Version PDF

COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 57

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 6 juin 2006
(Séance de 16 heures15)

Présidence de M. Patrick Ollier,
Président de la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,

et de M. Pierre Méhaignerie,
Président de la Commission des finances, de l'économie générale et du Plan

SOMMAIRE

 

page

- Audition, commune avec la Commission des finances, de l'économie générale et du Plan, de M. François Loos, ministre délégué à l'Industrie, sur le prix de l'énergie et la situation économique des PME-PMI

2

   

La Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire et la Commission des finances, de l'économie générale et du Plan ont, au cours d'une réunion commune, entendu M. François Loos, ministre délégué à l'Industrie, sur le prix de l'énergie et la situation économique des PME-PMI.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que cette réunion fait suite à l'audition de M. Pierre Gadonneix par la Commission, qui a été unanime pour s'inquiéter des effets d'une augmentation importante - de 60 à 80 %  - du prix de l'électricité sur le marché dérégulé, en particulier pour les 600 à 1.000 PMI importantes dont dépend l'avenir du pays.

On peut se demander quelle perception peut avoir, dans ces conditions, l'opinion publique de l'avantage nucléaire de la France. Le président d'EDF a expliqué que, compte tenu des prix sur le marché régulé, il est normal que son entreprise se donne les moyens d'investir dans le renouvellement du parc et le développement d'outils industriels. Même en souscrivant à cela, il faut s'inquiéter des hausses actuelles.

La Commission des finances a donc souhaité que le ministre détermine quelles méthodes pourraient permettre de retrouver des prix normaux. Certains pays d'Europe sont revenus au bout d'un an sur la réversibilité, d'autres ont introduit une concurrence à l'intérieur du marché régulé. On peut se demander ce qu'il adviendra en France au 1er juillet 2007. Par ailleurs, d'autres sociétés peuvent entrer en concurrence pour la distribution. On peut comprendre qu'il y ait sur le marché dérégulé des augmentations de 20 à 25 % pour ceux qui ont fait ce choix, mais des hausses de 60 à 80 % sont totalement insupportables. Par exemple, un équipementier automobile déjà fragile ne peut supporter une augmentation de l'électricité de 800.000 euros pour une entreprise de 700 personnes ! Il est donc heureux que le ministre expose les pistes concrètes qui peuvent permettre d'aboutir dans des délais brefs, d'autant que cela n'est pas sans conséquence sur le dossier du rapprochement entre Gaz de France et Suez.

M. Patrick Ollier, Président de la commission des Affaires économiques, s'est également réjoui de l'organisation de cette audition commune.

Il a souligné que les conséquences de la dérégulation des prix sur les PME ayant exercé leur éligibilité, exposées par le Président Pierre Méhaignerie, et les exigences de la Commission européenne sur les tarifs régulés donnaient une très mauvaise image de l'Europe : ce n'est pas ainsi que les chefs d'entreprise s'attendaient à vivre l'Europe. On comprend mal, par ailleurs, comment notre spécificité nucléaire ne pourrait pas continuer à protéger les consommateurs français et pourquoi ceux-ci devraient subir l'augmentation actuelle des prix européens de l'électricité liée à celle du prix du gaz donc du pétrole. Il a donc regretté que la Commission européenne souhaite faire aller les États membres au-delà de la directive en remettant en cause les tarifs régulés.

Sans doute faudrait-il aujourd'hui trouver le moyen d'offrir aux entreprises ayant exercé leur éligibilité et confrontés aux hausses de prix une possibilité de retour à un tarif régulé spécifique, établi à un niveau intermédiaire entre le tarif de droit commun et le prix prohibitif actuel. Ainsi éviterait-on que des entreprises ne subissent les conséquences désastreuses de ce dernier. Pour protéger les consommateurs, il faut aussi préparer, dès maintenant, l'échéance du 1er juillet 2007 et donc voter une disposition permettant à tous les consommateurs qui le souhaitent de continuer à bénéficier des tarifs.

Il conviendrait donc que le ministre indique s'il est favorable à ce qu'une réponse législative soit apportée, d'une part, au problème particulier des PME-PMI ayant exercé leur éligibilité et, d'autre part, à la nécessité de maintenir les tarifs réglementés après le 1er juillet 2007.

Le texte permettant la fusion entre GDF et Suez, dont il est souhaitable qu'il avance rapidement, car se doter d'un groupe puissant, qui représenterait 20 % du marché et deviendrait le premier acheteur de gaz en Europe, irait dans le sens de l'intérêt des consommateurs, serait l'occasion de l'adoption de ces dispositions.

M. François Loos, ministre délégué à l'Industrie, a rappelé que les directives européennes ont fixé, en 1996, 1998 et 2003, les conditions de l'ouverture des marchés à l'horizon du 1er juillet 2007, date à laquelle l'ensemble des clients pourra alors faire appel à n'importe lequel des producteurs pour qu'il devienne leur fournisseur.

Depuis le 1er juillet 2004, tous les clients professionnels sont éligibles. Ainsi, alors que l'ensemble de la consommation nationale représente 450 TWh, 70 % sont aujourd'hui éligibles et 565.000 sites ont choisi de sortir du tarif traditionnel d'EDF, ce qui représente un peu plus de 10 % des sites éligibles, mais, avec 150 TWh, près de la moitié de la consommation éligible. Les deux tiers d'entre eux ont toutefois conservé EDF comme fournisseur. La moitié des renouvellements de contrats en cours concerne les nouveaux opérateurs. Il faut rappeler à ce propos que le plus souvent les contrats portent sur un an et sont conclus sur la base du prix du marché au moment de leur signature. Ce prix s'est véritablement envolé en 2004 et en 2005 puisqu'on est passé de 23 euros par MWh en 2001 à plus de 60 euros en avril 2005 - moment où la commission des Finances a tiré le signal d'alarme - avant de retomber à 50 euros aujourd'hui grâce aux efforts conjugués de la Commission et de ceux qui disposaient de quotas de CO2, remis sur le marché.

Une comparaison européenne des prix du marché montre que la France se situe dans la moyenne, le Royaume-Uni étant pour sa part très nettement au-dessus.

Une autre comparaison peut être faite, non pas à partir du prix rendu chez le client, donnée utilisée par la presse la semaine dernière et qui tient compte du transport et de la distribution, qui sont entièrement régulés, mais à partir de la part du prix moyen - régulé et non régulé - incombant exclusivement à la production. On constate alors que le prix de l'électricité en France est un peu plus cher que celui de la Finlande, qui dispose de contrats historiquement avantageux avec la Russie, ou que celui de la Lettonie, qui est surproductrice, mais qu'Elle reste en dessous de la moyenne européenne. On note par ailleurs que les prix de marché ont été inférieurs aux tarifs de 2000 à 2004, avant de devenir supérieurs après cette date.

Le premier facteur d'explication est la volatilité du marché. En effet, la référence pour le prix de l'électricité est devenue le prix de marché par le jeu de la bourse Powernext, avec des vendeurs, des traders et des acheteurs. Powernext ne représente toutefois que 10 % du marché de gros, soit quelques dizaines de TWh, alors que les quantités d'énergie échangées sur le marché sont plus importantes dans les autres pays, sans que les prix soient plus bas pour autant.

Pour éviter les évolutions erratiques et parvenir à des prix pertinents, il paraît nécessaire d'améliorer la transparence, la profondeur et la liquidité du marché. Cela peut passer par un renforcement du rôle, des missions et des moyens de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). On peut aussi considérer que, pour que les prix baissent, il faut qu'il y ait davantage d'échanges sur les marchés. Cela suppose qu'EDF offre des droits de tirage supplémentaires, mais comment fixer le prix afin qu'il soit attractif pour les acheteurs, sans déstabiliser pour autant le marché ?

Un deuxième facteur d'explication tient à l'incorporation du prix du CO2 dans le prix de l'électricité. Même si aucun producteur français d'électricité n'a eu besoin d'acheter sur le marché une seule tonne de CO2 pour produire son électricité, il existe bien une corrélation entre prix du CO2 et prix de l'électricité. L'ensemble des producteurs européens a ainsi incorporé le prix du CO2 nécessaire à la fabrication de l'électricité, à tel point que lorsque le cours de la tonne de CO2 a fortement baissé ces dernières semaines, le prix de l'électricité a suivi. Il est donc souhaitable de trouver le moyen de rendre cette corrélation inopérante, mais en prenant garde à ne pas remettre en cause, au niveau européen, le mécanisme vertueux des quotas de CO2. Il n'est donc pas facile d'imaginer une solution. Les ministres allemand et français vont demander que les pénalités soient plafonnées, afin que l'on n'atteigne en aucun cas une sanction de 100 euros par tonne, comme cela est prévu à partir de 2008, mais aussi que les États qui ont des excédents de CO2 puissent les mettre sur le marché. L'ensemble de ces mesures suppose à la fois de modifier la directive, ce qui sera fort long, et la loi française.

Le troisième facteur d'explication réside dans la prise en compte des investissements futurs. La situation actuelle s'explique par le fait que la capacité de consommation s'approche de la capacité de production. Il est donc important d'investir. C'est ainsi qu'on a demandé à EDF, au moment de l'ouverture du capital, d'investir 30 milliards d'euros au cours des trois prochaines années. Tel n'était pas le choix spontané des dirigeants de l'entreprise. L'idée était de parvenir à des surcapacités afin de pouvoir jouer sur les prix. Les besoins supplémentaires nécessaires en France ont été estimés à 1.700 MGw d'ici 2010 et à 2.600 MGw d'ici 2013. D'ores et déjà, EDF et les autres producteurs ont annoncé 4.000 MGw de plus d'ici 2013.

Un certain nombre de solutions sont souvent avancées pour limiter la hausse des prix, mais elles paraissent peu réalistes, notamment l'idée de permettre le retour au tarif des clients ayant exercé leur éligibilité.

Le Président Pierre Méhaignerie a fait observer qu'il ne s'agissait pas obligatoirement de revenir au tarif antérieur mais d'arriver à un tarif acceptable, avec une augmentation de 20 à 25 % et non pas de 60 à 80 %. Il y a de la marge.

M. François Loos, ministre délégué à l'Industrie, a jugé l'idée excellente, sauf pour les fournisseurs concurrents d'EDF, qui n'ont pas véritablement de marge entre leur prix d'achat et leur prix de revente, car ils ne produisent pas d'électricité.

Si EDF propose un tarif dérégulé à seulement 25 % de plus que le tarif régulé, les clients risquent de quitter ses concurrents pour revenir vers lui. Et s'il ne peut les servir en raison de ses engagements, les prix continueront de monter. L'Espagne, qui a instauré le retour aux tarifs, est en contentieux avec la Commission européenne. Il ne faudrait pas s'engager dans une solution qui obligerait, d'ici un ou deux ans, toutes les entreprises à rembourser la différence.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que la Commission européenne est très gênée parce qu'il n'y a pas assez de concurrence.

M. François Loos, ministre délégué à l'Industrie, a observé que le risque est précisément de réduire encore la concurrence.

Le Président Pierre Méhaignerie a répondu que tel ne serait pas le cas si l'on utilise le dispositif de la CSPE (Contribution du Service Public de l'Électricité). Car il faut bien trouver une solution pour mettre un terme à l'étouffement des PME qui supportent aujourd'hui une augmentation tarifaire de 80 %.

M. François Loos, ministre délégué à l'Industrie, a insisté sur le fait que le gouvernement s'efforce de trouver rapidement des solutions. La CSPE, pourcentage de la facture payée par tous les consommateurs sert à financer les tarifs sociaux ainsi que les énergies renouvelables qui sont achetées à des prix supérieurs à ceux du marché. L'idée pourrait être d'utiliser ce mécanisme pour une bonification exceptionnelle, afin de compenser les augmentations de prix.

Une autre solution serait d'organiser la cession de capacités de production à prix coûtant au profit des distributeurs alternatifs, avec le risque précédemment évoqué d'un effet sur le marché. Il est aussi proposé, comme l'a rappelé le Président Pierre Méhaignerie, d'imposer le même tarif à tous les opérateurs et de financer les écarts de coûts par un accroissement de la CSPE, mais au détriment de la facture du consommateur. Certains considèrent aussi qu'on pourrait limiter les prix de l'électricité par le jeu du code du commerce, mais est-ce compatible avec les normes européennes ?

Le gouvernement a pour sa part pris un certain nombre d'initiatives pour maîtriser l'évolution des prix. Pour les gros « électro-intensifs », c'est-à-dire les 60 entreprises et les 300 sites dont la consommation est supérieure à 2,5 KWh par euro de valeur ajoutée
- aluminium, chimie, papeterie, acier, verre, etc. -, un amendement à la loi de finances rectificative 2005 a permis de créer le consortium Exeltium, qui met à leur disposition des KWh à un prix très favorable. Il a fallu, avant de mettre cette mesure en œuvre, montrer qu'il s'agissait bien de faire baisser les prix et non pas de constituer une entente pour les augmenter. La Commission a ainsi accepté ce dispositif qui permettra à ces entreprises de rester compétitives.

La deuxième réponse prend la forme des engagements en faveur des PME-PMI. À l'occasion de la table ronde du 15 mai 2006, les producteurs d'électricité ont pris des engagements commerciaux pour répondre à court terme aux préoccupations de leurs entreprises clientes. Ils ont en particulier admis la réalité de l'effet CO2, tout en observant qu'il s'agissait aussi d'un effet d'aubaine, puisqu'il ne correspond pas à un surcoût dans leurs prix. Ils ont accepté de faire des offres non indexées à la hausse sur le prix de marché et non affectées par les évolutions du coût du CO2. Une renégociation interviendra dès cette année pour 600 contrats d'approvisionnement. Des contrats à moyen et à long terme, en particulier pour des entreprises qui se regroupent, permettront véritablement d'obtenir des prix plus bas que ceux du marché.

Le défi le plus important est sans doute de faire en sorte que la capacité de production soit à la hauteur des besoins, ce qui passe par une programmation pluriannuelle des investissements, un très gros effort de maîtrise de la demande et une politique de développement des énergies renouvelables.

M. Hervé Novelli a considéré qu'il y avait bien un problème sur le marché des prix de gros de l'électricité, à telle enseigne que l'ancien président de la CRE, M. Jean Syrota, a déclaré qu'il semble que les grands opérateurs ne soient pas en situation de concurrence réelle et que plus personne ne surveille les prix en temps réel sur le marché. On peut légitimement se demander en premier lieu qui surveille, qui contrôle et qui régule ? Peut-être conviendrait-il de demander à la CRE un rapport, ou que les commissions des Finances et des Affaires économiques créent une mission d'information. S'agissant des 700 entreprises, réparties sur l'ensemble du territoire, qui ont fait le choix de sortir du tarif et s'en trouvent aujourd'hui pénalisées, il faut veiller à ce que la concurrence, qui est un élément majeur de la protection des consommateurs par ses effets de diminution des prix et d'amélioration de la qualité, ne soit pas remise en cause. Il semble qu'il y a, jusqu'ici, contradiction entre ouverture à la concurrence, formation des prix et durée du monopole. Il n'est pas possible de dissocier ce débat des évolutions à venir d'un deuxième gros opérateur sur le marché français, qu'il soit constitué par fusion de Suez avec GDF ou avec Enel. On ne résoudra pas le problème des prix si on ne dispose pas des éléments d'une vraie concurrence. Or la concurrence ne se décrète pas, elle suppose que l'on se dote d'opérateurs.

M. Serge Poignant a insisté sur la nécessité de permettre aux consommateurs ayant exercé leur éligibilité de revenir à un prix acceptable.

S'agissant de la corrélation apparente entre le prix du KWh et celui de la tonne de CO2, on peut se demander s'il s'agit véritablement d'une relation de cause à effet. Les trois-quarts de l'énergie française sont d'origine nucléaire et 15 % d'origine hydraulique ; il n'y a donc qu'environ 10 % qui proviennent de l'énergie fossile et qui rejettent du CO2. Il semble particulièrement surprenant que la France soit obligée de subir cette corrélation et qu'elle ne tire aucun bénéfice de sa spécificité.

M. Jean-Claude Lenoir a souligné la mauvaise image de l'Europe que risquent d'avoir des citoyens, pour lesquels l'ouverture du marché et le développement de la concurrence doivent signifier une diminution des prix. Il est donc important que le ministre donne aujourd'hui des explications sur une flambée des prix d'autant moins compréhensible pour des Français se sentant protégés par le choix du nucléaire qu'elle n'a aucun lien avec le cours de l'uranium.

Puis, il a rappelé que les besoins d'investissements pour renouveler les capacités de production pesaient nécessairement sur le niveau des prix et que ces besoins conduisaient les opérateurs historiques à solliciter une augmentation des tarifs. Il a précisé que l'évolution de ces tarifs résultait de décisions politiques et non des demandes d'EDF.

Parmi les solutions proposées, certains ont avancé l'idée d'un agrément des prix, bien que la CRE ait déclaré ne pas disposer des moyens nécessaires pour le faire.

Il est par ailleurs apparu que la transposition des dernières directives ne visait pas simplement à ouvrir les marchés, mais aussi à opérer la séparation juridique de la distribution. Or, si la France ne légifère pas avant l'échéance, Bruxelles prendra les décisions à sa place.

Pour procéder aux améliorations et aux vérifications nécessaires, il faut impérativement recourir à la voie législative. Un tel texte est, en outre, très attendu par les consommateurs, qui ne craignent pas l'ouverture, mais qui veulent disposer des moyens d'être protégés. Le groupe de travail a d'ailleurs proposé l'institution d'un médiateur dans le domaine de l'énergie, de façon à analyser les difficultés entre les particuliers et les opérateurs.

S'agissant toujours des consommateurs, il convient de rappeler qu'il n'existe pas aujourd'hui de tarif social pour le gaz et que sa création est souhaitable.

À propos de l'éligibilité au 1er juillet 2007, es débats ont beaucoup porté sur la réversibilité, l'ensemble du groupe de travail considérant qu'il faut trouver le moyen d'ouvrir cette possibilité. Telle est l'idée du « couple » personne-site proposée pour les consommateurs domestiques puisque ne plus remplir une des conditions permettrait de revenir au tarif antérieur.

M. Michel Bouvard a rappelé qu'il y avait plus de trois ans qu'il appelait l'attention de tous sur cette affaire et qu'un rapport du Conseil général des Mines et de l'Inspection générale des finances a constaté l'existence de mouvements spéculatifs sur le marché de gros. Si la France n'est pas loin d'être totalement autosuffisante, ses voisins sont quant à eux hautement déficitaires. C'est pour cela que l'ouverture a tiré les prix vers le haut. Il conviendrait donc que les autres pays européens renforcent leur capacité de production, ce qui ramène au débat sur le nucléaire.

Pour sa part, le consortium pour les électro-intensifs ne règle pas tout : en mettant la barre à 2,5 KWh par euro de valeur ajoutée, on a, certes, augmenté le nombre des bénéficiaires, mais on a aussi en quelque sorte fragilisé les plus gros consommateurs. En effet, on peut se demander si le consortium doit être capable de recevoir la production d'énergie nécessaire à la couverture de la totalité des besoins de ses membres ou s'il ne recevra l'énergie à un prix correct qu'à hauteur de 80 % des besoins, ce qui l'obligerait à acheter plus cher les 20 % restant, avec les risques industriels que cela comporte.

Il serait donc utile de savoir si le consortium recevra des producteurs, au tarif préférentiel, le volume d'énergie nécessaire. La logique du consortium repose sur des investissements dans l'EPR. De nombreuses variables donc peuvent jouer sur les tarifs, à commencer par la durée d'amortissement de ces investissements. La durée des contrats est également un élément important pour toutes les entreprises pour lesquelles l'électricité joue un rôle important dans la formation des coûts. Un certain nombre d'entre elles sont encore engagées dans des contrats à court terme et il convient sans doute de prévoir des contrats à plus long terme, car elles ont besoin d'une certaine sécurité sur le coût de leur énergie pour investir.

Enfin, il ne faut pas se désintéresser du sort des régies électriques, qui sont actuellement confrontées à des problèmes de gestion en raison d'une véritable inflation paperassière.

M. Daniel Paul a fait observer que la contradiction entre la concurrence et l'augmentation des prix est flagrante. Ce qui se produit aujourd'hui était en fait inscrit dans la logique d'ouverture des marchés. L'énergie n'est pourtant pas un bien comme les autres, car elle est nécessaire à la vie. Jusqu'à présent, il a été possible de préserver ce secteur de la concurrence, mais la loi du marché s'impose de plus en plus.

La présence du nucléaire dans le mix énergétique est souhaitable. Il est paradoxal d'imputer au nucléaire l'augmentation des tarifs de l'électricité en France. Cette augmentation est un mauvais coup porté non seulement à l'Europe, mais aussi à l'opérateur historique et au nucléaire.

L'idée d'une augmentation brutale de la CSPE pour sortir des difficultés actuelles est inacceptable, car elle reviendrait à faire supporter aux particuliers les conséquences de l'augmentation des tarifs pour les entreprises.

S'il convient par ailleurs de sauver Suez, le gouvernement a les moyens de le faire sans fragiliser ni privatiser GDF. L'argument de la logique industrielle n'est pas sérieux. Il serait illusoire de penser que la naissance de ce groupe entraînerait une diminution du prix du gaz.

Il serait particulièrement instructif d'organiser à l'Assemblée un débat sur le bilan de l'ouverture d'EDF à la concurrence afin de pouvoir enfin vérifier si elle est, comme on le prétend, synonyme de baisse des prix, de qualité pour tous les usagers, d'améliorations pour les salariés. Le fait que le Gouvernement refuse obstinément ce débat n'est pas bon signe. Dans la mesure où l'on parle de contreparties économiques exigées du nouveau groupe en cas de fusion GDF-Suez, il paraîtrait utile d'examiner sérieusement la possibilité d'une fusion entre EDF et GDF, de façon à reconstituer les opérateurs historiques dans ce secteur, très spécifique. Certes, cela ne paraît pas conforme aux règles européennes actuelles, mais l'importance des enjeux devrait conduire à y réfléchir.

M. François Brottes a demandé que l'on cesse de jouer aux apprentis sorciers et que l'on reconsidère au plus vite la question du démantèlement d'EDF-GDF, car le pouvoir politique ne peut jouer un rôle utile que s'il a une maîtrise significative du capital des entreprises publiques de l'énergie.

Dans son exposé, le ministre n'a pas fait référence à la loi d'orientation sur l'énergie, qui renvoie pourtant à la question du volume produit par les énergies renouvelables. Aujourd'hui, on a l'impression que le gouvernement s'apprête à faire diversion, d'une part en déposant un projet de loi censé destiné à faire baisser le prix de l'électricité, mais qui contiendra aussi la privatisation de GDF, d'autre part en faisant croire que l'augmentation actuelle du prix de l'énergie est liée à la CSPE et au protocole de Kyôto. Pourtant, il n'est pas certain que la France ait intérêt à demander que l'on réduise l'impact de ce protocole. En revanche, le ministre devrait faire valoir au niveau européen que l'énergie ne peut pas être traitée comme n'importe quel bien de consommation. D'ailleurs, les industriels eux-mêmes disent que le système antérieur fonctionnait bien mieux. Il est dommage que le ministre n'ait pas indiqué l'impact de l'augmentation du prix d'énergie sur l'ensemble des entreprises, et pas seulement sur les plus importantes. Il serait pourtant intéressant de savoir combien d'entreprises sont en cessation de paiement pour ce motif, sur lequel elles n'ont aucune prise. Il serait également utile de faire des comparaisons en sortant du strict cadre européen..

Dispose-t-on d'informations sur le prix de revient et le prix de vente de l'énergie chez GDF, le président de cette entreprise publique n'ayant pas fourni de réponse sur ce point jusqu'à présent ? Le maintien du tarif régulé au-delà de l'échéance du 1er juillet 2007 est indispensable, le nombre d'entreprises qui seront victimes de l'augmentation des prix de l'électricité doit inciter à envoyer des signaux forts, bien au-delà de la création du consortium, qui n'aura guère d'impact.

M. Charles de Courson a rappelé que si la tarification de l'électricité reposait autrefois sur un calcul entre coût marginal et coût moyen, elle repose aujourd'hui sur un coût marginal, qui est de facto le prix du baril de pétrole. L'ancien président de la CRE a d'ailleurs confirmé cette corrélation lors de son audition. Il serait donc intéressant d'envisager de faire évoluer le système de tarification vers un coût moyen de développement.

À l'occasion des auditions de MM. Pierre Gadonneix et Jean Syrota, la commission des Finances leur a demandé pourquoi il n'existe pas de marché de l'électricité à moyen et à long terme pour l'ensemble des entreprises, alors qu'on y est parvenu pour les électro-intensifs, grâce à l'amendement de M. Michel Bouvard. Quelle initiative peut prendre le ministre pour aller dans ce sens ?

Une position intermédiaire pourrait être trouvée, entre la non réversibilité et la réversibilité totale, en n'autorisant le retour au tarif qu'à partir d'un certain écart entre le marché et le tarif réglementé.

M. Philippe Auberger a observé que l'insuffisance de la concurrence est due aux trop faibles capacités de production. Il convient donc de développer hardiment ces dernières, mais cela va prendre du temps. Le rapprochement entre GDF et Suez ne va rien apporter en la matière, puisque ni l'un ni l'autre ne sont vraiment producteurs d'électricité en France et qu'il leur faudrait cinq à sept ans pour monter une centrale thermique ou nucléaire. La seule possibilité est donc d'accroître les capacités de production d'EDF, d'autant que le marché supporterait mal la présence de deux entreprises majeures. Par ailleurs, si l'on veut vraiment aller vers un marché concurrentiel, il faut libérer le transport de l'électricité et donc absolument détacher RTE d'EDF.

M. Jean-Jacques Descamps a jugé impossible de traiter l'ensemble de cette question au cours de cette seule audition et a donc soutenu l'idée de la création d'une mission d'information.

L'énergie est une matière première, dont les cours peuvent varier comme ceux des autres matières premières ; les entreprises qui sont sorties du tarif en avaient profité au départ. Si l'on est aujourd'hui au milieu du gué de l'ouverture des marchés, il ne faut pas chercher à revenir sur la rive d'où l'on est parti, mais à atteindre le plus vite possible l'autre rive, celle de la concurrence. S'il est difficile de porter un jugement sur la fusion GDF-Suez, on voit qu'elle amènerait à dénationaliser un peu Gaz de France tout en renationalisant totalement le gaz en Belgique, ce qui n'est pas forcément une bonne idée. Il faut donc laisser faire le marché.

Le Président Pierre Méhaignerie a observé que la situation actuelle de certaines entreprises au regard des hausses de tarifs ne permet pas d'attendre plusieurs mois. Il a regretté qu'EDF, bien que disposant du nucléaire, ait fixé ses tarifs, sur le marché dérégulé, un à deux euros au-dessus des tarifs allemands.

M. François Loos, ministre délégué à l'Industrie, a formulé les réponses suivantes :

- le renforcement des pouvoirs de la CRE nécessite un projet de loi, auquel il travaille, ainsi qu'un décret d'application de la loi du 13 juillet 2005, qui devrait sortir dans les prochaines semaines et qui étendra en particulier les pouvoirs de la commission sur Powernext.

- s'agissant de la fusion GDF-Suez, la France a besoin de capacités et d'entreprises capables d'investir des sommes importantes. Aucune des deux entreprises ne peut le faire seule et les rassembler permettra d'atteindre un seuil critique par rapport au niveau nécessaire d'investissements ;

- il n'est pas nécessaire d'attendre cinq à sept ans pour augmenter les capacités : c'est d'ailleurs autour des projets communs à trois ans de Suez et de GDF qu'est née l'idée du rapprochement ;

- les tarifs régulés actuels sont extrêmement avantageux. Mais il n'y aucune certitude quant au fait que le nucléaire soit systématiquement moins cher que le gaz. Si tel est effectivement le cas en France, c'est parce que le nucléaire est sûr et qu'il fonctionne bien. Au Royaume-Uni, il est plus cher que le reste de l'énergie.

- il n'est pas exclu d'étudier l'idée d'un tarif spécial, mais le problème tient essentiellement aux autres producteurs et distributeurs, qui risquent ainsi de perdre leurs clients.

Le Président Pierre Méhaignerie a observé qu'un rééquilibrage n'exigerait pas un bouleversement complet.

M. François Loos, ministre délégué à l'Industrie, a insisté sur le fait que la corrélation entre le CO2 et le prix de l'électricité est évidente. L'augmentation du prix du CO2 et la prise de conscience de la nécessité d'un renouvellement des capacités ont été concomitantes. Si les comparaisons portent surtout sur le marché européen, c'est parce qu'il est largement interconnecté et que les États membres de l'Union sont dépendants les uns des autres. Peut-être pourrait-on aller plus loin dans l'indépendance de RTE vis-à-vis d'EDF en donnant à la Caisse des dépôts des participations plus importantes, mais d'ores et déjà aucune décision sur les investissements ne doit plus être visée par EDF.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné qu'elle était plus théorique que pratique.

M. François Loos, ministre délégué à l'Industrie, a poursuivi ses réponses :

- il convient d'examiner très précisément la proposition qui consisterait à équilibrer les tarifs entre ceux qui paient cher et ceux qui ne paient pas cher, en jouant sur la CSPE. La tentation d'EDF est de proposer pour tout le monde un tarif beaucoup plus cher qu'il ne l'est actuellement. Cette solution paraît un peu trop simpliste ;

- un marché à moyen et à long terme est indispensable et les producteurs sont incités à s'engager dans cette voie, mais ils répondent que les consommateurs sont réticents. Ainsi, dans le consortium, seules les très grosses entreprises sont prêtes à s'engager à quinze ou vingt ans. Les plus petites ont du mal à les suivre, faute d'une visibilité suffisante de leurs activités futures ;

- une réversibilité à partir d'un certain seuil peut être envisagée, mais il convient de préciser dans quelles conditions. Dans un souci de flexibilité, le CSEG propose que les tarifs réglementés soient encore valables après le 31 décembre 2007, ce qui irait au-delà de la directive européenne ;

- aucun mauvais coup n'est porté au nucléaire et le bénéfice du choix qui a été fait en sa faveur se retrouve aujourd'hui dans le tarif, dont bénéficient tous les particuliers et beaucoup d'entreprises.

Le Président Pierre Méhaignerie a jugé difficile que l'Assemblée débatte de l'opération Suez-GDF sans qu'un certain nombre d'éclaircissements concrets n'aient été apportés, en particulier sur les problèmes de l'électricité, afin de mesurer l'intérêt de disposer d'un deuxième grand producteur.

M. François Loos, ministre délégué à l'Industrie, a observé que le problème tient à la comparaison entre niveaux de production et de consommation. Des capacités supplémentaires sont aujourd'hui nécessaires et on en connaît même le niveau. La France se livre à l'exercice de programmation pluriannuelle des investissements et une demande forte du mémorandum français sur l'énergie est que l'on fasse de même au niveau européen, afin que les autres pays disposent de la même visibilité de l'évolution de leur consommation et de leur production. C'est de là que peut venir la capacité supplémentaire que la France appelle de ses vœux, qui permettrait d'avoir une vraie concurrence, en disposant de plusieurs sources possibles pour un achat donné.

--____--


© Assemblée nationale