de libération conditionnelle, sur simple décision d'une commission composée de magistrats. Il a jugé urgent de proposer des réformes allant dans le sens d'un meilleur contrôle des décisions de libération conditionnelle, et s'est félicité des pistes envisagées par la mission.

M. Jean-Paul Garraud a salué la détermination des ministres dans la lutte engagée contre la récidive, en évoquant l'urgence qu'il y avait désormais à intervenir au vu de l'actualité effrayante de ces dernières semaines. Il a ensuite fait état du postulat actuel qui fonde le prononcé de la peine sur les faits commis, la personnalité du condamné et l'utilité de la peine dans l'optique d'une réinsertion future. Tout en approuvant les termes de ce postulat, il a regretté qu'il fige excessivement les choses en ne permettant pas de prendre en compte l'évolution de la personnalité du condamné lors de sa détention, notamment au regard de sa dangerosité. Dès lors, il a déploré qu'aucune disposition ne permette d'intégrer cette donnée dans la durée de la détention, dans les cas où les mesures adéquates n'auraient pas été prises dès le prononcé de la peine. Il a de même regretté que ne soit prévue aucune mesure d'accompagnement après la sortie de prison, des dispositifs de surveillance et de contrôle étant interdits au motif que l'individu avait payé sa dette à la société. Il a jugé qu'il fallait, au contraire, mettre en place des dispositifs novateurs de surveillance adaptée, en tenant compte de la dangerosité de l'individu.

M. Jérôme Lambert a tout d'abord souligné la qualité des travaux de la mission d'information à laquelle il a participé assidûment et qui lui a donné l'occasion d'entendre des interventions novatrices sur les causes de la récidive. Relevant que, parmi les détenus, 16 % étaient indigents, 20 % étaient analphabètes et un grand nombre nécessitait un traitement psychiatrique lourd, il a avancé qu'une meilleure politique d'insertion sociale de ces populations fragiles permettrait probablement d'en limiter le taux de délinquance. Puis, il a souligné l'importance d'une réponse pénale appropriée dès le premier acte délictueux, en considérant que tant l'absence de punition d'un primo-délinquant qu'une peine trop sévère pouvaient provoquer l'enracinement dans la délinquance. Il a enfin estimé que la question des causes de la récidive devait faire l'objet d'un examen attentif, étant rappelé toutefois que la majorité des délinquants ne récidivait pas.

M. Jean-Luc Warsmann a tout d'abord souligné qu'il était essentiel de permettre aux magistrats de mieux appréhender le passé des délinquants, afin de faire débuter l'exécution de la peine immédiatement après le prononcé de la condamnation et de renforcer le suivi des condamnés libérés. Après avoir évoqué les affaires récentes de crimes sexuels et rappelé que la loi du 17 juin 1998 avait apporté de nouvelles garanties d'exécution de la peine pour les crimes à caractère sexuel commis sur des mineurs, il a ensuite souligné que certains de ces criminels restaient dangereux et risquaient fortement de récidiver une fois leur peine accomplie. Constatant qu'il n'y avait pas de réponse appropriée intermédiaire entre la prison et la liberté, et que des individus étaient souvent remis en liberté après un trop bref séjour en hôpital psychiatrique, faute de place, il a regretté que l'injonction de soins, créée par la loi de 1998 et figurant à l'article L. 3711-1 du code de la santé publique, ne soit pas réellement appliquée faute de moyens.

M. Jean Leonetti a entendu souligner la complexité des rapports entre la médecine et la sanction pénale en précisant qu'il était illusoire, en l'état actuel de la science, d'espérer une guérison psychiatrique des pervers sexuels, le seul moyen de les empêcher de passer à l'acte étant de ne pas les mettre en présence de l'objet de leur désir pervers. Il a en conséquence souhaité qu'une réflexion soit engagée sur les moyens de tenir à l'écart des personnes qui représentent un danger perpétuel. Constatant en outre que la prison favorisait la récidive et ne permettait pas la réinsertion des condamnés, en raison notamment du caractère déshumanisé du monde carcéral, il a souligné la nécessité de rechercher des peines alternatives à l'emprisonnement et s'est prononcé en faveur de sanctions au besoin moins lourdes mais rapides et efficaces.

Soulignant que l'interrogation sur l'utilité de la prison n'était pas nouvelle et que, depuis plusieurs années, la commission des Lois avait tenu un langage responsable sur les questions abordées aujourd'hui, M. Jacques Floch a jugé que la représentation nationale était désormais moralement contrainte de réagir face aux crimes odieux récemment découverts. S'interrogeant sur le sort de ces délinquants, il a précisé que certains récidivistes ont été libérés à la suite d'erreurs de procédure et que, dans le cas de Pierre Bodein, son avocat lui-même avait souligné la nécessité d'assurer son suivi. Appelant à une clarification des responsabilités de chacun, il s'est en conséquence demandé si, face à ces situations, il ne serait pas opportun de reprendre les propositions faites sous la précédente législature en matière de responsabilité des magistrats.

M. Georges Fenech a souligné que la récidive due à des psychopathies n'avait rien à voir avec les autres formes de récidive et qu'elle devait être traitée de façon distincte. Il a jugé que la limitation du recours au sursis avec mise à l'épreuve et l'incitation à des réquisitions plus fermes ne règleraient pas les problèmes posés par les psychopathes qui, lorsqu'ils sont relâchés, sortent du champ judiciaire pour rentrer dans la sphère administrative. Il a estimé que l'opinion publique souhaitait une adaptation de la législation aux personnes qui sont à la fois des délinquants et des malades, en confiant leur suivi aux autorités judiciaires, en créant des établissements qui leur soient adaptés et en développant des solutions concrètes, telles que le bracelet électronique mobile qui a fait ses preuves en Floride.

En réponse aux questions du rapporteur, le ministre de l'Intérieur a apporté les précisions suivantes :

-  l'accès des magistrats aux données figurant dans le système de traitement des infractions constatées (stic) constitue un dispositif essentiel devant permettre l'amélioration de l'information des juges et, ce faisant, faciliter la prise en compte du passé pénal du prévenu et donc de sa dangerosité. Ainsi que l'a rappelé le rapporteur, les modalités de cet accès doivent être précisées par un décret en Conseil d'État, pris après avis de la cnil, et un avant-projet de décret a récemment été transmis au secrétariat général du Gouvernement, ce qui laisse augurer une entrée en vigueur rapide de ces dispositions. Toutefois, la connexion des magistrats aux données du stic se heurte à de nombreuses difficultés d'ordre technique tout d'abord, puisque les systèmes informatiques utilisés de part et d'autre doivent être compatibles et les échanges d'informations sécurisés, d'ordre financier ensuite, puisque l'interopérabilité des systèmes d'informations possèdent un coût certain qu'il convient d'évaluer avec précision.

En réponse aux différents intervenants, le ministre de la Justice a communiqué les informations suivantes :

-  la date de création de la première uhsa n'est pas, à ce jour, fixée de façon définitive car la création d'un périmètre de sécurité, autour des quartiers réservés aux détenus souffrant de troubles psychiatriques qui seront accueillis au sein des établissements hospitaliers, nécessite une concertation étroite, actuellement en cours, avec le ministère de la santé. Toutefois, si la prise en charge des condamnés dangereux se heurte, certes, à l'insuffisance des moyens dédiés au suivi en milieu ouvert en général et au manque de psychiatres en particulier, elle soulève également la question, délicate, de la répartition des compétences, et donc des responsabilités, entre le ministère de la Justice et celui de la Santé publique ;

-  l'incarcération de droit à l'audience des récidivistes sexuels ou violents constitue une piste de réflexion intéressante, car le droit en vigueur est parcellaire en cette matière, et appelle donc des améliorations confortant l'exécution des peines ;

-  le prononcé de plusieurs condamnations assorties du sursis avec mise à l'épreuve à l'encontre d'une même personne nuit à la crédibilité des sanctions pénales dès lors qu'aucune mesure de suivi n'est effectivement mise en œuvre par les services compétents. Toutefois, le sursis avec mise à l'épreuve constitue une mesure utile dans la hiérarchie des peines qui s'échelonne du sursis simple au placement en détention. C'est pourquoi, la limitation du nombre des sursis avec mise à l'épreuve susceptibles d'être prononcés par les juridictions doit être abordée avec prudence en raison de l'augmentation de la population carcérale qu'elle serait susceptible de provoquer ;

-  le Gouvernement est disposé à engager le débat sur la proposition tendant à mettre en œuvre le placement sous surveillance électronique mobile des condamnés les plus dangereux grâce à la technologie du gps. Il conviendrait cependant de déterminer précisément s'il s'agit d'une mesure alternative à l'incarcération, d'une mesure d'aménagement de la peine ou d'une mesure de sûreté impliquant un suivi du condamné en milieu ouvert. De surcroît, cette proposition soulève des difficultés matérielles considérables, qu'il s'agisse de la question des autorités compétentes pour assurer le suivi du condamné, de la gestion dudit suivi ou de son coût ;

-  l'amélioration de l'évaluation de la dangerosité des condamnés constitue une proposition qui ne peut que recueillir l'assentiment de tous mais qui, en pratique, se révèle particulièrement délicate à mettre en œuvre en raison, notamment, des fréquentes divergences d'appréciation entre experts psychiatres qui placent le juge dans la situation, fort délicate, d'arbitrer des querelles de spécialistes ;

- les délais de transmission des condamnations prononcées par les juridictions aux services du casier judiciaire doivent être réduits afin d'améliorer l'information mise à la disposition des magistrats et, partant, leur prise en considération de la récidive. Au-delà de cette question, l'actualité judiciaire récente démontre la nécessité de progresser dans la mise en place d'un casier judiciaire européen. Des négociations ont d'ailleurs été engagées à cette fin avec les autorités judiciaires de l'Allemagne et de l'Espagne afin de permettre la consultation, par les juges compétents de ces États, des données figurant au sein de chacun des « casiers judiciaires » nationaux.

--____--


© Assemblée nationale