COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 18

(Application de l'article 46 du Règlement)

mercredi 30 novembre 2005
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Thierry BRETON, ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie, sur la stratégie de Lisbonne.


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La Commission a entendu M. Thierry Breton, ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie, sur la stratégie de Lisbonne.

Le Président Patrick Ollier a accueilli M. Thierry Breton, ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie, en saluant son volontarisme et son ambition pour mettre en œuvre le programme national de réforme présenté à la Commission européenne dans le cadre de l'application de la stratégie de Lisbonne.

M. Thierry Breton, ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie, a rappelé que, conformément à l'engagement pris par l'ensemble des États membres de l'Union européenne, la France se devait de présenter chaque année un programme national de réforme.

Il s'est excusé du fait que les contraintes d'agenda de chacun n'aient pas permis d'organiser cette audition avant l'envoi à la Commission européenne de ce document et a souhaité qu'il n'en soit pas de même l'année prochaine.

Il a expliqué que les programmes nationaux de réforme étaient élaborés pays par pays puis transmis à la Commission européenne pour permettre notamment de diffuser les bonnes idées mises en œuvre chez les uns et les autres pour atteindre les objectifs communs de la stratégie de Lisbonne, c'est-à-dire redonner à l'Europe son dynamisme économique à l'horizon 2010 et en faire le leader mondial de l'économie de la connaissance.

La révolution de l'économie immatérielle est la troisième révolution économique, après la révolution agricole et la révolution industrielle. En France, 20 à 22 % des actifs travaillent dans le secteur industriel et notre pays, contrairement à la Grande-Bretagne, par exemple, qui n'a pas hésité à abandonner des pans entiers de son industrie, se bat pour sauvegarder ce socle qui est important y compris dans la perspective du développement de l'économie de la connaissance dans la mesure où des synergies existent entre la production de biens manufacturés et les services qui leur sont liés.

Le secteur agricole emploie 3 à 5 % des actifs, qui ne sont pas, contrairement à une idée trop répandue, des « ringards » mais des hommes et des femmes dont l'action structure notre économie et notre territoire et dont l'activité conditionne, en outre, l'activité d'un secteur agroalimentaire plus vaste. Les vrais « ringards » du XXIe siècle sont peut-être ceux qui ne perçoivent pas que, dans le futur, l'alimentation et la qualité sanitaire des aliments produits seront un enjeu majeur au même titre que l'énergie pour satisfaire les besoins d'une population mondiale en forte croissance.

Les 75 % d'actifs environ restants exercent dans les métiers du savoir ou des services, classification statistique qu'il conviendra de faire évoluer. Une grosse moitié d'entre eux ont une profession à moyenne ou faible valeur ajoutée, dans les services à la personne ou à la collectivité, indispensables pour le « vivre ensemble ». Les autres travaillent dans le secteur de l'économie de la connaissance, c'est-à-dire dans des métiers à plus forte valeur ajoutée, nécessitant une formation plus longue et conditionnant le niveau de compétitivité nationale.

Il convient donc, pour répondre aux enjeux posés par chacune de ces catégories d'emplois, de maintenir la politique agricole commune, de rénover le socle industriel français, de reconnaître les métiers des services à la personne et de développer l'économie de la connaissance.

Le Ministre a ensuite décrit les trois piliers sur lesquels repose la stratégie de Lisbonne : développer la connaissance et l'innovation, moteurs d'une croissance durable ; faire de l'Europe un espace attrayant pour investir et travailler ; développer la croissance et l'emploi au service de la cohésion sociale.

Puis il a présenté les trois ambitions autour desquelles le programme national de réforme français pour 2005 est organisé.

D'abord, la France, pour créer les conditions de la croissance, et plus particulièrement d'une croissance sociale, doit répondre à de nouveaux défis.

Le premier est le vieillissement démographique qui est à la fois une chance historique et une vraie préoccupation pour les quarante ans à venir.

Le second est l'insuffisante mobilisation des actifs. Pour la première fois, le nombre d'actifs va baisser en 2006, à cause du départ en retraite de la génération du baby-boom ; or chaque actif supplémentaire génère un peu de croissance en plus.

Enfin, le troisième défi est le problème de l'accroissement continu de l'endettement public, qui atteint 1 117 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent des engagements financiers de la Nation comme, par exemple, le paiement des retraites des fonctionnaires. Il faut évoquer la question sans esprit polémique pour expliquer aux Français, dans l'esprit de responsabilité qu'ils attendent, l'impossibilité de vivre durablement au-dessus de nos moyens.

La croissance sociale passe avant tout par la bataille pour l'emploi, priorité des priorités du Gouvernement. Il convient pour commencer d'inciter au retour à l'emploi et de mieux valoriser l'activité que l'inactivité, car la vraie précarité est l'absence de travail ; tel est l'objectif de la réforme de l'impôt sur le revenu, qui comporte la refonte du barème, le bouclier fiscal et le plafonnement des avantages fiscaux. Cela ne doit d'ailleurs pas être une si mauvaise idée, puisque l'Espagne a annoncé qu'elle allait s'engager dans la même voie que la France.

Il importe également d'injecter de l'huile dans les rouages du marché du travail, comme le Gouvernement l'a fait avec le contrat nouvelles embauches. Pour obtenir davantage de croissance, il faut également cesser de travailler de moins en moins : les Français qui le souhaitent doivent pouvoir travailler plus longtemps. Il convient enfin de favoriser l'emploi des seniors, dont le taux d'activité est significativement plus bas en France que dans l'Union européenne ; l'accord récent entre syndicats et patronat sur le nouveau « contrat senior » va dans ce sens.

Surtout, le programme de réforme doit avoir comme objectif de moyen terme la construction des bases de l'économie de la connaissance, ce qui suppose un effort en matière de recherche et d'innovation, notamment à travers les pôles de compétitivité.

Le Ministre a conclu que la stratégie de Lisbonne requérait un devoir de pédagogie pour expliquer le mieux possible les évolutions très profondes en cours mais aussi pour les accompagner progressivement en mettant en œuvre les réformes indispensables : le programme national de réforme doit justement servir d'instrument pédagogique pour expliquer aux Français l'action que le Gouvernement entend mener.

Le Président Patrick Ollier a souligné le caractère ambitieux du programme gouvernemental.

Rappelant le bénéfice tiré aujourd'hui encore par l'économie française des grands projets lancés par le général de Gaulle, dans les domaines de l'aéronautique, du nucléaire ou de l'espace notamment, il a estimé que la création de l'Agence nationale de la recherche, de l'Agence pour l'innovation industrielle, du groupe OSEO et des pôles de compétitivité aboutissaient à la plus grande réforme de notre dispositif public de soutien à la recherche industrielle depuis l'après-guerre et traduisaient un retour heureux de la politique industrielle.

Appelant d'une manière générale à plus de volontarisme des pouvoirs publics pour aider nos entreprises comme le font beaucoup de pays étrangers, il a souhaité, s'agissant des grandes entreprises, une refonte des règles de concurrence communautaires qui entravent la création de champions européens et, s'agissant des PME, la modernisation de notre dispositif public d'appui à l'export, thème sur lequel il a rappelé que travaillaient MM. Alain Cousin et Jean Gaubert.

Puis, revenant sur la question de la pédagogie des réformes, le Président Patrick Ollier a rappelé l'expérience des « commandos de députés » communiquant sur le terrain lors de la réforme des retraites et a demandé au Ministre si elle ne gagnerait pas à être renouvelée afin d'aider le Gouvernement dans son action.

Après avoir posé la question de l'articulation de la stratégie de Lisbonne et du pacte de stabilité et de croissance, il a conclu en saluant la prise en compte par le programme national de réforme de la dimension territoriale et en rappelant l'attachement profond de la représentation nationale à l'égalité des territoires.

M. Serge Poignant, après avoir souligné la nécessité de défendre l'industrie et l'agriculture françaises, a posé les questions suivantes :

- comment les divers programmes nationaux seront-ils coordonnés ?

- Les formations dispensées en France, de l'université à l'apprentissage, sont-elles adéquates aux évolutions du monde ou bien des efforts d'adaptation doivent-ils être accomplis ?

- Comment la stratégie de Lisbonne s'articule-t-elle avec les accords commerciaux régionaux ou multilatéraux ?

M. Jean-Charles Taugourdeau a constaté que le défi de nourrir 3 milliards d'êtres humains supplémentaires constituait une chance pour la France, mais s'est dit très inquiet des perspectives en matière agricole compte tenu, d'une part, du fait que l'agriculture sert souvent, dans les négociations commerciales multilatérales, de monnaie d'échange en contrepartie d'avancées obtenues au profit d'autres secteurs et, d'autre part, du développement des capacités d'exportation de la Chine que l'on constate aujourd'hui, par exemple, s'agissant des pommes. Puis, il a souhaité que le Ministre précise quelle place la stratégie de Lisbonne accordait à la préférence communautaire qu'il a jugée, en pratique et malgré les discours, inexistante.

M. Gabriel Biancheri s'est dit attentif à l'avenir de l'industrie manufacturière et s'est interrogé sur le nombre d'emplois générés par le secteur de l'économie de la connaissance.

Le Ministre a indiqué que celui-ci représentait déjà 35 à 40 % du nombre des actifs.

M. Gabriel Biancheri a émis la crainte que le monde, à l'horizon 2030, ne se partage entre la Chine dotée des emplois et ayant obtenu nos savoirs, les États-Unis pourvus des moyens financiers et une Europe réduite à un espace pour personnes âgées.

M. François Brottes a souhaité savoir quelle politique d'immigration était envisagée dans le contexte de la diminution du nombre d'actifs.

Puis, il s'est enquis de la position du Ministre sur la directive dite « Bolkestein » relative à la libéralisation des services.

Enfin, il a regretté que l'Europe « se tire une balle dans le pied » en empêchant la constitution de grands champions industriels, capables de se battre dans la guerre économique mondiale, et a appelé les institutions communautaires à abandonner leur approche intégriste du droit de la concurrence.

M. Jean-Marc Lefranc a approuvé les propos tenus par le Ministre : les secteurs de la recherche, de l'innovation et des hautes technologies doivent effectivement être promus. Il a rappelé que toutes les entreprises susceptibles de recruter devaient également être aidées. Après s'être déclaré optimiste quant à la reconduction du taux de TVA à 5,5 % dans le secteur du bâtiment, il a demandé quelles étaient les chances d'obtenir une mesure identique en faveur de l'hôtellerie et de la restauration.

Mme Marie-Anne Montchamp a posé les questions suivantes :

- dans quelle mesure et au bout de combien de temps une politique de maîtrise de l'emploi public agit-elle sur les engagements de l'Etat quant aux pensions de ses fonctionnaires ?

- Quelle est l'efficacité de la prime pour l'emploi au profit de laquelle des moyens croissants sont mobilisés ?

- Enfin, le soutien au secteur émergent de l'économie de la connaissance ne doit-il pas entraîner les pouvoirs publics à s'engager toujours plus dans la voie de la réforme ?

M. Alfred Trassy-Paillogues a évoqué une analyse économique récente, publiée par une banque internationale, prévoyant, qu'à l'échéance de 2020, les trois économies dominantes seraient, dans l'ordre, les États-Unis, la Chine et l'Inde, suivies de très loin par l'Europe - où seules l'Espagne et l'Irlande tireraient leur épingle du jeu -, pénalisée par un environnement juridique peu stable, notamment dans le domaine des produits financiers, et par l'absence de flexibilité.

A cet égard, il a rappelé les contraintes réglementaires lourdes en matière d'emploi et a notamment souligné qu'alors même que l'abaissement de l'âge de l'apprentissage est envisagé, l'application du droit du travail aux apprentis âgés de seize à dix-huit ans pose de lourds problèmes dans certains secteurs notamment s'agissant du travail de nuit.

Puis, il a noté que l'accroissement de la dette publique devait conduire à un effort de rigueur de gestion. Citant l'exemple des dizaines d'organismes intervenant sur le thème de la lutte contre le réchauffement climatique et de l'effet de serre et percevant des deniers publics, il a déploré l'incapacité du ministère de l'écologie et du développement durable à établir la liste des subventions qui leur ont été versées. Rappelant avoir en conséquence fait voter la diminution des crédits alloués à l'observatoire national des effets du réchauffement climatique, il a jugé urgent de remettre de l'ordre dans ce secteur.

Enfin, il s'est demandé pourquoi la France n'avançait pas plus vite en matière de biocarburants.

Le Ministre, après s'être félicité de la qualité du dialogue avec la Commission et du fait que la démarche de l'élaboration du programme national de réforme rende nécessaire de davantage inscrire la réflexion dans le long terme, a apporté les éléments de réponse suivants aux intervenants :

- pour aider les citoyens à s'approprier les mutations en cours, il convient d'expliquer de manière non-partisane les réformes ou les évolutions nécessaires en insistant sur le fait que chacun pourra trouver sa place dans la nouvelle économie qui émerge. Si le projet de Traité constitutionnel européen n'a pas été compris par les Français, c'est précisément parce qu'il ne leur a pas été expliqué que celui-ci constituerait un passeport pour que chacun retrouve sa place dans la société nouvelle qui se dessine. Le Gouvernement est donc très favorable à des initiatives de terrain pour ouvrir une discussion sur l'avenir et avancer ensemble dans l'intérêt du pays ;

- le programme de stabilité et de croissance sera transmis à la Commission autour du 1er décembre. Mais les deux exercices sont profondément différentes : le programme national de réforme est un exercice de pédagogie, de vision et d'évaluation des meilleures pratiques pour atteindre les objectifs de Lisbonne ; le second est un exercice de contrôle qui contraint les pouvoirs publics à la rigueur budgétaire ;

- l'émergence de champions européens est un objectif fondamental. Le Commission de Bruxelles, en s'arc-boutant sur les problèmes de concurrence, a parfois pêché par excès de naïveté ;

- l'Union européenne établira une synthèse des programmes nationaux de réforme, mais il n'est pas souhaitable que des technocrates bruxellois notent et classent les États membres. Ceux-ci doivent rester responsables du rythme de leurs réformes, au regard de leurs spécificités, qui constituent une richesse. Il n'en demeure pas moins qu'un document de synthèse peut apporter de bonnes idées ;

- la formation est un autre sujet majeur. Les métiers des services à la personne et de l'économie du savoir nécessitent différents types de formation. Quoi qu'il en soit, la formation doit se concevoir tout au long de la vie, notamment pour donner à chacun la possibilité d'évoluer d'une fonction à l'autre. Un mode de formation où tout se fige dans les cinq premières années de la vie d'adolescent ou de jeune adulte a du sens dans une économie industrielle mais plus du tout dans une économie du savoir ;

- est-il souhaitable que l'Europe devienne un territoire où les étrangers viendraient passer leur retraite, comme cela commence à se produire dans le Sud-Ouest de la France ? Pour que la croissance de la France passe de 2 % à 3 %, voire à 3,5 %, il faudra davantage d'actifs et la problématique de l'immigration doit effectivement être repensée : il convient de réfléchir à une politique d'immigration volontariste pour que la France redevienne terre d'accueil, mais dans des conditions précises. Dans presque toutes les universités américaines, plus de la moitié des étudiants sont d'origine asiatique - chinoise, coréenne, taïwanaise ou japonaise - et cela ouvre des portes en matière de compréhension et de liens futurs ; la France devrait en faire autant. Une discussion dépassionnée est indispensable et ce sera d'autant plus facile qu'un effort de pédagogie et de projection aura été effectué pour aider les Français à s'approprier le nouveau contexte ;

- l'abaissement du taux de la TVA à 5,5 % pour certains services est un objectif et un combat du Gouvernement. La France a proposé à la présidence britannique une disposition qui permettrait aux États membres de pratiquer les taux de TVA de leur choix, notamment sur les services, sous réserve que ceux-ci ne soient pas l'objet d'une concurrence entre Etats membres. Sur cette question, l'unanimité des États membres est requise et deux ou trois pays restent récalcitrants dont l'Allemagne qui s'est dotée d'un nouveau gouvernement avec lequel il convient de discuter ;

- l'évolution des engagements financiers en matière de retraites ne doit pas surprendre les parlementaires car suffisamment de débats ont eu lieu à ce propos. Une réduction du nombre de fonctionnaires recrutés ne jouera que dans des années mais, au-delà du problème des retraites, il convient de décider si les dépenses prioritaires doivent être des dépenses de fonctionnement ou des dépenses de préparation de l'avenir. Le débat doit être posé afin que les uns et les autres s'expriment en toute connaissance de cause ;

- la simplification des structures administratives est évidemment souhaitable mais derrière les organismes, il y a des personnes et il faut en tenir compte. Il convient de rechercher des solutions consensuelles et de faire un effort de pédagogie en matière de modernisation de l'Etat ;

- le projet de directive sur les services évolue mais la position de la France, elle, ne changera pas, notamment en ce qui concerne le pays d'origine. Le gouvernement français semble assez en phase avec Mme Pervenche Berès, qui préside la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen.

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