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COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 63

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 juin 2006
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier,
Président de la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,

et de M. Pierre Méhaignerie,
Président de la Commission des finances, de l'économie générale et du Plan

SOMMAIRE

 

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- Audition, commune avec la Commission des finances, de l'économie générale et du Plan, de M. Noël Forgeard, président exécutif d'EADS


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La Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire et la Commission des finances, de l'économie générale et du Plan ont, au cours d'une réunion commune, entendu M. Noël Forgeard, président exécutif d'EADS.

Le Président Pierre Méhaignerie. Je vous remercie, M. Noël Forgeard, de vous prêter à cet exercice, normal dans une démocratie parlementaire. Nous ne sommes pas une juridiction mais nous avons besoin de comprendre. Vous avez joué un rôle important dans le succès d'Airbus. Mais les parlementaires, comme l'opinion publique, ont le sentiment que l'avenir industriel d'EADS exige de sortir de conflits, conflits de pays ou d'hommes. Par ailleurs, quelles solutions envisagez-vous pour rendre acceptable le système des stocks-options ?

M. Patrick Ollier, Président de la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Ce qui nous intéresse, monsieur Forgeard, c'est le projet industriel et le destin du groupe que vous présidez. Les résultats de l'entreprise ont été affectés par le non-respect des délais de livraison des A380. Outre les retards, la performance du groupe semble aussi et peut-être surtout mise en cause par la situation pour le moins délicate du programme A350, avion qui pourrait être rebaptisé A370. Le fait que l'action soit tombée de plus de 25 euros à 19 euros environ, avant de remonter à 21 ou 22 euros, renforce nos inquiétudes. Le management d'une entreprise me semble légitime dès lors qu'il est soutenu par les clients - or ceux-ci sont inquiets compte tenu des retards, les salariés - vous pouvez nous donner des éléments sur ce point - et les actionnaires, et les informations diffusées par la presse sont inquiétantes en la matière.

M. Henri Emmanuelli. Le groupe socialiste, le 4 mai, a déposé une proposition de résolution demandant la création d'une commission d'enquête sur la formation des prix EDF. Cette proposition de résolution a été diffusée le 16 mai. Or l'article 140 du Règlement vous donnait un mois pour la faire examiner, ce que vous n'avez pas fait. Nous ne pouvons imaginer un seul instant que des accommodements soient pris avec le Règlement, dont l'application ne saurait dépendre du groupe majoritaire.

Le Président Pierre Méhaignerie. La commission des finances a porté un jugement unanime sur la position d'EDF vis-à-vis des entreprises industrielles ayant opté pour le marché dérégulé, qui ont subi des augmentations de prix de 60 à 80 %. Les conditions de la concurrence n'ont pas été appliquées sur le marché dérégulé. Une première série d'auditions a été organisée et je suis bien décidé à pousser le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie à trouver des solutions. Des pays comme l'Espagne ont autorisé la réversibilité du choix des entreprises, de façon à ce qu'elles puissent revenir au marché régulé ; la solution peut aussi être amiable, avec des augmentations limitées à 25 %. La résolution tendant à la création d'une commission d'enquête a été renvoyée à la commission des Affaires économiques.

M. Patrick Ollier, président de la commission des Affaires économiques. Lorsque nous avons eu connaissance de la proposition de résolution du groupe socialiste, nous avons pris le parti de ne pas y donner suite dans l'immédiat, car un projet de loi répondant aux questions que vous posez était en préparation et il doit précisément être examiné ce matin en conseil des ministres. Les augmentations des tarifs dérégulés subies par les PME sont inacceptables et, d'autre part, nous refusons que les usagers soient contraints de perdre le bénéfice des tarifs réglementés en juillet 2007, ce qui nous impose de voter une loi, comme le permet la directive. Une partie du projet de loi relatif au secteur de l'énergie traitant de ces questions, la commission des affaires économiques a logiquement attendu de savoir si le Gouvernement allait l'inscrire à l'ordre du jour de la fin de la session ou de la session extraordinaire. J'ai du reste interrogé M. Thierry Breton durant le débat sur l'énergie et il m'a clairement indiqué qu'il acceptait le retour à un tarif régulé pour les PME subissant de plein fouet la hausse des prix de marché de l'électricité. Des dispositions législatives sont nécessaires pour cela.

M. Jean-Marc Ayrault. Il n'en demeure pas moins que vous disposiez d'un délai pour répondre à la proposition de résolution du groupe socialiste et que vous ne l'avez pas respecté. La réponse de M. Ollier sur EDF est choquante, car elle viole les principes de la démocratie parlementaire et le Règlement : le Gouvernement fait son travail mais le Parlement doit exercer sa fonction de contrôle. Sur EADS, nous avions demandé que la commission des Finances se constitue en commission d'enquête. De manière satisfaisante, le Président de la commission des Finances a prévu cette audition avant de poursuivre la procédure. Le groupe UMP a parfaitement le droit de désapprouver une proposition de résolution, mais se doit de respecter le Règlement de l'Assemblée nationale, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

Le Président Pierre Méhaignerie. Je propose à ceux qui le souhaitent de venir écouter demain matin les trois délégations d'industriels. Ensuite, nous aviserons des solutions possibles.

M. Noël Forgeard. C'est pleinement conscient de l'importance et de la gravité de vos interrogations que je me présente devant vous. Je sais que ces interrogations concernent la situation d'EADS, celle d'Airbus, mais aussi mon comportement personnel. Je vais répondre à toutes vos questions car je n'ai rien à cacher, personne à couvrir ni à protéger.

EADS est un très grand groupe, une de nos fiertés collectives, un leader mondial dans tous ses métiers - l'aéronautique civile et militaire, les missiles, l'espace, les hélicoptères et les activités de défense -, un grand leader technologique qui dépense plus de 2 milliards d'euros par an dans la recherche. Avec un chiffre d'affaires de 34 milliards d'euros, EADS emploie 115 000 personnes, dont la quasi-totalité vit et travaille en Europe.

Deux séries de chiffres montrent l'ampleur de la mutation d'Airbus ces dernières années : en 1997, Airbus livrait 182 avions dans l'année et avait 1 000 avions en commande ; en 2005, Airbus livrait 378 avions dans l'année, plus d'un par jour, avait près de 2 200 avions en commande, pour 200 milliards d'euros, soit cinq ans de visibilité. La taille d'Airbus a donc doublé.

Ce groupe, j'en ai été l'un des bâtisseurs depuis dix-neuf ans. Patron des activités de défense et d'espace de Matra de 1987 à 1998, gérant du consortium Airbus Industrie de 1998 à 2000, premier président de la société intégrée Airbus de 2000 à 2005, je copréside EADS depuis un an. J'ai EADS dans les tripes, j'en connais tous les recoins, je suis habité par ses ambitions.

Que nous arrive-t-il ? Ne croyez pas que le ciel nous tombe sur la tête. Les forces fondamentales d'EADS sont bien vivantes et, depuis un an, nous avons remporté de très nombreux succès dans tous les domaines. Seulement, nous traversons des turbulences dans une trajectoire exceptionnelle.

L'A380 est un excellent produit, remarquablement conçu ; ses essais en vol se passent parfaitement et les pilotes l'adorent. Airbus a cependant sous-estimé les difficultés de la mise en production, de l'industrialisation. Ce n'est pas un phénomène inhabituel. La plupart des grands programmes aéronautiques ont malheureusement connu des retards, ceux de Boeing comme les nôtres. Pour l'A380, nous nous étions fixé des objectifs extrêmement ambitieux. Nous avons tenu ceux de la première phase : quatre ans et trois mois seulement entre le lancement et le premier vol. Mais, pour ce qui concerne l'industrialisation, nous rencontrons des difficultés inhérentes à un niveau de complexité jamais atteint auparavant. Ceci n'enlève rien aux qualités fondamentales de l'A380. Nous surmonterons l'obstacle et l'A380 sera un succès, tout comme avant lui les autres avions de la gamme Airbus, l'A340-600 inclus, qui avait connu des problèmes similaires.

Airbus a un autre défi à relever, celui de l'A350, pour faire face au Boeing 787, le nouveau long courrier de notre concurrent. Deux options se présentaient à Airbus : soit un programme complètement nouveau, très gourmand en ressources financières et humaines, au moment où les capacités de notre groupe étaient largement mobilisées pour l'A380 et l'A400M, soit un dérivé très modernisé de l'A330, en particulier dans le domaine des matériaux nouveaux, mais apportant un surcroît de performance, avec un niveau d'investissement non négligeable, excédant 4 milliards d'euros, au lieu de 9 milliards pour la première option. J'ai privilégié la seconde, qui convenait aux clients et a enregistré 182 commandes ou intentions d'achat moins d'un an après son lancement industriel. Toutefois, il y a quelques mois, certaines compagnies aériennes de référence ont fait savoir que les performances annoncées ne leur convenaient pas, en particulier concernant le coût d'exploitation, compte tenu de l'augmentation récente du prix du pétrole. Comme je l'ai annoncé le 16 mai dernier au salon aéronautique de Berlin, nous travaillons aujourd'hui sur une définition beaucoup plus ambitieuse. J'ignore si nous appellerons le nouveau projet A370, mais son contenu en fibre de carbone sera plus élevé et son confort et ses performances seront encore supérieurs. Le conseil d'administration se penchera sur la question courant juillet.

Enfin, il y a un défi économique pour Airbus. Compte tenu du regain d'agressivité de Boeing, du soutien massif du gouvernement américain, des procédures devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le tout couplé à un énorme avantage monétaire en faveur des Américains, nous sommes pour quelques années dans une situation économique très tendue, propre à un duopole mondial. Nous allons relever le défi en redoublant nos efforts de compétitivité.

Je pense que ces efforts de compétitivité sont indispensables mais qu'ils ne peuvent voir le jour sans le consensus, sans le dialogue permanent entre la direction et les partenaires sociaux, l'une des grandes forces de toujours d'Airbus. À ce propos, les soutiens publics qui se sont manifestés récemment, en particulier de la part de partenaires sociaux, me sont allés droit au cœur. Sur le fond, je me suis toujours défié des modes. L'heure est à la mondialisation mais je n'ai jamais considéré ce phénomène par lui-même comme un élément clé de compétitivité. La force d'équipes rassemblées près du produit, en Europe, partageant une culture et un objectif commun, surpasse les bénéfices attendus des pays à bas coûts, qui parfois ne le sont plus. Je l'ai toujours pensé, je l'ai toujours dit !

Mais alors, pourquoi ce choc boursier lorsque les retards de l'A380 ont été annoncés au marché ? Je pense d'abord que la réaction a été très excessive. D'ailleurs, après avoir baissé jusqu'à 34 %, le titre s'est fortement repris. La spéculation a joué la baisse mais le marché a corrigé et nous avons déjà refait les deux tiers du chemin en dix jours de bourse. Les dernières notes d'analystes recommandent un objectif de cours à vingt-sept voire trente euros. Cependant, nous ne devons pas ignorer le signal qui nous a été envoyé. La surréaction du marché traduit probablement la compréhension des défis économiques que je me suis efforcé de résumer mais aussi un doute envers ce qu'il est convenu d'appeler la corporate gouvernance, gouvernance d'entreprise d'EADS.

Ce n'est pas le sujet sur lequel je suis le plus à l'aise. Je suis un salarié de cette entreprise, or la gouvernance est du ressort des actionnaires. EADS repose sur un équilibre franco-allemand fondateur ; y attenter serait plus qu'une erreur, ce serait une faute. Toutes les grandes fonctions sont doublées, avec deux chairmans et deux présidents exécutifs. Il serait évidemment préférable de simplifier mais rien ne peut se faire sans un consensus franco-allemand, que je ne vois pas venir. Ces questions de nationalité sont-elles dirimantes ? Oui et non. Pendant sept ans, à Airbus, j'ai vécu dans un climat franco-allemand excellent, sans le moindre conflit entre managers. Depuis un an, la coopération entre Thomas Enders, mon alter ego, et moi-même est bonne, tout le monde en témoigne, en France comme en Allemagne. Je ne suis pas naïf, je sais que certains s'emploient à me faire quitter mes responsabilités, mais il s'agit de problèmes de comportements personnels, pas de problèmes de nationalités. Ce qui compte, dans le concert des actionnaires, c'est la capacité à dépasser des intérêts étroits pour servir l'intérêt général d'EADS et d'Airbus. C'est le poids des expériences et des convictions personnelles. Peut-être est-ce parce que les réponses, de ce point de vue, ne sont pas totalement satisfaisantes que l'on connaît des difficultés aujourd'hui. Mais il n'y a aucun problème au niveau des équipes de travail, dont j'ai l'honneur de faire partie.

L'A380 est un programme d'une complexité sans précédent : 500 kilomètres de câbles électriques, 300 000 connexions électroniques, d'innombrables premières technologiques, plus de 1 200 brevets déposés pendant la phase de développement. Dans cet avion, tout est au superlatif. Dans n'importe quel programme, et plus encore dans celui-là, les difficultés sont partout : nous avons craint de ne pouvoir certifier les pompes à fuel immergées, il a fallu renforcer la voilure et l'empennage, la turbulence de sillage nous a causé des soucis, la génération électrique était en retard et, finalement, à peu près tout a pourtant été réglé. Ces retards intermédiaires - il importe de distinguer retards de production et retards de livraison - varient tout au long de l'année. Ils s'aggravent, se réduisent, s'aggravent à nouveau. Ils sont suivis constamment dans des tableaux de bord et tout le monde les connaît, moi compris, bien sûr. Ils font l'objet de réponses, de plans d'action, ce qui explique leur évolution. Le problème est de savoir si les retards de production impactent ou non la date de livraison.

Telle est la situation qui ressort de trois réunions internes des 1er, 7 et 17 mars : les avions subissent des retards de mise sous tension de l'ordre de trois à quatre mois, induits par des retards de réalisation et d'installation des harnais électriques ; ces retards apparaissent rattrapables par une replanification des opérations ultérieures, permettant de ne pas changer substantiellement les dates de livraison, encore distantes d'un an ou plus pour la plupart ; le planning de livraisons n'est pas modifié, en dépit de risques liés essentiellement à la situation de l'électricité, mais dont aucun n'apparaît avoir de conséquences inéluctables. Je n'ai pas de raison de douter de ce que me disent Gustav Humbert, président d'Airbus depuis un an, et Charles Champion, directeur du programme A380, ingénieur de haut niveau et homme d'une très grande intégrité. J'ai toute confiance en eux ; ils ont mille succès à leur actif. Il n'est pas dans mon caractère de jeter la pierre aux autres. J'ai certainement ma part de responsabilité. Mais je puis vous dire que nous faisons un travail formidable.

Ce n'est finalement que le 11 avril, juste après une nouvelle dérive totalement imprévue des dates de mise sous tension, que le management d'Airbus nous informera que l'accumulation des difficultés excède les capacités de compensation, en un mot que le programme est en retard, avec, pour 2007, un nombre final de livraisons inférieur aux vingt-cinq prévues, sans que l'on sache quel sera le volume final. Gustav Humbert indique alors que nous aurons une vue finale des risques en août et que, rien n'étant avéré, il y a lieu d'attendre jusque-là pour communiquer.

La reconnaissance de l'ampleur du retard réel, j'en serai le principal artisan entre le 11 avril et le 13 juin 2006. Je suis en effet déterminé à y voir clair, c'est ma responsabilité de dirigeant vis-à-vis des salariés, des actionnaires et des clients, et permettez-moi d'ajouter que c'est ma nature. La conclusion sera finalement que nous devrions livrer neuf A380 en 2007.

En mars, le management d'Airbus ne nous informe pas d'un retard de livraison, mais il ne cache rien qu'il sache. Il n'a tout simplement pas encore formé son jugement ; l'information n'est pas née. Oui, les responsables d'Airbus étaient convaincus de ce qu'ils disaient parce que ce sont des hommes de grande compétence, de grande expérience et qu'ils avaient identifié les problèmes et mis en place des solutions, comme ils l'avaient fait dans le passé sur l'A320 ou l'A340. Et nous les avons crus, je les ai crus parce que c'était leur vérité et parce que ces équipes ont toujours, dans le passé, su affronter et gérer des problèmes de cette nature. Je l'affirme donc clairement : jusqu'à mi-avril, nous avions la certitude de tenir le planning de livraisons, même si, pour cela, il fallait compenser certains retards de production.

À partir de mi-avril, le management d'Airbus nous alerte sur un risque de retard de livraison, qu'il n'arrive toutefois pas à quantifier. Peut-être avez-vous lu le document hélas publié récemment qui montre combien, le 12 mai, l'incertitude sur les retards était grande et le débat sur l'opportunité de les rendre publics était vif. Vous savez alors quelle a été mon attitude.

La deuxième question concerne les conditions dans lesquelles j'ai exercé mes options. À l'époque où je l'ai fait, avec cinq autres membres du comité exécutif, je n'avais pas d'information privilégiée. En effet, jusqu'au 11 avril, ni le groupe Daimler Chrysler ni le groupe Lagardère, qui vendent leurs actions, ni les cadres et les dirigeants qui exercent leurs options, dont moi, n'avions d'informations relatives au retard de l'A380.

Voilà les faits, mais cette question concerne mon honnêteté et mon honneur. Je tiens à vous dire avec le maximum de gravité que j'ai exercé mes options en toute transparence au regard de la loi mais surtout en toute bonne foi, dans l'ignorance, je vous le répète, des faits qui sont apparus plus tard. C'est ma parole ! J'attends sereinement que l'enquête de l'Autorité des marchés financiers, l'AMF, établisse les faits, la vérité, et démontre ma bonne foi totale.

Le 8 mars nous avons présenté les résultats 2005 d'EADS, témoignant de la vitalité et de la qualité des fondamentaux du groupe. Du 8 au 29 mars était ouverte la période d'exercice des options.

Des options, 1 500 cadres d'EADS en détiennent. Plus un cadre est haut dans la hiérarchie, plus elles représentent une part importante de sa rémunération globale ; c'est même une part déterminante de celle des 250 cadres dits « dirigeants ». EADS, du point de vue des montants alloués, se situe dans la moyenne des pratiques des grandes entreprises. Je comprends cependant que les chiffres puissent être ressentis comme énormes par l'immense majorité de nos concitoyens, qui ne bénéficie pas des mêmes revenus. Cette question est légitime mais ce n'est pas le débat d'aujourd'hui. Le débat d'aujourd'hui, c'est la légalité de l'exercice de mes options.

Recevoir une option, c'est avoir la possibilité de toucher une prime si et seulement si le cours de l'action progresse du fait de ses succès technologiques et économiques. La pratique la plus courante, chez EADS, est que les options arrivées à maturité - il faut notamment en conserver 50 % pendant deux ans et 50 % pendant trois ans, et il y a également des conditions fiscales - sont levées au fur et à mesure. Entre fin 2005 et mars 2006, 77 % des cadres dirigeants d'EADS, soit quelque 200 personnes, ont tout naturellement et légalement levé leurs options dans les deux fenêtres de temps de trois semaines chacune où cela leur était réglementairement possible. En effet, qui irait refuser la récompense du succès ?

Dès le début d'EADS, j'avais le projet d'en réserver le bénéfice à mes enfants. C'est donc tout naturellement, en mars 2006, que j'ai levé les options qui pouvaient l'être. Pourquoi ? Tout simplement parce que j'en avais le droit et que c'était un acte normal, encadré dans la vie de l'entreprise et qui n'avait rien d'exceptionnel. C'est ce que j'ai fait, en toute bonne foi, en toute transparence interne et externe, après autorisation de l'autorité de gouvernance interne compétente, le Compliance Officer, en informant les autorités de marché des quatre pays où EADS est enregistré ou coté, notamment à Paris, en publiant cette transaction sur le site Internet du groupe. Ces opérations se sont terminées le 17 mars 2006. À l'époque, je le répète, je ne bénéficiais d'aucune information privilégiée, ni sur les retards de livraisons de l'A380, ni sur la décision des actionnaires d'EADS de réduire leur participation, qui me sera annoncée sans préavis le 20 mars.

Net d'impôt, j'aurai touché environ 1,35 million d'euros et mes enfants 400 000 euros chacun. C'est beaucoup d'argent mais, en ce qui me concerne, c'est le fruit de mon travail, la rémunération, peut-être élevée, d'un travail considérable que j'ai accompli à Airbus de 1998 à 2005-2006 et qui a contribué à un succès généralement qualifié d'extraordinaire. Car je n'avais jamais réalisé d'option EADS auparavant. Bref, il s'agit de 2,5 millions d'euros sur huit ans, s'ajoutant à une rémunération de base, il est vrai, élevée, tout en restant dans la médiane des patrons du CAC 40, tout cela dans ma soixantième année.

J'ai été fier que les équipes d'Airbus et d'EADS, à travers moi, aient été distinguées par Time Magazine, en 2005, dans son classement des top 100 de la planète. Travailler à Airbus est ma grande passion, j'y ai consacré ma vie et j'en suis fier. Certains d'entre vous ont certainement aussi été l'objet de calomnies, de jugements hâtifs ou d'attaques clichés. Ceux-là peuvent me comprendre. Ils savent qu'en moi, c'est un dirigeant symbole que l'on attaque. Mais je voudrais surtout que l'acharnement médiatique sur Airbus cesse, car il fait planer un risque majeur sur cette entreprise merveilleuse et ses employés, qui ont réalisé un travail formidable. Pour ma part, j'ai foi dans l'homme, j'ai confiance dans ceux d'Airbus. Je suis maintenant à votre entière disposition pour répondre à vos questions.

M. Guy Teissier. L'équilibre fondateur franco-allemand est bon mais la presse d'outre-Rhin s'est déchaînée. N'est-il pas urgent de donner un signe fort aux Allemands pour ne pas affaiblir cette alliance et ne pas ajouter une crise à la crise ? EADS, au travers de ses filiales nombreuses, est un groupe industriel militaire puissant. Pouvez-vous nous assurer que l'A400M, en traversant les trous d'air actuels, ne risque pas de connaître à son tour des retards significatifs ?

M. Henri Emmanuelli. Nul ne doute de votre dévouement à la cause de l'aéronautique française et européenne, mais nous nous souvenons des conditions de votre nomination, qui ont défrayé la chronique et dans laquelle certains ont vu une mesure politique. Vous qui avez EADS « dans les tripes » et qui en connaissez « tous les recoins », comme vous dites, comment expliquez-vous que vous n'ayez jamais été informé des activités d'un de vos vice-présidents, qui a également défrayé la chronique récemment ? De même, un ancien responsable de haut niveau affirme que les retards se voient à l'œil nu et, du côté des syndicats, certains laissent entendre que ce n'était pas un secret.

L'AMF est saisie et je crois qu'elle a reçu une plainte de la Caisse des dépôts et consignations, ce qui me fait penser que cette institution a quelques présomptions sur la nature des opérations incriminées.

Ayant quelques souvenirs du secteur privé, j'ai quelques difficultés à croire que les dirigeants d'EADS ne communiquent pas avec les actionnaires. Je suppose que vos échanges avec Lagardère et Daimler Chrysler vous donnaient des indications sur le devenir de l'actionnariat d'EADS.

Nous avons pris acte de vos déclarations mais, quelle que soit votre responsabilité, l'ampleur de l'affaire nous impose de ne pas nous contenter de vos paroles.

M. Philippe Auberger. Fin mars, plusieurs investisseurs institutionnels ont acquis des actions d'EADS. La fin du mois de mars et le début du mois d'avril constituèrent donc une période critique pour l'application du pacte d'actionnaire. Comment un salarié d'un aussi haut niveau peut-il ne pas être informé d'une telle évolution du pacte d'actionnaire ?

Le Monde de lundi soir rapportait que six semaines s'écoulaient avant que le comité d'audit examine les comptes trimestriels. N'est-ce pas trop tard ?

D'après les deux notes d'analystes financiers qui ont servi à fixer le cours pour la vente de la fin mars, le problème ne concernait pas la livraison des A380, mais d'autres avions. La chute extraordinaire du cours de l'action s'explique-t-elle par d'autres retards de livraison sur des appareils plus courants ?

M. Pierre Cohen. Nous pouvons être fiers d'EADS, car de grands défis industriels ont été relevés : s'agissant de l'A380, sur le plan industriel, tout a été mené dans un calendrier si serré que les retards peuvent se comprendre. Mais la guerre entre EADS et Boeing n'est pas seulement industrielle : c'est une guerre financière, d'image et de communication. Or, de ce point de vue, depuis un an, la situation s'est détériorée. La guerre des chefs franco-française entre vous et M. Philippe Camus a déstabilisé l'entreprise et les relations avec la partie allemande. Ensuite, l'affaire Clearstream n'a pas arrangé l'image d'EADS. Enfin, ce que vous appelez le « choc boursier » est intervenu et, d'après ses déclarations, M. Arnaud Lagardère a fait le choix de l'incompétence plutôt que celui de la malhonnêteté. Pour votre part, puisque vous semblez réfuter tant l'incapacité que la malhonnêteté, comment expliquez-vous ce qui s'est passé ?

M. Michel Bouvard. Comment serait-il possible de simplifier la gouvernance d'EADS tout en évitant que cela bénéficie au partenaire allemand ? Existe-t-il un risque que certains profitent de la situation pour mener une entreprise de déstabilisation ? Si oui, comment y remédier ?

M. Jean-Claude Sandrier. Le programme « Route 06 », qui tendait à réduire les coûts de production d'1,5 milliard par an entre 2004 et 2006 et a provoqué le renvoi de personnels qualifiés et surtout le développement de la sous-traitance, notamment sur les câbles électriques, n'a-t-il pas contribué aux retards ? Le coût du retard de l'A380 s'élèvera-t-il bien à 2 milliards d'euros, c'est-à-dire autant que les dépenses de recherche de l'entreprise ? Est-il exact qu'un retard de plusieurs mois sur le calendrier de l'assemblage voilure-fuselage a été signalé dès février 2006 ?

Que penseriez-vous, pour éviter toute confusion des genres, d'une suppression totale de stocks-options ? Diriger une entreprise exige en effet une vision sur le moyen et le long terme, tandis que les opérations financières relèvent du court terme. Si les hauts dirigeants vendent massivement leurs actions, cela ne risque-t-il pas de susciter une méfiance vis-à-vis de l'entreprise ?

Que pensez-vous du désengagement des groupes Lagardère et Daimler Chrysler ?

M. Charles de Courson. Savez-vous quand les pouvoirs publics ont été informés de la cession de la moitié des actions de vos deux principaux actionnaires privés ?

La chancelière allemande, madame Angela Merkel, a déclaré que la direction partenariale de la société avait fait ses preuves et qu'il n'y a aucune raison de changer quoi que ce soit. Ne pensez-vous pas, pour votre part, qu'il conviendrait, à terme, de faire évoluer ce mode d'organisation ?

M. Noël Forgeard. EADS n'arrête pas d'envoyer des « signes forts » aux Allemands. Depuis un an, j'ai mis la bonne entente franco-allemande au premier plan de mes préoccupations. Si c'est à ma démission que vous pensez, je réponds non. Je ne crois pas avoir démérité en quoi que ce soit, ni dans l'affaire en question - l'enquête de l'AMF le prouvera - ni dans la gestion de l'entreprise, à laquelle je crois avoir apporté énormément. Et une campagne de calomnie, même dans la presse allemande, ne suffit pas pour me condamner. Je suis serein, j'ai la conscience tranquille, au regard de mon passé et, je l'espère, de mon avenir dans le groupe.

Nos rapports internes montrent que l'A400M n'est pas en retard et j'ai personnellement procédé à une revue de l'électricité de l'appareil il y a trois semaines environ.

Ma nomination a-t-elle été une « mesure politique ? On dit que le Président de la République aurait « tordu le bras » au président Lagardère pour me faire nommer ! Je travaille dans l'industrie depuis 1981. J'ai œuvré dans le secteur de l'acier jusqu'en 1986 puis j'ai dirigé les activités de Matra pendant onze ans, avec le plus grand succès. J'ai été choisi par M. Lionel Jospin sur ma compétence industrielle, en 1998, pour diriger le consortium Airbus Industries. Jean-Luc Lagardère avait l'intention de me placer à la tête d'EADS - il me l'avait dit, il l'avait écrit - et son fils Arnaud a donné suite à cette volonté en choisissant l'homme qui présentait le parcours industriel le plus complet. Le fait que les autorités politiques aient été favorables à cette nomination n'est pas le fait générateur mais une circonstance annexe.

Je ne vois pas à quel vice-président M. Henri Emmanuelli a fait allusion.

M. Henri Emmanuelli. Vous ne lisez pas la presse ?

M. Jean-Marc Ayrault. Quel était le rôle de M. Jean-Louis Gergorin à EADS ?

M. Noël Forgeard. Je lui prête tellement peu attention que je n'avais pas compris qu'il s'agissait de lui ! M. Gergorin, à mon arrivée chez EADS, est un cadre dirigeant. Il ne fait toutefois pas partie des gens avec lesquels je désire travailler et je lui demande de démissionner du comité exécutif, ce que j'obtiens à grand-peine. Mais je respecte la présomption d'innocence et j'attends pour le licencier qu'il confirme lui-même dans la presse être l'auteur des lettres anonymes. Je suis au demeurant la première victime de ses lettres anonymes et non pas son complice.

M. Henri Emmanuelli. Il était tout de même chargé de la sécurité chez EADS.

M. Noël Forgeard. Il était chargé de la stratégie et de la technologie. Pour en finir avec cet épisode détestable, notre entreprise s'est portée partie civile le 23 avril.

Ce sont les retards de production qui apparaissent « à l'œil nu », pas les retards de livraison. Je ne suis pas sûr que la Caisse des dépôts ait porté plainte.

M. Philippe Auberger. Elle n'a pas porté plainte. Elle n'avait du reste aucune base pour le faire.

M. Noël Forgeard. Depuis trois ans, Arnaud Lagardère répète qu'il va vendre ses actions, tout le monde le sait ! Les dirigeants de Daimler Chrysler étaient moins catégoriques. Les 200 cadres détenant des actions devaient-ils rester pieds et poings liés parce que M. Lagardère risque d'appuyer d'un jour à l'autre sur le bouton ? C'est simplement une coïncidence malheureuse, et nous n'avons été avertis que le 20 mars.

Ce qui compte, ce sont les performances de l'entreprise, et son avenir est davantage entre les mains de ses salariés et de ses managers que de ses actionnaires. S'agissant de l'organisation de la direction, j'ignore la teneur des discussions mais je peux gager que les décisions seront équilibrées dans leur forme et enrubannées. Il vous faudra simplement apprécier l'équilibre du paquet cadeau : si un homme fort d'une nationalité et un homme faible de l'autre sont mis au même plan, il ne sera équilibré qu'en apparence.

Le comité d'audit a conclu qu'il n'était pas nécessaire de revoir la prévision des résultats.

Je n'ai pas connaissance de retards sur d'autres modèles d'avions. La production des A320 est certes très tendue, avec un rythme de trente-deux exemplaires par mois, ce qui crée un risque du côté des fournisseurs d'aluminium, de titane ou de pièces forgées. C'est malheureusement la chute d'une idole, l'A380, qui a provoqué un effet psychologique. L'affaire n'est néanmoins pas terminée, loin s'en faut : une banque d'affaires, dans une note, estime que les risques de retard du Boeing 787, qui a connu des incidents de développement extrêmement sérieux, sont beaucoup plus élevés que ceux de l'A380. Nous avons donc tort de nous montrer si pessimistes sur l'A380.

Si le rapport de forces avec les Allemands s'est détérioré, je n'y suis pour rien. J'ai les épaules larges, je dis la vérité et j'ennuie ceux qui ne l'aiment pas, mais je ne suis pas pour autant un facteur de troubles franco-allemands. Depuis que j'occupe la tête d'EADS, les relations de travail franco-allemandes sont très bonnes, à tous les niveaux.

Pour ma part, je suis honnête et je pense être compétent.

La gouvernance doit être équilibrée dans les apparences et dans la réalité, en dépit des tentatives de déstabilisation.

Le plan d'économie « Route 06 » n'est franchement pas à l'origine du retard pris par l'A380. Tout le monde a contribué à ce plan, les fournisseurs comme les salariés, et il a atteint ses objectifs.

Il est exact que l'impact des retards de l'A380, notamment en pénalités et en coûts supplémentaires, pourrait atteindre 2 milliards d'euros sur plusieurs années.

Je suis plutôt opposé à une suppression totale des stocks-options, comme tous les cadres dirigeants. Je prêche plutôt pour une base élargie, un système moins élitiste, avec une régulation, car c'est un bon levier pour la motivation des cadres.

J'ignore la date à laquelle les pouvoirs publics ont été informés du retrait des principaux actionnaires privés.

Au départ, j'étais favorable à l'institution d'un Chief Executive Officer unique, qui aurait été le patron incontestable. Mais j'ai été nommé avec un homologue et, depuis douze mois, force est de constater que cela fonctionne bien. Certains profitent maintenant de la crise pour promouvoir l'autre solution ; cela fait partie de l'entreprise de déstabilisation qui a été évoquée tout à l'heure. Un système à deux responsables, qui doivent se mettre d'accord sur tout, n'est pas la gouvernance idéale, mais le problème n'est pas plus urgent qu'à la création d'EADS.

M. Patrick Ollier, Président de la commission des Affaires économiques. Certaines interrogations appellent des réponses précises. Personne ne prétend que vous ayez démérité, mais la distance prise avec le terrain pour remporter le combat de la présidence du groupe n'a-t-elle pas généré quelques dysfonctionnements ?

D'après nos informations, les retards de production étaient connus dès février. Je comprends qu'il n'existe pas de lien absolu entre la production et la livraison, mais M. Enders a tout de même jugé inopportun la vente de ses stocks-options dans cette période. Pourquoi avez-vous pensé le contraire ? Il faut dire les choses comme elles sont. Vous avez là l'occasion de répondre très précisément.

M. Hervé Mariton. Vous avez votre mot à dire sur les évolutions de la gouvernance, vous n'êtes certainement pas coupé hermétiquement des actionnaires. Je ne mets en cause ni votre personne ni votre action mais une réflexion ouverte sur l'évolution de l'entreprise s'impose et il serait convenable que le haut dirigeant que vous êtes émette des propositions. Outre le partenariat franco-allemand, EADS et Airbus sont tellement imbriquées que vous avez vous-même évoqué tantôt l'une tantôt l'autre des entreprises, sans que l'on sache bien quand vous êtes passé de l'une à l'autre. L'évolution de gouvernance pourrait aussi être le moyen de définir plus clairement l'articulation entre les deux entités.

M. Philippe Martin. Je note que les convois de l'A380 continuent de passer chaque semaine dans le Gers et qu'un sous-traitant de mon département semble assez confiant. Pourquoi les retards n'ont-ils pu être rattrapés, comme cela se fait généralement ?

L'affaiblissement du rôle de la France dans le management d'EADS est-il uniquement imputable à la vente de vos stocks-options ou a-t-il d'autres causes ?

Je m'étonne que vous n'ayez rien dit sur la suppression de 1 000 emplois à la SOGERMA, qui a aussi provoqué des troubles.

M. Nicolas Perruchot. Le droit de levée des options peut être exercé pendant un laps de temps de quatre fois trois semaines par an. Du 8 au 28 mars derniers, 77 % de dirigeants ont levé des options. Le pourcentage était-il comparable durant les périodes précédentes ?

M. Olivier Dassault. Malcolm Forbes disait : « Si vous avez un travail dénué de complications, vous n'avez pas de travail. » Vous êtes bien placé pour comprendre cette citation. Airbus dépasse son concurrent américain pour la cinquième année consécutive. Le marché a donc réagi de façon disproportionnée à l'annonce du 16 juin, mais les retards de livraison de l'A380 sont tout de même, hélas, une réalité. Si le marché semble revenu à la raison, les questions continuent de fuser sur l'honnêteté et la compétence des dirigeants et des actionnaires d'EADS. Comment expliquez-vous qu'un homme si souvent cité en exemple se retrouve brutalement considéré comme un menteur ou un incompétent ? À qui profitent ces ombres jetées sur votre entreprise ? Certainement pas au client, au salarié ou à l'actionnaire mais à votre principal concurrent, l'industrie aéronautique américaine, tant militaire que civile. Avez-vous un calendrier pour sortir de ces turbulences ? C'est véritablement un dossier de patriotisme économique.

M. Jérôme Rivière. À vous entendre, tout ne va pas si mal. L'A380 est, certes, un programme complexe, mais il est le fruit d'une réalité ancienne : Airbus a été transformée en société intégrée pour éviter les problèmes entre usines, rationaliser la production et améliorer les liens avec les fournisseurs. Les difficultés actuelles ne sonnent-elles pas le signal d'un échec au moins temporaire de cette intégration ? Selon vous, quelles sont les solutions ?

EADS ne se résume pas à Airbus. C'est un groupe de défense chargé, au-delà de l'A400M, de programmes nombreux, comme EuroMale, qui, pour arriver à terme, doivent emporter la confiance d'États européens et d'investisseurs importants. Les conditions de cette confiance restent-elles réunies ?

M. Jean-Pierre Balligand. Je remercie M. Noël Forgeard, car je sais maintenant que Dieu existe et qu'il est avionneur : à vous entendre, vous êtes compétent, il n'y a ni problème ni malversations, rien d'immoral... Dès lors qu'une entreprise est cotée en bourse, elle doit être transparente, c'est une règle de base du capitalisme qui, de toute évidence, n'est pas appliquée chez EADS. La Caisse des dépôts a fait la pire affaire de son existence, avec l'argent des contribuables. Je ne mets pas en cause votre probité, mais avouez que la transparence requise pour une juste valorisation des actions n'a pas été assurée. Au moment où le marché boursier ne marche pas très bien, les Français ont de quoi être troublés ! Je souhaiterais que vous vous expliquiez sur le fonctionnement de votre entreprise. Il y a eu rétention d'informations et l'actionnariat est dupé, particulièrement l'actionnariat public français.

M. Louis Giscard d'Estaing. Afin d'éviter de telles coïncidences, préconiseriez-vous l'automaticité de l'exercice des droits d'option, selon un calendrier défini à l'avance ?

M. Augustin Bonrepaux. Le groupe socialiste ne pense pas que nous puissions nous contenter de la vérité présentée par M. Noël Forgeard. Il demande l'application de l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement de notre Assemblée, qui prévoit la possibilité, pour la commission des Finances, de disposer des pouvoirs d'une commission d'enquête, afin d'être en mesure de procéder aux contrôles sur pièces et sur place indispensables.

Le Président Pierre Méhaignerie. Nous examinerons cette option, le cas échéant, soit en juillet, soit en septembre. J'ai jugé beaucoup plus judicieux de commencer par écouter M. Noël Forgeard, car nous avons la responsabilité de ne pas fournir des armes à nos adversaires industriels. Il ne faudrait pas que la création d'une commission d'enquête affaiblisse l'entreprise.

M. Jean-Michel Fourgous. Nous parlons d'une entreprise dont le carnet de commandes pèse 250 milliards d'euros.

Mme Marylise Lebranchu. EADS est affaiblie, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, et les clients s'interrogent sur les délais de livraison. Vous occupez un poste de responsabilités extraordinaires et vous avez des devoirs. L'intérêt d'EADS se confond-il avec le vôtre ? Dans une crise si profonde, au-delà de votre destin, vous devez vous interroger sur celui d'EADS.

Mme Josyane Boyce. Les retards de production, pour un avion comme l'A380, ne sont pas surprenants. Sur le problème des stocks-options, la commission qui a été mise sur pied fera le clair.

La définition de l'A350 ne sera pas suivie, car il avait pour base l'A330, qui ne peut pas concurrencer le 787, principalement pour de raisons de motorisation. Le nouveau concept requérant des investissements lourds, le 787 pourra se positionner sur le marché avant EADS. Qu'en pensez-vous ?

M. Noël Forgeard. Arnaud Lagardère a rendu public sa décision de me nommer co-président d'EADS dès décembre 2004 ; la tension ne s'est donc fait sentir que durant l'automne 2004.

Les retards sur les chaînes d'assemblage étaient, certes, connus en février mais nous espérions les rattraper. Je le savais d'autant mieux que je me rends chez Airbus, à Toulouse, toutes les deux ou trois semaines. Je pourrais me contenter de présider le comité d'actionnaires d'Airbus - mon prédécesseur s'est déplacé trois ou quatre fois en cinq ans. Étant plus près des choses, je pourrai sans doute être davantage tenu pour responsable, mais il est dans mon tempérament de faire de mon mieux.

Quand j'ai lu que Thomas Enders avait déclaré qu'il avait jugé inopportune la vente de ses stocks-options, je lui ai immédiatement téléphoné et il m'a indiqué avoir appris avant le 20 mars - date à laquelle j'ai été affranchi par les deux co-chairmen - que Daimler Chrysler allait vendre des actions. Vous pourrez le vérifier auprès de lui. Par ailleurs, j'ai appris qu'il avait fait préparer son bordereau de levée d'options et que c'est au dernier moment qu'il l'avait retiré.

C'est par souci de discrétion que je me suis montré elliptique à propos des relations franco-allemandes. Je le serai moins à propos des relations d'EADS avec Airbus. Airbus est dirigée par une équipe opérationnelle propre. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour réduire cette distance et je serais plutôt partisan, au stade actuel, de compacter les deux entités : EADS deviendrait une société industrielle dotée d'une équipe de direction gérant directement Airbus, vaisseau amiral de la flotte, et détenant par ailleurs des filiales ; un directeur général pourrait s'occuper d'Airbus et l'autre du reste. Cela fait partie, j'imagine, des pistes examinées actuellement par les actionnaires.

J'aurais en effet dû parler de la SOGERMA. Nous sommes parvenus à la conclusion qu'il était impossible d'équilibrer les comptes, mais il n'a jamais été question de rayer les hommes d'un trait de plume, même si notre communication a sans doute été un modèle à ne pas suivre. Dès les premiers jours, il a été acquis que chaque salarié recevrait une offre ferme de reclassement, en privilégiant, au départ, les mutations vers les autres usines du groupe plus que de la réindustrialisation locale. Nous nous efforcerons en définitive de consolider une activité d'aérostructure sur place et nous sommes en phase finale de négociation avec des repreneurs potentiels de certaines des activités de la SOGERMA. Nous nous soucions de chacun des hommes ainsi que du bassin d'emploi.

Les proportions de levées d'options enregistrées pendant les précédentes périodes étaient très faibles car le cours ne les justifiait pas. Celui-ci a vraiment décollé à partir de mi-2005 - alors que je venais pourtant d'annoncer le premier retard de six mois de l'A380 -, entraînant de nombreuses levées d'options en novembre 2005 et en mars 2006.

Le renversement de la perception de la qualité de l'entreprise et de son équipe dirigeante est étonnant ; certaines manipulations ne sont pas exclues.

M. Henri Emmanuelli. Ah ! C'est donc un complot !

M. Noël Forgeard. En mars, lorsque j'ai exercé des options, l'information a été publiée sur le Net et des commentaires négatifs ont immédiatement été entendus en Allemagne. Je marche la tête haute mais j'espère ne pas vous avoir donné le sentiment que je suis immodeste, car cela ne correspond pas à mon tempérament.

Le sentiment de transparence a certes connu un couac, mais c'est le fait d'une pure coïncidence.

EADS est une entreprise particulière, une joint-venture, avec deux blocs actionnariaux détenant ensemble 45 % du capital - Daimler Chrysler d'une part, l'État et le groupe Lagardère de l'autre. En assemblée générale, même si tous les autres actionnaires s'unissaient contre eux, ils n'auraient pas le dernier mot. La gouvernance est donc du ressort du management, dont je suis un représentant, mais aussi et d'abord des deux blocs actionnariaux, qui contrôlent totalement la société.

La situation actuelle ne sonne pas l'échec de l'intégration d'Airbus. Même si l'homogénéité n'est pas parfaite, l'intégration a franchi des étapes déterminantes, sans quoi le lancement de l'A380 aurait été inimaginable.

J'espère bien que la confiance est suffisante pour mener à bien EuroMale, grand projet de drone franco-germano-espagnol.

Les levées d'options, chez EADS, suivent un calendrier régulier, avec des fenêtres quatre fois par an.

L'A350 coûtera cher mais il réalisera des performances supérieures à celles du Boeing 787.

Effectivement, 250 milliards d'euros sont en jeu avec EADS, immense entreprise européenne et leader mondial potentiel dans la décennie à venir.

Un destin individuel a bien peu d'importance au regard des enjeux d'une entreprise qui emploie 115 000 salariés et qui porte les couleurs de la France. J'en suis pleinement conscient et je ne commettrai jamais un acte dont je sache qu'il puisse porter préjudice aux intérêts d'Airbus. Seul l'échec d'Airbus pourrait gâcher les années qu'il me reste à vivre. L'intérêt supérieur d'Airbus et d'EADS est à mes yeux bien plus important que mon modeste destin personnel.

La situation actuelle est préjudiciable pour Airbus et ne doit pas perdurer, mais elle n'a pas que des inconvénients : en faisant remonter des problèmes à la surface, elle conduit le corps social et la représentation nationale à une prise de conscience qui pose les fondations d'améliorations. Dans ce débat, si je puis me permettre, les députés ont un rôle à jouer. Si j'ai pu quelque peu contribuer à vous éclairer, cette séance n'aura pas été inutile.

Le Président Pierre Méhaignerie. La gouvernance d'EADS constitue un enjeu crucial. Sur le sujet des stocks-options, chacun peut demeurer avec ses doutes. Sachez en tout cas que nous agirons avec le sens des intérêts de l'entreprise et de ses emplois.

M. Augustin Bonrepaux. Puisque nous avons un rôle à jouer, il faudrait que nous commencions par y voir clair. Or je n'ai pas l'impression que le Président Patrick Ollier ait obtenu une réponse à sa question sur les retards déjà connus en février. Si l'entreprise est affaiblie, ce n'est tout de même pas la faute de la commission des Finances. Je rappelle au surplus qu'une commission d'enquête peut travailler dans le secret. Ne vous contentez pas d'un seul témoignage, donnez à la commission des Finances la possibilité de travailler !

Le Président Pierre Méhaignerie. Nous en débattrons en Commission et chacun appréciera, en fonction de l'évolution de la situation.

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