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COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 64

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 juin 2006
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Lakshmi Mittal, président directeur général de Mittal Steel

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La Commission a entendu M. Lakshmi Mittal, président directeur général de Mittal Steel.

Après l'avoir remercié d'avoir répondu à l'invitation de la commission, le président Patrick Ollier a rappelé que M. Lakshmi Mittal lui avait, le 31 janvier dernier, exposé son projet industriel et les conditions d'une OPA qui était alors hostile. Un débat s'était engagé sur la gouvernance de l'entreprise, sur le montant de l'offre, ainsi que sur la nécessité d'éviter que ce rapprochement se déroule dans un contexte conflictuel. Depuis, M. Lakshmi Mittal a tenu compte des observations du Gouvernement français, comme de celles des parlementaires et de différents responsables économiques. Le contexte actuel est totalement différent. Le projet industriel apparaît clairement, le projet de gouvernance n'est plus du tout familial, et le montant de l'offre est considéré par les actionnaires d'Arcelor comme tout à fait acceptable.

Le président Patrick Ollier a invité M. Lakshmi Mittal à exposer devant les membres de la commission le cheminement qui a été le sien, et à décrire précisément les conditions de son offre. Peut-il y avoir, d'ici le 30 juin, d'autres surprises, étant donné que Severstal n'a pas dit son dernier mot ?

M. Lakshmi Mittal a rappelé qu'il avait rencontré le président Patrick Ollier pour la première fois le 31 janvier dernier. Il l'a remercié de lui permettre aujourd'hui d'expliquer à la commission la teneur de son projet industriel et le bien-fondé de son offre. Le débat qui s'est engagé fut fructueux. Le groupe Mittal a écouté très attentivement les observations qui lui ont été faites et les conseils qui lui ont été donnés. Il en a tenu compte tout au long des négociations qui ont abouti à la signature d'un projet d'accord sous la forme d'une transaction amicale.

Tous les parlementaires qui ont manifesté leur intérêt pour cette transaction doivent en être remerciés. Leurs commentaires ont été parfois chargés d'émotion, mais ont toujours été constructifs et productifs. Le groupe Mittal a compris qu'une opération aussi importante pour les Français, pour les pouvoirs publics français et pour les syndicats français, ne pouvait être couronnée de succès que si le projet d'ensemble était repensé. Ainsi, il n'a pas seulement modifié le montant de son offre mais également sa proposition en termes de gouvernance d'entreprise.

Le projet de fusion qui a reçu l'accord du conseil d'administration d'Arcelor est un rapprochement amical. Il a été favorablement accueilli par le président Jacques Chirac et par les membres du gouvernement français. Les autres gouvernements concernés lui ont également apporté leur soutien.

S'il est vrai que M. Alexeï Mordachov n'a peut-être pas dit son dernier mot, il est également vrai que la décision finale n'appartient pas à Severstal. Le dernier mot appartient aux actionnaires et aux parties prenantes du groupe Arcelor. Il faut se féliciter que le conseil d'administration d'Arcelor ait été convaincu par les actionnaires de l'entreprise, qui en sont les propriétaires. C'est à eux qu'il appartient de prendre la décision. Le projet de fusion de Severstal sera rejeté lors de l'assemblée générale des actionnaires prévu le 30 juin s'il est refusé par des actionnaires représentant plus de 50 % du capital d'Arcelor. C'est là pour Mittal Steel une manière inhabituelle d'obtenir le soutien des actionnaires, mais il y a tout lieu de penser qu'ils repousseront ce projet. Quoi qu'il en soit, c'est ce vote qui sera le dernier mot.

Mittal Steel est une entreprise européenne, cotée à Euronext depuis 1997. Son siège se trouve à Rotterdam. Ce groupe adhère aux valeurs européennes et il respecte ses obligations sociales. L'avenir des 130 000 personnes qu'il emploie en Europe lui tient à cœur, aussi bien du point de vue économique que social. Sa contribution durable à l'Europe sera de créer un champion mondial de la sidérurgie ayant son siège en Europe.

L'acier est au cœur des racines de l'Europe, puisque l'Union européenne est issue, historiquement, de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Le président de Mittal Steel, qui a passé toute sa carrière dans la sidérurgie, mesure donc mieux que quiconque l'importance de l'industrie de l'acier et sa contribution vitale à la croissance économique européenne.

Mittal Steel, au travers de son alliance avec Arcelor, est fermement résolu à augmenter ses investissements et à accroître sa compétitivité en Europe, et tout particulièrement en France, en Belgique et au Luxembourg. Mittal Steel est connu pour honorer ses engagements, et a apporté un regain de vitalité à toutes les entreprises qu'il a rachetées partout dans le monde. Il faut souligner que la France a beaucoup à gagner à la fusion de Mittal Steel avec Arcelor. L'échange de vues avec les membres de la commission sera, à n'en pas douter, le début d'un dialogue fructueux et durable.

La décision unanime du conseil d'administration d'Arcelor d'accepter l'offre révisée de Mittal et de la recommander à ses actionnaires est un succès dont il faut se réjouir pour les deux groupes. Ce rapprochement est une alliance naturelle, qui constitue une transformation importante permettant d'avancer dans le sens d'une industrie plus stable et plus durable. Il profitera aux deux entreprises, qui sont complémentaires. Le groupe qui en résultera, Arcelor-Mittal, aura son siège au Luxembourg.

Les actionnaires actuels d'Arcelor seront propriétaires de 50,5 % du capital du nouveau groupe. Ils seront donc majoritaires. La famille Mittal détiendra 43,6 % du capital et des droits de vote.

Il n'y aura qu'une classe d'actions, et toutes les actions disposeront du même droit de vote, selon la règle « une action, une voix », ce qui correspond à ce que le président Patrick Ollier avait suggéré.

Arcelor-Mittal sera un groupe exceptionnel, dont la taille, le poids et les synergies seront sans précédent. Numéro un mondial de l'acier, sa capacité de production sera de 120 millions de tonnes, soit 10 % du marché mondial. Cette nouvelle entreprise occupera une position de premier plan dans l'ALENA, dans l'Union européenne, en Europe centrale, en Afrique et en Amérique du sud.

Les synergies du groupe sont estimées à 1,6 milliard de dollars, soit 1,2 milliard d'euros. Elles ne découleront pas de suppressions d'emplois. La fusion ne se traduira par aucune suppression d'emplois supplémentaire par rapport à celles prévues par Arcelor.

Le groupe issu de la fusion bénéficiera de ressources exceptionnelles en matières premières et de la sécurité des contrats à long terme grâce à des produits à forte valeur ajoutée. Les deux entreprises auront une structure de coûts faibles et des perspectives de forte croissance sur les marchés en développement. Le groupe pourra s'appuyer sur un large éventail de segments de produits clés. Sa structure sera exemplaire en termes de gouvernance d'entreprise. Il sera coté non seulement en Europe mais aussi à la Bourse de New York.

Ce rapprochement intervient à un moment critique pour le développement de la sidérurgie. Les défis qui doivent être relevés pour être compétitif et assurer un développement durable sont plus importants dans certains secteurs industriels que dans d'autres. La sidérurgie est l'une des industries les plus anciennes et les plus importantes en Europe et dans le monde. Elle a connu ces dernières années des transformations profondes, et parfois douloureuses, notamment au travers des restructurations qui ont eu lieu en France, au Luxembourg et en Belgique. L'avenir de cette industrie est aujourd'hui plus souriant, et ce grâce au législateur, qui a permis la restructuration de la sidérurgie en Europe.

Mittal Steel a joué un rôle de catalyseur dans cette transformation. Son passé a montré avec force sa capacité à racheter des entreprises et à les remettre sur pied. Ce faisant, il tient ses engagements vis-à-vis des collectivités locales, qu'il s'agisse de communes ou de régions, comme vis-à-vis des États concernés.

Mittal Steel est particulièrement fier du fait que lorsqu'il a dû procéder à des réductions d'effectifs, il l'a toujours fait par le biais de départs volontaires et de départs en retraite, jamais par des licenciements.

Les représentants des salariés et les délégués syndicaux ont toujours approuvé cette démarche. La presse s'en est fait l'écho, plusieurs témoignages de délégués syndicaux attestent de la qualité des relations entre l'entreprise et son personnel pendant ces délicates opérations de restructuration.

Les résultats de Mittal Steel dans les domaines de l'environnement et des relations sociales. Il met en œuvre les normes les plus strictes en matière d'hygiène et de sécurité, dans le cadre d'une politique mondiale uniforme. Il s'efforce de réduire l'impact de ses activités sur l'environnement, et met actuellement en place une politique nouvelle consistant à aligner toutes ses activités sur les meilleures pratiques. Dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises, Mittal Steel est fier de ses relations avec le tissu social partout où il est implanté.

Arcelor est également reconnu comme une entreprise très performante et respectée dans les domaines environnemental et social.

S'agissant de l'avenir de la sidérurgie, les convictions de Mittal Steel, partagées par un grand nombre de dirigeants d'entreprises sidérurgiques, dont MM. Guy Dollé et Joseph Kinsch, sont celles d'une industrie plus consolidée et donc plus puissante.

La sidérurgie a été pénalisée par son morcellement, qui est la cause d'une plus grande volatilité et de surcapacités, ce qui a un impact négatif sur l'emploi et la rentabilité. Nombre de ses clients et de ses fournisseurs, notamment l'industrie automobile ainsi que les industries d'extraction du fer et du charbon, sont beaucoup plus concentrées. Mittal Steel a joué un rôle de chef de file dans la consolidation de la sidérurgie à l'échelle mondiale. Son projet de fusion avec Arcelor est dans le droit-fil de cette logique de consolidation, de réduction de la volatilité et de renforcement de la présence mondiale. Ce rapprochement a initialement suscité des inquiétudes de la part de certains gouvernements européens, et notamment du gouvernement français.

Au cours des derniers mois, les dirigeants de Mittal Steel ont rencontré un grand nombre de responsables politiques, au niveau national, régional ou local, ainsi que des représentants des salariés et d'autres décideurs de premier plan. Pour l'essentiel, les doutes qui se sont initialement manifestés se sont dissipés, Mittal Steel ayant pu convaincre en exposant son projet industriel et ce qui faisait de son offre une offre unique.

Les dirigeants de Mittal Steel ont consacré beaucoup de temps à analyser les implications de ce rapprochement industriel pour la France. Ils sont conscients de l'importance que revêt la sidérurgie pour ce pays, notamment pour les régions du Nord et de l'Est, et ils comprennent que le Gouvernement soit soucieux d'assurer la survie à long terme de ce secteur, tant au plan industriel, qu'à celui de l'emploi, de la recherche-développement et de l'environnement.

Le projet industriel de Mittal Steel devrait rassurer les députés sur les trois points suivants : la fusion n'aura pas d'impact sur l'emploi autre que les plans prévus actuellement par Arcelor ; les investissements dans les sites français se poursuivront à un rythme soutenu ; les capacités de recherche-développement en France augmenteront.

Arcelor emploie entre 25 000 et 27 000 personnes en France, soit 30 % de ses effectifs totaux, ce qui fait de ce pays le principal pays d'activité d'Arcelor. Mittal Steel est également présent en France, bien qu'à une échelle moindre.

Mittal Steel l'a dit à plusieurs reprises, et publiquement, il n'y aura pas de suppressions d'emplois en France à la suite de la fusion. L'un des principaux avantages du projet de fusion est qu'il n'y a pratiquement pas de doublons entre les deux entreprises. Il est prévu qu'Arcelor se concentre sur la recherche-développement sur les produits plats dans cinq centres d'excellence, dont deux en France : Montataire et Maizières-lès-Metz, en Lorraine. Sera également conservé le centre de recherche et de développement de Gandrange, sur les produits longs.

Mittal Steel n'hésite pas à prendre ces engagements, parce qu'un groupe fusionné aura plus de poids, offrira plus d'options et de ressources.

La fusion entre Mittal Steel et Arcelor est une opération créatrice de valeur, qui redessinera le visage de la sidérurgie en lui donnant un caractère mondial. Ce projet s'appuie sur une logique industrielle solide, qui donnera naissance à une entreprise suffisamment importante et diversifiée pour être capable de mieux gérer les cycles, de stabiliser le chiffre d'affaires et d'augmenter le rendement pour les actionnaires.

Cette fusion créera le premier sidérurgiste mondial, capable de produire 120 millions de tonnes d'acier. Il n'aura pas d'équivalent en termes de présence dans le monde et occupera une position de leader dans plusieurs segments clés, en étant capable d'approvisionner ses clients dans le monde entier.

Les atouts de Mittal Steel sont supérieurs à ceux d'Arcelor en même temps qu'ils en sont complémentaires. Arcelor fabrique des produits plats en Europe, tandis que Mittal Steel occupe une position de leader sur un marché de produits comparables en Amérique du nord, tout en disposant de capacités en recherche et développement. Les capacités cumulées des deux entreprises constituent la meilleure base possible pour atteindre une position de leader mondial dans des marchés clés. Mittal Steel est le deuxième producteur de la CEI, alors que Severstal est le quatrième. Les activités de Mittal Steel au Kazakhstan présentent un mix de valeur ajoutée de 52 %, dont 20 % de produits galvanisés. Mittal Steel est le numéro un en Europe centrale, en Europe de l'Est et en Afrique, régions à forte croissance.

En ce qui concerne l'exploitation minière, Mittal Steel est à nouveau en meilleure position. Grâce à ses sources d'approvisionnement en minerai de fer en Ukraine et au Libéria, il bénéficie d'un avantage historique pour approvisionner ses sites en Europe de l'Ouest.

La fusion entre Arcelor et Mittal Steel sera une fusion entre égaux. Elle donnera naissance à un leader réellement mondial, sur les plans de la recherche et du développement comme sur ceux de l'expansion du marché et de l'excellence de l'exploitation. Sur ce fondement pourra se construite une entreprise extrêmement solide et durable.

La sidérurgie peut être une activité industrielle à la fois saine et durable. Cet objectif suppose une restructuration de grande ampleur. Telle est la conviction des dirigeants de Mittal Steel comme de nombreux dirigeants d'entreprises sidérurgiques. Les perspectives du secteur s'amélioreront considérablement dès lors qu'aura été entamé le processus de consolidation en Europe et en Amérique du nord, mais il faut aller plus loin pour garantir une stabilité à long terme.

La mondialisation est nécessaire, parce que la sidérurgie a des fournisseurs et des clients dans le monde entier. Les implications de ce phénomène sont évidentes : l'Europe et les entreprises européennes doivent rester tournées vers l'extérieur. La géographie économique mondiale évolue et les dirigeants économiques et politiques européens sauront mobiliser les atouts de l'Europe pour relever les défis d'une économie qui se mondialise.

Le nouveau groupe Arcelor-Mittal garantira un avenir solide à la sidérurgie européenne, et lui permettra de continuer à contribuer à la croissance, aux emplois, à l'innovation, à la recherche et au développement. Les changements engagés permettront au groupe de jouer sur un terrain de dimension mondiale. La France profitera pleinement de cette puissance accrue et du développement des activités du groupe.

Les dirigeants de Mittal Steel souhaitent vivement travailler avec toutes les autorités politiques concernées, à tous les échelons administratifs, avec toutes les parties prenantes, pour mettre en œuvre une vision partagée dans un secteur vital pour la compétitivité, en construisant un véritable champion européen de l'acier.

Le président Patrick Ollier a remercié M. Lakshmi Mittal pour son exposé très complet, faisant apparaître un véritable enthousiasme de chef d'entreprise.

M. Jean Proriol, au nom du groupe UMP, a tout d'abord souhaité obtenir des précisions sur la famille Mittal.

En second lieu, Mittal Steel a racheté au Trésor polonais, en 2004, quatre sociétés sidérurgiques. Ces sites ne semblent pas particulièrement rentables, à tel point que des suppressions d'emplois y sont envisagées. Des dépêches d'agence évoquent la suppression de 10 500 emplois en Pologne d'ici à la fin de l'année 2006. On prête également au groupe Mittal Steel l'intention de fermer des sites en Algérie, en Afrique du sud et en Macédoine, faute d'une rentabilité suffisante.

Si ces informations s'avéraient exactes, elles seraient de nature à nourrir quelques inquiétudes, y compris pour les salariés actionnaires d'Arcelor.

M. François Dosé, au nom du groupe socialiste, a rappelé et maintenu les propos qu'il avait tenus le 13 juin dernier, lors de l'audition de M. Guy Dollé, en soulignant qu'Arcelor n'est pas paré de toutes les vertus pas plus que Mittal Steel, de tous les vices. Il est arrivé que Mittal Steel, s'installant en Lorraine, maintienne en activité des ateliers ou des usines qu'Arcelor avait abandonnés.

Il a souhaité que M. Lakshmi Mittal fournisse à la commission des précisions sur l'avenir des industries de formation présentes en Lorraine. Car des territoires entiers s'adossent à l'industrie sidérurgique. Une stratégie a-t-elle déjà été envisagée ou ne sera-t-elle définie que dans un second temps ?

Mme Marie-Anne Montchamp a pris acte de l'ambition exprimée par M. Lakshmi Mittal d'une gouvernance exemplaire pour le groupe Arcelor-Mittal. Or, le succès d'une fusion dépend de la qualité des étapes préparatoires qui la précèdent. Quelle sera la gouvernance du groupe dans la période intermédiaire qui s'écoulera entre le moment où la fusion sera définitivement décidée et celui où le groupe sera totalement constitué ?

M. Daniel Paul, au nom du groupe communiste et républicain, a souligné que, parmi les fusions d'échelle comparable à celle qui est envisagée avec Arcelor, aucune n'est restée sans conséquences pour les salariés. Cette observation est de nature à conforter les inquiétudes des salariés d'Arcelor, comme de Mittal Steel.

Rappelant les propos de M. Lakshmi Mittal selon lesquels la fusion n'aurait pas d'impact sur l'emploi autre que celui découlant des projets propres à Arcelor, l'orateur a demandé des précisions sur ceux-ci.

Le projet de fusion prévoit que les actions de la famille Mittal resteraient minoritaires pendant une durée de cinq ans. La répartition de l'actionnariat sera-t-elle modifiée au terme de cette période ?

Étant donné la différence considérable entre le montant de l'offre de Mittal Steel révisée et celui de l'offre initiale, la question se pose de savoir comment cette opération sera financée, et notamment si ces dépenses ne seront pas compensées par des gains de productivité.

Enfin, comment M. Lakshmi Mittal compte-t-il faire face à l'offensive menée depuis quelques jours, qui pourrait associer Severstal et M. Roman Abramovitch ?

M. Léonce Deprez a salué l'enthousiasme de M. Lakshmi Mittal, tout en soulignant le grand scepticisme et les vives inquiétudes que suscitent les ambitions qu'il affiche. Comment le nouvel ensemble pourra-t-il devenir le champion européen de l'acier ?

Le Nord-Pas-de-Calais a longtemps vécu du charbon et de l'acier. Cette région dépend encore du pôle essentiel de Dunkerque, où Arcelor est présent. Il importe d'en être conscient.

En outre, les régions fortement dépendantes d'industries telles que celle de l'acier ne peuvent avoir un avenir que sur la base d'une économie partenariale, associant le public et le privé. Mittal Steel fait peur en apparaissant comme l'expression d'une force financière privée.

Enfin, il est important que Mittal Steel suscite la confiance en consentant un véritable effort de communication.

M. Michel Liebgott, rappelant que sa circonscription de Moselle a perdu environ 90 % de ses emplois sidérurgiques durant les trente dernières années, passant de 100 000 à 10 000 salariés, a souligné que les Lorrains avaient une image plutôt positive de Mittal Steel. Le regroupement envisagé est une bonne chose, sous réserve de la présentation d'un projet industriel.

Des interrogations demeurent cependant, notamment au sujet de la « phase liquide » dans la vallée de la Fensch. La direction d'Arcelor a anticipé trop rapidement la fermeture du site, qui entraînerait celle des derniers hauts-fourneaux de Lorraine, fragilisant ainsi l'ensemble de l'économie locale, qui dépendrait uniquement des industries d'aval, notamment des constructeurs automobiles. La décision prise par Arcelor est-elle définitive ou susceptible d'être révisée ?

D'autre part, 55 000 Lorrains vont travailler chaque jour au Luxembourg. Le groupe sidérurgique Arbed a réussi la reconversion de ses friches industrielles grâce à une implication rapide de l'État luxembourgeois. Il serait souhaitable que les dirigeants de Mittal Steel accordent la même attention aux problèmes qui se posent en France.

Le maintien du centre de recherche de Maizières-lès-Metz est une bonne chose.

M. Michel Liebgott s'est enfin fait l'écho des préoccupations de ses collègues élus de la Nièvre, Mme Martine Carrillon-Couvreur et M. Gaëtan Gorce, au sujet des trois sites de production d'inox en Bourgogne.

M. Paul Giacobbi, s'exprimant en anglais, a souligné qu'il était un ami de l'Inde, et en particulier de la ville de Calcutta. Il a rappelé que le 6 mars dernier, il s'était dit absolument certain que, à moins d'un miracle ou d'une catastrophe, l'offre publique d'achat du groupe Mittal aboutirait. Il avait également critiqué l'attitude, qu'il a qualifiée d'impolie, du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, lequel avait souhaité que M. Laskshmi Mittal apprenne la grammaire des affaires dans une économie moderne. Jugeant ces propos stupides et ridicules, il s'est demandé si M. Thierry Breton prétendrait enseigner l'informatique à M. Bill Gates si ce dernier se rendait à Paris.

Les réactions de certains Français ont été blessantes, les uns affirmant que l'offre de M. Lakshmi Mittal consistait à payer les actionnaires d'Arcelor en « monnaie de singe », les autres qu'il y avait la même différence entre Arcelor et Mittal Steel qu'entre un fabricant de parfum et un fabricant d'eau de Cologne. M. Paul Giacobbi s'est dit honteux que de tels propos aient été tenus, tout en précisant qu'ils ne représentaient pas la France. Dans les années à venir, la contribution du groupe Mittal-Arcelor au développement industriel de la France sera la meilleure réponse à ces propos.

Les membres de la commission n'ont pas à enseigner quoi que ce soit à M. Lakshmi Mittal, qui connaît mieux que quiconque l'industrie sidérurgique. Mittal Steel est déjà implantée en France depuis quatre ans, et les délégués syndicaux de ses entreprises affirment qu'il n'est ni un meilleur ni un pire employeur qu'Arcelor.

Est-il possible, étant donné la rapidité des changements qui affectent le monde de la sidérurgie, d'établir des prévisions pour les dix prochaines années ? C'est ce que souhaiteraient savoir tous les salariés du groupe qui travaillent en France.

Déplorant que M. Paul Giacobbi, membre de la représentation nationale, ne se soit pas exprimé en français, le président Patrick Ollier a, comme lui, regretté les propos de M. Thierry Breton en soulignant toutefois que ceux-ci avaient été tenus dans un contexte qui a depuis beaucoup évolué.

M. Jean-Michel Bertrand, rappelant que, lorrain d'origine, il avait connu la crise sidérurgique qui a frappé cette région, a souligné le dynamisme du groupe Mittal Steel, illustré par sa filiale Tréfileurope, implantée à Bourg-en-Bresse, ville dont il est le maire. Il a attesté de la qualité de la gouvernance sociale au sein du groupe, du bon climat qui y règne, et de son souci de l'environnement.

Au-delà de la stratégie dans le secteur des industries de transformation, quelle peut être la position du groupe Arcelor-Mittal face à une agressivité chinoise inéluctable ?

Au nom du groupe UDF, M. Charles de Courson a tenu a dire la sympathie qu'il éprouvait pour les vrais capitaines d'industrie tels que M. Lakshmi Mittal, et s'est dit choqué par la manifestation d'un certain racisme à son encontre. Il s'est réjoui que le groupe Mittal soit parvenu à un projet de fusion avec Arcelor.

S'agissant de l'ambition affichée par M. Mittal de constituer un champion européen de la sidérurgie, il a demandé en quoi le projet du groupe était européen. Quelle part les activités européennes représenteront-elles dans le futur groupe ? Comment s'établira sa balance commerciale au niveau européen ?

Où en sont les négociations avec la Commission européenne du point de vue du droit de la concurrence ? La constitution du futur groupe n'impliquera-t-elle pas, à titre de contrepartie, la cession de certaines activités ?

Dans les différents secteurs d'activité, à quel niveau de compétitivité le groupe se situe-t-il par rapport aux concurrents européens ou sud-américains ?

M. Lakshmi Mittal a apporté aux différents intervenants les éléments de réponse suivants :

- La famille Mittal est une petite famille. L'actionnariat est partagé entre lui-même et son épouse, qui ont deux enfants, tous deux mariés ;

- Le conseil d'administration du groupe Arcelor-Mittal sera composé de six membres désignés par Arcelor et six membres désignés par Mittal Steel, auxquels s'ajouteront trois représentants des salariés et trois membres choisis par les actionnaires. Parmi les six membres désignés par Mittal Steel, seuls trois membres appartiendront à la famille Mittal, les trois autres étant des administrateurs indépendants. Dans la structure existante de Mittal Steel, le conseil d'administration est composé de trois membres de la famille et de six administrateurs extérieurs et indépendants. Ces administrateurs indépendants ont beaucoup d'expérience et sont bien connus dans le monde de l'industrie et de la banque ;

- La filiale polonaise de Mittal Steel est rentable. Les résultats de la première année ont été très positifs. Les relations avec les syndicats sont très bonnes, à tel point qu'ils ont soutenu le groupe lors d'une récente audition devant la Diète polonaise, tant pour louer le niveau de performance que le plan de croissance et d'investissement. Lors de l'acquisition de cette entreprise, au moment de sa privatisation, un accord avait été conclu avec le gouvernement polonais, les syndicats ainsi que l'Union européenne. C'est cet accord qui comportait, à la demande des autorités européennes, une clause relative à l'amélioration de la productivité. Les réductions d'effectifs auxquelles il a été procédé découlaient de cet accord. Aucun plan de licenciements n'est envisagé ;

- Mittal Steel n'a pas l'intention de vendre ses filiales en Algérie, en Macédoine et en Afrique du Sud. Toutes dégagent des bénéfices et ces trois pays sont très satisfaits de leur collaboration avec l'entreprise. M. Lakshmi Mittal est d'ailleurs membre, aux côtés d'autres hommes d'affaires internationaux, de l'International Investment Council, instance consultative mise en place par le président sud-africain pour le conseiller dans ses choix ;

- Mittal Steel mesure l'importance que la Lorraine attache à l'industrie sidérurgique. Aucune suppression d'emplois n'aura lieu en Lorraine. Le groupe continuera à investir dans la recherche et le développement, ce qui est essentiel dans un secteur industriel en pleine évolution. Le leader mondial de l'acier aura une responsabilité accrue. Il se doit d'avoir une avance d'au moins cinq ans sur ses concurrents dans l'innovation, le service au client, et donc la recherche-développement. Le nouveau groupe produira 120 millions de tonnes par an et devra donc renforcer sa base clients. Ses produits devront être plus nombreux, et d'une qualité sans cesse croissante ;

- Il n'y aura pas de suppressions d'emplois parce qu'il y a très peu de doublons entre les deux groupes, dont les activités sont complémentaires. Par exemple, Mittal Steel, contrairement à Arcelor, n'est pas présent en Europe dans le secteur des produits plats, alors que les produits longs sont l'une de ses grandes forces ;

- La gouvernance d'entreprise du groupe Mittal Steel répond aux normes les plus strictes du secteur sidérurgique. Les normes du groupe seront conformes aux normes européennes, mais aussi, à une ou deux exceptions près, aux normes américaines, lesquelles sont de plus en plus exigeantes. Mittal Steel est coté à la Bourse de New York, à un moment où beaucoup d'entreprises européennes s'en éloignent afin d'échapper à des règles qu'elles jugent trop strictes en termes de gouvernance ;

- M. Joseph Kinsch présidera le conseil d'administration jusqu'au moment de sa retraite, date à laquelle M. Lakshmi Mittal lui succédera. La direction générale, elle, sera composée de 4 membres de la direction actuelle d'Arcelor et de trois membres de l'actuelle direction de Mittal. Elle appréciera l'opportunité de s'ouvrir à d'autres membres ;

- Pour que l'intégration soit couronnée de succès, il est important que les équipes des deux entreprises travaillent ensemble. Mittal Steel a racheté une vingtaine d'entreprises au cours des dernières années, et a acquis un savoir-faire en matière d'intégration. Arcelor est elle-même le produit d'une fusion de trois entreprises en 2002. Les deux équipes sont donc expérimentées, et savent comment réussir une fusion ;

- La famille Mittal détiendra 43 % des actions. Elle aura la faculté de porter cette part à 45 %, et n'a pas l'intention d'aller au-delà ;

- Les synergies dégagées par la fusion pouvaient être estimées, au mois de janvier dernier, à 1 milliard de dollars. Après discussion, les deux entreprises s'accordent pour les estimer à 1,6 milliard de dollars, soit entre 1,2 et 1,3 milliard d'euros ;

- Les positions de Severstal ou de M. Roman Abramovitch n'appellent pas de commentaire particulier. C'est de toute manière aux actionnaires d'Arcelor qu'il appartient de se prononcer ;

- Le dialogue entre les partenaires publics et privés est essentiel. Il conditionne la réussite des entreprises sidérurgiques, qui ne peuvent ignorer les autorités publiques ni le tissu social des régions où elles sont implantées. Mittal Steel est un grand employeur dans le monde. Il n'est pas rare que l'économie d'une ville repose presque tout entière sur son activité. Au Kazakhstan, deux villes de 700 000 habitants dépendent du groupe à hauteur de 85 % de leur économie. Les cadres dirigeants de Mittal Steel mesurent donc pleinement l'importance du dialogue avec la société, les autorités locales, et celles de l'État ;

- S'agissant des inox, aucune position ne doit être arrêtée de manière rigide. Les dirigeants du nouvel ensemble, dans un contexte à présent amical, devront discuter ensemble des mesures qu'il convient de prendre. Vendre n'est que l'une des options possibles. Le groupe pourra aussi bien envisager un plan de consolidation, des fusions ou des restructurations en vue d'améliorer la compétitivité des sites concernés ;

- Les remarques de tel ou tel sur la grammaire des affaires, le parfum et l'eau de Cologne ont été prononcées sous le coup de l'émotion et appartiennent maintenant au passé. Il convient d'aller de l'avant et de réfléchir à l'avenir de l'entreprise, de ses salariés, de ses actionnaires ;

- Les prévisions sur une durée de dix ans sont hélas impossibles. La sidérurgie a vécu dans le passé avec une visibilité d'un mois. Les prévisions sur trois ou six mois commencent à être possibles. Par le passé, les prévisions qui ont pu être faites dans le secteur sidérurgique n'ont jamais été confirmées par les faits. C'est précisément la raison pour laquelle cette industrie a besoin d'une consolidation. Il importe de refondre le paysage, de restructurer le secteur dans son ensemble. Il ne s'agit plus aujourd'hui de produire du volume, mais de la valeur, et donc des profits pour les actionnaires et les parties prenantes. Chacun veut un avenir meilleur, ce qui n'est possible qu'à travers une restructuration. C'est pourquoi la fusion entre Arcelor et Mittal Steel marque une étape d'une très grande importance pour l'avenir de la sidérurgie mondiale. Si d'autres fusions étaient réalisées, ce secteur serait moins volatil et moins cyclique ;

- On peut estimer qu'au lendemain de la fusion, la part européenne dans l'activité totale du nouveau groupe se situera autour de 55 %. La fusion marque bien un pas vers la constitution d'un champion européen de l'acier au niveau mondial ;

- La Commission européenne a donné son accord au projet de fusion ;

- Tout le monde a peur de la Chine, et pas seulement en Europe. Mais si celle-ci peut compter sur un champion de l'acier, au sein d'un secteur restructuré, elle n'aura pas de mal à affronter la concurrence de la Chine, de l'Inde ou d'autres pays émergents.

Le président Patrick Ollier a remercié M. Lakshmi Mittal d'avoir répondu avec simplicité aux questions qui lui ont été posées, en manifestant un souci de transparence et en n'évitant aucun sujet, même parmi les plus difficiles ou les plus personnels. Les difficultés de communication initiales sont à présent surmontées. Les députés français ont appris à mieux connaître un grand capitaine d'industrie européen, et ont pu apprécier le poids et la valeur de ses arguments. C'est aux actionnaires d'Arcelor qu'il appartient à présent d'accepter ou non le projet de fusion qui leur a été proposé en vue de contribuer à la naissance de la grande industrie sidérurgique dont l'Europe a besoin pour affronter une concurrence qui ne se situe pas en son sein mais bien en dehors de ses frontières.

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