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COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 70

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 18 juillet 2006
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de :

· M. Jean-Pierre Sotura, secrétaire général UFICT-CGT (Union fédérale des ingénieurs, cadres et techniciens), M. Olivier Barrault, administrateur FNME-CGT (Fédération nationale des mines énergies) et M. Eric Roulot, secrétaire de la FNME-CGT  ;

· M. Michel Lamy, secrétaire national CFE-CGC, M. Jean-Claude Pelofy, secrétaire général CFE-CGC des IEG, M. Bernard Glénat, délégué national CFE-CGC des IEG et M. Alexandre Grillat, administrateur EDF  ;

· M. Christophe Quarez, secrétaire national de la Fédération Chimie Énergie CFDT et Mme Marie-Hélène Gourdin, déléguée fédérale en charge de la branche IEG

sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.




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La Commission a entendu M. Jean-Pierre Sotura, secrétaire général de l'UFICT-CGT (Union fédérale des ingénieurs, cadres et techniciens), M. Olivier Barrault, administrateur FNME-CGT (Fédération nationale des mines énergies), M. Eric Roulot, secrétaire de la FNME-CGT, sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

Le président Patrick Ollier, souhaitant la bienvenue à M. Eric Roulot, secrétaire fédéral de la Fédération des mines et de l'énergie de la CGT ainsi qu'à MM. Olivier Barrault et Jean-Pierre Sotura, responsables de cette fédération, a indiqué que la Commission avait souhaité les entendre à propos du projet de loi relatif au secteur de l'énergie et notamment des dispositions dont l'objet est d'autoriser le Gouvernement à baisser sa participation au capital de GDF en vue d'une fusion qui donnera à GDF la taille critique nécessaire sur le marché européen et mondial.

M. Eric Roulot a indiqué qu'il intervenait au nom de la confédération elle-même, et non pas au nom de la Fédération nationale des mines et de l'énergie puis a présenté M. Olivier Barrault, membre de la commission exécutive fédérale, plus particulièrement chargé des questions relatives au gaz, ainsi que M. Jean-Pierre Sotura, secrétaire général de l'Union fédérale des ingénieurs, cadres et techniciens (UFICT) de la fédération.

M. Eric Roulot a tout d'abord rappelé que lors de l'examen du projet de loi modifiant les statuts d'EDF et de GDF, le pays s'était mobilisé et M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, avait adressé le 29 avril 2004 un courrier à la Fédération nationale des mines et de l'énergie de la CGT dans lequel on pouvait lire : « Je vous confirme que ces sociétés resteront publiques et ne seront en aucun cas privatisées. » M. Nicolas Sarkozy explicitait cet engagement en indiquant que « compte tenu de leur caractère déterminant pour les intérêts de la France, en termes de sécurité d'approvisionnement et de sûreté des activités nucléaires, l'État conservera en effet une part majoritaire du capital de ces entreprises et continuera de définir conjointement avec leurs présidents leurs orientations stratégiques. »

Il a donc affirmé que les engagements pris à l'époque par le ministre devaient être tenus et donc que Gaz de France ne devait pas être privatisé. Privatiser GDF aboutirait à perdre la maîtrise publique et GDF ne s'en trouverait pas dynamisé, mais absorbé par une entreprise privée. Prétendre, comme le fait l'exposé des motifs, que GDF aurait besoin à très court terme d'une fusion pour « être un acteur dynamique » et être « maître de son destin » est une supercherie.

Ce projet de loi porte en lui la privatisation des réseaux et infrastructures du gaz. L'État perdrait notamment la pleine maîtrise dont il dispose sur les activités stratégiques de transport, de distribution et de stockage et de terminaux méthaniers. Le réseau de transport, demeurant la propriété de GDF, se trouverait ipso facto privatisé, bien qu'il ait toujours été affirmé que les réseaux ne devaient pas être soumis à la concurrence ; par ailleurs, l'Etat perdrait ses administrateurs au GRT et au GRD. La distribution se trouverait donc également privatisée et la voie serait ouverte au démantèlement de l'entreprise. La construction proposée dans le projet de loi pour pérenniser le service commun à EDF et GDF, qui regroupe encore aujourd'hui 60 000 agents, fragilise gravement celui-ci.

L'article 14 exclut la distribution de la nationalisation de 1946. Pour la CGT, cela signifie la fin du monopole sur le territoire de GDF. Cela ne prépare-t-il pas l'éclatement de la distribution en de multiples concessionnaires ?

La péréquation tarifaire, principe auquel la CGT est fortement attachée, est abandonnée par les articles 8 et 9. C'est bien un système analogue à celui appliqué à la gestion de l'eau qui est proposé en filigrane.

Le service commun de la distribution deviendrait un service commun aux deux filiales et non plus aux maisons mères. Aujourd'hui ont lieu certaines réunions de concertation. On constate que l'ambition des directions des entreprises est d'affaiblir le management au niveau de ce service commun et de faire remonter toutes les prérogatives managériales au niveau des directions des filiales. Un tel service commun aurait du mal à survivre à la concurrence exacerbée entre Suez- GDF d'un côté, et EDF de l'autre.

En outre, la privatisation de GDF et, de fait, du GRD Gaz, en ferait un service commun à une entreprise publique, EDF, et à une entreprise privée concurrente, Suez-GDF. La situation serait intenable et la CGT redoute l'affaiblissement de ce service commun et la fin des monopoles de concessions conférées par la loi aux entreprises publiques.

La présence de l'État serait résiduelle et défensive. Certes, le projet de loi prévoit une action spécifique ou golden share. Cependant, celle-ci ne permettrait pas de décider d'investissements ni d'orienter les activités stratégiques de ce nouvel ensemble, mais seulement de s'opposer à des décisions de cession d'actifs ou d'activités stratégiques prises par l'actionnariat majoritaire.

C'est bien un recul important de la maîtrise publique qui est programmé dans ce projet de loi. Celui-ci constitue un risque majeur de déstabilisation du service public et d'EDF, l'objectif étant d'ériger un concurrent privé face à EDF.

Le fait que les marchés s'ouvrent justifierait la disparition des services publics nationaux et la fin du choix de maintenir la propriété publique ! Cette argumentation pourrait s'appliquer à EDF et notamment à la production, malgré les risques qui peuvent en découler s'agissant de la propriété publique du nucléaire.

La mise en concurrence frontale d'EDF et de Suez-GDF ne peut, à terme, que pousser à la séparation franche entre les deux entreprises, d'où certaines inquiétudes quant à la pérennisation du service commun.

Le statut des personnels est le grand absent de ce projet de loi. La CGT avait pointé le danger que représentait la fusion avec Suez et la transformation en holding de Suez-Gaz de France, avec la filialisation des métiers, voire des sous-métiers. La loi de février 2000 a permis de conserver le statut des personnels de la production, du transport et de la distribution. Mais qu'en serait-il du personnel de la holding, du personnel commercial, de l'ingénierie, des métiers tertiaires et de l'informatique ? Cette question, posée tant à la direction de GDF qu'au Gouvernement, n'a reçu que des réponses très vagues et peu rassurantes.

Le Gouvernement, dans les réponses aux 71 questions des organisations syndicales, rappelle que l'application du statut dépend de l'activité principale de la société, ce qui confirme nos craintes. Il ajoute que, pour ce qui est de la commercialisation, il proposera de modifier l'article 1er du statut « afin que les salariés exerçant des activités de commercialisation auprès des clients finals bénéficient du statut. » Or ce point a dû être oublié par les rédacteurs du projet de loi.

De surcroît, la fusion n'améliorerait pas, bien au contraire, la sécurité de l'approvisionnement en gaz. Selon les défenseurs du projet, ce recul de la maîtrise publique aurait pour effet de constituer un acteur gazier à qui sa taille permettrait de négocier des prix moins élevés, au bénéfice des usagers domestiques et industriels. C'est faux, car GDF est déjà un leader dans le domaine du gaz, contrairement à Suez.

Prétendre que GDF est de taille moyenne est malhonnête, car cela sous-entend qu'en fusionnant avec Suez, on forme un acheteur de gaz de taille beaucoup plus grande. GDF est une des plus importantes compagnies gazières au monde par ses actifs en termes de structures industrielles intégrées de l'amont à l'aval. Suez a une activité gazière beaucoup plus faible, sans comparaison avec celle de GDF.

Dans l'activité gazière, Suez est trois fois plus petit que GDF. Distrigaz représente en volume à peine un tiers de GDF. Si on retire le gaz destiné à la production d'électricité, la comparaison tombe à 25 %. Il n'y aurait donc pas de changement d'échelle avec la fusion, comme voudraient le faire croire les défenseurs du projet.

Le modèle Suez est un modèle de trading et d'arbitrage avec le marché américain à des prix élevés. Les deux présidents ont d'ailleurs promis aux actionnaires que les gains qui pourraient être réalisés sur les achats de gaz aux pays producteurs leur bénéficieraient exclusivement. De plus, la spécialisation de Suez dans le GNL et son implantation en Amérique du Nord laisse présager des arbitrages par le groupe entre l'Europe et l'Amérique du Nord.

Le projet de loi livrerait l'expertise du service public aux actionnaires privés. La privatisation de Gaz de France va favoriser la mise en œuvre d'une logique industrielle centrée sur la recherche de la création de valeur pour les actionnaires, ce qui va porter atteinte au fragile équilibre trouvé entre les pays producteurs et les pays consommateurs au travers des contrats à long terme, seuls de nature à garantir notre approvisionnement en gaz, et cela dans la durée.

La libéralisation engendre la hausse des prix et la dégradation du service public et la CGT propose l'Opt out c'est-à-dire la possibilité, pour les pays qui le souhaitent, de sortir du processus d'ouverture totale du marché. Une telle proposition est soutenue par l'ensemble des syndicalistes européens, notamment la Confédération européenne des syndicats.

La facture de gaz a augmenté de 30 % en 18 mois et de 70 % depuis l'ouverture des marchés en 2000. Concernant l'électricité, les éléments rendus publics par l'organisme Nus Consulting dévoilant que les prix de gros de l'électricité ont augmenté de 48 % d'avril 2005 à avril 2006 et que l'écart entre les prix du marché et les tarifs « service public » réglementés par l'État viennent d'atteindre 61 %, ont renforcé le scepticisme ambiant. Le MEDEF vient de déclarer, lors d'une conférence de presse, que « l'ouverture actuelle du marché de l'électricité conduit tout le monde dans le mur ». Les prix de l'électricité ont augmenté depuis trois ans de 70 % pour les grosses entreprises consommatrices, voire de 100 % pour les plus petites.

Le bilan de cette décennie de libéralisation est désastreux. Les prix augmentent, des milliers d'emplois sont supprimés, l'organisation du système perd en efficacité, la pénurie guette et les collectifs de travail sont éclatés, ce qui génère beaucoup de souffrance et d'inquiétude parmi les salariés.

Un bilan s'impose. Au printemps 2002, le président Jacques Chirac et le premier ministre Lionel Jospin avaient tenté de rassurer l'opinion publique française en faisant valoir qu'ils avaient obtenu qu'un bilan soit réalisé avant l'échéance d'ouverture totale des marchés prévue en juillet 2007. En janvier 2006, M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a déclaré qu'un bilan serait réalisé sur la base d'indicateurs larges et pertinents, par une commission d'enquête où les organisations syndicales et les associations de consommateurs auraient droit de cité. On sait aujourd'hui que ce bilan ne sera pas dressé, et le projet de loi se propose d'ouvrir totalement les marchés sans qu'on ait tiré les enseignements de la période 2000-2006.

Les consommateurs trouvent aujourd'hui refuge dans les tarifs administrés. Selon une enquête qui vient d'être rendue publique, seules 24 % des personnes interrogées affichent leur volonté de changer de fournisseur contre 33 % en juillet 2004.

Certes, le projet de loi prévoit de maintenir les tarifs réglementés, mais il ne s'agit que d'un alibi à courte durée de vie. Tous les acteurs du secteur s'accordent à dire que ce ne pourrait être que transitoire et qu'il est nécessaire d'aligner ces tarifs sur les prix du marché. Par ailleurs, la volonté de maintenir ces tarifs est rien moins que claire : aucun dispositif n'est prévu pour assurer la transparence de ces tarifs et pour vérifier qu'ils sont basés sur les coûts constatés. Ainsi, d'aucuns disent que le coût marginal du nucléaire est évalué par EDF à 46 euros par MWh mais personne n'est capable de vérifier ce chiffre. C'est pourquoi la CGT a avancé l'idée de constituer une commission de la transparence des tarifs et de la fiscalité, chargée de s'assurer que le tarif administré est bien calculé sur la base du coût marginal du nucléaire.

La CGT considère qu'il existe d'autres choix. Défendre les consommateurs implique tout d'abord de ne pas ouvrir le marché en 2007.

Le maintien des tarifs régulés, n'est pas une protection suffisante, car le problème de fond est la déréglementation elle-même. Dans un marché déréglementé, les tarifs réglementés sont une aberration. L'Union professionnelle des industries privées du gaz (UPRIGAZ) vient, dans un avis publié par le Bulletin de l'industrie pétrolière du 27 juin, de demander la fin immédiate de ces tarifs et de revendiquer l'obligation, pour les collectivités locales, de passer aux contrats de marché. La société Poweo, opérateur alternatif dans le domaine de l'électricité, considère que « le gel des tarifs réglementés incite ses clients potentiels à ne pas exercer leur droit d'option pour la concurrence, et dissuade les fournisseurs alternatifs d'entrer sur le marché du gaz, compromettant ainsi son ouverture à la concurrence. »

L'ouverture totale du marché aura des conséquences très nocives sur l'organisation du système énergétique. Puisque la France est appelée à faire des propositions pour relancer le processus de construction européenne, la CGT propose que le Gouvernement prenne l'initiative de formuler auprès du Parlement européen une proposition de nature à laisser la possibilité, aux États qui le souhaitent, de déroger à la mise en œuvre de l'ouverture totale des marchés prévue en juillet 2007. Cette proposition d'Opt out recueille le soutien du mouvement syndical européen, et notamment de la Confédération européenne des syndicats (CES).

La CGT propose par ailleurs de baser les tarifs sur les coûts de développement, et non sur les marchés spot. Elle considère que ce n'est pas la concurrence qui fait baisser les prix d'une énergie fournie en réseau comme l'électricité ou le gaz, mais les options retenues pour les énergies primaires, les gains d'échelle résultant de l'intégration des systèmes de production, de transport et de distribution, de l'optimisation des tarifs par le calcul économique à long terme et, pour le gaz, par des contrats à long terme scellés avec les pays producteurs. La CGT prône donc l'existence de tarifs administrés gérés par un organisme représentatif des consommateurs, des élus et des salariés afin d'assurer un système de tarification basé sur les coûts et notamment pour le gaz sur les contrats d'approvisionnement long terme non sur les marchés spots.

La CGT revendique un droit inaliénable, le droit à l'énergie pour tous, car l'énergie est source de développement et de dignité humaine, et s'est beaucoup investie en ce sens. Aujourd'hui, dans le projet de loi, seuls l'électricité et le gaz sont pris en compte pour les particuliers sur les branchements individuels, elle exclut tous les chauffages collectifs au gaz, ce qui est l'essentiel du parc HLM. La CGT propose un concept plus global incluant également les produits pétroliers, le charbon et le bois.

Sa quatrième proposition porte sur l'instauration d'une politique publique européenne d'approvisionnement. L'exposé des motifs du projet de loi fait totalement l'impasse sur le fait que l'Union européenne envisage, dans son livre vert, de se doter d'une politique extérieure clairement définie en matière d'énergie de sorte que l'Europe soit politiquement responsabilisée pour négocier avec les pays producteurs l'approvisionnement en gaz.

Pour la CGT, la sécurité de l'approvisionnement passe non seulement par le renforcement de la maîtrise publique, mais encore par l'octroi de compétences nouvelles au niveau européen et non par une fuite en avant libérale.

Il existe une alternative à la fusion pour le groupe Suez. La CGT est fortement attachée à ce que le groupe reste une entreprise intégrée. Elle a proposé d'augmenter la part des actionnaires dits « sûrs » dans le capital de Suez, de sorte que l'État dispose d'une minorité de blocage afin de protéger l'entreprise d'une éventuelle OPA.

Il existe également une alternative pour Gaz de France et EDF. Le capital à majorité publique de GDF le préserve de toute OPA. Ses activités opérationnelles lui assurent des ressources importantes lui permettant d'investir. La question qui se pose est de savoir si l'on poursuit la séparation d'EDF et GDF ou si, au contraire, on renforce les synergies de service public existantes - un service commun mixte, qui occupe aujourd'hui 60 000 agents. Stratégiquement, les directions ont décidé, sur la base des orientations politiques prises, de faire éclater ce service commun qui avait pourtant fait la preuve de son efficacité en termes de service public. La CGT a proposé de ne pas scinder ces entreprises, mais plutôt de renforcer leurs liens historiques pour mieux répondre dans l'avenir à leurs missions de service public.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur, a rappelé que ce texte porte sur la transposition des directives et achève l'ouverture des marchés initiée en 2000. La CGT a fait connaître son opposition à la dernière étape de ce processus engagée en 2002 au sommet de Barcelone.

Il a demandé à M. Eric Roulot si le fait de ne rien faire n'exposerait pas la France à l'application pure et simple de la directive, sans possibilité d'en aménager les modalités ni d'en éliminer certains effets négatifs. La position de la majorité consiste à dire qu'il vaut mieux transposer la directive en droit français, sous réserve de quelques aménagements, plutôt que de laisser faire la Commission européenne.

S'agissant du capital de Gaz de France, l'effet de taille recherché par le projet n'offrira-t-il pas un avantage, étant donné l'environnement concurrentiel dans lequel se trouve l'entreprise ?

Observant que M. Eric Roulot avait fait un parallèle entre l'électricité et le gaz, et considérait que la hausse de 30 % du prix du gaz constatée depuis un an était inadmissible, il lui a demandé s'il ne pensait pas qu'il existait un lien entre le prix du gaz et le cours du pétrole.

Il a souligné que tous les représentants du personnel de Suez se sont déclarés favorables à la fusion et a demandé à M. Eric Roulot s'il avait eu l'occasion de discuter avec eux et avec des représentants des autres syndicats sur cette question importante.

S'agissant des tarifs de l'électricité, enfin, la question est de savoir quel est le niveau permettant à la fois l'approvisionnement et l'investissement, c'est-à-dire le renforcement des capacités de production.

M. Daniel Paul, observant que l'énergie n'était pas un secteur comme les autres, a souligné la nécessité d'un bilan ; or, il semble n'en être plus question, alors même que dans d'autres domaines, comme celui de l'utilisation des finances publiques, on juge cela indispensable. On avance à marche forcée, pour ouvrir la totalité du marché à la concurrence. Mais il est encore temps de s'arrêter, et M. Eric Roulot a souligné à juste titre que la CES, qui regroupe l'ensemble des syndicats européens, est opposée à la poursuite de l'ouverture à la concurrence.

Si l'ouverture à la concurrence était si bénéfique pour le pays en termes d'indépendance et d'approvisionnement énergétique pour l'industrie, pour les usagers, pour les salariés, les députés communistes voteraient pour. Mais encore faudrait-il qu'on leur en apporte la preuve. Quant à l'idée selon laquelle ce serait pire encore si on laissait faire la Commission européenne, elle n'est pas davantage acceptable.

Il serait intéressant, enfin, de recueillir le sentiment de la CGT sur le déroulement du G8 à Saint-Pétersbourg, qui éclaire de façon pertinente le débat actuel sur les graves tensions perturbant le marché gazier.

M. Philippe Auberger a observé que tous les Français ne sont pas desservis par le gaz et ceux qui le sont le sont dans le cadre d'une concession passée par les collectivités locales avec Gaz de France. Il s'agit donc déjà bien d'un système concurrentiel, et non d'un monopole d'État.

Tout comme le nucléaire, le gaz est porteur de risques : chaque année, on déplore des accidents, d'où un impératif de sécurité. Une large concertation a lieu sur ces questions- 37 réunions cette année. Les syndicats ont-ils, dans ce cadre, proposé l'établissement d'un plan de développement, comportant des investissements en matière de production, en matière de transports, en matière de sécurité - tels que l'élimination des tuyaux en fonte, qui sont dangereux.

Les échéances européennes sont inéluctables. Croire que la Commission européenne laissera certains pays à l'abri de la directive serait utopique, et continuer à faire croire à la population que le mariage entre EDF et GDF est possible exposerait la France à une demande de démantèlement d'EDF et de son secteur.

M. François Brottes a relevé que le texte traitait de l'ensemble des questions d'énergie, et pas seulement du gaz : quand on parle de tarifs réglementés, l'électricité est également concernée. Sa motivation politique principale est toutefois bien la privatisation de Gaz de France, sous l'habillage habile de l'achèvement de la transposition de la directive.

L'accord de Barcelone comportait des garanties très importantes : l'étude d'impact, pour laquelle tout le monde était d'accord, mais que personne n'a fait ni ne demande, à part les syndicats ; l'ouverture de la concurrence aux ménages ; l'engagement d'une directive sur les services d'intérêt économique général qu'on attend toujours.

On explique çà et là que le personnel va « trinquer ». Des dizaines de milliers de travailleurs et leurs familles sont dans l'inquiétude quant à leur devenir.

Les concessions vont être remises en cause au niveau des communes. Or, le texte fait l'impasse là-dessus, et on finira par s'apercevoir qu'il y aura une énergie à deux ou trois vitesses, certains étant en situation de mettre en concurrence les opérateurs et pas les autres. Ce sera la fin de la péréquation tarifaire.

Le groupe socialiste avait demandé une commission d'enquête sur la constitution des prix de l'énergie ; la majorité lui avait répondu que le présent texte réglerait la question...

M. Eric Roulot a évoqué les engagements pris par M. Nicolas Sarkozy lorsqu'il était ministre. La parole donnée est trahie. Chacun a bien compris qu'en aucun cas le mariage entre Gaz de France et Suez ne renforcera l'amont de la filière, Suez n'étant ni producteur ni vendeur de gaz.

Le service public va se trouver fatalement déclassé. Il y a là un enjeu républicain, national, constitutionnel très important.

Au cours des 37 réunions qui se sont tenues, 75 questions ont été posées, et les réponses qui leur ont été apportées contiennent des mensonges évidents. Un seul argument a-t-il été avancé par les pouvoirs publics, lors de ces échanges, qui soit de nature à persuader la CGT que ce texte vise autre chose que l'augmentation des tarifs, la fragilisation des personnels ou l'abandon du service public ?

M. Claude Gatignol a rappelé que le texte proposé porte sur le secteur de l'énergie dans son ensemble, un seul titre ayant trait au capital de Gaz de France, et a demandé aux représentants de la CGT ce qu'ils pensent de la transposition de la directive européenne qui s'impose et de l'avenir de Gaz de France dans cette configuration. La sécurité d'approvisionnement, qui reste la priorité, peut-elle être garantie autrement que par une diversification des acteurs énergéticiens et par une mixité de services entre électricité et gaz - le pétrole étant à part ?

M. Serge Poignant a demandé aux représentants de la CGT, d'une part s'ils étaient en désaccord avec la partie du texte qui permet, au 1er janvier 2007, de maintenir des tarifs pour les consommateurs et pour les entreprises, et d'autre part si, selon eux, GDF pouvait rester compétitif en restant seul et s'ils étaient opposés à toute baisse de la part de l'Etat dans le capital de GDF.

Le président Patrick Ollier a rappelé que la hausse des prix du gaz était liée à celle des prix du pétrole. Le fait qu'en trois ans le baril soit passé de 25 à 75 dollars ne doit-il pas amener la France à rechercher des solutions consistant, notamment, à faire acquérir à Gaz de France une masse critique qu'elle n'a pas aujourd'hui ?

M. Jean Pierre Sotura a répondu, en premier lieu, que la CGT était excédée d'entendre répéter que la concertation avait été exemplaire. Elle a notamment adressé aux pouvoirs publics, le lendemain de l'annonce de la fusion, des propositions ainsi qu'un mémorandum sur la politique énergétique. Or, malgré les engagements répétés du ministère sur cette question, ils n'ont jamais été discutés.

Certes, des représentants des salariés de Suez de la holding se sont exprimés auprès des parlementaires, sur la question de la fusion, dans un sens opposé à celui défendu par la CGT, mais il s'agissait alors de parer au danger de prédation auquel était exposé Suez et non pas du devenir de Gaz de France.

S'agissant de la consultation des salariés, la CGT trouve anormal qu'une telle publicité soit donné à la position du comité d'entreprise de la holding, laquelle regroupe 300 salariés, sur cette fusion, sans que les 60 000 autres salariés aient voix au chapitre. Or, le comité central de l'entreprise de Suez regroupant 60 000 salariés, réuni les 3 et 4 juillet derniers, s'est déclaré contre cette fusion.

La CGT, concernant des opérations telles des fusions qui engagent fortement l'avenir des emplois dans l'ensemble des groupes concernés, pose la question des droits des salariés et estime qu'ils devraient disposer d'un droit de veto suspensif. La fusion représente un risque non seulement pour GDF, mais aussi pour les salariés du groupe Suez, notamment ceux de la partie « eau et environnement ». En effet, ces activités vont se trouver marginalisées dans cet ensemble Suez-GDF et auront probablement vocation à être cédées d'une manière ou d'une autre. Laisser penser que les salariés de Suez, dans leur majorité, sont enthousiasmés par cette fusion est donc contraire à la réalité.

M. Olivier Barrault a jugé la transparence de l'évolution des tarifs régulés essentielle, et notamment la composition de la formule tarifaire. Actuellement, le tarif public du gaz ne reflète pas les coûts véritables d'importation du gaz long terme. Ainsi, entre 2002 et 2003, les administrateurs CGT de Gaz de France ont pu constater que l'entreprise avait engrangé un milliard d'euros de marge supplémentaire principalement sur les usagers du fait de la non répercussion de la baisse des coûts d'importation survenue dans la période. Depuis, l'entreprise refuse toute information aux administrateurs sur les coûts réels. L'opacité est donc totale. D'ailleurs, selon le bilan annuel que vient de publier la Commission de régulation de l'énergie, la formule tarifaire actuelle apporterait à l'entreprise un solde positif de 240 millions d'euros.

Les tarifs régulés en France sont malgré tout largement inférieurs au tarif du marché européen. Il rappelle que la sécurité d'approvisionnement du gaz de la France repose essentiellement sur les contrats à long terme que Gaz de France, entreprise publique, a signé avec les pays producteurs. Or, le choix politique qui a été fait depuis quelques années, du fait de la déréglementation, consiste à créer progressivement les conditions d'un approvisionnement sur le marché spot, qui représente aujourd'hui près de 20 % de l'approvisionnement de Gaz de France et sur lequel les coûts sont deux fois supérieurs à ceux des contrats à long terme comme le montre là aussi, le bilan de la CRE. Ce système de contrat à long terme d'État à État, a permis à la France de bénéficier des prix les plus bas d'Europe alors même que celle-ci était l'un des pays le moins pourvu en gaz. La fusion/privatisation va offrir au capital privé tout ce que le pays a investi pendant soixante ans au service de l'intérêt général et donc spolier la population.

La CGT considère que la question qui se pose n'est pas celle de la taille de l'entreprise, mais celle de la politique d'approvisionnement. Aujourd'hui, l'intérêt des Français réside dans la fusion d'EDF et de GDF, dont la séparation a déjà créé des surcoûts considérables - plus de 340 millions d'euros pour la seule facture différenciée ! On a prétendu qu'une telle fusion n'était pas possible, et devrait s'accompagner de contreparties considérables. Or, selon une étude juridique qu'a fait réaliser le Conseil Supérieur des Comités Mixtes à la Production par le Cabinet Levy-Gosselyn, elle est parfaitement possible et échapperait à l'avis de la Commission Européenne. Les contreparties seraient bien plus faibles que celles qui résulteraient d'une concurrence entre EDF et Gaz de France.

Le président Patrick Ollier a demandé que cette étude soit remise à la commission.

M. Eric Roulot a observé que les entreprises se regroupaient au niveau européen pour faire face à des investissements colossaux : 1 200 milliards d'euros d'ici 2030 afin de répondre à l'offre et de remplacer les capacités qui arrivent en fin de vie. Les organisations syndicales ne refusent pas des alliances de coopération entre les entreprises pour relever les grands défis qui leur sont posés dans le domaine énergétique en Europe. Mais elles estiment que les nations doivent garder une maîtrise et orienter les stratégies des industriels, car il ne s'agit pas d'un secteur d'activité banal : l'énergie est à l'économie ce que le sang est à la vie. Or, on voit bien qu'il y a antinomie entre l'intérêt particulier des actionnaires de ces grands groupes et l'intérêt général des économies et des pays composant l'Europe.

S'agissant de la transposition de la directive, en particulier quant à l'ouverture totale du marché pour les particuliers, la CGT souhaite que la France s'efforce d'obtenir le principe de l'Opt out. Le contexte politique créé par le « non » au référendum du 29 mai est tel que la France aurait sans doute intérêt, dans un domaine aussi essentiel, à faire une telle proposition, à défendre l'idée que, tant qu'un bilan approfondi ne sera pas fait, le marché ne doit pas être ouvert aux particuliers, car cela aurait des conséquences très nocives sur le service public, sur les tarifs, etc.

Quant aux contreparties qui pourraient être imposées à EDF et GDF par la Commission européenne pour abus de position dominante sur le territoire national si ces deux entreprises fusionnaient, le rapport Roulet a eu tendance à les surestimer pour justifier l'impossibilité d'une telle fusion. Or, EDF et GDF sont déjà plus ou moins fusionnées par l'intermédiaire de leur service commun, où 60 000 agents travaillent ensemble. Le choix politique qui a été annoncé est catastrophique tant d'un point de vue humain qu'économique et social, car il casse les synergies construites depuis soixante ans, et qu'il aurait au contraire fallu renforcer pour mieux répondre au service public.

Inversement, on tend à minimiser les contreparties qui pourraient être demandées par l'Europe à GDF et à Suez. La Commission européenne enverra sa lettre de griefs le 18 août, et les deux entreprises lui ont demandé de ne pas dévoiler son contenu, notamment avant le débat du 7 septembre à l'Assemblée nationale. Il s'agit que les parlementaires se prononcent, sans connaître la totalité du dossier, en faveur d'une loi engageant la privatisation de Gaz de France.

Dans l'exposé des motifs, il est écrit que le rapprochement entre Suez et Gaz de France permettrait d'améliorer la sécurité de l'approvisionnement du pays. La CGT estime au contraire que la sécurité de l'approvisionnement en gaz de la France n'est pas liée à la diversification de ses sources d'approvisionnement, mais à des contrats à long terme, passés avec les pays producteurs. Il s'agit d'une négociation politique entre la France et ces pays, les entreprises servant, quant à elles, à distribuer et à transporter l'énergie faisant l'objet de ces contrats. Le choix de critères se limitant exclusivement à la rentabilité financière est de nature, au contraire, à menacer la sécurité d'approvisionnement de la France.

La CGT est évidemment favorable au maintien des tarifs réglementés, mais ce maintien ne réglera pas tous les problèmes. Il faut que les élus, les citoyens, les associations, les organisations syndicales aient la possibilité de vérifier, dans le cadre d'une instance compétente, que ces tarifs sont bien formés sur la base du coût de développement marginal. Sinon, le risque est de se retrouver dans la situation évoquée par Olivier Barrault : du fait de l'indexation du prix du gaz sur celui du pétrole, le premier augmente lorsque le second augmente, et l'entreprise en profite pour accroître la marge des actionnaires. C'est bien ce qui s'est passé entre 2001 et 2003, période durant laquelle le bénéfice de l'entreprise s'est accru d'un milliard d'euros, au profit des actionnaires.

La CGT considère que l'énergie n'est pas une marchandise comme les autres et qu'il faut renforcer la maîtrise publique en ce domaine. Toute politique consistant à livrer ces entreprises au profit privé est une politique à courte vue, qui aura des conséquences nocives sur la sécurité d'approvisionnement de la France et remettra en cause les principes auxquels la majorité des Français sont attachés : égalité de traitement, péréquation tarifaire, adaptabilité des services publics. Ce sont bien ces principes qui risquent de voler en éclat avec la privatisation de Gaz de France.

Le point de vue de la CGT sur la politique de développement de l'entreprise s'est exprimé au travers de rencontres avec les hauts fonctionnaires du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. La CGT a été de tous les combats pour la résorption des canalisations en fonte grise, dont l'explosion a déjà causé des dizaines de morts. Par le biais de ses administrateurs, elle a mené campagne pour que les moyens financiers soient dégagés afin que cette résorption ait lieu le plus rapidement possible.

M. Eric Roulot a enfin évoqué la différence de prix entre le mégawatt nucléaire de l'EPR de Flamanville, soit 46 euros, et le mégawatt finlandais, soit 29 euros. Cette différence tient à la rémunération du capital : en Finlande, un pôle public financier a permis de réaliser un investissement avec un emprunt à un taux très faible ; la rémunération du capital dans le projet français est beaucoup plus élevée.

M. Eric Roulot a rappelé que l'un des arguments utilisés pour justifier l'ouverture du capital d'EDF était la possibilité de financer les investissements. Or, maintenant que le capital a été ouvert, la direction de l'entreprise dit qu'il faut augmenter les tarifs pour financer les investissements...

La CGT reste attachée à certains principes définis en 1946, dont celui selon lequel l'usager finance, à travers les tarifs, le développement à long terme de l'entreprise. En théorie, donc, l'augmentation des tarifs en vue de financer les investissements n'a rien d'anormal, mais la pratique est fortement discutable. Le fait de fixer à 46 euros le prix du mégawatt, alors que le parc est largement amorti, mérite pour le moins discussion. De la même manière, la pratique de tarifs en dents de scie ne paraît pas de bonne politique.

La CGT est d'accord pour que les tarifs financent les investissements, mais la politique d'investissement doit être cohérente et continue. Il faut également prévoir des mécanismes de contrôle démocratique de la situation des prix et des tarifs.

M. Olivier Barrault a précisé que la fusion entre EDF et GDF ne relevait pas des compétences de la Commission européenne puisque les entreprises réalisent plus des 2/3 de leur chiffre d'affaires sur le territoire national. Il a ajouté qu'en termes de concurrence les positions de marché s'apprécient sur des marchés donnés comme celui du chauffage, par exemple. C'est pourquoi les éventuelles contreparties seraient beaucoup plus faibles que celles annoncées dans le rapport Bredin Prat, communiqué à la commission Roulet. La faisabilité de la fusion a été mise à l'ordre du jour du conseil d'administration de Gaz de France par les trois administrateurs CGT en mars 2005. Les administrateurs CGT ont, à l'aide de cette étude juridique du Cabinet Levy-Gosselyn, mis la direction juridique de l'entreprise en difficulté pendant la séance du conseil à tel point qu'à bout d'arguments, le président de l'entreprise à mis fin au débat en disant : « De toute façon, l'État ne veut pas et EDF non plus ».

Par ailleurs, sur le lien entre prix du gaz et prix du pétrole, la question essentielle n'est pas de savoir si le prix du pétrole augmente mais qu'elle est la réalité des coûts d'importation du gaz. Or, à l'occasion du rendez vous tarifaire du 1er novembre 2004, cette question avait donné lieu à un important débat public et M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, avait refusé l'augmentation demandée en accordant à l'entreprise seulement 4 % d'augmentation alors que la CRE avait accepté une augmentation de 8 %. La direction de Gaz de France s'était offusquée publiquement de la gravité de cette décision sur la situation financière de l'entreprise. Les six administrateurs salariés avaient demandé la tenue d'un conseil extraordinaire, en octobre 2005, pour permettre de connaître les répercussions exactes sur l'entreprise des coûts d'importation du gaz. Le président, malgré l'obligation qui lui était faite par le règlement intérieur du conseil, a refusé au motif que ces coûts d'importation « n'étaient pas de la compétence du conseil d'administration ».

M. Jean Pierre Sotura a rappelé que le Conseil constitutionnel avait validé en 2004 la loi de changement de statut et érigé Gaz de France en service public national. Et pour autant, en 1946 comme en 2004, tous les consommateurs français n'étaient pas alimentés en gaz. Mais, aux termes du présent projet de loi, Gaz de France ne sera plus un service public national. Le monopole de concession de distribution du gaz risque de se trouver gravement remis en cause.

Le président Patrick Ollier a remercié les représentants de la CGT.

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Puis, la Commission a entendu M. Michel Lamy, secrétaire national CFE-CGC, M. Jean-Claude Pelofy, secrétaire général CFE-CGC des IEG, M. Bernard Glénat, délégué national CFE-CGC des IEG et M. Alexandre Grillat, administrateur EDF, sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

Après avoir souhaité la bienvenue aux personnes auditionnées, le président Patrick Ollier les a invitées à exposer brièvement la position de la CFE-CGC sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

M. Michel Lamy a rappelé que la loi de programme du 13 juillet 2005, fixant les orientations de la politique énergétique, dispose en son article 1er que la politique énergétique vise à contribuer à l'indépendance énergétique nationale et garantir la sécurité d'approvisionnement, assurer un prix compétitif de l'énergie, préserver la santé humaine et l'environnement, en particulier en luttant contre l'aggravation de l'effet de serre, garantir la cohésion sociale et territoriale en assurant l'accès de tous à l'énergie et repose sur les entreprises publiques nationales et locales. Il s'est toutefois interrogé sur la crédibilité de ces objectifs si l'État n'était plus majoritaire et que les fonds de pension gagnaient du terrain.

M. Jean-Claude Pelofy s'est attaché à reprendre le projet de loi, titre par titre. S'agissant du titre 1er et de l'ouverture du marché de l'énergie pour les particuliers, il rappelle que, si son organisation syndicale n'était pas hostile à l'ouverture du marché pour les grands professionnels, c'est-à-dire les industriels, elle a toujours désapprouvé l'ouverture des marchés pour les particuliers, qui pourrait menacer l'encadrement des prix de l'électricité et du gaz. Seuls des tarifs réglementés à long terme permettent de mener une politique d'investissement à long terme. Les tarifs réglementés sont un rempart contre le désordre des investissements, tant au niveau des moyens de production que des infrastructures.

M. Alexandre Grillat a ajouté que les clients français, depuis soixante ans, bénéficient, grâce à la logique de tarification à long terme, d'un parc de production optimisé à la maille nationale, et basé sur un coût marginal nucléaire et hydraulique. Cette situation, qui n'existe nulle part ailleurs en Europe, leur offre l'optimum technico-économique du parc électronucléaire hydraulique. Or, l'intégration des marchés européens les obligera à payer un prix de marché correspondant davantage à une moyenne européenne, basé sur un parc plutôt thermique, dépendant du CO2 et de l'augmentation des combustibles fossiles. Structurellement, en dehors des bénéfices de la concurrence, le client français ne pourra que payer plus cher son électricité demain.

Par ailleurs, l'ouverture des marchés risque d'exposer les clients à une volatilité, à une cyclicité et à une spéculation boursière, le produit électricité qui, de par sa nature, n'est pas stockable et dont la production et la consommation s'équilibrent en temps réel, alors même que le client a besoin d'une visibilité à long terme sur le prix et la qualité, et les investisseurs d'une planification à long terme des investissements. Par conséquent, il ne faut pas ouvrir complètement les marchés, si l'on ne veut pas répéter le scénario californien de la fin des années 1990 ni celui de British Energy.

Enfin, contrairement au monde des télécommunications, lequel a connu une rupture technologique liée à la téléphonie mobile et à la révolution Internet qui a créé des espaces de croissance, et laissé ainsi de la place au jeu de la concurrence, les secteurs de l'électricité et du gaz restent toujours une industrie de réseaux « purs et durs » en quasi-monopole naturel, et il existe peu de services novateurs liés à l'utilisation de l'électricité. Ainsi, du fait de la spécificité du produit, le client français n'aurait pas beaucoup à gagner à la concurrence. Au contraire, à défaut de revenir sur l'ouverture du marché pour les particuliers, il faudra les protéger des dérives d'un marché libéralisé, grâce à une tarification qui reposerait sur la vérité des coûts - lesquels ne se limiteraient pas au coût d'exploitation, mais intègreraient également les coûts de développements futurs du parc - et serait décidée par des opérateurs de service public, qui auraient signé un contrat de service public avec l'État, ou reçus une délégation de service public au niveau des collectivités locales.

M. Jean-Claude Pelofy a regretté par ailleurs qu'il n'y ait pas eu de véritable retour d'expérience sur l'ouverture des marchés. Abordant le titre II sur la distribution de l'électricité et du gaz, il a dénoncé le danger que représenterait la privatisation de l'un des deux distributeurs, si du jour au lendemain l'ensemble des concessions gazières étaient mises en concurrence. En effet, si GDF répondra bien évidemment aux appels d'offres sur les concessions gazières, le concurrent éternel EDF, comme d'autres opérateurs, en fera de même et ces deux entreprises ne se feront certainement pas de cadeau. D'autre part, parce que la rente financière liée à l'acheminement est plus importante pour GDF que pour EDF, la mise en concession appauvrira bien davantage GDF qu'EDF qui dispose d'autres sources de revenus grâce à son parc de productions.

Selon M. Bernard Glénat, le transfert d'une entreprise du secteur public, qui détenait un monopole, au secteur privé va sans doute attirer l'attention de la commission économique européenne, ne serait-ce que sur la question des abus de position dominante. Bruxelles ne manquera sans doute pas d'exiger des contreparties.

M. Alexandre Grillat a précisé que la mise en concurrence des concessions mettrait sans doute fin à la péréquation tarifaire nationale qui repose sur le monopole des concessions distribution.

Concernant le titre III et l'évolution du capital de GDF, M. Jean-Claude Pelofy a rappelé qu'en 2004, la CFE-CGC, motivée par un projet industriel cohérent, avaient été la seule à soutenir la transformation de l'établissement public industriel et commercial GDF en société anonyme. Ce projet industriel était basé sur le fait que GDF, qui était une entreprise très saine, souffrait de ne pas être suffisamment présente au niveau de la production de gaz, laquelle demande de gros investissements.

Le seul actionnaire étant l'État, il était impossible d'espérer une recapitalisation, d'où l'intérêt du passage au statut de société anonyme qui autorisait alors une augmentation conséquente de capital.

Malheureusement, un an plus tard, les promesses n'étaient pas tenues : l'État a procédé à une cession d'actions pour un peu plus de 2 milliards d'euros, mais le capital n'a été augmenté que d'un milliard, alors que le succès de la mise sur le marché de GDF pouvait laisser espérer bien davantage.

La CFE-CGC n'a pas une position dogmatique sur une participation de l'État à 70 %. Elle pourrait ainsi être ramenée à 50 % plus une action, ce qui permettrait aux nouveaux actionnaires dans le cadre d'augmentation de capital, d'apporter à l'entreprise un peu plus de 20 milliards. GDF n'étant pas endettée, elle pourrait s'endetter un peu, et ainsi, avec plus de 20 milliards de fonds propres supplémentaires, lever son handicap stratégique.

Ce n'est pas la fusion avec Suez qui permettra de régler cette question.

M. Bernard Glénat a observé que si GDF absorbe Suez et doit payer la différence entre la valeur des actions des deux entreprises, qui s'élève aujourd'hui à cinq euros, c'est un premier investissement d'environ six milliards que devra consentir le nouveau groupe, ce qui n'est pas négligeable et risque de limiter les capacités d'investissement dans le secteur industriel.

M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur, a rappelé qu'un premier bilan avait bien eu lieu, suivi d'un rapport remis au Premier ministre.

Après avoir entendu les réticences exprimées par les intervenants sur l'ouverture du marché de l'énergie pour les particuliers, il s'est interrogé sur le niveau du tarif qui, tout en reflétant les coûts, permettrait de poursuivre les investissements nécessaires.

Que pensent par ailleurs les participants des missions qui pourraient être confiées au régulateur, au-delà de celles que la loi lui confère déjà ? La surveillance des marchés pourrait-elle ainsi entrer dans ses compétences ?

Reconnaissent-ils enfin des mérites à la fusion, à l'instar des syndicats de Suez qui y sont tous favorables ?

Avant d'interroger les représentants de la CFE-CGC, M. François Brottes a tenu à souligner que, pour l'instant, tous les syndicats auditionnés avaient désapprouvé le projet de fusion, et que le bilan du rapporteur ne pouvait tenir lieu d'étude d'impact sur l'ensemble du marché européen de l'énergie, telle qu'elle avait été annoncée à Barcelone.

Les participants pensent-ils que la privatisation de GDF entraînerait un déclassement du service public national ? GDF court-il le risque de se retrouver dans la même situation que le secteur de l'eau suite à la mise en concurrence des concessions ? Que penser de la position hybride de nombre d'agents d'EDF-GDF ? Enfin, ont-ils eu accès aux documents proposés à la commission européenne ? Il est gênant de prendre des décisions sans connaître les contreparties que Bruxelles exigera.

M. Xavier de Roux s'est tout d'abord demandé si l'écart entre le prix de l'électricité, basé sur le coût du nucléaire et de l'hydraulique, et celui du gaz, largement importé et donc soumis aux aléas du marché, allait encore s'aggraver.

Par ailleurs, pour garantir la sécurité des approvisionnements, il convient d'investir massivement, ce qui impose d'ouvrir le capital de GDF, dans la mesure où même les contrats à long terme, du fait des clauses d'indexation et de révision, suivent les prix du marché. Quel montant serait nécessaire pour investir dans les sources d'approvisionnement ?

Enfin, GDF a-t-il besoin d'un partenaire fort pour l'aider à réaliser ces investissements, et lequel ?

M. Daniel Paul a observé que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, auditionné il y a quelques jours, ne parlait plus de fusion entre GDF et Suez, alors qu'il n'avait été question que de cela pendant des semaines. Sans doute faut-il imputer cette évolution intéressante aux nombreux doutes et interrogations qui subsistent, notamment chez les syndicats.

Après avoir confirmé que le bilan établi par le rapporteur ne correspondait pas à celui promis il y a quelques années, il a demandé à la CGC de Suez de confirmer son opposition au projet de fusion avec GDF.

D'autre part, MM. Gérard Mestrallet et Jean-François Cirelli ayant expliqué l'intérêt financier que représentait le transport du gaz, comment cet intérêt pourrait-il subsister si le transport, la distribution et les concessions sont menacés ?

Enfin, la question du gaz, comme des autres produits énergétiques, est à ce point politique que seuls des contrats sur le long terme, négociés d'État à État, avec possibilité d'intervention de la commission européenne, peuvent apporter une certaine garantie - ce qui ne veut pas dire que les tarifs ne doivent pas évoluer.

M. Serge Poignant s'est interrogé sur les conséquences d'un statu quo, notamment pour le secteur environnement de Suez. Par ailleurs, si la participation de l'État était ramenée à 50 % plus une action; quel serait le gain ?

M. Jean Proriol a demandé aux participants leur avis sur une éventuelle fusion entre EDF et GDF dont on reparle depuis quelques temps. Que pensent-ils par ailleurs, d'une privatisation de GDF dans le but de renationaliser Suez ? Enfin, eux qui avaient réussi à persuader M. Nicolas Sarkozy, lorsqu'il était ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, du bien-fondé d'une participation de l'État à hauteur de 70 % semblent avoir évolué puisqu'ils ne considèrent plus ce taux comme un dogme de l'Évangile moderne...

Le président Patrick Ollier a demandé aux participants de se prononcer sur le devenir de GDF : faut-il laisser cette entreprise seule face à son destin ou intervenir, sachant que si les choses sont laissées en l'état, GDF pourrait un jour être amenée à vendre son gaz moins cher qu'elle ne l'achète. Que penser par ailleurs de l'offre duale gaz-électricité ?

M. Jean-Claude Pelofy a répliqué que la fusion avec Suez ne pourrait rien changer à cette hypothèse.

Le président Patrick Ollier s'en est étonné, faisant valoir que le nouveau groupe, devenu le premier acheteur européen, aurait le pouvoir de négocier les prix d'achat.

M. Michel Lamy lui a répondu que l'impact lié à Suez ne serait pas suffisant pour bouleverser le marché, Gaz de France manipulant 16 % des volumes de gaz européen et Suez seulement 9 %.

M. Jean-Claude Pelofy a approuvé cette réponse et expliqué que, dans la mesure où 90% du gaz produit dans l'est était écoulé sur le marché européen, il serait préférable de créer une coopérative d'achat au niveau européen, car un client qui achète 90 % d'une production a forcément du poids.

Il a par ailleurs confirmé que les contrats sur le long terme n'étaient pas sécurisants du fait des clauses d'indexation, et qu'ils s'apparentaient davantage à de la diplomatie qu'à du commerce.

Pour ce qui est de l'offre duale, elle présente deux aspects. Certes, quand le marché est parfait, le fait de disposer de gaz et d'électricité permet d'équilibrer les prix, encore faut-il avoir du gaz et des centrales au gaz pour fabriquer de l'électricité.

Par ailleurs, si les particuliers apprécient l'offre duale pour des raisons pratiques, il n'en va de même des industriels, surtout les plus gros, qui n'y trouvent pas d'intérêt.

Quant aux tarifs règlementés, ils devraient être basés sur les calculs à long terme des coûts.

M. Alexandre Grillat a indiqué que le coût de développement de l'EPR s'élevait à 46 euros du mégawatt-heure, et celui d'un cycle combiné gaz entre 54 et 56 euros au prix actuel du pétrole, alors que le tarif actuel de l'électricité était d'environ 30 à 35 euros. Le décalage entre le tarif réglementé qui n'a guère augmenté depuis plus de cinq ans et le coût de développement futur du parc est donc important. Néanmoins, il convient de maintenir une tarification règlementée, même au-delà de 2010, qui pourrait évoluer sous le contrôle des pouvoirs publics. Quant au régulateur, il doit assurer un accès transparent et non discriminatoire aux réseaux, mais la tarification de la fourniture, constitutive du service public de l'énergie, doit rester du domaine des pouvoirs publics.

M. Michel Lamy a rappelé que, plus il y avait de capitaux privés dans une entreprise, plus les tarifs augmentaient, comme en témoignent les exemples anglais et espagnol. D'une part, les personnes privées qui investissent dans une entreprise recherchent un rendement bien supérieur à celui qu'attendrait l'État, d'autre part, alors que l'État réinvestit les bénéfices dans l'entreprise, ce qui diminue d'autant les futurs coûts d'investissement, les capitaux privés jouent davantage un rôle de prédateur, la recherche du meilleur prix pour leurs clients n'étant pas forcément leur objectif, non plus qu'une politique d'investissement à long terme.

Ainsi, dans les trois ans qui ont précédé sa mise sur le marché, EDF a procédé à une reprise de provisions liée à l'allongement de la durée de vie des centrales nucléaires, afin d'améliorer ses résultats, et finalement, EDF a réduit le trésor de guerre qui lui permettait de réaliser les investissements nécessaires pour l'avenir.

Pour ce qui est des consommateurs, M. Alexandre Grillat a estimé que la modification du code de la consommation, prévue dans le projet de loi, allait dans le bon sens, même si la création d'un supra-médiateur, relevant des pouvoirs publics, serait préférable à des médiateurs intégrés aux services clientèle de chaque fournisseur.

Le rapporteur a approuvé cette solution, et le président Patrick Ollier a indiqué qu'un amendement serait rédigé en ce sens.

Concernant le régulateur, M. Jean-Claude Pelofy a considéré que cette autorité pouvait être indépendante s'il s'agissait de régler des questions techniques, comme la tarification de l'acheminement et l'accès aux réseaux, mais qu'il serait sans doute préférable d'instaurer un contrôle plus démocratique, par exemple par l'Assemblée nationale, s'il s'agissait de répondre à des problèmes politiques, tels la réglementation des tarifs ou le niveau d'optimisation de la concurrence.

Pour ce qui est des syndicats de Suez, la Fédération des industries électriques et gazières est présente à GDF et au sein des 140 entreprises non nationalisées : l'hostilité au projet de privatisation de GDF y est générale.

Quant aux autres syndicats de Suez, les membres de la CFE-CGC, surtout issus des anciennes structures de la Lyonnaise des eaux, considèrent que l'assemblage entre le domaine des énergies et celui de l'environnement est artificiel et non pérenne. Quant à une éventuelle fusion, ils prétendent avec ironie qu'elle leur donnerait une visibilité d'un an, au lieu des six mois actuels.

M. Bernard Glénat a précisé que les syndicalistes de l'entreprise Suez elle-même, holding financière qui regroupe l'ensemble des activités du groupe et emploie 350 salariés dont 80 % de cadres, étaient tous favorables à la fusion avec GDF.

M. Michel Lamy a toutefois répété qu'au niveau de la confédération, l'opposition à ce projet était claire.

Concernant le problème du déclassement du service public naturel Gaz de France, M. Alexandre Grillat a rappelé que GDF était un service public national, au sens du préambule de la Constitution de 1946, et que le déclassement d'un service public national en vue de sa privatisation n'avait été réalisé qu'une seule fois en France, fin 2003 pour France Télécom, sans pour autant qu'il ait été alors répondu à la question de la compatibilité de ce déclassement avec le préambule de la Constitution de 1946.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 5 août 2004, a affirmé que GDF était un service public national, ce qu'a confirmé le Conseil d'État dans son avis du 11 mai 2006. Peut-on alors privatiser le service public national GDF dans le respect de la Constitution ?

Par ailleurs, jusqu'en 2001, GDF, sur son réseau de transport, était concessionnaire d'État. La loi de finances rectificative de 2001 a transféré la propriété du réseau de transport à GDF EPIC. Or, l'alinéa 9 du préambule de la constitution de 1946 dispose que tout bien dont l'exploitation a les caractères d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité. Dans la mesure où il n'existe pas en France deux réseaux de transport parallèles concurrents, le réseau de transport reste bien un monopole de fait. Le réseau de transport doit donc rester propriété publique. Or, GDF peut-elle demeurer propriétaire du réseau si elle est privatisée, sachant que les réseaux de transport représentent environ 40% de sa valeur ?

M. Xavier de Roux a fait remarquer que les monopoles de fait sont considérés comme des facilités essentielles, lesquelles, en vertu de la jurisprudence européenne, doivent être accessibles à tous. La question de la propriété ne se pose donc pas.

M. Michel Lamy lui a répondu que, dans ces conditions, cet élément essentiel de GDF serait soumis à la concurrence, avec toutes les conséquences que cela implique.

M. Alexandre Grillat s'est demandé s'il était possible que le réseau de transport, qui assure la continuité du service public du gaz, puisse devenir propriété privée, alors que les réseaux de distribution de gaz situés en aval restent la propriété des collectivités locales.

Par ailleurs, GDF a un monopole de concessionnaire obligé sur la plupart des collectivités locales. Le Conseil d'État a jugé qu'il ne s'agissait pas d'un monopole national, car en effet les distributeurs non nationalisés et certaines communes qui n'étaient pas desservies par le gaz en 2003 peuvent choisir leur opérateur, mais ce n'est pas le cas de toutes les autres. Il s'agit donc bel et bien d'un monopole de fait, et en vertu du préambule de la constitution de 1946, GDF ne devrait pas pouvoir conserver un monopole de concessionnaire obligé s'il devient privé.

M. Jean-Claude Pelofy a confirmé, en réponse à une question de M. Jacques Bobe, que la CFE-CGC n'avait pas une position dogmatique sur les 70 % de participation de l'État, et accepterait que ce taux soit ramené à 50 % plus une action, ce qui permettrait de dégager, par augmentation de capital, une vingtaine de milliards d'euros.

Il a également regretté que, malgré la modification du statut de GDF et la possibilité d'augmenter le capital depuis 2004, le PDG de cette entreprise ait préféré développer la stratégie du stand alone sans réaliser de réels investissements de croissance externe.

S'agissant du pôle environnement de Suez, l'on a pu se demander lequel, de ce pôle ou du gaz était le plus stratégique pour la Nation. Si le pôle environnement est si stratégique, autant le nationaliser, car la question de l'eau prendra peut-être le pas, dans quelques années, sur les crises énergétiques qui peuvent éclater aujourd'hui.

Le pôle environnement pourrait rester seul, et sans parler de démantèlement, il est inéluctable qu'à court terme, en cas de fusion, le pôle énergie soit juridiquement séparé du pôle environnement.

A la question de M. Philippe Tourtelier sur la prise en compte de l'effet de serre par les analyses, M. Bernard Glénat a répondu que, s'agissant du gaz, les résultats seraient les mêmes quel que soit l'opérateur.

Abordant le problème de l'accès aux documents, il a déclaré que le comité central d'entreprise GDF avait mandaté un expert pour analyser les conséquences de la fusion, lequel a pu prendre connaissance des documents présentés à la Commission européenne, mais n'a pu accéder au rapport confidentiel de la Direction générale de la concurrence. Il a espéré que les députés, avant de prendre une décision en septembre, pourront consulter ce document, ainsi que la lettre de griefs établie par la Commission européenne prévue en août et établissent l'ensemble des secteurs qui pourraient pâtir de la fusion.

Le président Patrick Ollier a promis de faire son possible en ce sens, avant de reconnaître qu'en tant que maire, il redoutait de devoir discuter demain avec des fonds de pension américains uniquement préoccupés par la rentabilité à court terme.

M. Alexandre Grillat a répliqué qu'aujourd'hui, 74 % du capital de Suez est flottant en bourse, et qu'une partie importante de son capital est détenue par des fonds d'investissement. La fusion Suez-GDF exposerait donc l'ensemble fusionné à une présence significative de ces fonds.

Le président Patrick Ollier a dit craindre particulièrement une participation majoritaire de ces fonds de pension.

M. Alexandre Grillat a suggéré, pour sécuriser l'avenir du pôle environnement de Suez, d'en organiser une cession à un consortium d'investisseurs français. La représentation nationale pourrait ainsi demander à la Caisse des dépôts et consignations, qui en a les moyens, d'étudier un scénario de reprise du pôle environnement Suez.

M. Bernard Glénat a alerté les députés sur le fait qu'une participation de l'État réduite à 34 % ne suffirait pas à protéger l'entreprise contre les prétentions, par exemple, d'un très gros producteur de gaz d'un pays voisin. La question de l'« opérabilité » du nouveau groupe mérite à ce titre d'être posée.

M. Jean-Claude Pelofy a ajouté qu'une participation réduite à 34 % ne suffirait pas à constituer une minorité de blocage, et que des conflits surgiront forcément entre les intérêts des actionnaires - même s'ils se conduisent en bons pères de famille - et l'intérêt général.

Le président Patrick Ollier a remercié les représentants de la CFE-CGC.

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Enfin, la Commission a entendu M. Christophe Quarez, secrétaire national de la fédération Chimie Energie CFDT, et Mme Marie-Hélène Gourdin, déléguée fédérale en charge de la branche IEG, sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

Le président Patrick Ollier a souhaité la bienvenue à M. Christophe Quarez, secrétaire national de la fédération Chimie Energie CFDT, et à Mme Marie-Hélène Gourdin, déléguée fédérale CFDT en charge de la branche IEG,puis leur a donné la parole pour un exposé liminaire.

M. Christophe Quarez a tout d'abord noté que le projet de loi concernait, d'une part, l'ouverture du marché aux particuliers et, d'autre part, GDF. Il a estimé, s'agissant de l'ouverture des marchés pour les particuliers, que la Commission européenne était partie du postulat selon lequel l'énergie était un bien comme les autres, dont l'ouverture à la concurrence allait faire baisser le prix. Or, l'expérience outre-Atlantique, comme celle de nos voisins européens, a montré qu'il n'en était rien. Malheureusement, le train des directives était lancé. Celles-ci imposaient notamment de séparer juridiquement les activités de production, de transport et de distribution, afin d'assurer une meilleure transparence et éviter les financements croisés. Or, outre que la transparence comptable suffit, cette séparation juridique n'est pas souhaitable car, notamment pour l'électricité, rien ne vaut une entreprise intégrée pour adapter l'offre à la demande, comme en témoigne l'exemple californien où l'ensemble du système a été paralysé parce que les producteurs d'un côté et les distributeurs de l'autre se sont amusés à jouer au chat et à la souris pour faire monter les enchères.

Il y a lieu d'être d'autant plus sceptique face à l'ouverture du marché pour les particuliers qu'un industriel comme M. Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, n'a pas attendu six mois pour réclamer le retour au monopole d'EDF, alors qu'il avait appelé de ses vœux l'ouverture du marché de l'électricité. On peut par ailleurs craindre un dumping énergétique au niveau communautaire, notamment pour les électro-intensifs. Cela étant, certains éléments du projet de loi, notamment le principe de réversibilité est une bonne chose, même s'il pourrait encore être étendu.

La CFDT s'est toujours opposée à une séparation entre le gestionnaire du réseau de distribution et l'opérateur commun, d'autant plus qu'aucune directive ne l'a jamais imposée. Cette décision pourrait en effet menacer l'emploi des 60 000 personnes qui y travaillent, les activités de l'opérateur commun étant externalisables.

Mme Marie-Hélène Gourdin a ajouté que cette décision était d'autant moins souhaitable que depuis 2001, EDF-GDF avait déjà perdu près de 10 000 emplois.

M. Christophe Quarez s'est par ailleurs interrogé sur la pérennité de la caisse nationale de retraites autonome si 60 000 salariés sortaient du statut des IEG.

S'agissant de la fusion, il a rappelé qu'une fusion entre EDF et GDF, possible il y a une dizaine d'années mais refusée à l'époque par les présidents des entreprises et les pouvoirs publics, n'était plus souhaitable aujourd'hui car le prix à payer serait trop lourd. Constatant que GDF ne pesait pas suffisamment face à ses concurrents, et ne saurait rester seul, il a jugé que, dans cette perspective, une fusion avec Suez présentait un intérêt industriel, les deux entreprises étant complémentaires, mais à condition qu'elle ne s'accompagne pas d'une privatisation de GDF. Une réduction de la participation de l'Etat, accompagnée de participations croisées permettrait de pérenniser GDF sans le privatiser.

Le président Patrick Ollier a émis des doutes sur la pertinence des participations croisées, qui ne constitueraient pas véritablement un projet industriel, ce qu'a confirmé M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur, tout en ajoutant qu'il ne fallait négliger aucune option, a noté que la CFDT s'était prononcée contre la privatisation, mais s'est félicité qu'elle ait reconnu l'intérêt industriel du projet ; il a souligné que le calendrier d'examen du projet laissait du temps. Il a déclaré garder à l'esprit que la question de l'opérateur commun est un sujet sensible pour les salariés des entreprises concernées.

M. François Brottes a rappelé que, selon le ministre des finances, le projet ne portait pas sur la fusion mais sur la privatisation de GDF et a noté que la CFDT avait pris clairement position sur ce point. Il a confirmé qu'il y a quelques années, la fusion entre EDF et GDF avait été à l'ordre du jour, mais qu'en raison du contexte, elle ne s'était pas réalisée.

Une étude d'impact, réalisée à l'échelle européenne comme l'engagement en avait été pris à Barcelone et pas seulement à l'échelle nationale, permettrait sans doute d'établir qu'il faut réguler le secteur de l'énergie au niveau du continent et non pays par pays. Dans ce contexte, la fusion entre EDF et GDF pourrait redevenir d'actualité.

S'agissant des réseaux, il s'est demandé si, dès lors que le marché de l'énergie s'ouvrait à la concurrence, il n'était pas nécessaire que les réseaux restent publics. Il a enfin déclaré que le projet de loi ne prévoyait pas de clause de réversibilité, avant d'exprimer sa crainte que les amendements qui seront proposés en la matière ne soient de même nature que ceux votés sur la TVA dans le domaine de la restauration.

M. Jean Proriol a rappelé les nombreux atermoiements autour de la recherche d'alliances pour GDF, entre sa fusion avec EDF, déjà envisagée il y a quelques années, et l'ouverture de son capital à des capitaux anglais, proposée en 2000 par M. Laurent Fabius, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La nécessité de conforter GDF étant avérée, il faudrait maintenant trancher, et choisir une solution. Il a estimé qu'il valait mieux prendre des mesures de transposition de la directive plutôt que de la laisser s'appliquer dans toute sa brutalité.

Tout le monde cherche un « plan B », mais il semble difficile à trouver : que penser d'une solution tripartite avec Enel au milieu ?

Par ailleurs, GDF évolue compte tenu de la demande mondiale, et se positionne sur l'amont, en investissant et en constituant des réserves, notamment dans des pays parfois difficiles comme la Mauritanie. Mais peut-il agir seul ?

Enfin, quel est le point de vue de la CFDT sur le problème de la tarification et sur les relations que pourront entretenir EDF et GDF après le vote de la loi ?

M. Serge Poignant a demandé aux représentants de la CFDT de préciser en quoi GDF ne pouvait pas « rester seul », et d'expliquer pourquoi ils étaient hostiles à sa privatisation.

Mme Marie-Hélène Gourdin a déclaré que la CFDT estimait que l'État s'était engagé en 2004 sur le maintien de 70 % de capitaux publics et devait respecter ses engagements.

M. Christophe Quarez a rappelé que la CFDT avait toujours dénoncé l'absence d'une véritable politique énergétique européenne. À cet égard, la proposition d'une régulation européenne est intéressante, mais dans cette perspective, il est essentiel que les réseaux restent publics, même si cela soulève des problèmes techniques.

S'agissant des tarifs, la CFDT a toujours considéré que la péréquation tarifaire était un élément fondamental qu'il fallait maintenir. Comment la préserver dans un contexte d'ouverture des marchés à la concurrence ? Peut-être en la faisant jouer uniquement sur les services...

Dans cette perspective, la distinction entre les prix et les tarifs s'impose ; la question de savoir s'ils vont ou non se rejoindre se pose mais M. Christophe Quarez a reconnu ne pas disposer d'études lui permettant de répondre à cette question. Il a estimé cependant que le prix de l'électricité ne devait pas être fixé en fonction des marchés spot.

M. Jean-Charles Taugourdeau a entendu Mme Gourdin plaider en faveur du maintien d'un réseau public pour des raisons d'ordre économique et technique qu'il n'est pas loin d'approuver. Mais il l'a aussi entendue dire que cela s'impose pour des raisons de cohésion sociale. Serait-ce à dire qu'il n'est de cohésion sociale possible qu'au travers d'une entreprise publique ?

Mme Marie-Hélène Gourdin a exposé que GDF avait pour projet industriel de se recentrer sur l'amont à hauteur de 15 % de ses activités. C'était une bonne stratégie et l'entreprise a tous les moyens nécessaires de la mettre en œuvre sans fusion.

Les conséquences de la fusion pour EDF, sans forcément la mettre en difficulté, seront importantes pour l'électricien historique. La fusion a un sens sur le plan industriel parce que, dans le futur groupe, gaz et électricité seront à égalité. Mais cette configuration peut précisément être un frein au développement d'EDF dont la capacité gazière est très faible, puisque Edison ne représente que 2 à 3 % de son activité, et qui se trouvera alors face à plus gros qu'elle. De plus, EDF a pris du retard en matière de services énergétiques, et le groupe fusionné deviendra le deuxième groupe européen dans ce secteur.

Revenant sur le « ménage à trois » avec ENEL évoqué par M. Jean Proriol, M. Christophe Quarez a indiqué que la CFDT n'avait aucun a priori mais qu'il lui était impossible de se prononcer sans avoir connaissance du projet industriel exact qui sous-tendrait une telle opération. Il a précisé que la CFDT préférait le patriotisme économique européen au patriotisme économique « franco-français ». Le rapprochement entre Suez et ENEL aurait eu pour conséquence une vente par appartements, avec séparation de la branche « eau » et de la branche « environnement ». C'est parce qu'ils veulent éviter le démantèlement de leur entreprise que les salariés de Suez sont très favorables à un rapprochement avec GDF, et la Fédération chimie énergie de la CFDT partage leur point de vue.

S'agissant des réseaux publics, la CFDT a réaffirmé lors de son congrès que le cahier des charges et les missions de service public priment sur le statut de l'entreprise. Mais, en matière de cohésion sociale, le cahier des charges doit permettre l'accès de tous les citoyens à l'énergie, et le réseau public permet le maillage territorial que des opérateurs dispersés n'offriraient pas.

Mme Marie-Hélène Gourdin a dit craindre que, dans un contexte de concurrence accentuée, les relations entre EDF et GDF soient de plus en plus tendues et a émis des craintes sur la pérennité d'un opérateur commun dans de telles conditions ?

M. Jean Proriol a observé que le phénomène se produirait qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas fusion, ce que Mme Marie-Hélène Gourdin a admis.

M. Jacques Bobe a relevé une contradiction dans le fait de dire que le projet de fusion permet de mettre en œuvre un projet industriel et que GDF pourrait mener seul sa stratégie à bien.

Mme Marie-Hélène Gourdin a précisé que le projet industriel qui sous-tend le projet de fusion n'est pas le même que celui que GDF avait défini avant que la fusion soit évoquée. Primitivement, GDF voulait se recentrer sur l'amont, éventuellement en partenariat avec un électricien, et il aurait pu le faire seul. Les perspectives ouvertes par le projet de rapprochement avec Suez sont plus ambitieuses.

M. Christophe Quarez a ajouté que le projet initial de GDF était un projet de développement vertical, en mono-énergie. Si le rapprochement avec Suez aboutit, le projet sera celui d'un développement en multi-énergie, horizontal, car c'est le modèle des entreprises concurrentes. La configuration n'est donc pas la même. Pour autant, le projet qu'avait GDF de devenir propriétaire de 15 % de ses sources d'énergie demeure.

Enfin, la CFDT, parce qu'elle est favorable à la fusion entre GDF et Suez mais opposée à la privatisation de GDF, suggère des participations croisées.

Le président Patrick Ollier a observé que fusionner oblige à privatiser. Si la fusion devait aboutir, le nouveau groupe deviendrait le premier acheteur européen de gaz. Selon la CFDT, cela pourrait-il influer sur les tarifs au consommateur et limiter leur augmentation ?

M. Christophe Quarez a répondu que, GDF ayant des contrats de fourniture à long terme, cela n'était pas démontré même s'il paraît de bon sens de penser que l'augmentation du volume acheté met mécaniquement en meilleure position pour négocier. De plus, l'indexation du prix du gaz sur celui du pétrole, subie par l'importateur, relativise la marge de négociation.

Mme Marie-Hélène Gourdin a indiqué que la CFDT, très attachée au statut des personnels des industries électriques et gazières, avait demandé que le champ d'application des dispositions de la loi de février 2000 soit étendu aux commercialisateurs. Or, cette modification, bien que promise depuis 2002 par plusieurs ministres, n'a toujours pas eu lieu. Un amendement en ce sens serait le bienvenu lors de l'examen du projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

Le président Patrick Ollier a pris note de cette observation et remercié Mme Marie-Hélène Gourdin et M. Christophe Quarez.

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