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COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 24

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 7 décembre 2005
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution de M. Philippe-Armand Martin (Marne) sur la proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne et les Etats-Unis sur le commerce du vin (COM [2005] 547 final/n° E3002) (n° 2686)

 

(M. Philippe-Armand MARTIN (Marne), rapporteur)

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Philippe-Armand Martin, sa proposition de résolution sur la proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne et les Etats-Unis sur le commerce du vin (COM [2005] 547 final/n° E3002) (n° 2686).

Après avoir rappelé qu'il était également le rapporteur de la Délégation pour l'Union européenne sur la proposition de résolution, le rapporteur, M. Philippe Armand Martin, a entrepris d'en exposer le contenu aux autres commissaires, précisant qu'il ne pouvait qu'y être favorable.

Il a tout d'abord expliqué que le texte adopté par la Délégation pour l'Union européenne visait avant tout à exprimer quelques mises en garde de bon sens face au blanc-seing qui s'apprêtait à être donné à cet accord au niveau européen. Il a néanmoins reconnu que celui-ci arrivait après quasiment deux décennies de négociations et que sa conclusion avait au moins le mérite de consacrer le retour à des relations commerciales normales, dans un cadre sécurisé, et d'éloigner les risques de contentieux à l'Organisation mondiale du commerce.

Il a toutefois considéré qu'il n'était pas possible de se contenter d'approuver un accord qui par ailleurs n'apportait aucune avancée substantielle sur des points importants aux yeux des producteurs européens, notamment sur la question des usurpations d'appellations européennes protégées. Affirmant que l'accord contribuait au contraire à figer la situation existante, il s'est interrogé sur la capacité de l'Europe à mener à bien la seconde phase des négociations étant donné sa position de faiblesse actuelle.

Il a ensuite rappelé que le Parlement européen avait également adopté fin septembre une proposition de résolution très critique sur de nombreux points de l'accord, faisant part notamment de son inquiétude quant à la pérennité du modèle viticole européen. A cet égard, M. Philippe-Armand Martin a affirmé qu'il appartenait également l'Assemblée nationale de dénoncer l'attitude de la Commission de Bruxelles consistant à conclure un accord autorisant l'importation de vins produits selon des pratiques œnologiques non autorisées par l'organisation commune de marché (OCM) vitivinicole avant que celle-ci ait pu être réformée.

Il a ensuite exposé les sept points de la proposition de résolution, précisant tout d'abord que le premier point visait à condamner l'adoption d'une nouvelle procédure de certification américaine des vins importés ayant uniquement pour objet de faire pression sur le négociateur européen. S'agissant du deuxième point, il a précisé qu'il consistait en une dénonciation de l'acceptation de l'importation de vins produits selon des pratiques non autorisées sur le territoire communautaire avant que l'on ait pu décider au niveau interne du contenu de la future OCM vitivinicole.

Il a ensuite détaillé les dispositions du point 3 relatif aux usurpations d'appellations européennes protégées par les producteurs américains. A cet égard, il a rappelé que si, dans l'accord, les Etats-Unis avaient pris l'engagement de revenir dans un délai maximum de 5 ans sur leur législation assimilant ces appellations à des « semi-génériques » tombés dans le domaine public, ils restaient néanmoins protégés par la « clause du grand père » prévue par l'accord sur les droits de propriété intellectuelle de l'OMC s'agissant des appellations usurpées de longue date. Il a donc estimé que si l'Europe acceptait de fait dans l'accord que les usurpations actuelles se poursuivent jusqu'à ce que les Etats-Unis aient modifié leur législation, il était impensable qu'elle reconnaisse officiellement une pratique qu'elle a toujours dénoncée. Le point 3 vise donc à demander au Conseil de produire une déclaration précisant que l'accord ne constitue en aucun cas une forme de reconnaissance de cette pratique, sous couvert de la clause dite « du grand-père ».

Abordant le quatrième point de la proposition de résolution, le rapporteur a signalé qu'il formulait un certain nombre de recommandations pour la suite des négociations et demandait qu'on ne les conclue qu'une fois les conditions suivantes remplies :

- que la réforme de l'OCM vitivinicole ait eu lieu ;

- que les Etats-Unis aient réintégré l'Organisation mondiale de la vigne et du vin ;

- qu'ils se soient engagés à rétrocéder à la Communauté européenne l'usage exclusif de ses appellations d'origine et mentions traditionnelles, comme cela est prévu dans les autres accords bilatéraux ;

- et que l'Europe ait obtenu la création d'un « registre multilatéral de notification et d'enregistrement des indications géographiques pour les vins » juridiquement contraignant, seul instrument à même de protéger véritablement les appellations européennes.

Il a ensuite expliqué que le cinquième point de la proposition de résolution appelait un encadrement des pratiques œnologiques au niveau international ainsi que l'élaboration d'une définition contraignante du vin, considérée désormais comme un préalable indispensable à l'établissement d'une base de discussion commune. Puis il a exposé le contenu du point 6 visant à allouer à la défense de la notoriété des vins européens dont les appellations sont actuellement usurpées par les producteurs américains une partie des crédits du budget communautaire consacrés à la promotion des produits agricoles. Enfin, il a indiqué que le point 7 de la proposition de résolution affirmait la nécessité de créer un organisme de concertation permanent rassemblant l'ensemble des acteurs du monde vinicole concernés par la conclusion de ce type d'accords bilatéraux afin que leur adoption fasse l'objet d'une véritable concertation.

Le rapporteur a ensuite demandé aux autres commissaires d'apporter leur soutien à la proposition de résolution, sous réserve des quelques amendements rédactionnels qu'il souhaitait y apporter. Il a estimé que si les députés étaient bien sûr tous conscients des enjeux économiques que représentait l'accord, les Etats-Unis étant le premier débouché des vins et spiritueux européens pour un montant annuel de 1,8 milliard d'euros, ils ne devaient pas renoncer pour autant à défendre le modèle viticole européen et à faire respecter les droits des producteurs. Il a conclu en affirmant que c'était là le message que devait faire passer la résolution.

M. Philippe Feneuil a tout d'abord félicité le rapporteur pour la qualité de son travail, soulignant qu'il était tout à fait complet. Il s'est néanmoins proposé de retracer le contexte historique de l'accord, en indiquant que la situation laissait le sentiment de satisfaction mitigée que laisse un verre à moitié vide ou, selon les interprétations, à moitié plein. Il a indiqué que cela faisait vingt ans que la Communauté européenne essayait d'obtenir des Etats-Unis la reconnaissance de ses appellations d'origine contrôlée et refusait parallèlement de reconnaître les pratiques œnologiques américaines. Néanmoins, elle avait toujours fini par concéder chaque année des dérogations partielles et temporaires pour les vins produits selon ces pratiques. Parallèlement, le sénateur d'Amato avait réussi à consacrer sur le plan législatif l'assimilation à des « semi-génériques » de dix-sept appellations d'origine européennes, parmi lesquelles certaines françaises telles que Chablis, Sauterne, Champagne et Bourgogne (« Burgundy »).

Bien que constatant que l'accord qui devait être signé définitivement par les instances européennes les 20 et 21 décembre prochains, entérinait cette situation insatisfaisante, voire la figeait pour l'avenir, il a signalé que, par ailleurs, le rejet de l'accord renverrait à la situation antérieure à la négociation. Il a néanmoins rappelé que la Communauté européenne était parvenue à signer des accords bilatéraux avec tous les pays vinicoles du monde, sauf les Etats-Unis, la Russie et l'Ukraine, et que cet accord, s'il était signé en l'état, ne manquerait pas d'avoir des répercussions sur les autres accords, leurs signataires étant alors fondés à demander des avantages équivalents à ceux accordés aux Etats-Unis. Il a estimé que, pour échapper au dilemme posé par le résultat de la négociation, il convenait de ménager la possibilité que la « clause du grand-père », qui permet d'invoquer l'ancienneté d'une production pour revendiquer l'utilisation d'une appellation en principe protégée, ne s'appuie pas sur une ancienneté déterminée, mais sur une durée négociable. Par ailleurs, il a considéré que la prise de conscience, aux Etats-Unis, même de la nécessité d'assurer la protection des appellations d'origine, ainsi que l'avait illustré l'exemple récent d'un procès pour usurpation de l'appellation californienne « Napa » par un vin produit dans l'Oregon, constituait un terrain favorable pour tenter une négociation sur ce point.

En conclusion, il a marqué son total soutien au texte de la résolution telle qu'amendée par le rapporteur.

M. Pierre Micaux, après avoir à son tour félicité le rapporteur pour son travail, s'est interrogé sur l'existence de collusions entre certains intérêts français et les intérêts américains, suggérant que la proposition de résolution condamne de tels agissements.

M. François Brottes a indiqué que le groupe socialiste partageait les interrogations des autres commissaires sur cet accord.

M. Léonce Deprez a souligné qu'un verre à moitié vide était préférable à pas de verre du tout et qu'il ne fallait pas reporter à demain ou après-demain la conclusion d'un tel accord, qui comportait quand même quelques garanties.

Reprenant la remarque de M. Pierre Micaux sur d'éventuelles collusions d'intérêts, M. Philippe Feneuil a fait observer que certaines marques françaises s'étaient effectivement installées outre-atlantique afin de bénéficier de la législation américaine mais que le chiffre d'affaires des ventes de vin français aux Etats-Unis restait sans commune mesure avec celui des ventes de vin américain en France. Il a ajouté que même si les parts de marché des vins français au Etats-Unis s'effritaient quelque peu, elles continuaient à progresser en valeur étant donné la forte hausse de la consommation outre-atlantique. Il a estimé que cela constituait sans doute la raison pour laquelle certaines entreprises se montraient réticentes à critiquer l'accord.

M. Serge Poignant a demandé au rapporteur quelles pouvaient être les suites d'un refus d'une des parties de parapher l'accord et s'est interrogé sur l'étendue des marges de manœuvre existantes en matière de négociation.

Le rapporteur a rappelé que le contexte actuel était marqué par une position de faiblesse de l'Union européenne, à l'inverse de la situation prévalant il y a dix ans lorsque celle-ci avait refusé la signature d'un précédent accord. Il a souligné que la situation présente se différenciait notamment de la précédente par l'apparition d'une concurrence draconienne. Il a précisé qu'en l'absence d'accord, les Etats-Unis imposeraient leur nouvelle procédure de certification aux vins importés de l'Union européenne, ce qui dans les faits serait similaire à un boycott des vins européens. Soulignant que c'était là un risque que l'Europe ne pouvait prendre, il a cependant indiqué qu'il ne fallait pas pour autant reconnaître les usurpations, au risque d'aboutir à une banalisation de certains vins, notamment le champagne, et de voir remis en cause les accords bilatéraux conclus avec d'autres pays. Il a donc expliqué que c'est la raison pour laquelle figurait dans la proposition de résolution la nécessité de demander aux Etats-Unis de renoncer à l'usage de l'ensemble des appellations européennes protégées et mentions traditionnelles, et plus généralement, un certain nombre de conditions visant à encadrer la poursuite des négociations.

M. Serge Poignant a demandé si un refus des Etats-Unis de l'ensemble de ces conditions signifierait à un retour à zéro.

Le rapporteur a rappelé qu'il s'agissait ici simplement d'une résolution adoptée par le Parlement contribuant à la définition de la position de la France au sein de l'Union européenne, dont elle ne constitue que l'un des vingt-cinq Etats membres. Il a ajouté que le texte adopté serait remis au ministre de l'agriculture, dont la position commençait d'ailleurs à évoluer dans le sens de la proposition de résolution.

La commission a ensuite adopté sept amendements rédactionnels du rapporteur, dont deux ayant pour effet de déplacer des dispositions, le 6 devenant 3 bis et le 7 venant compléter le 4, pour les regrouper de manière plus cohérente, et un autre recentrant le point 3 sur son objet principal.

La commission a ensuite adopté la proposition de résolution ainsi modifiée, à l'unanimité des groupes représentés, UMP et socialiste.

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