COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 56

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 22 septembre 2004
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Xavier de Roux, vice-président

SOMMAIRE

Examen du projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (n° 1732) (M. Pascal Clément, rapporteur).

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Pascal Clément, le projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (n° 1732).

Présentant le contexte juridique dans lequel s'inscrit le projet de loi, M. Pascal Clément, rapporteur, a précisé que la création d'une autorité administrative indépendante chargée de lutter contre les discriminations répond à une obligation communautaire. L'article 13 du traité instituant la Communauté européenne a en effet chargé le Conseil européen de prendre les mesures nécessaires en vue de combattre les discriminations, et, sur le fondement de cet article, deux directives font obligation aux États membres de désigner un ou plusieurs organismes chargés d'apporter une aide indépendante aux victimes de discriminations. Si certains pays européens disposent des organismes requis par la réglementation communautaire, la France ne s'est, pour le moment, pas conformée à cette obligation, les directives européennes relatives à la promotion de l'égalité ayant été transposées en droit français sans prévoir la création d'un organe d'aide aux victimes.

Le rapporteur a estimé que les citoyens, du fait de leur identité ou de leurs choix de vie, s'estiment souvent victimes de discriminations qui sont rarement sanctionnées comme telles, et doivent par conséquent pouvoir s'adresser à une instance capable de les aider à faire valoir leurs droits. Le Président de la République a chargé le Gouvernement de procéder à la mise en place de l'instance indépendante prévue par les directives communautaires, et le Premier ministre a confié une mission de préfiguration de cette instance à M. Bernard Stasi qui a remis son rapport en février 2004. Le projet de loi est issu des propositions de M. Stasi. Il s'inscrit également dans le programme de promotion de l'égalité engagé par le Gouvernement, en complétant les dispositions pénales introduites depuis 2002 en matière de discriminations. Notamment, la loi sur la sécurité intérieure et celle portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ont ouvert la possibilité de retenir une circonstance aggravante pour une infraction commise à raison de l'orientation sexuelle de la victime, et élargi aux menaces, vol et extorsion la liste des infractions pour lesquelles la circonstance aggravante à caractère raciste ou antisémite peut être retenue.

Le rapporteur a ensuite indiqué que, à la différence du Médiateur de la République ou du Défenseur des enfants, la nouvelle autorité est une instance collégiale, susceptible de regrouper des personnes issues de courants de pensée différents et dotées de compétences plurielles, mais que, comme le Défenseur des enfants, elle pourra être saisie directement par les victimes, sans passer par les parlementaires. En confiant aux pouvoirs publics constitutionnels la nomination de huit des onze membres de la nouvelle instance, le Gouvernement s'est conformé à la tradition républicaine, et en l'habilitant à intervenir pour toute pratique discriminatoire prohibée par un engagement international ou par la loi, le projet de loi lui donne une compétence volontairement générale, de manière à adapter son champ d'intervention à l'évolution des pratiques discriminatoires. La Haute autorité est dotée de moyens d'investigation proches des pouvoirs qui sont dévolus aux autorités de même nature. Elle pourra ainsi demander des informations à des personnes privées, obliger une autorité publique à lui apporter son concours, procéder à des médiations, faire des recommandations ou porter à la connaissance des autorités publiques détentrices du pouvoir disciplinaire les faits commis par des agents publics. Elle est également chargée d'une mission générale d'information et d'étude.

Le rapporteur a attiré l'attention sur le fait que le projet de loi donne à la Haute autorité la possibilité de procéder, sous réserve de l'accord des personnes intéressées, à des enquêtes sur place dans certains locaux, de saisir le juge des référés afin d'ordonner que ses demandes d'informations soient suivies d'effet, et de présenter à l'audience ses observations. Ces trois prérogatives originales complètent les moyens traditionnellement ouverts aux autorités indépendantes, et permettront à la nouvelle instance de produire auprès des juridictions des éléments de preuve suffisamment étayés. L'obstacle principal auquel se heurtent les victimes de discriminations réside en effet dans l'incapacité à rassembler des preuves permettant d'aller devant le juge avec des chances raisonnables de succès. Les pouvoirs dévolus à la Haute autorité respectent néanmoins l'indépendance de la justice : la nouvelle instance a l'obligation, non seulement de transmettre au procureur de la République les faits constitutifs d'une infraction pénale, mais aussi de demander l'accord du juge pour intervenir sur les affaires donnant lieu à une procédure judiciaire.

Le rapporteur a ensuite présenté les dispositions du titre II du projet de loi qui ne concernent pas directement la Haute autorité, mais complètent l'arsenal juridique en matière de lutte contre les discriminations, en achevant la transposition de la directive européenne du 29 juin 2000 relative aux discriminations raciales. Cette directive n'a été transposée que pour une partie de son champ d'application. En conséquence, le Gouvernement a prévu un principe général d'égalité de traitement, applicable dans les domaines visés par la directive mais non encore couverts par une transposition. Conformément aux prescriptions communautaires, ce principe est assorti d'un aménagement de la charge de la preuve : la personne qui s'estime victime d'une discrimination raciale devra établir les faits, et non les preuves, qui permettent d'en présumer l'existence, à charge pour la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

M. Patrick Bloche a remercié le rapporteur de sa présentation du projet de loi qui s'inscrit dans un contexte plus général, avec l'aggravation récente des sanctions contre les propos discriminatoires, et qui devrait trouver une suite logique dans le projet de loi, attendu depuis un certain temps déjà, destiné à réprimer les propos à caractère sexiste ou homophobe.

Tout en déclarant partager les objectifs poursuivis par le projet, il a fait part de ses réserves sur l'avenir d'une Haute autorité qui ne serait dotée d'aucun pouvoir de sanction ou de régulation. Il a ainsi noté que, hormis les trois prérogatives particulières confiées à cet organisme et présentées par le rapporteur, le seul pouvoir dont disposerait la Haute autorité serait de saisir le juge, à charge pour ce dernier d'instruire l'affaire. Rappelant que les victimes de discriminations disposent déjà d'une telle faculté, que ce soit directement ou par le biais d'associations ayant le droit d'ester en justice, il s'est dès lors interrogé sur l'utilité d'un tel organisme, en relevant le contraste qui existait entre les ambitions affichées et le résultat auquel le projet de loi est finalement parvenu. Il a néanmoins fait part de tout l'intérêt qui s'attachait au rôle d'observatoire confié à cette Haute autorité, avec notamment la publication d'un rapport annuel. Il a souhaité que la politique de lutte contre les discriminations soit plus ambitieuse, avec le développement d'un vrai travail sur le terrain, dans le milieu du travail ou les administrations.

Il a conclu son propos par deux observations plus techniques : s'agissant de la composition de la Haute autorité, il a regretté son caractère trop institutionnel, à la limite de la caricature, et plaidé pour une véritable participation des associations et des syndicats. Il a convenu qu'il ne fallait pas pour autant tomber dans l'excès inverse qui ferait de la Haute autorité un cénacle militant. Il a également interrogé le rapporteur sur l'appartenance ou non au Parlement des personnalités nommées par les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale.

S'agissant ensuite de l'article 19 du projet de loi, il a regretté que soit supprimé l'article 9 de la loi du 16 novembre 2001 qui instaurait un numéro téléphonique d'urgence pour les victimes de discrimination, numéro dont l'utilité a été soulignée dans le rapport Stasi, même si celui-ci a proposé une évolution du service proposé.

Dans l'attente du sort réservé aux amendements qui seront proposés par le groupe socialiste, touchant notamment à la composition de la Haute autorité, il a fait part de l'abstention des commissaires socialistes à ce stade de l'examen du texte.

Après avoir précisé que l'article 19 du projet de loi n'entraînerait pas, en pratique, la suppression de la permanence téléphonique existant actuellement qui sera transférée à la Haute autorité, le rapporteur a indiqué que les commissions départementales d'accès à la citoyenneté seront maintenues et auront pour mission de signaler les faits discriminatoires. Loin d'avoir un rôle symbolique, cette autorité pourrait ainsi être submergée de demandes, et M. Bernard Stasi estime à environ quatre-vingts - ce qui paraît au demeurant élevé - le nombre d'agents nécessaires à son fonctionnement. S'agissant de sa composition, le rapporteur a précisé que le Gouvernement avait renoncé à y inclure des représentants du monde associatif en raison de la complexité de la mise en œuvre de telles désignations et il a estimé, pour sa part, que les modalités de composition retenues éviteront que la Haute autorité puisse être considérée comme une institution militante, ce qui porterait atteinte à sa crédibilité. Pour autant, il a souligné que les associations seront naturellement associées à ses travaux. Évoquant ensuite la participation de parlementaires, il a jugé que celle-ci n'était pas interdite par le texte qui ne prévoit d'ailleurs aucun régime d'incompatibilité, mais qu'il n'était pas nécessaire de la rendre systématique, les parlementaires désignés dans certains organismes ne se distinguant pas toujours par une présence assidue.

La Commission est ensuite passé à l'examen des articles.

TITRE Ier

DE LA HAUTE AUTORITÉ DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS
ET POUR L'ÉGALITÉ

Articles 1er : Statut et compétence ; 2 : Composition ; 3 : Saisine ; 4 : Recueil d'informations auprès de personnes privées ; 5 : Concours de la puissance publique ; 6 : Médiation ; 7 : Vérifications sur place ;  8 : Mise en demeure et saisine du juge des référés ; 9 : Secret professionnel ; 10 : Recommandations :

La Commission a adopté ces articles sans modification.

Article 11 : Rapports avec l'autorité judiciaire :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur supprimant la référence aux poursuites administratives, lesquelles n'entrent pas dans le champ de compétences de l'autorité judiciaire, puis elle a adopté l'article 11 ainsi modifié.

Articles 12 : Présentation d'observations devant les juridictions ; 13 : Information des autorités publiques détentrices du pouvoir disciplinaire ; 14 : Actions de promotion de l'égalité, études et proposition de modification de la législation ou de la réglementation ; 15 : Rapport annuel ; 16 : Budget et comptes :

La Commission a adopté ces articles sans modification.

TITRE II

MISE EN œUVRE DU PRINCIPE DE L'ÉGALITÉ DE TRAITEMENT ENTRE LES PERSONNES SANS DISTINCTION DE RACE OU D'ORIGINE ETHNIQUE ET PORTANT TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE N° 2000/43 DU 29 JUIN 2000

La Commission a adopté un amendement du rapporteur rectifiant une erreur matérielle dans l'intitulé du titre II du projet de loi.

Article 17 : Transposition de la directive n° 2000/43 du 29 juin 2000 :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur, de précision rédactionnelle, puis l'article 17 ainsi modifié.

Articles 18 : Entrée en vigueur et dispositions transitoires ; 19 : (article 9 de la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations) : Suppression du service d'accueil téléphonique des victimes de discriminations raciales ; 20 : Application outre-mer :

La Commission a adopté ces articles sans modification.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.

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