COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 48

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 7 juillet 2004
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport de la mission d'information sur le traitement de la récidive des infractions pénales (M. Gérard Léonard, rapporteur)


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- Information relative à la Commission

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Gérard Léonard, les conclusions de sa mission d'information sur le traitement de la récidive des infractions pénales.

Après avoir rappelé que la mission avait procédé à près de vingt-cinq auditions pendant trois mois, M. Gérard Léonard, rapporteur, a exposé que la volonté d'établir un état des lieux précis de la récidive en France faisait suite au dépôt de la proposition de loi de M. Christian Estrosi tendant à instaurer des peines minimales en matière de récidive. Il a indiqué que la mission avait procédé à une analyse complète et approfondie de la prise en considération de la récidive tout au long de la « chaîne pénale », du prononcé du jugement à la sortie de détention du condamné, afin d'identifier les éventuels dysfonctionnements pour être en mesure d'avancer des propositions de nature à y remédier. Puis, abordant la question de la mesure de la récidive, il a observé que les statistiques disponibles étaient incomplètes et évaluaient davantage la réitération que la récidive légale au sens du code pénal. Après avoir rendu hommage au rapport de son collègue Jean-Luc Warsmann sur l'exécution des courtes peines d'emprisonnement et des mesures alternatives à l'incarcération, qui avait clairement établi que près d'une condamnation sur trois n'était pas exécutée, il a souligné la pauvreté des moyens dévolus aux mesures de suivi des condamnés en milieu ouvert et déploré les lacunes de notre système judiciaire en matière d'évaluation de la dangerosité des condamnés. Poursuivant son propos, il a rappelé que la délinquance sexuelle représentait la première cause d'incarcération en France et que près d'un détenu sur deux souffrait de troubles du comportement. A cette aune, il a jugé que le système psychiatrique français était en « faillite » et incapable de répondre aux besoins croissants émanant de la population carcérale, puisque plus de 800 postes de psychiatres étaient vacants dans le secteur public. Il a conclu son propos en indiquant que les propositions de la mission s'articulaient autour de deux axes : sanctionner plus sévèrement les récidivistes, en prévoyant notamment l'incarcération immédiate des récidivistes sexuels ou violents, et prévenir plus efficacement la récidive, en mesurant la dangerosité des condamnés et son évolution tout au long de la détention afin que les autorités judiciaires soient en mesure de prononcer une mesure de suivi adaptée.

Après avoir interrogé le président et le rapporteur sur l'articulation entre les propositions de la mission et l'initiative parlementaire annoncée par le Président de l'Assemblée nationale en matière de récidive sexuelle, M. Christophe Caresche s'est félicité, à la lecture des conclusions du rapport, de l'abandon par la majorité de son soutien à la proposition de loi déposé par M. Christian Estrosi tendant à instaurer des peines minimales en matière de récidive. Observant que le rapport de la mission d'information dressait un constat sévère, mais étayé, du fonctionnement de l'appareil judiciaire français, il s'est interrogé sur les suites que le Gouvernement entendait donner aux propositions de la mission, en particulier celles concernant le déficit de psychiatres dans le secteur public et les inconséquences du suivi socio-judiciaire. Abordant les propositions de la mission prévoyant l'incarcération immédiate des récidivistes sexuels ou violents et la limitation à deux du nombre de condamnations assorties du sursis avec mise à l'épreuve, il a fait part de ses réserves en soulignant la nécessité de respecter les principes de la présomption d'innocence et d'individualisation des peines qui constitue le meilleur moyen de prévenir la récidive grâce à la mise en place d'un suivi personnalisé du condamné. Considérant que la délinquance sexuelle était d'une nature spécifique, il a approuvé le constat dressé par le rapporteur quant à l'insuffisance de la prise en charge psychiatrique des condamnés et s'est rallié aux propositions avancées par la mission en cette matière.

Le président Pascal Clément a tenu à préciser que la mission n'avait pas pour objet de traiter de l'opportunité d'établir des peines planchers mais tendait à dresser un bilan complet de la récidive et à identifier les éventuelles difficultés en la matière afin d'y apporter des réponses pragmatiques. S'agissant de l'initiative annoncée par le Président de l'Assemblée nationale, il a précisé qu'elle s'inscrivait pleinement dans le cadre des travaux menés par la mission d'information puisqu'elle tendait à rendre effectives ses propositions grâce à la mise en place d'un groupe de travail réunissant des représentants de chaque groupe politique et chargé d'élaborer une proposition de loi dont le président de l'Assemblée demanderait au Gouvernement l'inscription à l'ordre du jour. Puis, il a observé que la proposition de la mission prévoyant l'incarcération immédiate des récidivistes sexuels ou violents ne soulevait aucune difficulté au regard du principe de la présomption d'innocence puisqu'elle ne s'appliquait qu'aux condamnés, lesquels, par définition, ne sont plus présumés innocents.

Approuvant l'emploi du terme de « faillite » utilisé par le rapporteur et s'interrogeant sur la réalité des actions entreprises depuis maintenant dix ans pour lutter contre la récidive, M. Alain Marsaud a jugé nécessaire de distinguer la récidive d'actes de délinquance sexuelle de la « petite » récidive. Il a observé que la proposition de loi déposée par M. Christian Estrosi s'efforçait de traiter le cas des personnes qui, bien que comparaissant plusieurs fois devant un juge, conservent un casier judiciaire vierge et ne rentrent donc pas dans les dispositifs de lutte contre la récidive. Il a regretté que les conclusions de la mission ne s'orientent pas vers l'institution de peines minimales mais aillent dans le sens de l'individualisation des peines, dont le respect constitue un confort pour le juge qui ne bénéficie pas, pour autant, des moyens garantissant un véritable suivi personnalisé des condamnés. Il a regretté également que la mission ne se soit pas suffisamment intéressée aux lacunes du Casier judiciaire.

Réagissant aux propos tenus par M. Alain Marsaud, M. Gérard Léonard a indiqué que le rapport de la mission ne faisait pas l'impasse sur la question de l'actualisation des données figurant au Casier judiciaire mais, bien au contraire, y consacrait de long développements et proposait plusieurs solutions afin d'améliorer ses modalités de consultation en ayant recours aux nouvelles technologies de l'information tout en garantissant une actualisation plus rapide des informations. S'agissant du principe de l'individualisation des peines critiqué par M. Alain Marsaud, il a rappelé que la jurisprudence du Conseil constitutionnel lui conférait une valeur constitutionnelle et que de nombreux instruments juridiques européens obligeant la France, en particulier la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme ainsi que plusieurs recommandations émanant du Conseil de l'Europe, proclamaient également leur attachement à ce principe. Après avoir rappelé que tout condamné avait vocation à sortir de détention un jour, quand bien même celui-ci serait-il fort lointain, il a considéré que la proposition de la mission tendant au placement sous surveillance électronique mobile des condamnés les plus dangereux ayant purgé leur peine représentait l'une des solutions garantissant un suivi effectif de l'intéressé et, partant, une réduction du risque de récidive.

Approuvant les propos de M. Marsaud, M. Christian Estrosi a indiqué que sa proposition de loi gardait toute son actualité, soulignant que les cent quatre-vingt cinq députés qui l'avaient signée comptent bien continuer leur « croisade ». Revenant sur le dispositif de sa propre proposition de loi, il a indiqué qu'elle permettait au juge de prononcer une peine minimale ou, au vu des capacités de réinsertion du délinquant, d'y renoncer. Soulignant que, contrairement aux policiers par exemple, les magistrats ne sont aujourd'hui exposés à aucune poursuite ou sanction, il a estimé que sa proposition tendait à responsabiliser les magistrats tout en permettant l'individualisation des peines, ce qui assure la constitutionnalité du dispositif. Soulignant que le rapport de la mission comportait plusieurs propositions innovantes, il a cependant regretté qu'il n'aille pas au-delà et ne traite pas de la question des peines minimales. Il a donc précisé que s'il ne s'opposerait pas aux conclusions de la mission, il souhaitait toujours en revanche l'inscription à l'ordre du jour de sa proposition de loi. Se faisant ensuite l'écho des initiatives qui sont aujourd'hui lancées en matière de répression des actes de délinquance sexuelle, il a indiqué qu'une proposition de loi sur ce sujet qui ne comporterait pas de mesures suffisamment énergiques ne recevrait pas son adhésion. Rappelant qu'un sondage avait révélé que 79 % des Français étaient favorables à des peines minimales, il a considéré que les récents événements feraient sans doute croître ce chiffre. Faisant observer que la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, ainsi que celle du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux nouvelles formes de la criminalité, avaient permis d'élargir le recours au fichier des empreintes génétiques, il a considéré que les individus aux comportements monstrueux devaient être mis hors d'état de nuire. Regrettant que la Représentation nationale et les gouvernements se soient enfermés, depuis maintenant vingt ans, dans une approche de la délinquance n'ayant permis d'apporter aucune réponse concrète à la société, il a jugé indispensable de redoubler de vigilance en cette matière.

Réagissant aux propos de M. Christian Estrosi sur l'absence de responsabilité des magistrats, M. André Vallini a constaté que cette lacune n'était pas imputable à la précédente majorité qui était sur le point d'adopter trois projets de loi - constitutionnelle, organique et ordinaire - sur cette question, quand le chef de l'État a subitement bloqué toute réforme.

Le Président Pascal Clément a considéré que la question de la responsabilité des magistrats ne relevait pas du champ de la mission et souligné que l'inapplication du suivi socio-judiciaire et de l'injonction de soins qu'elle avait constatée résultait de la constante insuffisance des moyens consacrés par tous les Gouvernement successifs à la justice en général et au suivi des condamnés en particulier.

M. Christian Decocq, tout en marquant son intérêt pour les travaux de la mission, a souligné que la proposition de loi de M. Christian Estrosi se faisait l'écho d'une situation que les Français n'acceptaient plus. Convenant que les délinquants sexuels étaient des malades, il a cependant déploré les difficultés concrètes de leur suivi psychiatrique et considéré que le traitement particulier dont ils font l'objet, qui les place à l'abri de sanctions, constituait une dérive d'un système dont la réforme s'impose.

Après avoir rappelé que les travaux de la mission, au cours d'auditions passionnantes, avaient permis de dépasser les idées reçues et regretté le terme provocateur de « croisade » utilisé par M. Estrosi, M. Jérôme Lambert a estimé que les propositions présentées constituaient des pistes de réflexion intéressantes mais s'est montré dubitatif quant à la possibilité de les voir effectivement mises en œuvre. Dans ce contexte, il a fait état de l'abstention constructive du groupe socialiste.

Puis, conformément à l'article 145 du Règlement, la Commission a autorisé le dépôt du rapport de la mission d'information en vue de sa publication.

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Information relative à la Commission

La Commission a nommé M. Jérôme Bignon rapporteur de la proposition de loi adoptée par le Sénat (n° 1498), tendant à modifier la loi n° 82-471 du 7 juin 1982 relative au Conseil supérieur des Français de l'étranger.

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